GODF Loge : Marceau - Orient de Chartres 15/05/2008



L'Utopie

Dans le langage courant actuel, "utopique" veut dire impossible ; une utopie est une chimère, une construction purement imaginaire dont la réalisation est, a priori, hors de notre portée.

Victor Hugo disait « L'Utopie c'est la vérité de demain » et Lamartine « Les utopies ne sont que des vérités prématurées » 

« Une carte du monde qui n’inclurait pas l’Utopie, n’est pas digne d’un regard, car elle écarte le seul pays auquel l’Humanité sans cesse aborde », disait Oscar Wilde.

De conception antique, mais historiquement nommée et située dans l’œuvre de Thomas More, l’utopie est d’abord un lieu qui n’en est pas, un imaginaire du non-lieu, un pays qui est le point de fuite de toutes les perspectives.

L’expérience de l’utopie est certes un savoir, mais moins un savoir de contenu qu’un savoir de témoignage, où le héros est un voyageur qui raconte ce qu’il a vu ailleurs, cet « ailleurs » dont Italo Calvino a dit qu’il « est un miroir négatif. Le voyageur y reconnaît le peu qui lui appartient, et découvre tout ce qu’il n’a pas eu, et n’aura pas » .
Et, effectivement, en Utopie, décrit par Thomas More, tout est vide ou privé de quelque chose : le pays lui-même est un non-lieu ; son fleuve Anydrus est un fleuve « sans-eau » ; parmi les nations qui l’environnent, les Achoriens sont un peuple « sans territoire » 
Ce lieu est « sans lieu », c’est l’image de la « Terre ». Il a une vocation universaliste très clairement affirmée,

D’une certaine façon, le modèle utopique est un modèle vide, un modèle en creux, qui doit fonctionner comme un symbole opératoire permettant aux réalités pleines de se vider de leurs scléroses pour retrouver la santé, ou comme l’ouverture d’un barrage qui donne de l’énergie en libérant les eaux du lac.
L’utopie est vide pour laisser la place au projet humain dont elle est le symbole : lieu et récit fictifs, mais expressifs d’une réalité toujours virtuelle, indéfiniment tendue vers des espérances meilleures.
Pour autant, l’Utopie de Thomas More n’est pas vide de sens, elle n’est pas irréelle : sa capitale, Amaurote, est étymologiquement une « Ville-mirage », mais douée d’une intense activité sociale, économique, politique, culturelle, religieuse.

L’utopie n’est donc pas quelque chose, elle est un acte, un courant, une espérance qui permet tout simplement à l’humanité de ne pas se contenter de ce qu’elle a, mais de continuer à vivre et à progresser.
Elle est un projet qui paraît impossible au premier abord, à force d'être tourné et retourné par l'esprit et d'être caressé par l'espérance, se dépouille peu à peu de son impossibilité et, au bout d'un certain temps, n'est plus que difficile.
Étrangère à toute crise, l’utopie est un modèle « sans histoire », dans tous les sens de l’expression, ce qui lui enlève toute réalité temporelle, soumise aux fragilités de la durée, mais lui conserve la réalité intellectuelle d’une hypothèse de travail, comme celles que l’on sollicite dans un raisonnement mathématique ou philosophique.
Utopie est une figure concrète de l'humanité, dans la diversité de ses composantes et l'identité de son être.
Elle est aussi et surtout ce que l'humanité a à être comme possibilité du tout autre.

Il faut entendre par utopie une structure de l'imaginaire, voire de la pensée en général, qui se manifeste aussi dans les essais ou efforts pour réaliser, concrètement une cité parfaite, ou encore une manière de penser qui anticipe hors de toute référence sociale.
L'utopie est un jeu sur l'objet, elle étudie les possibles objectifs.
L'utopie et théorétique dans un autre sens, elle n'explique pas elle invente, elle est à la fois spéculative et praticienne.
 
L'Utopie est exigence de liberté. C'est qu'avec elle, il est d'abord question de résistance, d'appel aux forces créatrices humaines, en vue d'une nouvelle socialité, par dépassement des désordres structurels présents, économiques et politiques que nous vivons. Notre temps serait donc celui de la nécessaire utopie.
Penser l'utopie, c'est alors refuser la voie de l'opinion, des conflits d'avis, des oppositions figurées parce que non réfléchies.
L'intellect dans le mode utopique, se fait pouvoir d'exercice concret, il s'amuse à essayer mentalement les possibles qu'il voit déborder du réel.
Le procédé utopique doit être un auxiliaire puissant de la raison puisqu'il consiste à changer dans les choses tout ce qui peut-être changé en révélant ainsi les caractères non fondamentaux.
L'exercice utopique comme l'invention, implique une rupture des combinaisons habituelles.
Le monde utopique appartient par nature à l'ordre de le théorie et de la spéculation .Mais, au lieu de chercher, comme la théorie proprement dite, la connaissance de ce qui est, il est  exercice  ou jeu sur les possibles collatéraux à la réalité.

Les diverses utopies apparaissent à la lecture comme des variations autour d'un même canevas mythique, tant leur parenté est grande, d'un auteur ou d'un siècle à l'autre : un même fil mystérieux les unit. Elle emploie, autour d'aspi­rations analogues, des thèmes identiques exprimés en un langage symbolique aussi précis, aussi limité dans les termes choisis que les vieux mythes de l'Occident.

Jean Servier dans son livre histoire de l'Utopie met en lumière les caractéristiques de cette symbolique qui sont :

La géographie de l'utopie, sa situation particulière: son isolement, sa situation imprécise dans le temps.

L'utopie retrouve l'organisation immuable de la cité traditionnelle, des lois qui s'imposent à l'individu au nom du mythe d'organisation de l'univers, au nom de l'harmonie cosmique.

L'utopie ignore le reste du monde et garde le secret de son origine.
L'accès à l'utopie qui est voyage ou rêve.

Les habitants de l'utopie ont l'impression profonde d'appartenir à une même famille, d'être les fils de la même mère. Ex : La fraternité. Les hommes-frères de L'abbaye de Thélème.

Le désir de retour à la pureté.

Le costume des utopiens souligne cette volonté de retour au passé, ce désir profond d'une re-naissance.

La tolérance religieuse de l'utopie.
En Utopie les métaux précieux sont bannis.
La mise en commun des fruits du travail au bénéfice de la cité.

A l'énumération de ces thèmes j'y vois personnellement une  similitude avec les rites et pratiques de notre ordre.
Nous nous réunissons dans un endroit tenu secret, connu des seuls vrais maçons, dans un lieu isolé et ignorant du tumulte du monde profane.
Nous nous situons hors du temps conventionnel puisque notre calendrier affiche l'an 6007.
Notre atelier, notre temple est une représentation symbolique de l'univers.
Dans le  rite d'initiation le récipiendaire recevra la lumière à l'issu de trois voyages.

Après avoir appréhendé une mort symbolique dans le cabinet de réflexion, il renaît  au cours du premier voyage pour redevenir un enfant.
Au cours de l'épreuve initiatique il recevra la purification par les épreuves de l'eau, de l'air et du feu.
Les gants blancs que le nouvel apprenti portera symbolisent aussi cette pureté retrouvée.
Le tablier qu'il revêtira, destiné à le protéger, signifie aussi qu'il endosse une nouvelle peau.
Chez nous aussi tout ce qui brille est banni , avant de pénétrer dans le temple le futur initié  est dépouillé de ses métaux, signe de passions, de convoitises, de puissance.
Nous travaillons pour le bien d'une communauté élargie : l'humanité, objectif énoncé en préambule dans notre constitution comme est également inscrit en principe, la liberté absolue de conscience de nos membres.

L'article premier de notre constitution nous rappelle que notre engagement nous assigne à un devoir de multiples utopies:
« La Franc-Maçonnerie institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive à pour objet la recherche de la vérité, l'étude de la morale et la pratique de la solidarité ; elle travaille à l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l'humanité. »
La Franc-Maçonnerie n'a-t-elle pas eu un rôle central dans la réalisation des utopies projetées à l'époque de la renaissance. Depuis l'apparition de la Franc-Maçonnerie spéculative au début du 18 éme siècle jusqu'à nos jours  on ne peut que constater qu'il y a eu en 300 ans plus de progrès pour la condition humaine en Europe que pendant les 17 siècles précédents.
La réalisation de l'utopie humaniste dans nos ateliers serait-elle en panne ? Car il semble que nous dépensons beaucoup d'énergie pour  conserver ou reconquérir des acquis sans cesse mis à mal par des groupes de pressions politiques, économiques et religieux.

L'étanchéité de nos ateliers aux bruits du monde profane ne serait-elle pas parfaite ?
Comment faire revivre cette utopie, dans le même cheminement, en reposer les fondements sur la base des progrès accomplis.
Une utopie est toujours crée dans un espace temps donné, dans un climat politico-social, et technique donné. L'homme lui même est un produit de l'hyper-complexité des temps et les conditions dans l'espace temps ont changé.
Nous disposons pourtant de moyens efficients pour perpétrer la réalisation de ces utopies qui nous ont été léguées :
La pérennité de l'ordre, nos ateliers incubateurs de propositions, les idées éparses, émises par nos frères rassemblées dans nos ateliers, polies suivant nos préceptes .

L'égrégore, cette force engendrée par un puissant courant spirituel, alimentée à intervalle régulier lors de nos tenues, par des frères unis par un caractère commun.
Ces idées, que nous avons pour mission de répandre pour leurs concrétisations dans le monde profane.

Si je pouvais imager notre utopie, je dirais que nous sommes  les gardiens d'un feu qui nous a été confié pour ne jamais s'éteindre, feu que nous devons alimenter sans répit, protéger  sa  flamme qui sans cesse vacille, lumière dont nous voudrions qu'elle éclaire l'humanité mais si seulement nous réussissions à  apporter encore plus de  chaleur à cette humanité souffrante nous aurions accompli une grande part de notre mission.

J'ai dit V\M\

J\L\ BOS\

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