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Le Feu

Vénérable Maître et vous tous mes Frères en vos grades et qualités, mon travail s'intitule : LE FEU

Le premier contact avec le feu du profane, futur récipiendaire puis initié, est celui de la flamme de la chandelle du cabinet de réflexion.
De ce feu solitaire émane une faible lumière illuminant les objets se trouvant dans cette pièce noire dans un clair-obscur qui n'est autre que celui de la vision intime du profane avant son initiation.

Ce clair-obscur, de manière schématique, est le signe que l'on pourra voir chaque objet du cabinet de réflexion de deux façons, c'est à dire d'une manière ambivalente.
Plus en avant, enfant, on apprend à respecter et à craindre ce feu qui illumine parce qu'il brûle également.
Ainsi, le feu est un élément dont la nature est ambivalente. Il réchauffe, éclaire et purifie, d'une part, mais, il détruit et brûle, d'autre part. Il représente le bien et le mal.

Cette ambivalence trouve son expression dans le mythe de Prométhée qui peut être perçu soit comme un héros qui s'est sacrifié pour faire un don précieux à l'humanité, soit comme un voleur prétentieux qui s'est voulu l'égal des Dieux.
L'apprenti qui s'interroge sur la symbolique du feu doit-il s'arrêter à une interprétation purement manichéenne ou bien doit-il se "fonder" sur le rituel et, plus précisément sur celui de l'initiation, afin d'essayer d'en percevoir la puissante symbolique dans ce contexte exclusif ?
Le feu est, sans doute, le phénomène qui a le plus préoccupé les chimistes, et tous les intellectuels, car longtemps on a cru que résoudre l'énigme du feu c'était résoudre l'énigme centrale de l'Univers.
On peut donc voir, comme Gaston BACHELARD, le complexe de Prométhée comme le complexe d'Œdipe de la vie intellectuelle.

N'oublions pas également que le Tout Puissant est représenté dans les Ecritures sous la forme du feu, comme par exemple le buisson ardent sur le Mont Sinaï.
Par ailleurs, le feu est composé de flammes verticales. Comme tous les objets droits, elles symbolisent une ascension vers un zénith, c'est à dire vers la lumière.
Enfin, toutes ces flammes solitaires qui composent le feu sont également le symbole de toutes les luttes qu'il faut soutenir pour maintenir une unité.
Il semble donc nécessaire de circonscrire cette " petite " étude sur le feu en tant que symbole de la connaissance et donc de la lumière.
C'est pourquoi, dans un premier temps, une rapide synthèse de la symbolique générale du feu semble s'imposer, et, dans un second temps, la place du feu dans le rituel, plus particulièrement celui de l'initiation, nous permettra de percevoir sa symbolique plus particulière.

I - Synthèse de la symbolique générale du feu

1 - Symbolique générale profane du feu

L'étude schématique des différentes religions, pratiques ésotériques, écrits d'alchimie et autres montre que le feu symbolise essentiellement :
· une nécessité qui apporte la chaleur et la lumière (ex : le feu des cavernes) ;
· · ce qui peut détruire la pourriture (ex : la lèpre) ;
· · la purification ;
· · la présence divine (ex : le buisson ardent) ;
· · la séparation des bons et des méchants, comme du métal pur de celui impur ;
· · l'élément de la punition (les enfers).

· Par ailleurs, l'analyse des différents écrits en littérature, en philosophie, en psychologie et en psychanalyse sur le feu permet de retrouver les symboliques précédentes mais également d'autres, à savoir de manière schématique :
· BACHELARD " ... l'interdiction sociale est notre première connaissance générale sur le feu. ".
· · la rêverie (Georges SAND, Histoire du rêveur ; " Mon corps fragile peut être consumé par le feu, mon âme doit s'unir à ces éléments subtils dont tu es composé …. ") ;
· · l'amour, voire la sexualité (Carl-Gustav JUNG décrit ainsi le caractère sexuel du frottement et du feu primitif).

La Chimie, héritière de l'Alchimie son ancêtre selon JUNG, y voit soit un moyen de séparer les éléments, soit de les fusionner, c'est à dire de les unifier.

Tout cela se retrouve synthétisé symboliquement dans la Guerre du Feu de ROSNY. Dans sa quête du feu, NAHOR, le héros, se transforme par différentes rencontres et révélations. Il découvre ainsi, la sexualité (surtout la fécondité maîtrisée qui permet à la chaîne de se poursuivre), le rire (symbole de l'esprit, cf BERGSON, Le rire), la ruse dans le combat (contre l'obscurantisme) avant de maîtriser le feu (symbole final de la connaissance) et de revenir " transformé " dans son clan qui restera uni autour du feu.


2 - Symbolique générale maçonnique du feu

Oswald SMITH et d'autres, insistent sur le rapport du feu avec le J de la lettre hébraïque jod qui désigne la divinité, ainsi qu'avec le soufre, le feu principe des alchimistes ou teinture de la transmutation.
On peut voir qu'il y a déjà une idée de transmutation, donc de transformation ou de mutation vers la spiritualité, le divin.
D'autres, tels que J. BOUCHER et Roger-Luc MARY y voient des correspondances zodiacales et le développement d'une symbolique qui marque l'emprise du spirituel sur le matériel.

Jean FERRE rappelle qu'en Hébreu, la racine ner signifie à la fois lumière et feu.
On peut donc percevoir, dans un premier temps, le feu comme un symbole de purification et de lumière.
Il sera donc le symbole de la vraie connaissance et de la vraie lumière.
Ce feu qui est éteint entre chaque Tenue, est toujours le même car il est allumé à l'Orient, qui est le symbole de la lumière. Il incarne dans la Loge, la présence du Grand Architecte.
Ce feu est allumé lors de l'initiation et il est nourri par l'enseignement des symboles et le vécu maçonnique.
Le mot feu est composé de trois lettres. Or, le nombre trois est le nombre de la création. Il est l'œil de Dieu. Il s'agit donc du nombre du divin qui crée par trois.

Dans la flamme d'un feu, on peut retrouver la trace du triangle maçonnique.
En effet, si l'on observe cette flamme qui monte, on verra tout d'abord qu'elle a une racine ou base, bleue ou rouge en général, d'une flamme blanche triangulaire au sommet duquel se trouve le point le plus chaud et qui luit et éclaire, et, enfin au-dessus se trouve une autre flamme jaune.
Gaston BACHELARD cite dans son ouvrage " La flamme d'une chandelle " le philosophe Blaise de VIGENERE qui dans son Traité du Feu et du sel, écrit en commentant le Zohar, que cette description d'une flamme montre un fait qui ouvre un horizon de valeur. La valeur à conquérir est ici la lumière qui est alors une sur-valorisation du feu.
Ainsi, de VIGENERE nous fait sentir quelle peine a la flamme grossière pour devenir cette flamme blanche qui extermine et détruit les grossièretés qui la nourrissent. Elle est donc un instrument pour un cosmos amélioré. Cela signifie que la conscience morale doit devenir flamme blanche en brûlant les iniquités qu'elle héberge.

On se trouve donc dans un cas de purification active (L'Enfer en est-il un de purification passive ?). Une matière vulgaire produit de la lumière. Elle se purifie dans l'acte même qui donne la lumière. Ce sont donc les impuretés elles-mêmes qui, en s'anéantissant, donnent la lumière pure. Le mal est ainsi l'aliment du bien.
On peut donc faire une comparaison de cette flamme blanche avec le triangle maçonnique. A la base, se trouve la raison, au centre l'amour et au sommet la sagesse.

En allant plus loin, on peut faire le même rapprochement entre cette flamme qui part de la Terre pour monter au Ciel et le symbole de l'équerre et du compas imbriqués. L'équerre dans sa partie inférieure évoque la Terre, la matérialité, la raison et le compas dans sa partie supérieure évoque le Ciel, donc la spiritualité.

Toutefois, il reste à déterminer, à travers l'étude du rituel, notamment de la cérémonie de l'initiation, quelle semble être sa signification symbolique plus particulière.

II - La symbolique du feu dans le rituel

1 - Dans la cérémonie de l'initiation

Le profane a déjà un premier contact avec le feu de par la flamme de la bougie qui se trouve dans le cabinet de réflexion.
Cette flamme solitaire est le reflet de sa solitude, prisonnier de la Terre, Tristan TZARA n'écrivait-il pas " Flamme seule, je suis seul " . Il communie avec les objets qui se trouvent dans ce cabinet dans un clair-obscur qui est celui de sa vision intime, donc de son âme. Il est seul avec lui-même et doit répondre à trois questions et rédiger son testament spirituel et philosophique dans cette faible lumière qui lutte contre les ténèbres dans lesquelles il se trouve. Ce clair-obscur est le reflet de ses passions humaines. Mais, ce flambeau doit être l'astre de la page blanche qu'il a devant lui. Elle symbolise à la fois sa solitude, mais également la lumière qui doit le guider.
Dans la cérémonie d'initiation, le voyage de purification par les éléments, s'achève par le feu.
BOUCHER et MARY procèdent à une analyse des signes maçonniques dans laquelle ces derniers symboliseraient, a contrario des apparences, un mouvement initiatique de remontée correspondant aux épreuves initiatiques subies par l'initié dans le cabinet de réflexion et qui renvoient aux 4 éléments.

Le récipiendaire va subir de manière successive les épreuves de la terre, de l'eau, de l'air et, enfin, du feu.
Il s'agit, en quelque sorte, pour le récipiendaire de sa montée du Mont Sinaï. Comme MOÏSE au milieu du tonnerre, des nuées, du son de la trompe et des flammes, il va devoir affronter les éléments pour s'élever lors de son initiation avant de recevoir ses commandements.
On pourrait aussi y voir la " Génèse " du récipiendaire duquel va être " créé " un Maçon.
Les ultimes épreuves du feu correspondent pour BOUCHER et MARY à la tête car elles achèvent le mouvement ascendant du récipiendaire. Et, ce faisant, elles marquent le processus de transformation intérieure du récipiendaire qui, purifié par les éléments va pouvoir devenir un apprenti.
Cette épreuve du feu se fait sous la conduite du Vénérable Maître. Cependant, c'est le Frère Orateur qui souffle ce feu.
Tous ces éléments et leur place dans le rituel semblent avoir une signification.
On a dit précédemment que l'initiation peut être perçue comme une transformation du récipiendaire par un mouvement ascendant qui le tire de la terre vers la lumière.

L'épreuve du feu pourrait ainsi symboliser le stade ultime de la purification du récipiendaire, qui meurt et renaît, mais également que le mouvement de l'esprit est comme celui du feu, il se fait en ascension.
Ce dernier, comme cela est écrit dans le rituel, est purifié, notamment des passions humaines. Il est désormais prêt " à recevoir" et à quitter son statut de profane vers celui d'initié.
De plus, il semble que si cette ultime épreuve est guidée par le Vénérable Maître au pied de l'Orient, c'est parce que ce dernier est la lumière de la Loge, en qui domine la sagesse et la spiritualité.
Il n'est pas neutre aussi que ce soit l'Orateur, qui est l'un des cinq qui éclairent de par le Verbe la Loge, qui souffle ce feu. Il représente la Loi Maçonnique dont il est le gardien et qui s'impose à tous, y compris au Vénérable Maître et qui doit imprégner le futur initié.

Le récipiendaire subit donc l'épreuve du feu avec les symboles de la sagesse, le Vénérable Maître, et du savoir, l'Orateur, afin de pouvoir accéder à la connaissance.
Mais le Vénérable Maître rappelle également au récipiendaire que l'amour doit guider son cœur et la charité, sans doute au sens de caritas (le cœur), l'inspirer.
C'est une autre symbolique du feu qu'a fort bien résumé RILKE " Etre aimé veut dire se consumer dans la flamme ; aimer c'est luire d'une lumière inépuisable ". Il s'agit alors d'un feu qui brille sans brûler et sa valeur est toute pureté. Ainsi, c'est vivre dans l'évidence du cœur, c'est échapper au doute, c'est donc aimer.
Cette idéalisation du feu dans la lumière semble être la base de l'illumination spirituelle et symbolise le passage du feu solitaire et intime du cabinet de réflexion à la lumière céleste, dans laquelle l'amour est désormais un feu à transmettre.
L'initiation se termine face à l'Orient (symbole de la lumière).
Puis, ultime purification et abandon (transformation), le testament philosophique et les rapports d'enquête sont brûlés, donc soumis au feu purificateur.
Cependant, il ne s'agit plus de la flamme solitaire du cabinet de réflexion, mais, au contraire, des flammes unitaires symbolisant la Loge.

2 - Dans le rituel de Loge

Cela permet également de faire un parallèle avec le rituel de la Loge.
Le feu purificateur est devenu un feu de lumière. Il est assimilé à la force de l'esprit et à la lumière divine. Il prend une signification plus accrue encore et incarne désormais la vraie connaissance, la vraie lumière, c'est à dire la présence du Grand Architecte.
Il doit désormais illuminer les travaux de la Loge.


Pour conclure, je vous propose un poème de GOETHE intitulé Le Divan, sur le sacrifice du papillon dans la flamme, semble s'imposer car il est pour moi une magnifique illustration de la symbolique du feu.

Je veux louer le Vivant
Qui aspire à la mort dans la flamme
Dans la fraîcheur des nuits d'amour.

Te saisit un sentiment étrange
Quand luit le flambeau silencieux
Tu ne restes plus enfermé
Dans l'ombre ténébreuse
Et un désir nouveau t'entraîne
Vers un plus haut hyménée.

Tu accours en volant fasciné
Et enfin, amant de la lumière,
Te voilà, ô papillon consumé.

Et tant que tu n'as pas compris
Ce : Meurs et deviens !
Tu n'es qu'un hôte obscur
Sur la terre ténébreuse.

J'ai dit , Vénérable Maître ! 


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