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L'Alchimie alexandrine

Extrait de "Histoire comparative des religions et des mythes."

 

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... Parmi l'ensemble des textes qui furent attribués à Hermès, le plus fondamental, sur le plan purement alchimique, demeure incontestablement la célèbre "Tabula Smaragdima" ou "Table dÉmeraude", dont la légende exigea qu'elle fût découverte par Alexandre le Grand lui-même, soit par Galienus Alfachim, soit encore par une femme portant le nom de Zara, qui l'aurait découverte, peu de temps après le Déluge, au sein d'une caverne, à proximité d'Hébron cette fois. Plus tard, il vint s'y adjoindre une autre légende concernant le célèbre théurge pythagoricien Appolonius de Thyane (ou Appolonios de Thyane). Celui-ci relata, en effet, un curieux songe au cours duquel il se vit pénétrer dans une crypte dont l'entrée se trouvait placée sous une statue d'Hermès. Là, se tenait un vieillard assis sur un trône, portant dans les mains une table d'émeraude sur laquelle on pouvait lire:

"C'est ici la formation de la Nature",

et devant lui était placé un livre sur lequel était écrit:

"C'est ici le Secret de la Création des êtres et la Science de la cause de toutes choses."

Dès lors, Appolonius put prendre connaissance du texte de la "Table d'Émeraude" attribué à Hermès:

"Il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable: Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, pour perpétuer les miracles d'une seule chose. Et comme toutes choses ont été par Un et sont venues d'Un par médiation, ainsi toutes choses sont nées de cette chose unique par adaptation.

Le Soleil en est le père, et la Lune la mère, le vent l'a portée dans son ventre et la terre est sa nourrice et son réceptacle. Le père de tout le Thélesme est ici. Et sa force et sa puissance est entière si elle est tournée en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l'épais, doucement avec grande industrie. Il monte de la terre au ciel et derechef descend en terre et reçoit la force des choses supérieures et la force des choses inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde et per se, toute obscurité s'enfuira de toi. C'est la force forte de toute force, car elle vaincra toute chose subtile et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De cela seront et sortiront d'admirables adaptations desquelles le moyen est ici donné.

C'est à cette occasion que j'ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie universelle. Ce que j'ai dit de I'OEuvre solaire est complet."

Ce texte philosophique, bien qu'apparemment spéculafif et purement allégorique, n'en revêt pas moins un caractère opérafif indéniable qu'il conviendrait d'apprécier en étudiant soigneusement chaque sentence réduite au sens proprement alchimique, envisageant ici certaines opérations de laboratoire (Cf. P. Rivière : "Alchimie et Spagyrie : du Grand OEuvre à la Médecine de Paracelse"; "Alchimie : Science et Mystique".) Envisageons d'en dégager seulement quelques principaux traits relevant des lois alchimiques de base :

- Le principe de l'unité de la matière et du monde universel est affirmé d'entrée, ainsi que l'allégorie hermétique du serpent Ouroboros qui se mord la queue l'illustrera parfaitement. A l'intérieur du cercle ainsi formé peut-on d'ailleurs lire en grec: En To Pan (Un, Le Tout). /Cf. in Berthelot: "Les Origines de l'Alchimié", manuscrit grec de St Marc, Dialogue de Cléopâtre et de Comarios, feuillet intitulé "Fabrication de l'or"./

- Le Grand OEuvre exalte, par ailleurs, les vertus du Soleil, à l'origine de la vie sur la Terre et dont la Lune, tel un miroir, ne nous transmet qu'un faible rayonnement qui n'est cependant pas sans intérêt pour la confection de la Pierre, tant en ce qui concerne la désignation de la phase idoine des opérations à mener : en Lune croissante précisément, qu'en ce qui s'applique à la réalisation du support salin d'un des deux constituants du Feu secret : le Vulcain Lunatique (Cf. "Le Triomphe Hermétique" d'A.-T. Limoj on de St Disdier). Nonobstant, l'ensemble du Grand OEuvre est solaire, ainsi que ne cesse de le clamer Hermès : "Le soleil accomplit tout (... ) Expose au soleil (…) Dilue la vapeur à la lumière du soleil (Zosime)."

- Le germe de la Pierre Philosophale ou Or astral se trouve ici associé aux montées et descentes du Mercure (argent vif) en cohobafion. Cette opérafion chimique désigne plus subfilement, sur le plan allégorique, la captation, après qu'il soit descendu des nues, puis l'évolution même du Spiritus Mundi (Esprit du Monde) ou énergie cosmique vitale dans la matière, jusqu'à la réalisation de la Pierre. Là se situe, pour les alchimistes, la force forte de toute force; cette vertu séminale influençant, selon eux, les qualités de la rosée matinale et ce principalement, bien sûr, au printemps, lorsque le Ciel féconde la Terre.

- Le qualificatif de Trismégiste (Trismegisto), appliqué ici à Hermès et désignant le Trois Fois Grand, évoque indubitablement les trois phases du processus opératif déployé lors de l'élaboration du Grand OEuvre dans le dessein de la réalisation de la Pierre, mais révèle certes aussi l'existence des trois grands Principes hermétiques: Tria Prima, à savoir : le Mercure, le Soufre, le Sel présents dans toute substance d'origine végétale, minérale ou animale...

Cette division ternaire fut associée, sur le plan mythique, à la triade des Dieux Osiris, Isis et Horus, de même que sur le plan proprement chrétien l'analogie fut soutenue avec l'esprit, l'âme et le corps. Platon n'avait-il pas d'ailleurs écrit dans le "Timée":

"Mais que deux termes forment seuls une belle composition, cela n'est pas possible, sans un troisième. Car il faut qu'entre eux il y ait un lien qui les rapproche tous les deux."

Ce thème sera constamment développé plus tard dans l'abondante littérature hermétique, notamment chez le médecin-alchimiste de la Renaissance: Paracelse qui, étendant considérablement l'étude de ces trois essences ou humeurs fondamentales en l'être, constituera un véritable Corpus médical (iatrochimique) (Cf. P. Rivière : "La Médecine de Paracelse", Éditions Traditionnelles, Paris - 1988).

Déjà, au IVème siècle, Zosime le Panopolitain écrivait, au sujet de cette division trinitaire rattachée directement à l'enseignement d'Hermès:

"Constituée connue une monade, se transformant en triade, elle (cette composition chimique) constitue un continuum; mais, en revanche, organisée en une triade de trois éléments séparés, elle constitue le monde, de par la providence du premier Auteur, Cause et Démiurge de la Création, qui est désormais appelé Trismégiste parce qu'il a considéré en fonction d'un schème ternaire ce qu'il produisait et ce qui le produisait."

Ce texte ne laisse pas, en outre, d'évoquer l'aspect démiurgique s'attachant à l'Alchimie puisqu'en effet, l'alchimiste se livre à une véritable re-Création au sein de l'oeuvre microcosmique à laquelle il s'adonne au coeur de l'Athanor.

Cette division ternaire ne doit pas, cependant, nous oublier le principe de la tétrasomie si cher aux Anciens. En effet, les Grecs considéraient que les bases de toutes substances se réduisaient à quatre Éléments primordiaux : le Feu, l'Air, l'eau et la Terre. La Création ne s'étant pas exercée ex-nihilo, il fallut que la Divinité ou le Démiurge opérât sur un chaos originel indifférencié d'où devait se dégager ultérieurement les quatre Éléments.

Empédocle (Vème s. av. J.-C.) avait déjà légué une théode unifiée des Éléments dans le cadre de l'étude de la Physis, associée à la notion de Sphaïros (la Sphère), la Nature conçue comme Être chez Parménide. La médecine s'emparera de cette théorie des 4 Éléments et en déduira celle des 4 Humeurs, telle que celle-ci apparut unanimement dans l'École médicale de Cos. Hippocrate, Celse et Galien la feront leur et Nemesios pourra ainsi écrire : "Tout corps est formé de quatre Éléments et en est le produit." Selon l'"Epître d'Alexandre", tout ce qui est de qualité chaude a été qualifié par les Anciens de feu; tout ce qui était sec et solide, de terre; tout ce qui était humide et fluide, d'eau et tout ce qui était froid et subtil, d'air. Autrement dit, le chaud et le sec passaient pour engendrer le feu ; le chaud et le fluide, l'air; le froid et le fluide, l'eau; le froid et le sec, la terre.

Dans la Nature, ces quatre Éléments interagissent constamment. Néanmoins, ils peuvent être divisés et convertis l'un en l'autre au laboratoire de manière plus complète et plus rapide grâce à l'intervention d'un opérateur avisé, et c'est ce dont s'aperçurent les alchimistes. Selon ce que l'on devra qualifier plus tard de Cycle de Plotin, la conversion des Éléments s'effectue ainsi : l'élément primordial, le Feu, se condense en Air; l'Air se change en Eau; l'Eau, en se solidifiant, devient Terre et la Terre, sous certaines conditions, redevient Feu.

- La sentence Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas... ne cesse d'évoquer, quant à elle, la loi des Signatures astrales présentes dans la Nature. Les 7 astres : les deux luminaires, le Soleil et la Lune et les cinq planètes, Mercure, Mars, Vénus, Jupiter, Saturne imprègnent, de leurs influences respectives, toutes substances en ce monde dont l'alchimiste se doit de percevoir la signature. Proclus fit d'ailleurs allusion à ces correspondances analogiques, notamment dans le règne minéral, en ces termes :

"L'Or, l'argent et chaque métal, comme les autres substances, se développent sur terre, sous l'influence des dieux célestes et de leurs émanations. L'or est attribué au Soleil, l'argent à la Lune, le plomb à Kronos (Saturne), le fer à Arès. Ces métaux trouvent leur origine dans les cieux, mais ils existent sur la terre et non sur les planètes émettrices des émanations. Car aucune matière n'a droit de cité au ciel. Et bien que toute substance provienne de tous les dieux, dans chacune d'elle existe une prédominance spécifique: certaines appartiennent à Kronos, d'autres au Soleil..."

Proclus "Commentaires sur le Timée"

Dès lors est-on fondé à mieux comprendre, ainsi, comment le texte de "La Table d'émeraude" apparaissait comme constituant la synthèse par excellence des principes fondamentaux de I'OEuvre alchimique. En outre, l'Opus Alchymicum se divisait en plusieurs phases associées à la couleur revêtue par la matière. Héraclite mentionnait déjà les principales étapes : Mélanosis (passage au noir), Leukosis (passage au blanc), Xanthosis (passage au jaune) et Iosis (passage au rouge). Plus tard, le nombre en fut réduit à trois et délaissa le passage à la couleur jaune (xanthosis, citronitas), parce que moins fondamental que les étapes du noir (nigredo), du blanc (albedo) et du rouge (rubedo) qui s'avéraient, en effet, essentielles lors de l'élaboration de la matière pour parvenir au Grand OEuvre, c'est-à-dire à l'obtention de la Pierre transmutatoire, capable de transmuer les métaux vils - de préférence le plomb ou le mercure - en or (Chrysopoeïa) et en argent (Argyropoeia) ainsi que l'Élixir de Longue Vie ou Panacée capable de prolonger la vie humaine sur Terre, tout en procurant la communion avec l'Anima Mundi et la Divinité, développant progressivement le corps d'immatérialité et d'immortalité. Les opérations alchimiques permettant d'y parvenir pouvaient s'énoncer ainsi: calcinatio (calcination), solutio (dissolution), separatio (séparation), conjunctio (conjonction), putrefactio (putréfaction), coagulatio (coagulation), cibatio (cibation), sublimatio (sublimation), fermentatio (fermentation), exaltatio (exaltation), augmentatio (accroissement, multiplication), proiectio (projection). Toutes ces multiples opérations nécessitaient un matériel de laboratoire dont disposait bien évidemment l'Égypte hellénistique, tel qu'en rendit compte Marcelin Berthelot (op. déjà cité) dans un recensement aussi complet que possible des appareils utilisés : fours, alambics, kérotakis (vase clos à reflux) et bains-marie (attribués à Marie la juive), cucurbites à becs, creusets, pilons, broyeurs, récipients de toutes sortes. Ces ustensiles servaient donc à pratiquer indifféremment la Voie Humide faisant intervenir une instrumentation de verre ou de terre vernissée et la Voie Sèche nécessitant des creusets en terre réfractaire supportant de très hautes températures de fusions.

Déjà, au IIème siècle avant notre ère, Bolos de Mendès (souvent appelé Démocrite), si l'on en croit Pline et Sénèque, passait pour avoir "découvert la manière de ramollir l'ivoire et de le transformer (converteretur) en émeraude en faisant bouillir un cristal de roche ... Était-ce en vertu d'un pouvoir plus magique qu'alchimique qu'une telle puissance lui fut accordée, car ne disait-on pas de lui qu'il avait été initié par le Mage Ostanés ? Quoi qu'il en soit, ceci manifestait, sans conteste, la fusion des données perses et gréco-égypfiennes chez l'auteur de "Physica" et "Mystica", deux traités alchimiques aux préoccupations incontestablement spirituelles. À propos toutefois du caractère proprement opératif revêtu par l'Alchimie, on lui prêta ces termes:

"Celui qui n'a pas expérimenté, sait peu. Celui qui a expérimenté a crû en sagesse. Laisse le sage s'instruire encore."

Ajoutons encore que, dans son "Physica", il digressa largement des transmutations en or et en argent. Marie, dite la juive, lui succéda peu de temps après, très probablement. On lui attribue l'origine de certains ustensiles de laboratoire, tels le bain-marie (qui porta depuis son nom), le kérotakis et le tribikos ou alambic à trois becs. De plus, Marie sembla faire école puisqu'une certaine Cléopâtre parut s'y rattacher. On dispose, à son propos, d'un feuillet intitulé : "Fabrication de l'Or", rempli de symboles et d'un Dialogue révélant indéniablement ses préoccupations d'ordre opérafif :

" (...) Quand l'âme et l'esprit sont unifiés et ne font plus qu'un, projetez sur le corps d'argent et vous obtiendrez de l'or tel que les trésors des rois n'en contiennent pas."

Manusc. Trad. de Taylor

D'ailleurs, Olympiodore écrira plus tard (au Vème s. ap. J.-C.) :

"Tout le royaume d'Égypte, ô femme, est soutenu par trois arts : l'art des choses opportunes ; l'art de la nature et l'art de traiter les minerais. C'est l'art appelé divin, c'est-à-dire l'art dogmatique pour tous ceux qui s'occupent de manipulations et de ces arts honorables que l'on appelle les quatre (arts) chimiques (cet art divin) enseignant ce qu'il faut faire, a été révélé aux prêtres seuls... lorsqu'un prêtre ou ce que l'on appelait un sage, expliquait les choses qu'il avait reçues en héritage des anciens, ou de ses ancêtres, lors même qu'il en possédât la connaissance, il ne la communiquait pas sans réserve... De même aussi... les artisans préposés aux opérations faites par la voie du feu, ainsi que ceux qui avaient la connaissance du lavage du minerai et de la suite des opérations, ne travaillaient pas pour eux-mêmes, mais étaient chargés d'accroître les trésors royaux. (…) C'était une loi chez les Égyptiens que personne ne divulguât ces choses par écrit."

Berthelot "Collection, III"

On constate que l'Alchimie, en tant qu'Art Sacerdotal, ainsi que le travail des métaux, étaient placés, à Alexandrie, sous l'égide des prêtres, authentiques sages hermétistes. Les métallurgistes maîtrisaient parfaitement tous les rouages de leur art. Ils connaissaient l'électrum ou asèm : alliage d'or et d'argent, et savaient extraire le mercure par distillation de son minerai: le cinabre. La diversité de ses amalgames ne leur avait pas échappé. Ils possédaient, en outre, la connaissance de nombreuses teintures métalliques, telles qu'elles furent exposées dans les Papyrus de Leyde (IIIème s. ap. J.-C.) et de Stockholm.

Devant cet état de faits, Dioclétien, craignant que "les hommes ne s'enrichissent par cet art et n'en tirent une source d'opulence, ce qui leur aurait permis de se révolter contre les Romains", aurait décidé, selon jean d'Antioche, de soumettre tous "les livres anciens de Chemia" à l'autodafé!

Il faut dire, à sa décharge, que la tentation, en effet, était grande de contrefaire l'or et l'argent, ainsi que certaines recettes l'indiquent sans ambages : " [...] Il devient alors de l'argent de première qualité qui abusera même les ouvriers les plus qualifiés qui ne supposeront jamais qu'il puisse être ainsi obtenu" ("Papyrus de Stockholm", n°3), ou bien encore: "[...]Mettre l'or dans un fourneau, et quand il devient brillant, ajoutez les autres ingrédients. Retirer puis laisser refroidir lorsque la quantité d'or a doublé" ("Papyrus de Leyde". recette n° 17).

"…nombreux sont les adversaires et les inventeurs des espèces falsifiées, qui prennent les apparences de la vérité. Les vrais sages sont vite reconnus, s'ils sont examinés corporellement et spirituellement." écrivit en son VIIIème Livre (n°28) Zosime dit le Panopolitain, car originaire de la ville de Panopolis, bien qu'il résidât à Alexandrie (au IVème siècle de notre ère), où il s'affirma comme le plus célèbre, parce que prolifique dans ses oeuvres littéraires quoiqu'opératif également, des alchimistes grecs. On le surnomma d'ailleurs la couronne des philosophes, considérant qu'il en constituait le souverain. On lui prête la paternité d'une trentaine d'ouvrages (vingt-huit exacte.ment), réalisant en cela une véritable Encyclopédie alchimique intitulée: "Cheïrokméta". Il ne manqua pas, toutefois, d'insister sur le caractère secret revêtu par l'OEuvre :

"Ne révèle rien à quiconque et garde ces choses pour toi. Le silence enseigne la vertu. Il est très subtil de comprendre la transmutation des quatre Métaux : le plomb, le cuivre, l'étain et l'argent, et de savoir comment ils deviennent de l'Or parfait."

Si l'on ne peut réellement le considérer comme un auteur authentiquement chrétien, force est de constater que son propos est adapté à la nouvelle Religion, telle qu'en rend compter sa lettre à Théosébie :

"Hermès, disant que l'homme spirituel... a pour seul objet de se chercher lui-même, de connaître Dieu, et de dominer la triade innommable..." " (... ) Si tu comprends, et si tu te conduis convenablement, tu contempleras le fils de Dieu, devenu tout en faveur des âmes saintes. Pour tirer ton âme de la région régie par la destinée, vers l'incorporelle, vois comme il est devenu tout : Dieu, ange et homme sujet à la souffrance."

Ceci s'incluait dans le droit fil déjà tracé par tous les auteurs emplis de respect envers la pensée hermétique, tel l'apologiste chrétien Lactance, qui affirmait sans ambages (au IIIème siècle de notre ère) :

"Hermès a découvert, je ne sais comment, presque toute la vérité…"

Les textes alchimiques commencèrent, dès lors, à subir une influence de plus en plus marquée du Christianisme naissant. Ainsi, en dehors des nombreux ouvrages de Zosime consacrés à l'Alchimie mystique et pratique - comme son "Traité des Instruments et des Fours" l'atteste - influencés par les gnoses existantes incorporés dans un système relativement cohérent, pouvait-on trouver des auteurs chrétiens tels julius Africanus, originaire de Syrie et qui vécut à Emmaüs, puis, plus tard, à la fin du IVème siècle, Pélage, Dioscore et Synésius (Synésios), évêque à Ptolémais en Cyrénaïque. Ce dernier, né vers 370 de notre ère, rédigea plusieurs oeuvres à connotation alchimique. Ami de la néo-platonicienne Hypathie (fille de Théon) qui mourut martyre en 45 à Alexandrie où la Bibliothèque fut saccagée, il était féru de gnose et d'hermétisme. Ainsi rapprocha-t- il, dans son oeuvre intitulée "Dion", Hermès, Zoroastre et des ermites chrétiens : Antonios et Amous, en tant que représentant de la plus grande Sagesse qui soit. Ensuite, vint Olympiodore (au début du Vème sîècle), auquel fut attribué un "Commentaire sur le Livre de l'Energie de Zosime et sur les Dires dHermès et des Philosophes". Il y affirma que:

"Le feu est le premier agent, celui de l'art entier. C'est le premier des quatre éléments. En vérité, le langage énigmatique des anciens relatif aux quatre éléments se réfère à l'art."

Il insista également sur l'importance de l'Archè ou Principe fondamental, symbolisé par le serpent Ouroboros qui se mord la queue !

On vit ensuite survenir, au début du VIème siècle, un auteur anonyme surnommé Le Chrétien, sans doute un moine byzanfin affichant dans ses propos une orientation théologique, mais non moins gnostique et alchimique. Son disciple, à qui il dédia son oeuvre, fut vraisemblablement Serge Resainensis d'Alexandrie, qui traduisit en syrien bon nombre d'oeuvres grecques. D'ailleurs, l'Alchimie s'était déjà répandue en Syrie dans le courant du Vème siècle, sous l'impulsion des chrétiens nestoriens et monophysites. Il convient de noter, à cet égard, que les Mystères chrétiens n'étaient pas sans relation avec la gnose alexandrine entachée d'hermétisme, tout au moins dans l'esprit de certains apologistes ou Pères de l'Église, tels St Clément d'Alexandrie et Origène qui déclarait péremptoirement à Celse: "Alors, et alors seulement, nous les invitons à nos mystères (télétaï), car nous parlons de sagesse entre parfaits (téléioï, initiés)".

La Messe allait d'ailleurs fournir, dans sa liturgie naissante, tout le processus de l'Opus Alchymicum, jalonné de toutes les étapes conduisant à la Pierre Philosophale (Lapis Philosophorum) comme à l'Élixir de Longue Vie (Elixir Vitae). En effet, l'Eucharistie (Eucharistia : la bonne Grâce) faisait participer le chrétien au monde divin par la seule communion aux espèces végétales transsubstanciées, voire transmuées par la Grâce et les paroles consécratoires prononcées par le Prêtre. St Ignace n'avait d'ailleurs pas hésité à écrire : "La distribution du pain, qui est le remède de l'immortalité, l'antidote de la mort". La célébration eucharistique, commémorant la Cène, devenait ainsi semblable à une sorte de remède sublime, de concept analogue à un Pharmakon menant à l'illuminafion et à la vie divine.

Ainsi, l'Alchimie allait-elle être empreinte d'un symbolisme proprement chrétien. La mission rédemptrice du Christ ayant pour finalité l'Apocatastase (le Salut cosmique), elle s'associait donc parfaitement au pouvoir transmutatoire présumé de la Pierre Philosophale, d'où l'équation suivante : Lapis=Christus. D'ailleurs, le Mystère chrétien de la Résurrection n'était pas sans évoquer l'oiseau fabuleux d'Héliopolis : Bennu, le Phénix renaissant de ses cendres, ou bien la résurrection d'Osiris ou celle de Dionysos (Zagreus) !

L'Or s'identifiait ainsi parfaitement au Corps Glorieux (Aurez Gloriae, selon St Paul) ou Corps de Résurrection christique, par une véritable transmutation, manifestant le but de l'Ars Regia, l'Ars Magna. Par conséquent, l'Alchimie était investie d'un symbolisme hautement spirituel puisqu'elle l'était en essence, et la couverture empruntée par les allégories hermétiques chrétiennes était ainsi en mesure de voiler l'Opus Alchymicum qui aboutit, en tant que Voie initiatique authentique, à une transformation de l'être et de sa matière, à une véritable transmutation interne où l'Homme, grâce à la Pierre, atteint irrémédiablement le Plan Divin... 

Par Patrick Rivière. Ed Ramuel

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