Obédience : NC Loge : NC 29/09/2008

La spiritualité du Maître Maçon

La planche que je vous présente ce soir a pour thème : « La spiritualité du Maître  Maçon ». C’est une notion qui n’est pas très simple à définir. Si la religion a toujours chercher à s’accaparer la spiritualité, la franc maçonnerie, en ne proclamant aucun dogme et en se refusant de définir le divin, conduit la maçon vers la spiritualité par la pratique du rite, par l’ascèse initiatique qui va relier l’homme à l’universel.  Cela, dans le but de se reconstruire mais aussi en lui faisant bien prendre conscience qu’il fait partie d’un tout, qu’il a sa place dans le cosmos, qu’il en est un maillon essentiel, bref qu’il est une poussière d’étoile parmi tant d’autres mais une poussière aussi importante que les autres. C’est en ce sens que l’on peut parler de spiritualité en franc maçonnerie et je vais m’efforcer de dire, en prenant le rituel comme source de réflexion, comment cette spiritualité se manifeste dès le 1er degré jusqu’à la maîtrise.

Dans mon introduction j’ai voulu d’emblée faire le lien entre maçon, spiritualité et universel et dire aussi qu’il n’est pas question de mysticisme religieux dans la spiritualité maçonnique mais plutôt d’une volonté de retrouver les valeurs morales qui donnent à l’homme la grandeur d’âme qu’il n’aurait jamais du perdre. Cette recherche introspective débute dès notre initiation qui n’est pas un acte ponctuel mais un passage éprouvant qui sera le moteur de notre démarche dans le sens où nous aurons toujours à l’esprit cette épreuve qui nous oblige inlassablement à nous remettre en cause pour poursuivre notre progression. Donc dans le mot « spiritualité » comme on l’entend,  il y a une notion de progression intellectuelle, de perfectibilité, une volonté d’améliorer son existence, de tendre vers un idéal non pas personnel mais collectif. Tout au long de notre cheminement, la méthode maçonnique avec son rite, son rituel et la diversité des frères qui composent l’atelier concourent à notre évolution en éclairant nos pensées et nos actes dans et hors du temple. La loge va donc jouer pleinement son rôle de creuset, d’œuf qui renferme la vie,  la graine qui ne demande qu’a s’épanouir. Chacun va ressentir à sa façon un bouleversement, dans le sens de transmutation, par la mise en commun des connaissances de chacun et des expériences individuelles. C’est la transmission indispensable à l’introspection, la re-naissance, la régénération. Cette introspection qui doit nous conduire à « la rigoureuse équité et à la conciliation des oppositions nécessaires et fécondes » comme il est dit dans le rituel d’installation du V\ M\  et du collège des officiers.

Dès le 1er degré apparaît mes frères cette notion de spiritualité. En effet, ce voyage intérieur (le cabinet de réflexion) qui se projette jusqu’aux sommets des cieux (la voûte étoilée) débouche immanquablement vers la spiritualité même si on en a pas conscience au début. Cette perpendiculaire que nous gravissons pour aller toujours plus haut  nous reconduit inlassablement au centre de nous même pour faire rapidement notre examen de conscience, en retenir les erreurs passées pour repartir de plus belle. Mais est-ce bien vers le plus haut des cieux que le maître doit se diriger ? Vous savez tous mes frères que c’est au centre du cercle qu’il sera le plus utile. En effet, c’est là que s’exprime le mieux l’essence même du cheminement du franc maçon. Il embrasse l’humanité toute entière, l’ordre universel et peut ainsi faire la différence entre l’accessoire et le fondamental et travailler au progrès de l’humanité. Mais s’il se comporte comme les autres hommes, ce travail il le fera sur un seul plan celui de l’humain, sans dimension verticale. Cette verticalité, cette perpendiculaire c’est la franc maçonnerie qui nous la fournit grâce à l’initiation laissant à chacun le soin de la gravir à son rythme.

Dépouillés de tous nos métaux nous avons préalablement franchi la porte de la loge tout en nous éloignant du monde profane et nous mettons tout de coté pour nous construire et non pour nous contempler. Il nous faut trouver la personne au-delà de l’image qui se reflète dans le miroir. Ainsi on découvre peut à peut l’architecture fondamentale de notre être, architecture commune à tous les hommes.

Lorsque le V\ M\  ouvre les travaux en invoquant le G\ A\ D\ L\ U\  tout en tenant en main gauche l’épée flamboyante, symbole de l’autorité spirituelle, qui nous relie à l’universel, cela ne laisse aucun doute sur la nature spiritualiste de notre engagement. Le lien à l’ordre cosmique, à l’universel est réalisé et le V\M\ placé sous le delta lumineux représente  l’autorité spirituelle. Ainsi il va répandre la lumière de l’orient à l’occident en passant par les colonnes du midi et du septentrion. Mais pour recevoir cette lumière il faut nous détacher de notre corps. L’ascèse initiatique passe par sa maîtrise. Pour s’ouvrir à la spiritualité l’esprit doit prendre le pas sur la matière.

Vous voyez mes frères la spiritualité se manifeste bien déjà au premier degré mais notre esprit s’éveillant à cette nouvelle connaissance et étant encore dans la pénombre  nous ne le percevons que trop peu et nous ne savons pas jusqu’où la démarche que nous avons entreprise va nous conduire. Au second degré, nous accomplissons les cinq voyages d’instruction et nous terminons par cette acclamation : « Gloire au travail ! » Pourquoi terminer par ces mots ? Peut-être pour commencer à réfléchir sur le contenu de tout ce qui vient de nous être transmis, ce qui vient de nous être confié. Au début de la cérémonie d’élévation on est parti d’une émotion d’une sensation qui traduit toujours cette même volonté qu’à le rite de nous éprouver pour se poser des questions. On part donc d’une émotion et on finit vers l’étoile, vers l’universel. On a déjà un peu grandit et avec ce que l’on a entre les mains on va pourvoir  se peaufiner mais aussi commencer à ne plus s’occuper que de notre petite personne. D’accord pour les cinq sens, mais pourquoi on vient nous parler maintenant de l’arithmétique, la géométrie, les divers ordre d’architecture, les grands initiés. Compagnon, continue à travailler sur toi-même mais ouvre les yeux sur le monde pour poursuivre ta route. 

Mais on a tellement ouvert les yeux et pris conscience de l’étendue de la connaissance qu’elle nous parait inaccessible. Conscient de notre insuffisance on se demande si un jour nous la posséderons cette connaissance. On a déjà tant travaillé qu’on la  mériterait. Alors plutôt que de chercher à l’acquérir à force de labeur, celui qui sait devrait nous la transmettre eu égard au travail déjà fourni. Cette envie malsaine va pousser trois compagnons à commettre un crime abominable. Maître Hiram est porteur de cette connaissance tant enviée,il connaît le mot des maîtres, il est le porteur de l’universel. Les trois compagnons persistent dans l’erreur et ignorent la grandeur de maître Hiram. Ils tournent donc le dos sans le savoir à cette connaissance et en tuant l’architecte ils refusent de connaître ce qui va tendre vers l’universel. Pour eux, inutile de s’abîmer les mains et se creuser la tête, en obtenant le mot des maîtres plusieurs étapes laborieuses seront ainsi franchies comme par magie.

Le compagnon qui frappe à la porte du temple pour demander l’autorisation de rentrer dans la chambre du milieu et ainsi de poursuivre sa quête est bien loin de se douter de ce qu’il va vivre. Au 3ème degré en plus des éléments symboliques surgit la légende d’Hiram. Il entre dans un espace initiatique car les loges d’apprentis et de compagnons sont crées. D’où l’importance de monter rituellement au 3ème degré car celui-ci est autant initiatique que les précédents. Un enseignement va y être donné et le compagnon va être le principal acteur de ce qui va se jouer. Sur les trois petites étoiles, seule celle de la sagesse est éclairée. Les deux petites étoiles force et beauté sont éteintes et le maître n’a que la sagesse pour aller plus loin. Elle est donc une voie de  progression et signifie que l’initiation du métier cède la place à une initiation plus spirituelle.

Le compagnon souhaitant poursuivre sa quête en toute bonne foi va se retrouver en face de deux maîtres suspicieux qui le feront entrer à reculons, le forçant à contempler l’étoile flamboyante. Ce n’est pas le lieu habituel qu’il connaît et qu’a-t-il pu bien faire pour en arriver là ? Son périple ne fait que commencer, son tablier lui est enlevé, ses mains sont examinées pour voir si elles ne sont pas celles d’un assassin. Ce pauvre compagnon n’y comprend rien. Il se retourne et tout n’est que désolation. Les maîtres qu’il entrevoie font tous une tête d’enterrement. Il n’est pas loin de connaître la cause de ce macabre rassemblement. Devant lui sous un drap noir un corps est allongé. « La lumière qui nous éclairait a disparu » dit le T\ V\ M\  au compagnon. Cela devrait le sensibiliser encore plus sur la valeur, la notoriété de celui dont le corps repose. Pour être sûr de sa bonne foi, il faut  l’éprouver encore plus. Alors il va revivre la légende du grade en passant du midi à l’occident pour finir à l’orient après avoir enjambé le corps de l’architecte sans dommage. La mort ne l’a pas saisi au passage. Il a été plus fort qu’elle, il peut donc aller plus loin. Pour rendre la cérémonie encore plus réaliste à chaque station un coup lui est assené, un sur l’épaule droite, un sur l’épaule gauche et le troisième sur le front qui le contraint à s’allonger sur le sol. Recouvert du drap noir il pense : Ca y est, je suis mort ! Mais « Il est dit que la connaissance repose à l’ombre de l’acacia » dit le premier surveillant. Heureusement, la nature nous indique que pour que quelque chose puisse naître, une autre chose doit mourir.  Il en est de même dans le monde spirituel. La substitution est réalisée. « Le Maître est retrouvé, il reparaît aussi radieux que jamais ! ».

Cette magie de la transformation de l’être dont j’ai parlé précédemment, les mauvais compagnons ne la connaîtront jamais parce que cette descente dans le cœur de l’homme, ils n’en ont fait qu’une infime partie. C’est bien dommage car le travail sur soi permet de se régénérer, d’aller vers l’autre, de passer de l’immanence à la transcendance et de s’ouvrir ainsi à la spiritualité. Ce meurtre au 3ème degré démontre le conflit intérieur auquel nous sommes tous confrontés. Tout reste à faire à ce degré qui est une rupture et nous amène à nous interroger sur la connaissance. Est-ce une connaissance livresque qui va nous conduire  à la maîtrise de nous même ou est-ce par l’ascèse que nous arrivons à ce résultat ? Le scientifique ne l’est pas devenu grâce à la maçonnerie et le cuisinier n’a pas maîtrisé l’art culinaire grâce à elle non plus. Mais tous deux par l’introspection ont compris le sens de la démarche initiatique. Chacun a accompli ce cheminement nécessaire pour arriver au 3ème degré qui affirme la primauté de l’esprit sur la matière.

La cérémonie d’exaltation à la maîtrise nous fait revivre notre initiation mais ce retour s’accomplit avec plus de profondeur. Postulent on était dans un cabinet de réflexion, un caveau, une grotte. Maintenant nous sommes enfoncés plus profondément dans le sein de la terre. L’accession à la maîtrise est une confirmation de l’initiation dans le sens où il y a régénération, re-naissance. Mais l’exaltation est plus riche et plus intense. A ce degré se pose le problème de la mort. Est-elle définitive ? Personne ne le sait, seul celui qui a subi l’initiation ultime le sait mais il n’est pas pour en témoigner. Cela fait appel à la sensibilité, à la croyance de chacun. On passe peu à peu au 3ème degré au problème de l’existence de l’être. Aux degrés précédents c’est  notre propre construction qui nous  préoccupe. Maintenant vient le temps de nous interroger sur le pourquoi de notre présence, le rôle que nous avons à jouer et dans quel but ?

Toutes ces questions que l’on se pose en franc maçonnerie débouchent inévitablement sur la spiritualité. Les interrogations sont autres que celles aux quelles on aurait pu penser avant  d’entrer en franc maçonnerie. Amener  les frères à s’interroger sur leur être, la raison d’être. On ne bascule pas du jour au lendemain  de préoccupations personnelles, matérielles à une interrogation plus spirituelle. C’est la particularité de notre rite de nature spiritualiste qui va par la pratique du rituel permettre aux frères de se réaliser spirituellement. Cette réalisation, virtuelle d’abord, devient effective par un travail graduel intérieur. Ce travail s’accomplit dans la loge qui est une représentation cosmique avec le tapis de loge et la voûte étoilée. Le maître perçoit d’abord ce qu’il découvre et ensuite il se doit d’interpréter et d’en tirer quelque chose, un enseignement nécessaire à sa construction intérieure. Possédant les mots substitués il a la capacité à transmettre par la parole, les écrits et les actes. Il imagine, conçoit, transmet. Il ne peut plus revenir en arrière et il doit se comporter « en homme juste, fidèle au devoir jusqu’à la mort » comme Hiram l’a fait. Ainsi tout en étant conscient de la limite de sa connaissance il va pouvoir avec ses frères assurer la pérennité de l’œuvre.

Le maître n’est pas opératif dans le sens de la pure tradition du métier et non plus spirituel dans le sens de gourou ou du prêcheur religieux. Ce n’est pas un athée stupide ni un libertin irréligieux mais le rite en a fait un homme dont les idéaux sont communs avec tous les autres francs maçons. Au cours de  cette cérémonie il a exprimé sa foi de F\ M\  comme le lui a demandé le T\ V\ M\. Ni foi religieuse ou mystique. Simplement une croyance en ce qu’il accomplit depuis son initiation première. Il a fait son temps sur les colonnes du septentrion et du midi et  c’est par la fusion d’une réflexion sur son être et la pratique du rituel qu’il s’ouvre à la spiritualité. Bien loin des certitudes, le maître doute en permanence,  pense, devient de plus en plus responsable mais conscient de son incomplétude il poursuit son cheminement, garde proche de lui les outils qui ont contribué à son évolution mais doit travailler sur un autre plan. Il doit se dépouiller encore une fois, se dépasser, se nourrir de l’égrégore qui renaît à chaque tenue et qui lui laisse l’opportunité, s’il le désire profondément, de passer de l’immanence à la transcendance pour pénétrer dans un domaine inconnu jusqu’alors, celui de la spiritualité.

J’ai dit T\ V\ M\

S\ A\


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