Obédience : NC Loge : NC 19/05/2007

 

La notion de temps

J’ai choisi d’essayer de vous parler du temps. Devant un sujet aussi vaste, une notion aussi difficilement cernable, je n’en ferai qu’un survol. Le temps est tellement énigmatique, devant les multiples questions que pose la perception déroutante du temps alors qu’il est au cœur même de l’existence de l’homme, les philosophes en ont fait depuis toujours un sujet privilégié de méditation.

Aussi, ma réflexion se veut modeste et sans doute bien imprécise.

La notion de temps, la conception même du temps, a suscité une quantité considérable de réflexions, de recherches, de spéculations, d'essais de définition, de la part des penseurs, des philosophes, des mystiques. Qu'il soit le temps du monde ou le temps des hommes - durée cosmique ou individuelle -, qu'il soit le temps des dieux ou le temps de Dieu, - immortalité ou éternité -, le temps a donné lieu à un nombre impressionnant de calculs, de mensurations, de découpages destinés à le cerner, à l'organiser en calendriers, à le jalonner de points de repère : année, mois, semaines, jours, heures, elles-mêmes émiettées en minutes, en secondes. On peut dire qu'à travers les civilisations et les peuples, chacun a posé ses propres questions et proposé ses réponses devant l'alternance évidente du jour et de la nuit, les phases de la lune, le mouvement apparent du soleil et des étoiles, le déroulement des saisons, la croissance et la maturité des plantes, les âges de la vie des hommes, de la naissance à la mort.

Voltaire écrit dans son œuvre « ZADIG (1747) » :

« Quelle est de toute les choses du monde, demanda le Grand Mage, la plus longue et la plus courte, la plus prompte et la plus lente, la moins divisible et la plus étendue, la plus négligée et la plus regrettée, sans qui rien ne peut se faire, qui dévore tout ce qui est petit et qui vivifie tout ce qui est grand ?

Zadig dit que c'était le temps. Rien n'est plus long puisqu'il est la mesure de l'éternité ; rien n'est plus court, puisqu'il manque à tous nos projets ; rien n'est plus lent pour qui attend ; rien de plus rapide pour qui ne jouit... Tous les hommes le négligent, tous en regrettent la perte ; rien ne se fait sans lui ; il fait oublier tout ce qui est indigne de la postérité, et il immortalise les grandes choses ».

Le temps dont on parle est l’un des grands éléments qui constituent l’univers où nous vivons. Il nous est familier parce qu’il est partout. Mais on ne peut l’exprimer et le formuler clairement. Le paradoxe est que nous savons et ne savons pas ce qu’il en est du temps.

St AUGUSTIN grand philosophe né au IVème siècle écrit dans son œuvre « les confessions », « Qu’est ce le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus ». Il a ainsi très bien exprimé le contraste entre, d'une part, l'impression claire que, spontanément, l'on a du temps, de sorte que cette expérience est tellement intuitive qu'elle n'a pas besoin d'être expliquée, et, d'autre part, l'embarras dans lequel on tombe si l'on aborde le sujet de plus près et qu'on le soumette à un examen attentif, tant il est vrai que quand on nous demande de définir le temps, on ne peut le faire qu'en termes temporels : la date, l’heure, le jour, le lendemain, hier, etc. Y a-t-il un commencement du temps et une fin du temps ? Et y a-t-il un envers du temps, qui serait alors l'éternité ?

Le temps n’est pas une chose perceptible, concrète, on ne peut le voir, ni le toucher. Il n’est pas un objet proprement dit.

Trame de la succession des évènements, on le sent en soi-même, on en voit les effets, et, faute de définition satisfaisante, on cherche des images plus ou moins poétiques qui évoquent sa présence : le cours du temps, le fil du temps, le vol du temps... Le temps est toujours présent et on en parle à tout instant.

Tout simplement, le temps « est », c'est nous qui nous nous écoulons dans le temps.

Ne pouvant le définir, l’homme a néanmoins toujours cherché à le mesurer et à fixer ses actions comme ses pensées, en fonction de cette dimension de la réalité.

Depuis l’antiquité, le temps a été mesuré par rapport à la rotation de la Terre autour du soleil.

Pour ce qui concerne le jour, sa mesure dont on décèle l'existence environ 5000 ans av. J. C. est liée aux découvertes techniques qui font progresser peu à peu les instruments mis en service : cadran solaire, sablier, horloges à eau puis à poids, jusqu'aux montres modernes à quartz.

Le mois se mesure, essentiellement, par les lunaisons et son histoire est moins riche en découvertes techniques que celle du jour.

Quant à l'année, elle a fait l'objet pendant très longtemps de multiples systèmes (lunaires, solaires).

A ces trois unités d'origine cosmique s'ajoute une unité de mesure du temps dont l'origine est plus mystérieuse : la semaine de sept jours. Universalisée par la tradition judéo-chrétienne, elle est profondément ancrée dans les moeurs avec son « repos du septième jour ».

Le calendrier est né à la jointure du temps physique astronomique, repéré sur le mouvement des astres, et du déroulement de la vie quotidienne ou festive, repéré sur les rites et les rythmes biologiques et sociaux.

Dès son apparition sur la terre, l'homme - adapté au cosmos par sa constitution - est conscient du temps en raison des phénomènes, pour la plupart cycliques, au milieu desquels il se trouve placé : nuit et jour, trajectoire des astres, saisons, naissance et vie, mort des êtes vivants.

L'Antiquité nous a légué deux conceptions différentes du temps.

Le premier modèle de la représentation du temps est circulaire. Il est suggéré par le cours des astres et se trouve associé à l'observation du cycle annuel des saisons, de la végétation et des moeurs animales. Ce sont les dieux du ciel, assimilés aux astres, qui commandent au devenir des êtres et des choses. La forme du temps qui apparaît dans ce contexte est celle de l'éternel retour. Le retour éternel des cycles du temps humain qui s’enroule sur lui-même.

Tiens, l’Ouroboros, serpent qui s’enroule sur lui-même, ne serait-il pas un très beau symbole associé au temps avec sa représentation circulaire. C’est un symbole qui renferme, en même temps, les idées de mouvement, de continuité, d’autofécondation et, par conséquent, d’éternel retour.

La croyance en une succession d'un même temps, ou plutôt d'une même durée cosmique, se retrouve dans le Brahmanisme et l'Hindouisme. Le cosmos et tout le monde sensible sont assujettis à un renouvellement cyclique et infini, où périodes de destruction et de reconstruction se succèdent pour redonner naissance au même Univers. Il y a indéfiniment, un processus de création qui peu à peu décline et se détériore jusqu'à la catastrophe, explosion, résorption ou dissolution, pour ensuite reparaître dans une émergence nouvelle.

L'autre représentation est celle d'un temps linéaire ; elle est de source judéo-chrétienne qui rompt avec la temporalité cyclique commune à la plupart des civilisations anciennes. Ce modèle est préparé par la culture biblique faisant place à l'ouverture vers le futur avec l'attente du Messie. Il s'inscrit entre la création divine et la fin des temps.

Le temps est orienté vers l'avenir et son image est donc un vecteur, une flèche qui avance, mue par un élan invincible et qui va se précipiter sur une cible: à l'arrivée du Messie, la flèche atteint sa cible, tout doit s'arrêter.

La conscience du temps, de cet intervalle qui vient du futur, passe par le présent et va vers le passé, ne naît-elle pas de la perception d'un mouvement et d’un changement ?

Nous avons la notion du passage du temps lorsque nous sommes conscients du mouvement. Si nous observons les mouvements des aiguilles des minutes et des heures de notre montre, nous sommes péniblement conscients de la progression du temps, car il semble se mouvoir très lentement. Lorsque nous sommes absorbés par nos penses ou endormis, si bien que le mouvement échappe à notre observation, nous sommes ignorants des minutes et des heures, et alors le temps semble avoir passé très rapidement. La notion du temps est ainsi très subjective, c’est celui de la conscience, (ou temps psychologique) contrairement au temps physique matérialisé par les horloges.

A partir de quand le temps est-il passé ? Pendant combien de temps le temps est-il présent ?

Le présent est un séjour provisoire entre une arrivée et un départ. C'est cette mobilité incessante qui confère au temps son caractère fuyant. Le temps doit être conçu comme une circulation qui oblige chaque évènement advenant à appartenir tour à tour à l'avenir, au présent et au passé. A la faveur de ce passage, le futur ne peut être dit futur qu'à la condition de s'acheminer vers le présent pour devenir passé : les choses futures que nous désirons ou redoutons s'approchent en quelque sorte du présent, viennent « à notre rencontre » dans le présent, le traversent pour s'éloigner de nous, en sombrant à l'arrière dans la mémoire, qui sera bientôt l'oubli. Tel est le sens du présent vécu comme un transit. Le temps se donne en un défilé ininterrompu de moments.

Ainsi, le temps fuse en nous et nous assistons à sa traversée de manière passive. Nous ne pouvons pas faire en sorte que le temps s'arrête. L'homme n'a aucune prise sur le temps ; nous ne pouvons que le confondre avec ces compteurs sociaux que sont les horloges (pour compter le temps) et les calendriers (pour repérer les années et les siècles et localiser le temps présent), le confondre avec les choses que nous faisons dans le temps, c'est-à-dire les évènements qui le remplissent. Nul ne sait ce qu'est le temps, même si nous savons bien le mesurer.

Nous sommes pour ainsi dire mêlés au temps, prisonniers du temps, et cela de manière à la fois irréductible et inextricable.

Le temps effleure notre visage de quelques rides et sème un peu de neige sur nos cheveux. Le temps est le plus grand écrivain, il écrit sur les visages. Toute la médecine n'a qu'un but secret : arrêter la marche du temps. Au jeu du temps, l'homme est ainsi toujours perdant. A défaut de pouvoir échapper à la mort, la vie s'organise pour éviter de trop y penser. L'homme souffre de sa vie qui s'évanouit, du présent qui fuit, il voudrait faire halte. Mais la succession, l'une après l'autre, des minutes, des heures, des jours, des parties du temps ne s'arrête pas. La nature en nous, nous entraîne avec elle, comme lui appartenant.

La vie étant l'inexorable mouvement de montée vers la maturité et de descente vers la vieillesse, il n'est pas douteux que la vie ne va pas aussi vite à tous les âges. L'enfant a le sentiment de vivre sinon dans un éternel présent, du moins dans un temps qui s'écoule très lentement. Au contraire, le temps semble court quand la jeunesse s'éloigne et que la vieillesse est de plus en plus proche. C'est que le vieillissement entraîne la sensation de contraction du temps, dès lors que l'avenir qui nous est ouvert se réduit sans cesse, tandis que s'accroît la profondeur du passé qui s'enfonce derrière nous.

En résumé, l’homme peut comprendre le temps parce qu'il a une conscience des changements et qu’il les vit ; (les animaux n’ont pas cette conscience des changements et donc du temps). On mesure à quel point le corps est lié au temps et donne une figuration visible du temps qui passe. Le corps apparaît même comme la seule et véritable horloge.

L’expérience de la jeunesse et du vieillissement, la conscience innée de la mort, l’irrévocabilité du passé, l’imprévisibilité de l’avenir, tout cela implique le temps, tout cela suppose la conscience du temps qui nous est compté.

Nous disons que Dieu est éternel pour le soustraire à cet écoulement où tout ce qui est, finit par se détruire et se perdre.

Le temps constitue un lien social majeur dans la mesure où l'organisation sociale du temps permet de se repérer et d'agir ensemble. Il se constitue d'abord à l'intérieur des limites du sacré, sous la forme du cycle des rites et des coupures festives qu'ils instaurent avec la vie profane. Il s'impose ensuite aux autres champs de l'activité collective, ceux de l'économie et du marché, de la politique, de la culture, de l’organisation de la cité et de la société...

Un caractère du temps est que, pour les sociétés dites modernes, il est une quantité. Il est même la quantité fondamentale. Les hommes d'affaires le savent bien, puisqu'ils l'assimilent à la valeur à laquelle ils s'attachent, en déclarant que « le temps est de l'argent ».

Dans les sociétés de tradition, le temps allie la régularité des cycles naturels et celle des cycles cérémoniaux ainsi que les besoins sociaux. Ainsi, subsiste une relation souple et vivante entre le temps naturel, le temps culturel et le temps social. Pour prendre un exemple, il fallait cent ans pour bâtir une cathédrale ; ce n'étaient pas les mêmes hommes qui la commençaient et qui la finissaient ; cette durée échappait à la saisie de chacun, et pourtant chacun apportait son concours à un tel projet collectif.

A partir des temps modernes, le travail est mesuré intégrant pleinement la dimension du temps. C'est à partir de ce moment que l'économie comme science, devient possible et que se met en place progressivement la problématique du calcul économique, dans laquelle, le temps joue un rôle déterminant comme mesures des choses et du travail. L'économie organise le temps selon sa logique propre : le temps n’est plus évalué qu'en fonction de sa rentabilité immédiate

Le temps quantifié favorise de plus en plus le culte du rendement, du coût, de la vitesse ou du record et surtout de l’individualisme (d’ailleurs, chacun n’a-t-il pas sa montre ?).

Pourchassant les temps morts, les délais, les temps de latence et de maturation, les pauses salutaires, c'est un temps système qui s'établit.

Le temps de la technologie, sur programmé, prédécoupé avec la plus grande minutie, se trouve écrasé, aboli. La télévision est une véritable machine à dégrader le temps. Elle interdit toute réversibilité de la pensée, tout recul, tout retour en arrière pour réfléchir à loisir et donc le temps de la réflexion - ce que permet l'information écrite -. La réalité surgit un jour du néant pour y retourner le lendemain.

Dans les sociétés non industrialisées, on respecte par exemple la durée nécessaire à la concertation, sans l'enfermer dans des délais prédéterminés à la façon des sociétés occidentales - ce qui laissent ceux-ci ébahis. De son côté, le temps africain est le temps du palabre. En chine, une négociation dure le temps qu'il faut.

Les temps indigènes ne sont pas des curiosités exotiques. Ils offrent une capacité certaine à articuler le temps du devenir, les rythmes de la nature, le temps du vécu social, le temps du symbole sinon du rêve. Ainsi, se trouve à nouveau souligné le divorce béant qui s'est ouvert entre le sens de la durée pour les sociétés non industrialisées et le temps pratique devenu quantité monnayable de nos sociétés occidentales. Ces autres sociétés nous invitent à regarder le temps en face.

Alors que tout l'Occident est inscrit dans l'urgence du temps et de l'histoire, il est des cultures qui se laissent dissoudre dans l'éternité, non par nonchalance, mais par lucidité : pour elles, le temps ne s’inscrit que dans le sens de la transmission de génération en génération, de l’héritage collectif et non de l’argent et de l’individualisme.

Plus généralement, la perception si diversifiée du temps rend, à elle seule, difficile la compréhension entre les hommes.

« Tu ne peux pas retenir ce jour, mais tu peux ne pas le perdre », avertit une inscription gravée sur un cadran solaire.

Sénèque dit ainsi du temps qu'il est le seul bien que la nature nous donne et qu'il en faut bien user. Pour lui, il faut « profiter » du temps présent, ne pas le « gaspiller », ne pas l'anticiper non plus dans la crainte de la mort. Il faut vivre chaque moment comme opportun, il ne faut pas attendre, il faut saisir l'occasion avec souplesse.

Le resserrement du temps dans l'instantané est loin, très loin d'apporter la sérénité. Nous ne connaissons que trop le stress temporel, les tensions multiples qu'inflige un temps contracté, écartelé entre mille sollicitations et mille priorités opposées.

En quoi la sagesse consiste-t-elle, sinon dans le fait de savoir reconnaître, non pas simplement une valeur à l'instant présent, mais bien la valeur infinie du moindre moment d'existence, sinon dans l'art de se contenter du présent en sa consistance même.

Alors, nous franc maçonnes, qui laissons nos métaux à la porte du temple, qui laissons de côté nos contingences matérielles, tout ce qui touche à l’économie de marché, à la notion de temps économique, ne faisons pas l’économie de notre temps. Partageons-le au sein de ce temple et tentons d’apprécier chacun des moments du présent.
 
LAMARTINE écrit si merveilleusement dans son poème :

Le lac

« O temps suspend ton vol, et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! »

Alors, savourons ce temps présent, partageons-le généreusement dans la fraternité, car ce temps marchandise dans notre société de profanes, s’il ne remplit pas notre porte monnaie, au sein de ce temple, puisse-t-il remplir nos cœurs et nos âmes.

 Espérant ne pas vous avoir fait perdre votre temps, bien d’autres aspects de cette notion mériteraient d’être développés : le temps et l’art, le langage, la musique, l’organisation de la cité, de nos villes, le temps et la physique, EINSTEIN ne disait-il pas que le temps est la quatrième dimension de l’espace, le temps et la liberté, etc. Peut-être dans un autre temps, prendrons-nous le temps de parler encore et toujours du temps ou même tout simplement parler du temps qu’il fait.

J’ai dit.

J\ F\


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