GODF Loge : Giordano Bruno - Orient de Saint Maur Date : NC

Le Temps

7038-1-1

Le Temps, c’est ce qui conduit à un début et une fin. Il désigne aussi bien l’instant, le moment que la durée, entretenant ainsi une ambiguïté dans ce qu’il désigne. Le terme de Temps amalgame les instants et la durée entre les instants.

C’est une notion à la fois du monde de la physique, de la psychologie, de la philosophie, de la métaphysique et des religions.

Le temps est intrinsèquement équivalent au changement, à l’évolution, aux modifications. Sans Temps, rien ne change, rien ne bouge, rien n’évolue, rien ne naît, rien ne meurt, sans Temps, l’univers ne serait qu’une Eternelle Uniformité.

Le Temps est aussi équivalent au mouvement. Se déplacer, c’est être à des endroits différents à des instants différents. Sans Temps, pas de mouvement, pas de déplacement. L’Espace et le Temps ont toujours été étroitement associés, liés, imbriqués, dans la pensée humaine.

Le Temps comme concept de la Physique, a été radicalement revu, bouleversé, révolutionné, au début du vingtième siècle par Einstein. Le modèle d’Univers proposé par Einstein rend caduque toute notion de Temps Absolu. Le Temps dépend de celui qui le mesure ! Le physicien qui se croyait au-dessus, en dehors de la Physique, en fait partie, intégralement. Jusque-là, et depuis des siècles, les physiciens pensaient le temps absolu et l’univers intégralement descriptible, une sorte d’optimisme et de déterminisme scientifiques radicaux. Mais pour décrire l’Univers, il faudrait être à l’extérieur de cet Univers, ne pas en faire partie. La physique rejoint la poésie de Francis Ponge :

« On ne sort pas des arbres par des moyens d’arbre »

Cette révolution profonde de la Physique menée par Einstein a mis un premier point d’arrêt à cet optimisme séculaire.

Le deuxième coup porté à la conception du Temps et de l’Univers l’a été à la même époque par Eisenberg avec la mécanique quantique. Cette approche du monde microscopique le décrit comme composé de « grains » indissociables de temps, de matière et d’espace, les quantas. Cette seconde révolution de la physique a radicalement changé notre vie quotidienne par l’électronique et son cortège d’inventions (radio, télévision, informatique, etc.). Cette révolution de la mécanique quantique est cependant largement méconnue par une majorité d’hommes un siècle plus tard. Et pourtant, cette révolution de la pensée va bien au-delà de l’apparition de l’électronique, cette révolution associe encore plus intimement Temps et Espace :

Il est impossible de savoir en simultanément où l’on est et où l’on va. Si l’on sait où l’on est, alors on ne peut pas savoir où l’on va, et si l’on sait où l’on va alors on ne sait pas d’où l’on vient.

La mise à mort du déterminisme et de l’optimisme scientifiques a finalement été prononcée par le mathématicien Gödel qui a démontré en 1931 un théorème bouleversant :

« La Vérité n’est pas démontrable »

Ce théorème de Gödel désespère depuis des générations de mathématiciens.

C’est ainsi 3 coups terribles qui ont été assenés à la pensée déterministe et optimiste des sciences :

- Le Temps absolu n’existe pas et l’Univers ne peut être décrit par ceux qui en font partie

- On ne peut en même temps savoir où l’on est et où l’on va

- La Vérité n’est pas Démontrable

Depuis la Renaissance et jusqu’au début du vingtième siècle, nombre de penseurs étaient à la fois philosophes et scientifiques. De De Vinci à Poincaré en passant par Pascal, Diderot ou Buffon, Science et Philosophie étaient intiment liées. Au début du vingtième siècle, Science et Philosophie ont divorcé, en devenant deux outils spécifiques, indépendants et semblant s’exclure mutuellement pour approcher la compréhension de l’homme et de l’univers. Divorce total, complet et irrémédiable, jusque dans l’organisation de nos écoles, collèges et lycées, les scientifiques d’un côté, les littéraires de l’autre.

Ce divorce qui prend sa source au début du vingtième siècle semble avoir été un tournant majeur de la pensée occidentale.

A titre personnel, philosophique et scientifique, j’ai l’intime conviction que le Temps n’existe pas. Le Temps n’est pour moi qu’une sorte de « sous-produit » de la Vie.

Je vois l’Univers comme la bobine d’un immense film, tous les évènements, tous les lieux, tous les Temps, tous les Espaces, existant globalement dans la bobine. Ce n’est que lorsqu’on projette le film que les notions de Temps et d’Espace apparaissent. Et je vois la Vie comme le « projecteur » du film de l’Univers, les êtres vivants n’étant en quelque sorte que des « machines à créer le Temps et l’Espace ». C’est la vie elle-même qui crée la vision de l’Univers qu’en ont les êtres vivants.

Cette façon de voir la Vie et l’Univers est ma tentative pour réconcilier Philosophie et Science, pour réunir ce qui est épars.

Le Temps « Profane », c’est aussi celui de la Cité, de son évolution, du Progrès, du progrès social. C’est le Temps et ce qu’en font les citoyens qui est le cadre du Progrès de l’Humanité. C’est bien le Temps et son déroulement plus ou moins rapide ou brutal qui dessinent la façon dont les sociétés et l’Humanité évoluent : statu quo dans les dictatures, évolution plus ou moins lente dans les démocraties, ou révolution quand le Temps courant n’est plus acceptable et que l’on souhaite accélérer brutalement le Progrès, la situation devenant insupportable. Le Temps dessine les sociétés, et les sociétés dessinent le Temps de ses citoyens.

Le Temps Profane, le Temps « usuel pourrait-on dire», c’est celui de notre vie et de son déroulement : naissance, enfance, adolescence, maturité, vieillesse et mort. C’est celui de la vie familiale, celui où l’on voit successivement ses parents passer du statut de Dieux Eternels et tout puissants, à celui de simples mortels. Celui aussi où l’on voit ses enfants, « promesses divines » à la naissance se transformer insensiblement mais inexorablement en contradicteurs arrogants, même si dans les deux cas, Sagesse, Force et Amour aident à vivre ces évolutions tout en conservant précieusement le souvenir du sentiment initial, sorte de Paradis Perdu.

*

* *

Le Temps Maçonnique est d’abord celui de l’Apprenti, le Temps où l’on demande la Lumière et où l’on perd simultanément la parole.

Mutisme d’abord difficile à maîtriser, tant l’habitude est grande de répondre avant d’écouter, voire de répondre avant de penser.

Ce Temps du silence est l’occasion de remettre les valeurs dans l’ordre adéquat : l’écoute, la pensée, la parole.

Le Temps Maçonnique est celui des travaux en Loge. C’est celui où les mots se parent d’un sens différent, où les objets se chargent de symbolisme, celui où le rituel donne un cadre différent à la pensée.

Le rituel présente plusieurs étapes qui permettent de s’éloigner petit à petit du Temps Profane et d’entrer peu à peu dans le Temps Maçonnique.

Le Temps Maçonnique commence à midi, au moment où le soleil est à son zénith. C’est le moment où l’Homme ne présente plus aucun côté ténébreux, pas même son ombre qui disparaît à ce moment de la journée. A cet instant, l’Homme ne présente aucun angle avec son ombre, semblable au le fil à plomb qui pointe tout droit jusqu’au centre de la terre en prenant appui sur le Soleil.

Minuit est le retour vers le monde profane, le Temps des ténèbres complètes, le Temps où tout n’est qu’ombre, le Temps où la Lumière n’est pas.

Quelle est la nature du Temps au moment où l’on quitte le monde profane sans encore avoir commencé le travail de Maçon ?

Cela semble être un néant temporel, une sorte de sas entre deux univers, tel les limbes des âmes perdues à la recherche de la Lumière, une sorte de « Temps Immobile ». Temps Immobile, qui ne peut s’écouler tant que l’on n’est pas encore dans le Temps Maçonnique mais plus dans le Temps Profane.

L’Espace aussi est « autre » à ces moments. Les francs-maçons se sont isolés du monde profane, mais l’espace du Temple ne s’est pas encore chargé de sens.

Et cet Espace est d’une certaine manière Vide, Vide de Sens dans ces moments entre deux Temps.

« Temps Immobile » et « Espace Vide » sont les seuls propices à permettre le Passage d’un Temps à l’autre, d’un état à l’autre.

« Temps Immobile » et « Espace Vide », ne les ressentons-nous pas, parfois, aux moments fondateurs de notre vie, les moments très heureux ou très malheureux, ceux où notre vie bascule, ceux où l’on passe d’un Temps à un autre, les naissances, les morts, la fin de l’enfance, le premier Amour …« Temps Immobile » et « Espace Vide »…


7038-1 L'EDIFICE \