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Laïcité

Il y a 400 ans, les tenants de la religion réformée adressaient à leur souverain, Henri de Navarre, roi de France, une supplique :
« Nous demandons à Votre Majesté un édit qui nous fasse jouir de tout ce qui est commun à tous vos sujets... ».
En réponse, Henri IV, proche des huguenots, promulguait l'Edit de Nantes qui assurait la liberté de culte.
C'était la première fois en France que l'Etat renonçait à imposer sa vision religieuse et s'engageait dans une voie qui devait bien des années plus tard, déboucher sur la laïcité.

Nous autres, maçons, hommes libres et de bonnes mœurs, sommes évidemment par nature, des personnes convaincues du bien fondé de la laïcité, de ses vertus et la nécessité de son application dans la société civile, puisque nous l'appliquons dans nos travaux.

Nous allons voir cependant que cela n'est peut être pas aussi simple que cela.

Et pour commencer, que nous apprend l'étymologie : laïcité vient du grec laos qui désigne un peuple au sens de sa réalité communautaire, où les hommes, partie de ce tout, sont par nature égaux en ce que chacun est un élément unique, parfaitement équivalent à un autre et également fondateur de la réalité du groupe.

Ce « laos » est distinct de la « polis » grecque, la cité, qui est l'ancêtre de notre état en tant qu'organisation sociale autonome et du « demos », peuple compris comme entité politique.

Le « laos » renvoie, lui, à ce que les latins appelaient « res publica », chose publique, dont chaque citoyen est souverain et qui a donné chez nous la république.

Ce petit rappel contient en fait tous les principes d'une dialectique fort simple que je vais tenter de vous exprimer. Comme toujours, si les principes sont simples, leurs applications sont parfois beaucoup plus complexes.

En France, l'idée de laïcité est apparue en réaction à la puissance de l'église catholique et à sa collusion avec le pouvoir de l'Ancien Régime.

La société de l'époque, très largement imprégnée de catholicisme, était dominée par l'idée du Bien Chrétien. Cette idée du Bien, d'origine divine, était exposée par l'Église à partir du message révélé dont elle était dépositaire. Rien ne pouvant se prévaloir d'une légitimité supérieure, tout devait plier devant la loi naturelle, et le Roi, monarque de droit divin, était le représentant sur Terre de Dieu, chargé de faire appliquer la volonté divine.

L’Eglise était la première puissance du royaume, la première alliée de la monarchie, et, à ce titre, bénéficiait de privilèges, de droit et de fonctions qui assurait la cohérence de la puissance publique : l'alliance du sabre et du goupillon.

La loi naturelle étant, par nature, la meilleure, ceux qui y contrevenaient ou souhaitaient s'en éloigner devenaient, ipso facto, de mauvais sujets et leur sort était à la discrétion du monarque conseillé par l'Église.

Les textes évangéliques évoquaient d'ailleurs sans la condamner, l'idée de contrainte (Evangile de St Luc Chapitre XIV, verset 23 « Le seigneur dit alors à l'esclave : Sors sur les chemins et le long des clôtures, et force les gens à entrer pour que ma maison soit remplie » ; ainsi que St Augustin dans ses sermons : « La contrainte extérieure fera naître à l'intérieur la bonne volonté. ») Cette doctrine, appelée « compelle intrare », c'est à dire obligez-les à entrer, a servi pendant des années à justifier toutes les avanies subies par les non catholiques, y compris les horreurs d'un Torquemada, Grand Inquisiteur responsable de plus de 2 000 morts à lui tout seul.

Après la révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV, ce n'est qu'en 1787 que Louis XVI signe un Edit de Tolérance qui reconnaît qu'il existe des non catholiques dignes d'être reconnus comme bons et loyaux sujets et donc de bénéficier de l'inscription à l'état civil comme les autres sujets du royaume.

A partir de la Révolution Française, et à travers les atermoiements dus aux diverses restaurations, empires et républiques, la théorie française de la laïcité pris corps pour aboutir à la définition constitutionnelle de la République Laïque.

Qu'est ce donc que cette laïcité dont parle notre constitution ?

La laïcité est le principe issu de la souveraineté du peuple, au sens de l'ancien laos, qui stipule que chaque individu est soumis à la loi en ce qui concerne la chose publique mais que tout ce qui touche sa conscience est du domaine privé dont la République n'a pas à se préoccuper sauf pour en assurer la libre expression qui ne peut être limitée que par le respect de ce qui fonde la démocratie républicaine, à savoir Liberté, Égalité, Fraternité.

La république reconnaît par là-même à chaque homme le droit au bonheur et le libre accès aux moyens de l'atteindre, les seules bornes à ce droit sont celles que pose le même droit reconnu à l'autre et l'ordre public. Ce principe s'appuie exclusivement sur la notion de « Juste » et ne s'ingère en aucun cas dans la notion de « Bien » qui reste du seul ressort des personnes ou des sociétés privées. Il reconnaît l'homme-citoyen en sa nature humaine uniquement et non dans son appartenance à un groupe quel qu'il soit.

La laïcité s'oppose alors au cléricalisme, notion qui désigne le pouvoir pris dans la société civile et le gouvernement du « demos » par des clercs, des gestionnaires ou représentants d'un groupe particulier cherchant à imposer sa loi au nom de sa propre idée du « Bien ».

Cette notion de laïcité ne s'attaque absolument pas à la spiritualité dont de nombreux adeptes ont été ou sont de fervents laïques, convaincus que seule, la laïcité peut permettre à la spiritualité de s'exprimer librement selon les formes que les individus choisissent (comme Ferry qui était un protestant convaincu ou Combes qui écrit dans ses mémoires : « J'ai été toute ma vie un spiritualiste fervent, qui a essayé sans succès de plier son intelligence à la dogmatique de l'Église. Aujourd'hui, malheureusement le positivisme éloigne comme autant de maladies, les moindres vestiges de spiritualisme. Les générations nouvelles sortiront-elles de cet enseignement plus vigoureuses d'esprit, plus saines de jugement, plus accessibles aux nobles penchants, plus désintéressées, plus dévouées au bien public que les générations précédentes, celles qui ont préparé, consolidé le régime républicain ? il est permis d'en douter. »).

La laïcité est donc un élément fondamental de la République Française, présent dans sa constitution, qui ne peut, à ce titre, être l'objet d'une quelconque mise en cause, sans toucher à l'édifice de la démocratie.

Cette laïcité a conduit en France à la séparation de l'Église et de l'État et sert de fondement à l'école publique.

Bien sûr, cette transformation profonde de la société ne s'est pas faite sans crises et drames, et cela pour trois grandes raisons :
1- d'une part, les tenants d'une société chrétienne ont eu les plus grandes réticences à admettre que leur loi d'origine divine ne serve plus de fondement aux règles de vie du « laos », du peuple en tant que communauté, et que d'autres qui n'appliquaient pas leur loi puissent être d'aussi bons citoyens qu'eux-mêmes,
2- d'autre part, l'âpreté des luttes d'influence a conduit à confondre, souvent intentionnellement, laïcité et irréligion, spiritualité et cléricalisme,
3- enfin, il s'est développé à côté des églises traditionnelles, d'autres organisations dont le credo a également pour vocation de s'appliquer à tous, au besoin par la force.

Les 18ème et 19ème siècles ont donc vu de féroces joutes entre les tenants et les adversaires de l'idée d'un état laïc jusqu'à ce que la Constitution de 1946 puis celle de 1958 proclame la République laïque.

Cela se traduit par une non ingérence de la res publica dans les consciences individuelles et la mise en œuvre par la cité des moyens juridiques permettant à chaque membre du demos de choisir sa recherche du Bien pourvu qu'il respecte lui-même les valeurs constitutives de la démocratie qui assure la cohésion du laos :
limiter sa propre liberté par le respect de celle des autres,
ne pas se prévaloir d'une quelconque différence pour imposer ses vues ou ses intérêts à autrui,
regarder chaque citoyen comme un autre soi-même et tolérer ses idées et ses croyances à la mesure de la tolérance que l'on souhaite pour soi.

Ces préceptes peuvent nous apparaître simples et évidents, surtout quand ils reprennent nos valeurs maçonniques de fraternité et de respect de l'autre.

Cependant, cette notion de laïcité est très minoritaire dans le monde et même en Europe, nous allons voir qu'elle est plus rarement mise en œuvre que nous pourrions le croire.

En effet, bon nombre de pays européens ont une approche différente de la nôtre, même si presque tous prétendent assurer la liberté de conscience.
Dans les pays scandinaves comme en Angleterre, les églises dominantes (anglicane, presbytérienne, luthérienne) sont intégrées dans la cité, reconnues en tant qu'organes représentatifs d'opinions religieuses, leurs ministres payés par l'Etat. L'église anglicane est en outre dirigée par le monarque et les archevêques siègent à la chambre des lords. Les écoles confessionnelles sont subventionnées et l'éducation religieuse est assurée dans l'enseignement public.

En Belgique, le rapport entre l'Etat et les églises est aussi complexe que le reste de la politique belge : la laïcisation de la res publica est la résultante d'accords successifs et de luttes scolaires sans fin. La monarchie a toujours été très proche du Vatican et a toujours manifesté son attachement aux valeurs chrétiennes. Cet attachement est connu et respecté par le laos, même quand le Roi abdique pendant une demie journée pour ne pas avoir à signer la loi libéralisant l'avortement.

L'Espagne et l'Italie, pays latins très fortement influencés par l'Église catholique, ont eu de plus à surmonter la période de rapprochement des hiérarchies des églises locales avec des gouvernements totalitaires. Ces deux états ont néanmoins, tardivement, intégré dans leurs textes fondamentaux la notion de séparation de l'église et de l'Etat, et la nécessaire neutralité de la cité vis-à-vis des consciences. Bien sûr, le sentiment chrétien d'une partie importante de la population ménage encore un lobbying important aux mouvements d'inspiration catholique et donc la plupart du temps sa participation à l'enseignement.

Quand les églises ont été un instrument fort de reconnaissance nationale au moment de l'émancipation des peuples concernés, elles conservent dans les états correspondants une place privilégiée, des pouvoirs et des influences qui ne sont pas toujours conformes aux principes européens démocratiques garantis par la Cour européenne.

C'est le cas en Irlande et en Pologne avec l'Église catholique et en Grèce avec l'Église orthodoxe qui pèsent lourds dans la politique intérieure mais aussi parfois dans la politique extérieure (voir la Grèce face à la Serbie orthodoxe).

Dans le reste du monde, les exemples abondent de pays vivants hors de la laïcité : soit que la religion dominante participe à la gestion de la cité comme en Israël, soit même qu'elle dirige directement la vie sociale comme en Iran, soit qu'une vision globale non spirituelle assure la gestion de toute la vie sociale comme en Chine, ou à Cuba.

Les Etats Unis, quant à eux, dont le premier amendement de la Constitution assure la liberté de conscience même si le terme de laïcité n'existe pas, font prêter serment au chef de l'exécutif sur la Bible ! Imaginez un seul instant la même scène sur le parvis de l'Elysée !

Reste à résoudre ensuite les applications quotidiennes du principe de laïcité et c'est loin d'être facile, car dans nos pays démocratiques occidentaux, le respect scrupuleux de l'autre peut conduire à des erreurs de perpective qui mettent en danger le fonctionnement de notre cité, en sapant les bases du rapport citoyen.

L'affaire des foulards islamiques à cet égard est exemplaire.
Voilà un groupe de personnes qui, au nom de leur croyance propre, demandent à bénéficier de dérogations au droit commun au titre du respect du à leur pratique privée.
Une partie des responsables de la cité approuve au nom du respect de la différence en oubliant le fondement de la laïcité : l'individu est respectable en tant qu'homme libre et non pas en tant que membre d'un groupe fut-il religieux ; donc nulle loi personnelle ne peut prévaloir sur la res publica car alors chaque loi personnelle se retrouverait face à la loi personnelle du voisin et ne pourrait trouver de compromis.

La suite a montré d'ailleurs que cette première demande qui paraissait futile (une coiffure) en cachait d'autres qui l'étaient moins comme la non participation aux enseignements contraires aux positions religieuses des demandeurs. De plus, la valeur discriminatoire sur le sexe ainsi que le signe de l'inféodation de la femme à l'homme que le foulard met en exergue sont parfaitement contraires aux fondements de la démocratie.

La constitution d'une société multiconfessionnelle ne peut se faire sans l'adhésion à des bases communes fondamentales apprises ensemble pour permettre ultérieurement le respect mutuel des croyances et la possibilité de négociation des compromis futurs que la cohabitation suppose. C'est pourquoi l'école publique et laïque est aussi importante pour la République : c'est le creuset identitaire qui donne à chacun les outils de sa propre révélation en dehors de toutes les contraintes ou pressions partisanes.

Permettre d'une quelconque façon que l'acquisition de cette capacité critique soit altérée, c'est autoriser la constitution au sein du laos de groupes refermés sur leurs croyances qui imposeront leurs propres lois au demos. Cela a permis, par exemple, à des « églises » américaines de refuser des cours qui mettaient en doute le créationnisme proclamé par leur foi, ou de mettre à l'index telle ou telle œuvre comme contraire à leur propre notion du Bien.

On voit bien que la laïcité n'est pas une valeur pleinement admise sur notre planète et que même en France, c'est une notion difficile à vivre au quotidien. La tolérance, qui n'est pas la laïcité puisqu'elle tolère seulement, est déjà pour certains de nos compatriotes une vertu à gagner.
Ainsi le Pasteur Rabaut St Etienne à la tribune des Etats Généraux de 1789 se défiait de la tolérance : « Mais ce n'est pas la tolérance que je réclame : c'est la liberté. La tolérance, le support, le pardon, la clémence, ce sont des idées souverainement injustes envers les dissidents, tant il est vrai que la différence d'opinion n'est pas un crime ».

La laïcité est donc une valeur à acquérir chaque jour en la mettant en œuvre dans tous les compartiments de la vie de la cité, peut être même est-ce un objectif de la même nature que la perfectibilité humaine dont l’atteinte recule à chaque pas.

Quelles sont les pistes pour cette avancée laïque ?
D'une manière générale, l'éradication dans la vie publique, dans la res publica, de tout élément, symbole, notion, orientation qui a son origine dans une croyance, une foi, une allégeance, une adhésion, une appartenance à un groupe privé.

Cela doit s'étendre à tous les aspects y compris économiques pour que les règles publiques soient à même d'assurer à chaque membre du laos la même liberté réelle de vivre pleinement sa recherche personnelle du bonheur dans un cadre juridique suffisamment puissant pour veiller au respect par tous, y compris les gestionnaires de la polis, des principes démocratiques : Liberté, Egalité, Fraternité.

Quant à l'enseignement, qui est la pierre angulaire de l'organisation d'une république laïque et sa seule assurance de pérennité, il doit évoluer sur plusieurs points :
aucune organisation confessionnelle ne doit pouvoir enseigner et l'enseignement doit redevenir un monopole de la cité au nom du demos. Je sais que l'énoncé de cette position est souvent l'annonce de réactions violentes. Pourtant, cela n'a rien à voir avec une guerre scolaire, c'est l'application simple du droit démocratique.

Dès que l'Etat choisit de financer tel ou tel enseignement confessionnel, il intervient dans la sphère privée de la conscience en privilégiant tel ou tel groupe de citoyens ce qui est contraire aux principes démocratiques, et autorisent par là n'importe quel groupuscule à revendiquer pour lui-même le même financement. Le fait que l'école confessionnelle apporte aujourd'hui un service d'enseignement indispensable pour absorber le nombre d'élèves ne fonde pas de droit.

La seule morale que l'enfant citoyen soit en obligation de recevoir est celle de la république. Son droit inaliénable à la liberté de conscience s'exerce en dehors de l'école laïque en suivant les enseignements religieux de son église. C'est la seule manière d'assurer les bases communes qui permettront demain à ces enfants d'être des citoyens capables de négocier ensemble les compromis de leur vie quotidienne.
Cela implique de la part de l'école, d'une part une réelle neutralité vis-à-vis de toutes les croyances et un respect profond des individus, et d'autre part l'étude critique dans ses enseignements des différentes valeurs et croyances qui fondent les fois des groupes composants le laos. Ces enseignements ne doivent avoir aucune vocation au prosélytisme, mais à l'analyse critique et à la compréhension des valeurs autres que les siennes propres.

L’école doit former de futurs citoyens et ses enseignements doivent intégrer cette dimension essentielle de sa vocation. Les bases de la vie démocratique, comme les fondements de la laïcité doivent être transmises comme le cœur de la vie de la république.
4- cette formation de futurs citoyens présuppose que les élèves ont les qualités latentes pour devenir ce qu'ils ne sont pas. Les règles qui s'appliquent à l'intérieur de l'école sont donc logiquement différentes de celles qui régissent les rapports des citoyens majeurs. L'école doit veiller à ce que les débats de la cité n'entrave ni ne perturbe le travail au sens noble de transformation, de transmutation des enfants en adultes responsables.

M\ d\l\ T\ O\


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