Obédience : NC Loge :  NC 14/10/2016

 

Laïcité et ignorance
   
« L'ignorance mène à la peur. La peur mène à la haine. La haine conduit à la violence ... »  Cette pensée d'Averroes, philosophe andalo-musulman du 12ème siècle, résume bien la problématique de cette planche...
J'aurais pu commencer par le prologue de l’Évangile de Jean : « au commencement était le verbe… et le verbe était Dieu… »
Pas si simple….

Les débuts de l'humanité ne montrent pas que la religion est consubstantielle à l'homme mais qu'elle va peu à peu se forger sur l’ignorance de ces derniers par rapport au cycle de la vie et de la mort, aux phénomènes surnaturels….
Cet animisme de départ va évoluer avec la croissance démographique vers un polythéisme de plus en plus élaboré dans les civilisations qui vont se succéder sur le bassin méditerranéen.
Tout ceci mériterait une étude détaillée pour souligner que les civilisations
et la religion vont se développer et proposer aux individus une explication du monde de plus en plus élaborée.
Dans le même temps on va assister à la naissance des religions monothéistes se référant à une autorité suprême, révélée.
La fin de l'antiquité et l'effacement progressif des civilisations antiques va favoriser, avec les débuts du Moyen-Age, l'expansion du christianisme qui va se greffer sur les croyances populaires et la superstition.
En ce qui nous concerne, une date sera déterminante c'est l'avènement et le couronnement de Clovis.
Le pacte conclu avec le christianisme est celui de la confusion entre le pouvoir temporel et spirituel. Le fait du prince devient sacré puisque son pouvoir procède de Dieu et, désobéir à l'un revient à ne pas respecter l'autre…
Désormais, la chrétienté vivra sous un double joug qui n'est pas sans évoquer la « charia » et qui sera institutionnalisé à partir du 13ème siècle avec l'Inquisition.

Au Moyen-âge les croyants subissent une double peine : celle de la coercition des règles féodales ou royales et religieuses.
Les seuls écrits sont en latin et l'ignorance est telle que seuls les moines copistes détiennent la vérité et le pouvoir de la dire et elle ne se discute pas.
L'emprise religieuse est à son comble et la connaissance reste à son plus bas niveau.
 Et n'oublions pas les croisades, cette guerre sainte que je n'ose appeler « Djihad »,dirigées contre les « infidèles » du Moyen orient ou plus près de nous contre les Cathares.

Comme on l'aura compris, cette période est dominée par l'obscurantisme le plus total.
La fin du Moyen-âge va coïncider avec l'invention de l'imprimerie, la renaissance des arts, de la culture et au-delà la renaissance des idées, du savoir et de la découverte géographique et scientifique. 
La renaissance des idées c'est aussi la volonté de s'approprier la Bible, en dehors des exégèses des moines copistes et d'en interpréter le sens, c'est la Réforme.
Une idée prédomine : la foi ne peut être basée sur l'ignorance de ceux qui croient et d'ailleurs la première revendication sera la traduction de la Bible en langue vulgaire. La référence pour le croyant doit être le texte...rien que le texte : « sola scriptura »….
Sous Luther la réforme prend aussi un aspect politique sous la forme d'une contestation du pouvoir papal et impérial, celui de Charles Quint.
La double contrainte mise en œuvre à partir de Clovis est désormais contestée par certaines élites.
Calvin,va prolonger en France ces thèses et il développe l'idée que – je le cite - « le fidèle n'est pas tenu d'obéir inconditionnellement au prince... »
Il ne faut pas s'étonner, dès lors, que tout cela va conduire à une guerre souvent sanglante, avec des enjeux de pouvoir, autant que de religion.
 
Henri IV trouvera avec l’Édit de Nantes une forme d'apaisement.
La liberté religieuse sera reconnue aux protestants...au moins jusqu'à la révocation au siècle suivant.
Il est indéniable que le recul de l'ignorance a contribué à ces avancées.
Désormais, un mouvement est lancé c'est celui des idées contre l'obscurantisme. Certes, il est incarné par des élites mais il sera de plus en plus diffusé et il va s'amplifier au cours des siècles à venir…,
C'est ce bouillonnement culturel, fruit de découvertes, de prises de positions polémiques,qui va conduire à ce que l'on a appelé la philosophie des lumières.
Cette période initiée par de grandes avancées scientifiques, de Galilée à Newton en passant par Copernic et bien d'autres va faire reculer considérablement l'obscurantisme et avancer vers l'idéal laïque qui nous est cher…
On va ainsi voir reculer la philosophie religieuse face à un déisme qui prétend que le monde est compréhensible par l'homme qui découvre, peu à peu, les lois qui le gouvernent.

Cette période a du sens pour nous puisque c'est au 18ème siècle qu'est née la maçonnerie spéculative….
Est elle fille ou mère des Lumières...peu importe...mais ce n'est pas par hasard qu'elle est née à cette date…
Il faudrait une planche pour évoquer cette période, elle a été souvent étudiée mais elle ne cesse de révéler des trésors pour la pensée et l'humanisme.
J 'aime bien l'analyse de Todorov qui, dans son ouvrage l'Esprit des Lumières, dégage trois idées directrices :
L'autonomie tout d'abord...c'est à dire la faculté de penser par soi-même ou comme nous y invite Kant : « à user de notre liberté d'utiliser notre raison »... C'est la base de la liberté de conscience.

La finalité humaine de nos actes, ensuite… Cela ne signifie pas l'abandon de toute croyance ou de toute morale religieuse mais tout simplement que la société est l’œuvre des humains au service des humains. C'est une vision laïque de la société au service des croyants et des non-croyants…
L'universalisme enfin…. C'est l'affirmation qu'au delà des diversités culturelles , raciales et religieuses, il existe un fond commun de principes qui rassemblent.
L'universalisme va plus loin en revendiquant des droits imprescriptibles, acquis à l'homme quelle que soit sa culture...
Ce sont ces droits qui seront repris par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen puis par la déclaration universelle des droits de l'homme.
La Révolution française et le 19ème siècle vont encore renforcer ces idées laïques en les liant à la bataille sociale et politique qui accompagne la révolution industrielle.

La bataille pour les libertés, les conquêtes de droits nouveaux sont inséparables des idéaux d'autonomie et d'humanisme.
L'idéal laïque n'est pas seulement l'opposition au religieux mais c'est un idéal d'émancipation et d'affranchissement contre les tutelles de toutes natures, religieuses...ou pas.
Je vais donc passer sur la 3ème République, sur l'école, la reconnaissance du droit syndical et d'association, la séparation des églises et de l’État, que nous évoquons fréquemment, en soulignant combien ces avancées se firent souvent dans la douleur ou dans la violence.
Tout ce mouvement accompagne un essor scientifique et technique sans précédent, corroborant l'idée que laïcité et recul de l'ignorance sont intimement liés.

Cette avancée inexorable du progrès et des idées va se confronter aux crises que va connaître le 20ème siècle avec ce qu'on pourrait nommer la montée des « ismes »…
Le fascisme avec sa version nazi, le communisme et sa version stalinienne ainsi que l'islamisme avec l'arrivée des Frères musulmans.
On souligne assez peu que le 3ème est concomitant des deux premiers.
Les Frères musulmans sont une nébuleuse qui fonctionne comme le laboratoire d'idée du fondamentalisme. Ils sont nés à la fin des années 20, ils ont été adoubés par Staline et Hitler, malgré son aversion pour les « non aryens », les a reçus….
Dès lors, il ne faut pas s'étonner de retrouver quelques constantes dans l'ADN des Frères musulmans.
L'idée de peuple élu et appelé à dominer le monde, le « messianisme » d'un monde meilleur autour d'un projet de califat mondial, le paradis pour ses héros (avec les vierges en plus), la notion d'avant-garde éclairée, le noyautage, la victimisation, l’instrumentalisation de la démocratie….
Quand je dis instrumentalisation, je veux dire qu'on réclame des droits au nom de celle-ci, si on est minoritaire… que l'on refuse, au nom de la charia, si on est majoritaire…
 
Bref, les deux premiers « ismes » ont provoqué des millions de morts lors de la seconde guerre mondiale, dans les camps de concentration et le goulag, la Shoah…. Tandis que le 3ème a utilisé les ressorts de la décolonisation et des aspirations nationalistes pour élaborer un islamisme radical et conquérant, tourné contre l'occident et les anciens colonisateurs...pour ne pas dire les croisés.
Ce rejet passe par la mise en cause de la laïcité, l'affirmation de la primauté du religieux sur la vie publique et la démocratie et prône, en priorité, le retour à la tradition et à l'obscurantisme….

Cette tradition est très souvent dirigée contre la femme en tant que telle.
Il n est pas rare de croiser un couple où la femme est vêtue comme une bédouine du moyen âge alors que l'homme arbore des vêtements made in USA, le grand Satan américain….
Ce qui n'exclut pas que l'un et l'autre manipulent avec dextérité une tablette reliée aux réseaux sociaux… mais ignorée du Coran...
Dire cela, même d'une façon un peu plaisante ou distanciée c'est faire des constats du quotidien que l'on pourrait compléter par le refus de médecins du sexe opposé, la mise en cause de certaines matières d'enseignement, les cantines scolaires…..etc...etc…
Ceci nous conduit tout naturellement à évoquer le présent qui se nourrit de l'actualité souvent dramatique de ces derniers mois.
Depuis le début de l'ère chrétienne, nous avons connu une évolution constante de progrès de l'idée laïque, corrélé à la diminution de l'ignorance. Notre société a engrangé les progrès scientifiques, techniques et sociétaux et s'est dotée, parallèlement, d'une législation démocratique qui fait de la laïcité une des valeurs fondamentales de la République.
Et pourtant….

Alors que le progrès des connaissances est là, la laïcité, devenue institution, est menacée aujourd'hui par une ignorance ou un obscurantisme, sans fondement, mais en quelque sorte revendiqués comme outil identitaire par ceux qui dénient à la laïcité sa valeur universelle.
C'est une ignorance paradoxale mais brandie comme un étendard de retour aux sources … aux sources de l'obscurantisme.
Les exemples sont tellement multiples qu'il serait presque impossible de prétendre à l'exhaustivité et de dresser un inventaire…
L’objectivité laïque nous oblige à dire qu'il touche, à des degrés divers, toutes les religions.
Bornons-nous à quelques exemples :
Le retour du créationnisme et la contestation des travaux de Darwin. Ce mouvement parti des USA a essaimé en Europe et trouve ses relais dans les milieux traditionalistes catholiques et musulmans qui trouvent là leur unique point d'accord.
Le port du voile dans la sphère publique, avec ses versions extrêmes du niqab et de la burqa, participe aussi du retour vers l'obscurantisme doublé de la vision de la femme évoquée plus haut.
Une certaine forme d'athéisme militant et donc radical, visant à aller au-delà du droit de ne pas croire et de se forger sa propre spiritualité, en critiquant le fait de croire pour les autres.
Cette dérive est souvent le fait d'une certaine extrême gauche, nourrie des thèses de l'OCI et elle fait du mal à l'idéal laïque dès lors qu'il y a confusion entre les deux notions : l'athéisme n'est pas forcément la laïcité...
A l'opposé, il y a les « laïques de la 11ème heure », venus à ce combat avec un but unique : contester toute légitimité à la pratique de l'islam en France et donc bouter hors de France tout ce qui vient du bassin méditerranéen… il suffit de consulter les écrits de « Riposte laïque » pour comprendre ce que je veux dire.

Ce double excès m'amène à tenter de purger cette question, avec mes convictions personnelles, sans être assuré qu'elles soient partagées...mais j'en prends le risque.
Je veux dire que sur cette question délicate, il faut tenter d'avoir la même approche pour toutes les religions, ce qui peut vouloir dire plus de sévérité, dans certains cas, lorsque les excès sont avérés… un peu comme l'enseignant face à ses élèves…..
Il ne faut donc pas stigmatiser l'islam et plus généralement la population qui s'en réclame mais dans le même temps, ne pas faire de complexe et tomber dans le piège de l'angélisme qui nous est tendu sur ce plan.

Je partage, là-dessus, le jugement d’Élisabeth Badinter, notamment lorsqu'elle affirme que le concept d'islamophobie a été inventé par les islamistes pour disqualifier tout jugement qui pourrait être porté sur les dérives de l'islam...
On peut donc critiquer les Croisades, l'Inquisition, certains excès des manifestations contre le mariage pour tous, sans être pour autant taxé de « christianophobie »…
Même chose pour le Judaïsme : la critique des excès du Sionisme ne fait pas oublier la Shoah…
Il n'y a donc aucune raison que l'islam ne puisse pas être jugé sur ses actes….
Tout cela ne favorise pas le débat et quand la laïcité devient pro ou anti quelque chose...elle n'est plus la laïcité…
« La laïcité consiste à maintenir toutes les religions et croyances à égale distance »...nous dit Henri Peña Ruiz.
Ce sera ma conclusion sur ce point ...

Mais la palette dans laquelle s'exerce ce retour de l'ignorance est infinie….
Il aurait fallu développer sur l'irruption massive de l'irrationnel dans la société… non pas que l'irrationnel soit une nouveauté en soi mais sa démultiplication est amplifiée par les médias, les réseaux sociaux, la pub et la perte de repères…
Citons pêle-mêle outre les sectes, les mages et guérisseurs de tout acabit, une vogue de certaines thérapies parallèles autour du développement personnel et du bien-être.
Et puis il y a tout ce qui tourne autour du complotisme et du négationnisme, amplifié par internet et mené par des officines souvent proches de l'extrême droite.
J'en étais là, au mois de juin dernier, quand l'actualité de cet été est venu apporter son lot d'horreur et de sang avec les massacres de Nice et de Saint Étienne du Rouvray.
Ils ont été abondamment commentés et ont fait émerger une nouvelle forme d'obscurantisme qui vise par une sorte de diversion de la pensée à faire oublier la réalité profonde de ces actes.
On a ainsi, pour des raisons politiciennes, beaucoup glosé sur la sécurité et ses insuffisances ou sur l'état de notre société…
Pour un peu, on en oublierait l'essentiel c'est à dire l'atrocité des actes et l'aveuglement de ces combattants de l'horreur.
Ce glissement dans l'analyse des responsabilités aboutit à ne voir dans ces actes que des révélateurs….pourquoi pas des testeurs..des limites de la sécurité et de la démocratie.

Chaque fois que l'on cherche à expliquer l'inexplicable on est sur le chemin de l'excuse...
Et nous n'avons pas échappé, non plus, au couplet culpabilisant du cardinal de Paris saisissant l'occasion de déplorer la perte du sentiment religieux et les ravages du laxisme et de la laïcité dans notre société…
Bref, même si comparaison n'est pas raison, on ne peut s'empêcher de penser aux années 40 et aux attaques contre les « responsables » de la défaite : les juifs, les francs-maçons, les laïques et les communistes ….
Un peu comme si Hitler et le nazisme n'avaient pas existé et avaient été les simples révélateurs de la nécessité d'une « révolution nationale »…
Enfin, faute de temps, je n'ose aborder cette pénible affaire du « burkini » qui n'a pas fait honneur aux deux camps et qui a surtout déconsidéré notre démocratie, aux yeux de l'étranger ...le Conseil d’État, avait certainement mieux à faire que d'être obligé de statuer en urgence…en plein été….
Ces quelques éléments montrent à quel point le combat contre l'ignorance a un bel avenir et Schopenhauer l'a résumé dans une belle formule : « les religions sont comme les vers luisants : pour briller elles ont besoin de l'obscurité. Un certain degré d'ignorance générale est la condition de toutes les religions, le seul élément dans lequel elles peuvent vivre »….
J'en viens,ainsi, à la dernière partie de cette planche en évoquant nos préoccupations maçonniques.
Une grande partie de la réponse a été donnée dans la planche remarquable rédigée par mes frères et sœurs, compagnons, à propos de la question aux loges sur ce thème.
Je ne les reprends pas mais je me contenterai d'évoquer trois directions.
D'abord la nécessité de garder cette question très présente dans nos échanges et réflexions en loge, car le maçon, en milieu profane, doit être porteur de la richesse des échanges dans l'atelier.
Ce sont ses outils.

Ensuite la nécessité de s'investir, je dirais même d'investir le milieu profane, en étant présent dans le tissu associatif,en y alimentant les débats et en prêchant par l'exemple. Cela est d'autant plus nécessaire qu'une partie de la jeunesse souhaite changer les choses en passant des « nuits debout », alors que, paradoxalement, elle a complètement déserté ce type de militantisme.
Enfin la maçonnerie, sans rien renier de ses spécificités doit aussi avoir une expression publique exigeante, notamment sur la République et ses valeurs qui sont aujourd'hui terriblement mises en causes, pour ne pas dire malmenées.
 
 
Parce qu'est ce que c'est que le « vivre ensemble » pour nous francs maçons ?
 Ce n'est pas l'idée véhiculée, par certains, d'une société fragmentée dans laquelle les éléments - je devrais dire les communautés- acceptent de cohabiter...

C'est une vision pluraliste qui n'est pas la nôtre.
Le vivre ensemble laïque, celui des lumières, est tout à la fois une séparation et une union.
La séparation de ce qui relève du sacré et du profane pour mieux se rassembler autour d'un projet commun : la République.
Encore faut il que ce projet ait du sens, ce qui n est pas le cas aujourd'hui, nous le constatons au quotidien.
Notre engagement laïque passe donc par un retour sur ce combat,  sur les valeurs de la république, pour lui donner des couleurs et pour tout dire de la lumière.

Face à l'ignorance et au dogmatisme, qui vont souvent de pair,nous devons continuer d'affirmer ici et au dehors, le primat de la connaissance.
Celle de soi-même, comme nous y incite le cabinet de réflexion mais aussi celle de l'autre.
Non comme une adhésion béate et passive mais comme une confrontation qui conduit à un enrichissement réciproque.
L'état de droit a été conquis au cours des siècles en faisant prévaloir la règle sur la force, c'est à dire la lumière sur l'ignorance.
Nous sommes, à l'instar de Sisyphe, condamnés à le perpétuer et à rouler notre pierre ...
Notre rituel ne dit pas autre chose lorsque le vénérable conclut la tenue en soulignant que notre tâche n'est pas achevée et que «  la lumière qui éclaire le temple doit rayonner sur tout l'univers ».
 
J'ai dit vénérable maître…
 
C\ B\

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