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Le Rire Initiatique

Je me prosterne aux pieds de lotus de Sa Divine Grâce la Sainte et Saine Rigolade qui nous permet d'affronter dans la joie et la bonne humeur les épreuves et les embûches de la voie initiatique.

OM.  Je rends hommage à tous les maîtres de la lignée,
à St François Rabelais, à Drugpa Kunley, à Mollah Nassredin,
et à tous les maîtres dont l'enseignement est gai et joyeux et non pas triste et emmerdant.

Un ivrogne est sous un réverbère et cherche quelque chose par terre.  Vient à passer un monsieur qui, complaisamment demande ce qu'il cherche.  «  J'ai perdu ma clef »  répond le poivrot. Et le passant l'aide à chercher.  Après un bon moment de vaines recherches il demande :

  • - « Êtes-vous sûr que c'est bien ici que vous l'avez perdue, cette clef ? »
  • - « Non répond le poivrot j'ai dû la laisser chez moi, mais ici au moins on voit clair...»

Si j'ai commencé ce chapitre cette blague que l'on pourrait trouver, à coup sûr, dans l'un de ces petits recueils vendus dans les kiosques de gare, c'est que j'en ai trouvé le prototype dans un recueil de plaisanteries attribué à Mollah Nassrdinn, personnage peut-être historique, peut-être mythique, du moyen âge iranien.

Tantôt sage tantôt idiot, parfois maître d'école ou bien clochard quand il n'est pas conseiller intime du Shahinshah.

Bien sûr, le réverbère de la première histoire remplace le clair de lune de l'original, mais les histoires sont restées intactes à travers les siècles.

Idries Shah qui a, par ailleurs, publié des contes derviches et qui a collationné les aventures et plaisanteries attribuées à Mollah Nassrdin précise que de semblables  histoires, lesquelles, vous l'avez remarqué se prêtent à des interprétations à différents niveaux, sont souvent données par 1es maîtres soufi à 1eurs disciples comme thème de méditation.  Il remarque que 1es blagues de Mollah Nassrdin se retrouvent dans les folklores de nombreux peuples, de l'Espagne à la Chine en passant par la Grèce et même de la moderne Russie.

Personnellement j'ai reconnu parmi les blagues du recueil publié par Idries Shah le thème de certaines fables de La Fontaine, comme celle de l'astrologue qui tombe dans un puits alors qu'il était en train d'observer les astres pour connaître le destin, j'y ai trouvé également le prototype de certaines blagues du folklore Yiddish.

Il me semble qu'il serait amusant et instructif de faire un recueil des plaisanteries à caractère initiatique dans 1es diverses traditions et de les comparer.
Voici par exemple une petite histoire que j'ai rencontrée dans un recueil de contes africains :

Il y avait dans un village un homme si sage et si savant que l'on venait de tous les coins de la brousse pour écouter ses enseignements : son nom était Doffou Seringué.

Il y avait également dans le coin un homme surnommé le "Berger fou" qui se promenait toujours armé d'une sagaie et d'un énorme sabre.  Il avait l'allure farouche et était décoré de colliers constitués de toutes les vieilles ferrailles qu'il pouvait trouver. Il ne parlait que pour poser des questions.

Il vint un jour dans la case où Doffou Seringué donnait ses enseignements sur la vie et la mort, le Ciel et la terre, à une nombreuse assistance et jetant un tison dans une cruche d'eau qui se trouvait là il demanda :
 

  • – « Qu'est-ce qui a fait "pchitt" le tison ou bien l'eau ? »
  • Doffou Siringué resta un instant interloqué, réfléchit un moment puis appliqua  une énorme gifle sur1a joue de Berger fou et lui, demanda :
  • – « Qu'est-ce qui a fait "clac", ma main ou ta joue ? »

Ce qui m'a conduit à vous raconter cette histoire, c'est qu'on y trouve le thème du célèbre koan Zen :
"Clap" c'est le bruit de deux mains frappées l'une sur l'autre; quel est le bruit d'une seule main ?

Même si les occidentaux que nous sommes, ne sommes pas toujours en mesure de goûter tout le sel de certaines histoires racontées par les Maîtres Zen, pour de nombreuses raisons - difficulté de la traduction, jeux de mots intraduisibles, référence à des faits de l'histoire de la Chine ou du Japon que nous ignorons - il en est de fort drôles telles celles racontées par Maître Deshimaru dans un recueil de contes Zen intitulé "le Bol et le Bâton" :

C'est un moine Zen marié ( il y a des écoles bouddhistes – assez rares il est vrai – qui autorisent le mariage ). Ce moine donc cheminait dans la montagne accompagné de son épouse laquelle fut prise d'une violente envie d'uriner.  Elle se prépare à se soulager sur le bord du chemin lorsque son moine d'époux lui dit  :

  • – « Pas ici, c'est le Kami de telle divinité (c'est à dire le lieu consacré ladite divinité.) ».  Elle se retient un moment jusqu'à ce qu'elle avise un rocher derrière lequel elle pense pouvoir satisfaire son envie.  Mais le moine lui dit :
  • – « Surtout pas ici, c'est le Kami du génie de la montagne » Et ainsi de suite deux ou trois fois jusqu'à ce que, n'y tenant plus elle dise à son mari :
  • – « Ma sandale est détachée, veux-tu la rattacher car si je me baisse je ne pourrait plus me retenir.  » Le mari s'exécute, alors elle en profite pour pisser sur son crâne tondu en disant :
  • – « Ici, au moins il n'y a pas de kami »


Jeux de mot basé sur l'homophonie de Kami qui veut consacré et kami qui signifie cheveux...

Trois aveugles se demandaient ce que peut bien être un éléphant.

Un passant complaisant les conduisit là où se trouvait un de ces pachydermes.  Chacun tâta ce qu'il pu saisir de la bête puis i1s se mirent à discuter sur leur tout nouveau savoir :

  • – « C'est une espèce de corde » dit celui qui avait touché la queue ».
  • – « Mais non, c'est comme un gros serpent » dit celui qui avait palpé la trompe ».
  • – « Vous n'y êtes pas du tout, réplique celui qui avait tâté une patte, c'est un gros pilier ».

Et tous trois, de bonne foi, se disputaient sur ce qu'ils croyaient être "la vérité éléphant" chacun étant naturellement sur de détenir la vérité.

C'est avec de semblables histoires que les maîtres de l'Orient tentent de faire comprendre à leurs disciples la différence entre la vérité relative basée sur le témoignage de nos sens et la vérité de l'ultime absolu.

En fait, tout l'enseignement de Maîtres taoïstes comme Tchouang Tseu ou Lie Tseu repose sur des petites histoires - dont, je le disais tout à l'heure, nous ne saisissons pas toujours le sel - laissant au disciple le soin d'interpréter, en fonction de son niveau d'évolution spirituelle.  Il en va tout à fait de même avec les maîtres derviches et soufis.

Comment le disciple demeure t'il dans la contemplation de ses sentiments ?

Quand le disciple ressent un sentiment le disciple sait discerner : « J'éprouve une sensation agréable, ou une sensation désagréable, ou indifférente...» Ainsi le disciple demeure dans la contemplation des sentiments vis - a - vis de lui même ou d'autres personnes… C'est ce que nous enseigne le Bouddha.
(Digha Nikaya )

Le grand Maître tibétain Chögyam Trungpa Rinpotché, décédé il y a peu, ajoutait que cette contemplation de ses propres pensées et sentiments devait se faire avec un esprit critique empreint d'humour.

Cet "Humour Autocritique" recommandé par Chögyam Trungpa Rinpotché est la base même de nombreuses blagues juives de la tradition Yiddish.

On le voit l'humour est un précieux outil dans les mains des Maîtres indiens.  Mais d'autres vont encore plus loin.  Pour provoquer le choc psychologique qui, un instant, déchirera le voile qui cache la lumière à leur disciple ils n'hésitent pas à utiliser des comportements complètement aberrants.
On en trouve quelques exemples dans la légende de Mollah Nassrdin dont j'ai parlé plus haut.

La tradition, du bouddhisme tibétain raconte comment Tilopa éprouva l'ardeur de la recherche de Naropa par un comportement déroutant, n'hésitant pas à marcher à quatre pattes et à manger par terre des détritus comme aurait fait un chien, puis, lorsqu'il jugea que Naropa était prêt pour l'éveil, à lui frapper le visage de sa sandale.

Dans les traditions de diverses tribus dl Amérique du nord il est fait appel pour certains enseignements à des clowns sacrés qui font systématiquement tout de travers.

Les maîtres Zen font également un grand usage de ce type de comportement : C'est par exemple Houang Po (à moins que ce soit Po Tchang) qui se promenait une fois accompagné d'un disciple quant vint à passer un vol d'oies sauvages
 

  • – « Qu'est cela ? » demanda le maître au disciple.
  • – « Ce sont des oies sauvages ».
  • – « Elles sont déjà passées » rétorque le Maître en tordant sauvagement le nez du disciple, lequel connu le complet satori.

Celui dont je vais vous parler maintenant a utilisé le comportement aberrant et le rire, souvent même le gros rire rabelaisien, pour convertir au bouddhisme le royaume du Bhoutan et son souvenir est encore vivace chez tous les peuples bouddhistes de1'Himalaya.

Le grand yogi Kunga Legpai Palzangpo, plus connu sous le nom abrégé Drugpa Kunley, était contemporain de notre Rabelais national.  Il est considéré comme le tulkou, c'est à dire "émanation" ou renaissance des Maîtres tantriques Saraha ( VIII'Siècle ) et Shavaripa (IX" siècle).

Le titre Drugpa qui précède son nom abrégé indique qu'il appartenait à la lignée Drugpa (dragon ) Kagyu ( lignée de la tradition orale ) du Bouddhisme tibétain ; laquelle à travers Gampopa, Milarépa, Marpa, Naropa et Tilopa rejoint la lignée du Bouddhisme tantrique indien, dont l'origine remonterait traditionnellement à Vajradhara, le Bouddha primordial.

Le Lama qui enseigne au centre voisin de chez moi appartient à cette lignée. Ayant reçu de lui un angkour (initiation (*)) il me plait à penser que j'ai reçu un peu de l'influence spirituelle de Drugpa Kunley.

Il est considéré comme un Bouddha entièrement éveillé qui avait parfaitement maîtrisé les yogas du Mahamoudra (le grand Symbole) et du Dzogchen (grand accomplissement).

Entré très jeune en religion, après la mort de son père assassiné lors d’une querelle fami1iale, tout comme 1e fut celui de Milarépa, i1 reçu 1es enseignements des plus grands Maîtres de son époque.
I1 commence sa carrière de Naljorpa (yogi errant) par un simulacre d'inceste sur 1a personne de sa mère :

Celle-ci lui ayant demandé de se marier, car elle voulait à la maison une bru qui la soulagerait des plus grosses tâches domestiques, Kunley va sur 1e marché et rapporte sur son dos 1a plus viei11e et la plus 1aide femme qu'i1 peut trouver.

Sa mère proteste violemment.  Elle dit qu'elle ne veut pas de cet épouvantail comme belle-fille et qu'elle préfère accomplir tous les devoirs du ménage.

Kunley rapporte sa conquête là où il l'a trouvée mais, la nuit venue, il se glisse dans le lit de sa mère et lui dit que, puisqu'elle veut remplir à el1e seule tous 1es devoirs du ménage i1 faut qu'el1e couche avec lui.  La mère horrifiée 1e repousse, mais i1 la presse jusqu'à ce que, de guerre 1asse, el1e 1ui dise :

– « Bon f ai t ce que t u veux ».

Alors, il se lève et va dans la rue, proclamant à qui veut l'entendre, qu'en y mettant le temps et la patience on peut suborner jusqu'à sa propre mère. Cette situation pour le moins inusitée produit chez sa mère le choc psychologique qui, dit le texte, “déracina ses erreurs, ses péchés furent expiés et elle entra sur la voie qui conduit à l'illumination”.

Tout comme notre Rabelais, Drugpa Kunley avait en horreur les faux dévots ainsi que des moines avides d'honneurs et beaucoup plus intéressés par les fastes du rituel que par une réelle recherche spirituelle.

En lisant certains de ses sermons, on ne peut s'empêcher de penser au fameux "Cy n'entrez pas hypocrites bigots, vieux matagots, marmiteux boursouflés…" de l'abbaye de Thélème dans Rabelais.

Aussi se plait-il à les choquer et à les ridiculiser, souvent même de la manière la plus grossière.  Un jour, en visitant un monastère i1 tombe sur une assemblée de moines qui discutaient âprement sur quelque point mineur de métaphysique.  Il leur dit :
 

  • – « Je connais moi aussi quelque peu de métaphysique » et il lâche un pet sonore. Une autre fois dans un autre monastère il se joint aux moines qui chantaient des textes sacrés.
  • Certains d'entre eux qui trouvaient qu'il chantait faux le lui dirent :
  • –  « J'ai un ami qui chante très bien, je vous l'amènerai demain » répond Kunley et 1e lendemain il conduit au temple un âne dont le braiment fait comprendre aux moines que ce n'est pas la voix, mais le texte sacré ainsi que la foi des chanteurs qui comptent.

Visitant un autre monastère il tombe en plein milieu d'un rite de confession.  Il se met alors à parcourir la montagne d'une manière bizarre, sautant par dessus les plus grosses pierres et contournant soigneusement les toutes petites.  Les moines trouvent que c'est là une étrange manière de se comporter.

– « C'est exactement comme votre pratique, leur dit-il, le Vinaya, (la règle des moines) distingue deux sortes de péchés : les racines qu'il est important d'éliminer et les petites branches, qui sont de moindre importance.

Vous vous attaquez aux petites branches mais vous laissez croître les racines.

On pourrait raconter ainsi de nombreuses histoires sur le mode bien particulier d'enseignement de Drugpa Kunley.

Buveur et baiseur impénitent, Kunley n'utilise toutefois son "Vajra" ( entendez son sexe ) que dans un but d'édification même si les situations sont souvent en apparence plutôt scabreuses.

Un jour il rencontre un vieil homme qui s'était donné beaucoup de mal pour peindre une tanka (peinture sur toile) dont il allait faire l'offrande à un monastère voisin.

Kunley lui dit :

  • – « Je vais consacrer ta tanka » et il se met en devoir de pisser dessus.  Le pauvre vieil homme arrivant au monastère raconte tout penaud au père abbé ce qui lui était arrivé.  Lorsqu'on déroule la tanka on découvre que les parties touchées par l'urine de Kunley sont recouvertes d'or.
  • – « C'est sûrement un très grand saint qui a consacré ta tanka » lui dit le père abbé.

Lorsqu'i1 distingue par quelque signe qu'une femme a des dispositions innées pour la voie initiatique, Kunley ne recule pas devant l'adultère pour f aire d'elle sa Yum (épouse mystique) et c'est toujours avec le plus grand humour qu'il crée la situation pour cocufier 1e mari.

Cela fait parfois penser au Décaméron de Boccace.  Mais toutefois pour "purger" 1e mauvais karma ainsi créé, i1 ne manque pas, après avoir fait l'amour avec 1a femme, de 1ui imposer une période de retraite et de méditation avant de lui conférer 1es initiations et les enseignements nécessaires à 1a poursuite de 1'ascèse qui la conduira vers 1a réalisation.

Il est une chose que j'avoue ne pas avoir comprise : c'est la signification de l'usage que Kunley fait parfois de son sexe ; que ce soit lorsqu'il urine sur une tanka pour la consacrer, ou bien lorsqu'il enchâsse une turquoise dans son prépuce pour la projeter, en guise d'offrande, sur le front, de la statue d'une divinité.

Je n'en ai pas demandé la signification au Lama ; ceci fait partie du Yoga tantrique et ces récits font partie de la "biographie interne" du maître, donc rédigée dans un langage convenu – que Guénon appelle langage crépusculaire et que les tibétains appellent "langages des dakinis”  (fées) – il est vraisemblable que, n'ayant pas reçu les initiations correspondantes, le Lama me répondrait par "un noble silence".

Je vais tout d'avancer une hypothèse : on sait que les pratiques tantriques consistent à faire remonter l'énergie du centre situé à la base de la colonne vertébrale ( Muladhara Chakra ) vers le lotus au mille pétales (Sahasrara Padma ) situé au dessus de la tête afin de provoquer l'union des complémentaires et, de ce fait, déclencher l'éveil. C'est ce que l'on appelle réalisation ascendante.

Kunley étant un Bodhisattva, c'est à dire un être déjà réalisé qui revient dans la manifestation par compassion pour les êtres qui errent dans le samsara, donc en état de réalisation descendante, il peut sembler normal, que, au lieu de faire remonter l'énergie, il soit en mesure de la faire redescendre pour la projeter, au moyen de son sexe vers ceux qu'il veut aider dans leur travail spirituel.

C'est une hypothèse, veuillez l'accepter comme telle.

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