Obédience : NC Loge : NC 13/12/2001


Le boulanger, son pain et ses mitrons

Conte de Noël...sans sapin ni guirlande ni Père Noël

Il était une fois un village où il y avait deux boulangers. Tous deux étaient un peu fous car ils donnaient gratuitement leur pain.

L'un était un vrai boulanger. Il pétrissait et cuisait son pain avec amour.
L'autre tenait un dépôt de pain. Son pain (industriel) était fabriqué par une grande chaîne de supermarchés qui le lui livrait dans des sachets à l'effigie de sa marque.

Non seulement le vrai boulanger pétrissait et cuisait avec amour, mais il distribuait, toujours gratuitement, son pain aux habitants avec sa
camionnette.

Comme il lui fallait bien faire vivre sa famille, régler le loyer de sa boulangerie, investir dans le four et la machine à pétrir, payer le salaire du mitron qu'il avait embauché pour satisfaire la demande croissante de pain gratuit, acheter la farine et la levure, entretenir sa camionnette, en échange, notre boulanger se rémunérait sur les affiches publicitaires et les offres d'emploi qui tapissaient les murs de son magasin et la carrosserie de sa camionnette.

Les affaires marchaient bien. Il décida alors de louer le local adjacent, qui venait de se libérer, pour agrandir sa boulangerie en boulangerie-pâtisserie. Il embaucha un pâtissier et deux autres mitrons. Le pain et les gâteaux étaient gratuits, les gourmands se régalaient...

Mais un jour, la situation changea.

Peu à peu, les agences de publicité et les cabinets de recrutement, touchés par la récession, confièrent de moins en moins d'annonces au
boulanger.
Le boulanger appela son pâtissier et ses mitrons et leur expliqua qu'il devait réduire leur salaire car les recettes publicitaires ne couvraient plus le prix de la farine et du levain, ni celui du loyer, ni celui des machines...

Mais cela ne suffit pas.

Le banquier du boulanger, qui était un bon "client" jusque-là, partit chercher sa baguette (industrielle) quotidienne à l'autre boulangerie du patelin, et faisait semblant de ne pas reconnaître le boulanger lorsqu'il le croisait dans la rue.

Une nuit, pris d'insomnie, le boulanger descendit dans sa boulangerie, contempla tristement les murs désormais presque nus, consulta ses livres de comptes, réfléchit et conclut que le pain gratuit le conduisait tout droit à la ruine.
Si je persiste, se dit-il, que mangeront mes enfants ? Que deviendront mon pâtissier et mes mitrons ? A qui transmettrai-je mon art ?

Au désespoir, il décida alors de vendre son pain et ses gâteaux. Après tout, dans beaucoup d'autres villages, les boulangers faisaient ainsi, et personne n'y trouvait à redire.

Il mit donc un écriteau sur sa vitrine : "A partir de demain, le pain et les gâteaux seront payants." Et il fixa les prix de ses produits.

Le lendemain, les rumeurs allaient bon train.
Des gens disaient : "Comment, il fait payer le pain maintenant ! C'est un scandale !"
D'autres s'exclamaient : "Depuis des années, nous mangeons du pain et des gâteaux gratuitement, et voilà qu'aujourd'hui, il veut nous faire
payer. On nous prend en otage !"

Certains envoyaient des lettres de protestation au boulanger. Certains expliquaient leurs griefs, d'autres réclamaient de nouveau de la publicité dans la boulangerie, sans comprendre qu'il n'y en avait plus guère, d'autres encore s'insurgeaient que puisque c'était comme ça, ils préféraient désormais manger du pain industriel, d'autres enfin avertissaient qu'ils ne mangeraient plus ni pain ni gâteaux plutôt que de les payer...
La plupart n'écrivaient pas mais le boulanger ne les revit jamais.

Le boulanger était triste. Le pâtissier et les mitrons aussi. La boulangerie-pâtisserie jadis bondée étaient presque déserte.

"Pendant des années, ils ont mangé gratuitement mon pain, se lamentait le boulanger. Et aujourd'hui que je leur demande un peu de reconnaissance pour tant de petits matins passés à pétrir et à cuire, ils me tournent le dos sans un mot !"

Par Bruno de La Perrière
© Internet Actu 13/12/2001


7016-R L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \