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Le Temps

Voilà qu’un jour, une Sœur me dit : « en Franc-Maçonnerie, le temps ne compte pas ! »… Le temps !  Ce mot me poursuivait depuis ma plus tendre enfance et me rattrapait encore !! Signe du destin, ou douleur ressurgie ?… mon sujet philosophique à travailler était tout trouvé !

Toute ma jeunesse, j’ai trouvé le temps très long, il était synonyme d’ennui profond. Mes parents, souvent absents, répondaient inlassablement à mes interrogations par la même phrase : « Attends, tu as le temps! ». J’en étais venue à haïr ce mot, car j’y percevais un agacement, voire un certain désintérêt…

Lentement, très lentement, le temps est tout de même passé, me laissant quelques cicatrices ; mais pour moi, il est devenu important de creuser ce mot, sa notion, sa valeur.

C’est pourquoi de mon vécu par rapport au temps, et afin de me réconcilier avec lui,  j’ai tenté d’en sortir un terreau de réflexion…

Tout naturellement, j’ai d’abord cherché son sens exact, et j’ai découvert qu’en latin : « tempus », est la durée mesurée par la succession plus ou moins longue des jours et des nuits .Les « Anciens » l’avaient divinisé et personnifié sous la figure de Saturne tenant une faux en forme de serpe.  En général, les « Modernes » le représentent sous les traits d’un vieillard décharné, à la barbe et à la chevelure blanches, tenant une faux et un sablier, et pourvu de deux ailes pour marquer sa rapidité.

A l’échelle humaine, les évènements ne sont directement accessibles que s’ils sont présents. En effet, le présent marque tout à la fois la fin d’une période, et le début d’une nouvelle.  Faute de savoir vivre au présent, beaucoup d’entre-nous ne sont pas heureux car ils sont toujours ailleurs, soit : ils reviennent dans le passé, soit ils anticipent dans l’avenir…

Le rôle constitutif du présent conscient a été pour la première fois signalé par St Augustin.
Ce dernier a aussi dit que le temps n’est… qu’en cessant d’être !   Il est à la fois évidence, et mystère.

L’idée de sa durée est une donnée de la conscience. Le présent est UN, indivisible, et pourtant l’idée ne s’en présente qu’avec celle d’un avant, et d’un après. L’idée de succession y est donc introduite.  Dès l’origine de l’humanité cette idée de succession a est une nécessité, car elle a ponctué (plus ou moins consciemment) la vie des hommes sur terre : jour/nuit, pleine lune/nouvelle lune, rythme des saisons, etc… La mesure du temps étant très subjective, donc très variable, pour la rendre plus objective, il a fallu la régler arbitrairement pour tous les hommes, sur des impressions rigoureusement identiques : ainsi sont nés les jours, les mois, les années…Il existe d’autres notions du temps, tel le temps relatif (ou cosmique). Est-il toutefois légitime d’attribuer une « réalité » au temps ?  Surtout si l’on considère que le temps n’est qu’une mesure, une mesure d’intervalles de temps relatifs entre-eux ??      Tout comme la durée perçue intérieurement est souvent sans aucun lien avec le temps objectif de l’événement. Nous savons toutes que les instants de plaisir passent très vite, mais si nous attendons chez le dentiste cela nous semble très long… !                  

J’en resterais donc, volontairement, au temps qui induit un système de repérage.

Dans nos vie, nous découpons souvent mentalement le temps selon certains évènements (ex : avant mon mariage, avant le décès d’un être cher, après la naissance d’un enfant…..). Ces tranches fictives de notre temps génèrent la théorie de la relativité.

Quand le temps aura blanchi nos cheveux et creusé nos traits, essayons tout de même de garder le lyrisme bon enfant de St Exupéry dans « Le Petit Prince ». Sa dédicace montre qu’il parle aux enfants. Il a raison, car nous sommes toujours un peu enfant quelque part : nous ne sommes pas jeunes, ou vieux, par notre âge, mais par notre état d’esprit,  et surtout  par l’ouverture de notre cœur.

En effet, dans le passage où le renard apprend au Petit Prince comment aimer, il lui explique que c’est le temps « perdu » pour quelque chose, ou pour quelqu’un, qui le rend important.

Tous les éléments qui composent notre vie sont expériences et repères ; mais ils ne sont pas « nous », ce ne sont que nos révélateurs.  Ils nous inscrivent dans le temps, il sont notre empreinte. Nous sommes toutes dans une tenaille dont les 2 mâchoires sont le passé et l’avenir.                     

Le présent n’a aucune réalité durable. C’est juste un petit pont jeté entre passé et avenir.

Pouvons-nous avoir conscience du temps par nos horloges ? Utopie !!… ce sont les aiguilles qui bougent et indiquent un minuscule morceau de présent :  leur écart est espace !  Seul notre esprit, connaissant la position passée, et anticipant celle à venir peut y lire une durée. Si  l’on supprimait l’esprit, on y verrait seulement un espace. Mais notre raisonnement, et notre mémoire nous indique que cet espace est durée.

Par contre, notre conscience nous révèle que cet instant est intervalle.

C’est ce que les philosophes du XXème  siècle appelaient « temporalité ».            

Toutefois, si on le souhaite, on peut aussi par exemple : se remémorer un poème ancien : on abolit ainsi provisoirement le temps, et la mort de l’auteur. Dès l’instant où l’on en parle, il est présent. Est-ce là un embryon de réponse tendant à prouver que le passé redevient présent si l’on y pense ? Tout comme un être cher décédé n’a pas totalement disparu, aussi longtemps que l’on pensera à lui…

         Tout individu ressent le temps très différemment, et personne ne détient la clé du mystère. Le temps reste une énigme, une interrogation… Il existe grâce à la conscience qui souvent anticipe, ou semble faire durer le présent.  Ce présent insaisissable s’abolit toujours dans le passé, mais, sans jamais disparaître, puisqu’il continue !… ARISTOTE a dit  « Le temps est un paradoxe,  car chaque partie du temps existe, sans exister vraiment ».   Effectivement, on ne le maîtrise absolument pas, on le perçoit seulement.

Le temps et l’espace sont les deux dimensions dans lesquels se déroulent les phénomènes, et les actes humains. La réflexion posant le problème du temps oriente dans deux directions : l’une métaphysique, l’autre psychologique .

En arithmétique, on traduit l’infini par un petit dessin formant lacs d’amour, c’est une manière de noter notre impossibilité d’aller plus loin . Cette impuissance nous fait croire à un Etre Supérieur, que nous nommons, nous Franc-Maçonnes, Grand Architecte de l’Univers. Plus qu’une hypothèse ou un symbole, IL est un principe qui permet de dire que tout n’est pas matière.

En Franc-Maçonnerie 4000 ans symboliques sont ajoutés à l’année commune.          

Nous sommes donc maçonniquement en l’an 6002, c’est une manière de nous situer par rapport à l’aube de l’humanité.

Notre vie maçonnique a commencé dans le Cabinet de Réflexion, là où l’on se sent « hors du temps », ne le maîtrisant absolument pas, là où il est impalpable.  Nous entrons dans le temps sacré qui n’a ni commencement, ni fin.

Les symboles, eux, par contre sont intemporels.   

On a toutes médité sur le symbole le plus représentatif du temps : le sablier.

Celui-ci interpelle beaucoup, car il est indissociable d’une conception circulaire du temps, à l’intérieur duquel les actes humains ont un sens. Pour moi, exister : c’est résister ;  penser : c’est créer ; vivre : c’est agir au présent.

C’est cette circulation du temps qui fait que tout appartient, tour à tour, au passé, au présent, et au futur.

Illusion du temps, mais surtout certitude de brièveté :  le sablier n’est pas une invitation à désespérer, mais au contraire, à nous hâter de bâtir notre Temple intérieur. Aucun instant n’est une demeure pour l’homme. Il vaut vivre le présent, oui mais, sans renoncer : ni à la mémoire, ni à l’espérance.                

Toujours dans le Cabinet de Réflexion on trouve le dessin d’une faux, symbole de mort, signifiant l’ inexorable égalité entre les Hommes. En effet, ce peut être un instrument de châtiment, elle peut trancher la vie, mais aussi les illusions, les erreurs. Elle sert aussi à couper les récoltes !  Je ne citerai que le blé pour illustrer qu’après la coupe des épis,  les grains re-semés vont nourrir le monde.  Ne dit-on pas aussi que tout finit,  afin que tout recommence !… Tout comme un jour,  nous avons dû mourir à notre vie profane, pour vivre notre vie d’initiée.


Lors de chaque Tenue, nous évoquons souvent la notion de temps.

On ouvre, et on ferme les travaux, il y a le temps du travail et le temps du repos.

Entre ouverture et fermeture des travaux se situe le temps sacré, renouvelé à chaque tenue ; il est l’image même de cette organisation et  destructuration qu’est celle de l’Univers, et de l’Homme.

Tout comme les dimensions du Temple sont sans limites réelles, de même nos références chronologiques se situent hors du temps profane. C’est ainsi que les ouvrières travaillent allégoriquement depuis midi jusqu’à minuit.

Midi  marque le passage symbolique du profane au sacré, et Minuit, le retour au profane.  Un temps est aussi nécessaire à notre construction… 

Notre âge maçonnique nous déconnecte du monde profane, et contribue à  l’aspect intemporel de la maçonnerie

Il n’aura échappé à aucune d’entre-nous qu’en tête de chaque planche tracée de notre Sœur Secrétaire, est donnée une date où les jours et les mois sont indiqués en quantièmes (ex : le 21ème jour du 1er mois de l’an 6002).  C’est pour elle une façon de nous situer dans une année de « vraie lumière ».  

Le temps en Loge est au delà du temps.   La Loge est une représentation du cosmos, dans l’espace et le temps universels.  Dans le Temple, espace sacré, c’est le rituel qui nous plonge dans ce temps mythique. Par sa tradition initiatique et symbolique, la Loge nous permet de prendre la juste mesure du temps grâce aux outils. Le rite sacralise le Temple et le temps, entre le tracé et l’effacement du Tapis de Loge.                            

En  Tenue nous partageons aussi un temps important : le temps de parole.  Savoir attendre, réfléchir, ne pas se précipiter, sont autant de gages de bonne gestion du temps.  La capacité de différer est le moyen d’apprendre à se projeter, et  ainsi à construire de façon plus solide.

         Tant de symboles représentent une notion du temps dans notre Temple, que je ne puis tous les évoquer dans une planche philosophique, mais je souhaiterais en évoquer encore deux.

         En premier, la règle , qui est divisée en 24 parties égales, rappelant les 24 h d’un jour.  Jour, où brillent tour à tour le soleil et la lune.

         Elle symbolise aussi l’œuvre : commencement et fin.

Ensuite les grenades, symbole végétal rappelant entre-autres le cycle des saisons : le rythme cosmique de mort et de renaissance ; tout comme l’alternance de l’été et de l’hiver, ponctuée par nos chers Solstices .

Nos 2  St Jean imagent bien le processus du temps qui recommence sans cesse.

Quand on est dans une St Jean, on ne peut voir l’autre St Jean .    Il faut mourir pour renaître, c’est pourquoi Jean Le Baptiste :  vieillard symbolisant le temps passé, cède la place Jean l’Evangéliste : jeune et représentant l’avenir. Et ainsi de suite…    En cela, ils sont un peu comme  JANUS, Dieu ambivalent a 2 faces adossées qui marque l’évolution du passé à l’avenir , sans pour autant,     remarquons le : figurer le présent  !!      

Notre chaîne d’union  concrétise un moment qui unit passé et présent.

Elle anéantit le temps, et unit le visible à l’invisible.

                    

         N’avez-vous pas remarqué (personnellement c’est mon cas),  que la Franc-Maçonnerie vous tend la main quand c’est le « bon moment » ? On pense alors au hasard, et pourtant, mystérieusement,  cela ressemble plus à un rendez-vous !….Mon père avait coutume de dire : « avant l’heure, c’est pas l’heure ; après l’heure, ce n’est plus l’heure ; l’heure : c’est l’heure ! »

        

         Il avait raison, l’action vient à propos, à la bonne heure !

         Tout être humain, n’a que 3 points de certitude :

         - naître    -vivre     - mourir,   et le mot « éternité » reste encore incompréhensible pour nos esprits.

Qui d’entre-nous n’a jamais eu la sensation que tout marche à l’envers ?

Je ne parle pas de nos petits destins individuels. Mais : 2400 ans après Socrate, 2000 ans après J.C., et à l’aube du XXIème siècle, nous nous questionnons toujours sur ce que l’être humain est supposé faire dans le tourbillon du temps… !

Dans le présent, c’est l’avenir qui fait le plus peur. La marche du monde a des ratées, car les démons du passé sont des virus tenaces, et nous ne sommes pas immunisées.

Ils s’infiltrent lentement dans certains esprits comme la maladie d’Alzhermer, et bafouent des mots tels que LIBERTE  EGALITE  FRATERNITE. Ce ne sont pas les évènements mondiaux actuels qui pourront me contredire hélas. Et nous, femmes, franc-maçonnes,  nous avons énormément de tâches devant nous !… Réfléchir, travailler, encore et encore, c’est notre engagement,  sans compter notre temps .     

Hâtons-nous, mes sœurs le temps fuit !  Au regard de l’humanité, nous ne sommes que l’empreinte d’un pas sur le sable de la mer ;  aujourd’hui contentons nous d’essayer d’être meilleures, pour que demain notre microscopique semence d’amour enrichisse « l’autre ». Le maillon seul n’est rien, seule la chaîne compte au fil du temps.

La Franc-Maçonnerie nous apprends à relativiser le temps, et à ne pas s’arrêter à la première difficulté rencontrée.

 Le temps est une spirale qui relie notre construction intérieure à celle de l’Univers, le fini à l’infini, le temporel à l’éternel.

Evitons mes Sœurs, qu’avec le temps, nos métaux ne nous dévorent au mépris de notre devenir !….    

Je tiens aussi évoquer rapidement la notion « moderne » de « gestion du temps », découlant de théories de rendement, d’optimisation en terme de profit, ou d’efficacité, que l’on tente d’incruster dans les esprits : car cela m’inquiète pour l’avenir. Veillons à ne pas nous laisser dominer par cette nouvelle idée d’exploitation du temps, qui n’est souvent, en réalité, que l’exploitation de l’Homme !

Je dirais en conclusion : 

  - que HIER… fait partie du passé,
  - que DEMAIN… reste un mystère
  - qu’AUJOURD’HUI est un cadeau !
  - et que c’est peut-être pour cela qu’on le nomme présent !

J’ai dit V\M\ 

M\ S\

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