GLDF Loge : Stella Maris - Orient de Marseille Date : NC


Feu, Fer, Forge
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Cette planche s'intitule Feu, Fer, Forge, car cette trilogie a pris une grande place dans ma vie, tant sur un plan pratique et opératif, que symbolique, voici près de 15 ans, et grâce à laquelle j'ai le plaisir de me trouver parmi vous ce soir, puisque c'est bien grâce au feu et à la forge que la Maçonnerie m'a un jour tendu les bras.

La forge m'ayant souvent amené à me dire que je refaisais des gestes accomplis à l'identique par les forgerons depuis des millénaires, j'ai eu envie de me replonger dans le passé, mais ce passé s'il remonte à un peu plus de 3000 ans pour le travail de forge du fer, à près de 5000 ans pour le bronze, remonte à près de 500 000 ans pour que les hommes et le feu commencent leur histoire commune.

Et quelques relectures récentes comme "la guerre du feu" de Rosny aîné, et "pourquoi j'ai mangé mon père" de Roy Lewis m'ont amené à voir avec d'autres yeux.  Mais avant de commencer, lequel d'entre nous n'a jamais été fasciné devant le spectacle d'un feu de cheminée, par le travail d'un forgeron devant le blanc éblouissant du feu de forge, et l'éclat du métal rougeoyant ?
Depuis toujours, le feu nous fascine, nous hypnotise, et je me dis que si nous, avec une culture technique et scientifique ressentons encore ces émotions, qu'en a-t-il été il y a des milliers de siècles....
 
Alors si vous le voulez bien, fermez un instant les yeux, vous qui me lisez, et accompagnez-moi dans un voyage, que j'espère un peu initiatique : car ce soir, ce n'est pas un Franc-Maçon de la Grande Loge de France au début du XXIème siècle, un peu forgeron à ses heures, qui va vous parler du feu, mais un homme, non, un hominien, enfin un de ces êtres, il y a près de 500 000 ans, pas encore tout à fait un homme, et plus vraiment tout à fait un singe, un de nos ancêtres, qui vivait, nu, quelque part, sur le continent Africain, dans des conditions d'existence terriblement difficiles.
Notre ancêtre à tous, et déjà notre frère.
Pour lui, l'Univers se résumait à un concept : la survie; il possédait déjà peut-être en guise de vocabulaire quelques mots, enfin quelques grognements, et Teilhard de Chardin disait de lui : "Il est entré sans bruit sur la scène du monde. Mais il couvre l'Ancien Monde... Déjà certainement, il parle, il vit en groupe. Et déjà, il fait du feu..."
 
Trois points marquent et différencient cet homme :

            - Son intelligence, qui entre autre lui permet de fabriquer...
                 les premiers outils.
            - Ensuite le rire, propre de l'homme, d'après Bergson.
            - Enfin la maîtrise du feu "signe éblouissant des hommes"
 
Pour cet homme déjà intelligent mais craintif, le monde qui l'entoure, pour son esprit encore fruste, pas encore analytique, n'est que symbole, peur et  incompréhension, émerveillement, violence et mort, vivre ou être tué, manger pour survivre, ou être mangé... Et le monde alentour se résumait à peu de choses, la terre qui le portait et le nourrissait, l'eau pour boire, le vent dont il ne savait pas encore qu'il était fait d'air, et le plus terrible de tout ces symboles : le feu... 

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Cette chose vivante, terrifiante, rouge et orange, magique et rugissante, effrayante, fruit du courroux des Dieux d'en haut quand il tombait du ciel lors des orages, ou fruit de la colère des Dieux d'en bas quand la montagne se mettait à cracher du feu, symbole d'une bête vivante, et bien qu'immatérielle, aux dents terribles et à la morsure atrocement douloureuse, à l'appétit féroce et qui détruisait tout leur univers quand elle se mettait à courir plus vite qu'un cheval au galop, et qu'elle dévorait tout sur son passage, hommes, bêtes, arbres... Et cet homme a du se dire un jour que si tous les animaux étaient aussi effrayés que lui devant le feu, s'il pouvait maîtriser, apprivoiser cette bête, ce pourrait être un moyen de protéger sa horde des animaux sauvages...
Qu'a dû penser cet homme, qui déjà cherchait à domestiquer le feu, a-t-il voulu défier les Dieux tel Prométhée ?
La conquête du feu symbolise déjà le courage et l'intelligence qui lui permirent de surmonter sa peur.
 
Car cet Homo Prométhéus s'en alla un beau jour dérober le feu aux Dieux, découvrit qu'en plongeant un bâton dans ce feu, il pouvait en voler un peu et le rapporter dans sa grotte, il apprit à l'entretenir, à le nourrir, et miracle, les bêtes fauves qui la nuit venaient s'attaquer aux petits, aux malades, aux plus faibles se tenaient désormais respectueusement à distance. Pour ces hommes il devint rapidement symbole de sécurité, de vie, et de chaleur, vénéré tel un Dieu, et la nuit qui était si froide, les obligeant à se tenir pelotonnés les uns contre les autres, la nuit se réchauffait grâce au feu, et plus extraordinaire encore, les ténèbres, si sombres et si effrayantes étaient vaincues : l'homme en domestiquant le feu... venait de découvrir...

la Lumière... quelle magnifique initiation et quelle a dû être leur émotion...

Vous venez d'assister en direct à ce qui fût probablement la première cérémonie initiatique de l'histoire de l'humanité, vraie dans sa simplicité, émouvante dans sa grandeur quand le bandeau des ténèbres est tombé, fraternelle dans cette communion des hommes, femmes et enfants réunis autour du feu, par une véritable chaîne d'union...
A-t-il ressenti peut être en se brûlant ou en mettant le feu autour de lui, ce qu'ont pu éprouver les Rutherford et les Curie, Einstein et Oppenheimer perçant les secrets de la matière, et les premiers physiciens atomistes de Los Alamos en 1945, découvrant la puissance monstrueuse du feu de l'atome... et se disant ensuite devant leur boîte de Pandore : "Mon Dieu, qu'avons-nous fait ?"
 
Ce qui devint certainement un rite magique et religieux leur permettait d'empêcher la mort du soleil, la permanence du feu assurait leur protection, leur sécurité et les faisait peut-être déjà rêver d'immortalité... car l'animal le plus faible de la savane, ce petit être si peu protégé par une peau fragile, un maigre pelage, aux ongles et aux dents quasiment inutiles, à la vitesse de course ridicule, ce petit prédateur malingre et chétif se mua d'un coup en seigneur et maître de la brousse et de la savane, le chassé devint chasseur, la proie devint le plus grand des prédateurs.
La possession du feu venait de lui apporter le pouvoir, toute la puissance du monde, et allait lui permettre de dominer toutes les autres créatures de l'univers... et l'Univers lui-même... Peut-être est cette communion avec l'harmonie universelle que nous revivons lors de nos tenues, quand nous recréons un nouveau monde, sacré, par la montée de la Lumière... Il est vrai que les rites initiatiques redonnent en général au feu une importance ancestrale de purification et de rapprochement avec le cosmos que nos sociétés modernes ont peut être perdu...
 
Et de ce jour, au lieu de se blottir dans l'effroi dès la tombée du jour, ils se regroupèrent autour du feu le soir, la vie sociale naissait et avec elle le développement du langage, car je me plais à imaginer que l'homme a dû éprouver le besoin de communiquer le soir autour du feu... Education des jeunes, apprentissage, partage des connaissances, premiers mots d'amour peut-être... au coin du feu, déclarer sa flamme à celle que l'on aime...
 
La Lumière... symbole de la Vie, cette vie très vite il éprouva le besoin de la représenter sur un support, les parois de pierre de ses cavernes, représentation de la vie, de la chasse, de son monde... le feu était devenu Lumière, la Lumière éclairant le fond de la grotte était devenue mère de l'Art, et probablement la représentation artistique fut-elle ainsi la mère de sa spiritualité... La Lumière donna ainsi naissance à la Beauté...
 
Sécurité, chaleur, protection et lumière, pensée symbolique et artistique, l'homme commençait ainsi à goûter à ce qui allait lui devenir le plus cher : la liberté.
Un jour il ramassa une bête tombée par accident dans le feu ou victime d'un incendie de forêt, ça sentait bon, il goûta et en apprécia le goût et surtout la facilité extraordinaire pour mastiquer par rapport à la viande crue, il venait d'inventer la cuisson des aliments... et la nouvelle cuisine, car les aliments cuits se digéraient mieux que crus, et peut-être maintenant mieux nourri, vécut-il plus longtemps en meilleure santé, et put-il ainsi développer son intelligence, son esprit, curieux et inventif... et ce feu maintenant de plus en plus domestiqué et dompté, symbole de progrès et d'évolution, lui donna la puissance, la maîtrise du monde... mais peut-être aussi déjà le commencement de la folie des hommes, Force, Beauté, oui, mais peut-être pas Sagesse... (science sans conscience, dira-t-on plus tard...) et d'après Joseph Rosny Aîné, la première guerre des hommes a été... la guerre du feu... Un véritable voyage initiatique, série d'épreuves, et la quête du feu y était assimilée à une véritable lutte du bien contre le mal... entre le héros et ses adversaires, ou ses frères félons, mauvais compagnons retrouvés dans ce récit. Mais en regardant entre les lignes, le bien et le mal sont liés dans le feu...
 
La civilisation vient de prendre naissance, et ce symbole de progrès, déjà si ambivalent, peut se muer très facilement et rapidement en symbole de destruction... Il est la vie, mais il est la mort. Il éclaire, mais il aveugle aussi. Il cuit la nourriture, mais il brûle, il sert aussi à durcir la pointe des épieux de bois et des flèches, comme plus tard on trempera l'acier des armes, et les armes de chasse s'améliorant, la capture du gibier devint plus aisée, on pouvait s'attaquer à ceux dont la peau résistait, le gibier devenait abondant, le feu permit ainsi de ne plus avoir faim. Mais si l'industrie de la chasse s'améliore, l'industrie de la guerre ne va pas tarder à naître, et rapidement l'instinct de l'homme, instinct de possession, de territorialité, la défense du feu et de la tribu va amener les premiers affrontements humains, et les armes qui servaient à manger... et à se protéger... vont bientôt commencer à servir à tuer des hommes...
 
Revenons un instant, et gardez encore un peu les yeux clos, asseyez vous là, autour du feu parmi la horde, la horde devenue tribu maintenant depuis des lunes et des lunes et des lunes grâce à la protection du feu, et regardez là en face, celui qui taille des silex, ces pierres, dures, qui servent à dépecer les animaux, à racler la terre, à cueillir des fruits, à fixer au bout des lances, à couper des branches pour allumer le feu...
 
Vous allez assister à ce qui fût probablement le moment initiatique le plus fort de l'histoire de l'humanité, comparable au moins à la découverte de l'atome et pensez simplement à celui qui un jour eût l'idée ingénieuse et extraordinaire de comparer ces petites lueurs qui apparaissaient au bout d'un silex percuté avec une autre pierre (de la marcassite en général, contenant du minerai de fer) de les comparer au feu allumé à l'entrée de la grotte, ce feu qu'il fallait entretenir et nourrir, question de vie ou de mort, tout le monde n'ayant pas un orage ou un volcan à sa disposition immédiate... et qui réalisa que ces petites choses rouges au bout des silex, en tombant dans de la paille ou des feuilles sèches ... pouvaient démarrer un feu... dans l'esprit de celui qui le premier a fabriqué du feu, l'exaltation, l'émotion ont dû porter son âme au niveau des Dieux, dont il n'aurait plus à dépendre pour devenir leur égal, et pourquoi pas d'ailleurs envisager de les supplanter... D'ailleurs l'histoire nous rappelle que Zeus n'a pas vraiment aimé les exploits de Prométhée et qu'il le lui fit bien savoir... Mais quel plus beau symbole pour nous Franc-Maçons, que l'homme tirant le feu et la Lumière des pierres ... Pour nous, il a été le premier des alchimistes... communiant avec la matière et l'univers ...
 
Le pouvoir, la puissance, la domination, et l'orgueil venaient de naître au bout des doigts et de deux cailloux, et pour peu qu'il ait gardé pour lui ce secret, le maître du feu devenait le maître de la horde... le maître du monde... le premier tyran de l'histoire...
 
Par ailleurs la protection qu'apportait le feu impliquait sa possession et son entretien permanent sous peine de redevenir l'un des animaux les plus faibles de la nature, à nouveau à la merci des grands fauves. L'entretien du feu impliquait une présence permanente au foyer, le déplacement était périlleux, et le transporter entraînait le risque de le perdre ou de le voir mourir... Mais à partir de l'instant où le feu devenait productible à volonté, l'éloignement devenait possible en toute sécurité, et si la possession du feu symbolisait la liberté de la horde sur son territoire, sa fabrication amena la liberté dans l'espace, l'homme pût voyager, s'éloigner, acquérir la connaissance d'autres lieux, d'autres êtres, d'autres civilisations... La production d'une flamme en fît ainsi le symbole de l'ouverture sur le monde. Peut être le passage de l'ésotérisme à l'exotérisme ...
 
Il est ainsi le symbole du génie de l'homme qui a su passer de la terreur du feu à son observation, puis à la compréhension des avantages qu'il pourrait en retirer, pour en arriver à s'en emparer et enfin à le produire lui-même.
Car l'homme, ternaire achevé, d'après Guy PIAU, se composerait de trois éléments, trois principes : le corps, l'âme et l'esprit. Le corps est né de la terre, à laquelle on peut logiquement rajouter l'eau, il est donc l'élément matériel, la substance au sens étymologique du terme, et le  siège des sensations. L'âme serait née du ciel, de l'air donc, elle est l'élément animique, sensibilité et sentiments... L'esprit lui serait né de l'Esprit Saint, du feu, il est intelligence, pensée, idée ... L'âme anime le corps et l'esprit l'éclaire. Ainsi en produisant le feu, l'homme s'est accompli dans sa totalité, il a achevé lui-même sa création.
 
Revenons un instant sur le feu et ce qu'il représente, car nul symbole ne semble aussi ambivalent : le feu réchauffe, éclaire, protège, mais peut aussi brûler, tuer, tout dévorer sur son passage, expression de la colère de la nature, foudre ou lave, ou de la folie des hommes. Le bien-être et la vie d'un côté, la souffrance et la mort de l'autre. Il est flamme divine, symbolisée par l'Esprit Saint, le Buisson Ardent apparu à Moïse, mais il est également les flammes vengeresses de l'Enfer, symbole de la punition. Il est purificateur, mais aussi châtiment. Il est le symbole du foyer, vénéré dans la Rome antique par les Vestales, symbole de vie au solstice à la Saint-Jean, hommage sacré dans nombre de cultures, anciennes ou modernes, les Egyptiens de l'Antiquité le vénéraient comme ils vénéraient le soleil, il est l'âme de notre Soldat Inconnu, symbole du héros et du martyr anonyme, il est le symbole du début des travaux et de la vie en Loge, et il est, des quatre éléments de notre tradition symbolique ... le seul que nous sachions produire... Et par parenthèse, le seul contre lequel nous ayons dû lever une armée, et oui, pour le combattre, en créant les pompiers... les soldats du feu. Pas besoin de soldats de la terre, de l'air ou de l'eau...

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Et s'il est de tous temps chaleur et lumière, vie et force, énergie et puissance, il est aujourd'hui le premier outil de nos industries, le moteur de nos voitures, la flamme du serment Olympique, le laser qui rend la vue en recollant une rétine et permet de retrouver la lumière, mais, détourné de son utilisation pacifique par les hommes, il est aussi bûcher de l'Inquisition, horreur à Verdun ou Stalingrad, Dachau ou Auschwitz, Hiroschima et Nagazaki, bêtise ou faiblesse humaine à Tchernobyl ou à Toulouse, et démence criminelle en septembre 2001 à New York... il est ainsi le symbole absolu du pouvoir, de la force de l'homme et de son absence fréquente d'humilité et de sagesse, et comme tous les symboles il n'est que ce que nous en ferons. Voyez ces deux tours gigantesques, joyaux d'architecture et symboles de la puissance, et peut-être de la démesure de l'homme, réduites en cendres dans une apocalypse de fer et de feu...
 
Le feu a permis à l'homme de survivre puis de vivre, puis d'explorer le monde, puis de s'y adapter, et enfin de le dominer. Il est notre chemin en humanité, et il est notre devenir. Car d'une manière ou d'une autre, le feu détruira notre monde : si nous restons sages, notre étoile, le soleil, devenu une géante rouge s'embrasera dans environ 3,5 milliards d'années, et engloutira notre Terre et tout notre système solaire, tout notre univers, dans une gigantesque apocalypse de feu cosmique. Et si nous ne sommes pas restés sages, nous aurons largement devancé le soleil et accompli son travail bien avant lui. Le feu qui donna à l'homme la domination sur le monde lui donna aussi le pouvoir de se détruire. Il nous rappelle ainsi de temps en temps à l'ordre, ayons donc la sagesse de l'écouter.
 
Et pensons nous, amis lecteurs, nous qui allons dîner tout à l'heure sans songer que nos aliments ont été cuits sur une plaque à gaz à allumage piézo-électrique ou peut être même une plaque à induction, nous qui allons pour certains craquer une allumette ou utiliser un briquet pour allumer une cigarette, pensons nous à ce que ce geste si anodin aurait pu représenter pour les hommes pendant des centaines de milliers d'années, et jusqu'à une époque très récente, et encore de nos jours pour une partie de l'humanité, un simple briquet serait un objet presque magique, un trésor sans prix... et nous : "t'as du feu...?" et même pour finir et changer de symbole, nous représentons nous le trésor inimaginable pour une plus grande partie de l'humanité encore, que constitue un simple robinet d'eau pure ... Le feu devient ainsi le symbole de notre richesse, tout comme l'eau, symboles bien mal partagés de nos jours, mais en fin de compte, nous qui les possédons tous, l'air que nous polluons et la terre que nous salissons, nous ne prenons pas soin de nos quatre symboles de base ...
 
Difficile alors de ne pas penser qu'allumer un feu de cheminée ou me servir un verre d'eau sont des gestes qui devraient nous ramener à l'humilité.

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