GLSA Loge : Fidélité et Prudence - Orient de Genéve - Suisse 2000


Justice et Equité
 Thème d'étude

 

Introduction 

La Justice est définie comme une juste appréciation, une reconnaissance et un respect des droits et du mérite de chacun. L'Equité est définie comme une " justice naturelle " dans l'appréciation de ce qui est dû à chacun, comme une vertu qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste et de l'injuste. Il y a plusieurs définitions et sortes de justice; l'expérience dans la vie profane et la tradition dans la vie maçonnique nous ont démontré, depuis fort longtemps, la manière et le comportement à adopter selon les domaines qu'elle se propose de régler.

Les justices

La justice commutative règle les rapports entre les individus, ceux des droits particuliers des personnes, en dehors de leurs répercussions sur le bien commun. Il s'agit de droits portant sur les biens privés de la personne (contrats, dettes, successions, etc.). La règle principale de cette justice est la réciprocité et l'échange mesurés uniquement par l'objet en question. Aussi, l'égalité à faire respecter par cette justice doit refléter l'égalité foncière de personnes et ne se mesurer que par l'objet ou la prestation extérieure qui a donné naissance à ce droit. Elle doit être une égalité quantitative pouvant être évaluée financièrement (dommages, juste de prix, etc.).

La justice distributive considère la personne, non plus dans son égalité avec les autres, mais comme membre d'un groupe social. Cette justice essaie de faire respecter le bien qui unit une personne, non pas à une autre personne physique, mais avec le groupe social lui-même, que ce soit une commune, une entreprise, un groupe politique ou une nation. Il s'agit ici de donner aux membres de la collectivité ce qu'elle est en droit d'attendre du bien commun qui est principalement fait pour aider les membres de cette société. Il ne s'agit plus alors d'un échange, mais d'une distribution, en fonction non pas de l'apport des individus mais de leurs besoins réels (est-ce de l'équité?).

L'exemple le plus connu est celui de l'assurance maladie dont les prestations ne sont fournies en proportion des cotisations. Cette justice distributive prouve l'existence d'une solidarité entre humains et se mesure en besoins, c'est-à-dire en fonction des conditions des personnes comme membres du corps social, de leur responsabilité, de leurs devoirs et également en fonction de leur qualité de cœur et de leur générosité. Il s'agit alors d'une égalité non mathématique mais proportionnelle entre les nantis et ceux qui le sont moins. Son appréciation reste délicate à établir. Elle doit respecter l'égalité de personnes et répondre à des critères particuliers en veillant à servir le corps social et la solidarité à l'égard de tous ses membres.

Justice et équité en maçonnerie ?

Peut-on parler de justice et d'équité en Maçonnerie ? Le niveau et le fil à plomb déploient un effet évocateur dans la mesure où par excellence le fil à plomb synthétise la dimension verticale et permet de rapprocher l'imparfait de la perfection. Le niveau, plus modestement, enseigne l'égalité entre les maçons dans le respect de leurs qualités et de leur diversité.

Dans ce sens. l'on pourrait appeler l'équité, la dimension horizontale entre les maçons, attribut de l'image de la perfection, du respect et de l'harmonie. L'harmonie est la preuve de l'équité dans la justice, mais aussi dans le ressenti de l'autre, donc le maçon tend à devenir juste et équitable au travers de son harmonie et de l'exercice de la tolérance.
La justice est-elle un sentiment égoïste ou altruiste ? La justice n'est-elle qu'un sentiment ? A travers cette vision s'établit la suprématie, de l'idéal sur le concret, des idées sur la matière, de la perfection sur l'imparfait. Sans doute est-il difficile pour l'homme d'aujourd'hui, tout entier tourné vers l'exploration de la matière et de l'emprise extraordinaire qu'il a acquise sur elle, d'imaginer qu'il puisse exister une autre réalité !

Pourtant, il s'agit bien du sens et même du seul sens possible d'une Maçonnerie qui ne soit pas réduite au rôle d'une association stimulante pour la réflexion et généreuse à travers son activité caritative.

En maçonnerie, la recherche de la vérité est une démarche permanente, une recherche qui tire son origine du monde profane et qui se déploie dans le monde initiatique en se développant et en se perfectionnant.

La Fraternité en loge repose sur une justice sans jugement, dépourvue de volonté de surpasser autrui, fraternité mise au service de Frères travaillant à une oeuvre commune. Les symboles découverts à l'occasion du passage du ler grade renvoient aux symboles du Soleil et de la Lune, appel à la tolérance et aux convictions que chaque Maçon vit en conscience et en actes. Acquérir une conscience vive de la justice renforce l'idée d'un travail personnel sur la justice, harmonie de l'être, équilibre entre ses dons personnels et son désir de les proposer comme pierres données à la construction du Temple. Cette construction peut s'identifier à une école de la vie, à une école du devenir; de la vérité de chaque Frère qui accepte de poursuivre son ouvrage par la pensée, par la réflexion et par le travail comme une mission personnelle s'inscrit une amélioration dans ce qu'il vit dans le monde visible et invisible.

Une école initiatique

Reconnaître que la Maçonnerie propose une voie initiatique dans laquelle chaque Frère peut choisir d'évoluer librement rejoint la question du sens de la vie que chacun se donne à soi-même. Hors mode, hors credo, hors dogme, la Franc-Maçonnerie donne une orientation aux générosités, aux aspirations des Frères, aux espérances qui dépassent en l'homme, ses limites et ses insuffisances. Cette dimension traverse le temps et les générations; cette recherche porte en elle-même le sens de l'équité et la promesse d'une justice, exprimée dans le sens d'une acceptation du libre-arbitre individuel.

Quelle justice pratiquons-nous à l'égard des Apprentis, des Compagnons, des travaux que nous leur demandons et des appréciations que nous leur réservons ? L'aspect communautaire de la Loge donne l'occasion de mettre en évidence ce que chacun porte en lui et qu'il peut donner à ses Frères. Le respect de règles personnelles importe davantage que le souci de suivre les lois d'un droit en décalage avec la société profane, lois souvent imposées comme un dogme. Ce pouvoir personnel sur ma propre orientation fait naître un sentiment individuel de justice toujours en écho et en coopération avec mes Frères. Cette nouvelle justice tient compte des intuitions et des émotions que parvient à ressentir et que se permet de vivre, chaque Frère.

La nouvelle alliance

L'univers des symboles instruit ce nouveau comportement, inspire une nouvelle conduite, génère de nouvelles habitudes et demande une acceptation "juste" pour une existence guidée par ce renouvellement et les forces qu'il procure. Ces forces intègrent le pardon, la reconnaissance du doute, l'ouverture à la parole de l'autre, la puissance d'un amour, la soif d'un absolu. Ce dépassement de soi-même crée la nouvelle alliance, ce perfectionnement de soi-même suscite I'espérance, le rituel initiatique porte une lumière comme la force d'un idéal. Dans la vie profane l'usage représente la justice semblable à une femme aux yeux bandés tenant en ses mains un glaive et une balance. On peut comprendre par ce symbole que la justice ne doit pas tout voir. Il y a des aspects de son oeuvre qui ne peuvent être accomplis que si elle reconnaît la différence entre les humains, de manière à pouvoir appliquer une stricte égalité.

La justice idéale imaginée par les hommes ne tient pas compte de leur religion ni de leur couleur de peau ni du degré de sympathie que leur visage peut inspirer, elle appliquera la même règle à chacun. Pour les juristes, l'équité apparaît simplement comme un correctif de l'application rigoureuse de la loi. Les juristes sont tellement conscients de l'imperfection de leur système qu'ils admettent que l'application stricte de la loi peut conduire à des situations aberrantes.

Justinien écrivait déjà: summum jus summa injuria.

Ce rapprochement entre le comble de la loi et le comble de l'injustice tel que l'exprime cet adage, en un saisissant raccourci, montre à lui seul l'imperfection évidente du système. Dans ces situations, le juge est autorisé par le Code civil suisse à corriger l'imperfection de la loi, dans des circonstances particulières; c'est ce que les juristes appellent l'équité. L'équité serait ainsi une valeur supérieure à celle de la justice, elle-même confondue avec l'application de la loi. Dans l'usage courant, le sentiment contraire prévaut. Dire d'un arrangement qu'il est équitable, revient à dire qu'il n'est pas parfait, qu'il n'est pas vraiment l'image de la justice idéale, mais que l'on peut s'en accommoder. L'équité est donc à placer à un rang inférieur à celle de la justice, notion qui est tellement ancrée dans le coeur des hommes qu'elle est nécessairement associée à l'idée de perfection.

Le Grand Architecte de l'Univers

Dans le rituel de Fidélité et Prudence, à l'entrée du Temple, lorsque le bandeau tombe des yeux du maçon, il voit immédiatement le mot JUSTICE écrit en lettres de feu à l'Orient. Il s'agit d'un emprunt remarquable au rite rectifié. La vision idéale de la Maçonnerie implique un retour à la théorie des idées de Platon. A travers cette vision s'établit la suprématie de l'idéal sur le concret, des idées sur la matière, de la perfection sur l'imparfait. Sans doute est-il moins simple pour l'homme contemporain entièrement tourné vers l'exploration de la matière et l'emprise extraordinaire qu'il a acquise sur elle, d'imaginer qu'il puisse exister une autre réalité.

Le Grand Architecte de l'Univers conçoit un plan et les maçons, ses humbles collaborateurs, essayent de le réaliser. Ils le font en taillant leur pierre, pierre destinée à occuper une place dans l'édifice. L'ogive et le contrefort de la cathédrale gothique livrent à cet égard le meilleur enseignement. Chaque pierre est indispensable, l'absence de l'une d'elles et tout l'édifice s'écroule. A cet égard, les pierres sont strictement égales entre elles. Elles sont cependant toutes différentes, par la taille et par la position qu'elles occupent, de sorte que chacune "oeuvre" à la stabilité de l'édifice, quelle que soit la poussée qu'elles subissent ou l'effort qu'elles accomplissent.

Néanmoins toutes sont Indispensables. L'édifice ne se conçoit que par la suprématie d'une vision idéale, qui assigne à chaque pierre un rôle défini, unique, en parfaite harmonie avec l'ensemble des autres pierres. L'enseignement de Platon au Sixième livre de la République rappelle que la Justice est l'ordre parfait dans lequel chaque chose est à sa place. Cette démonstration fait référence à l'âme humaine, qu'il divise en trois parties: l'esprit, faculté cognitive et intellectuelle, le courage ou capacité d'affronter les épreuves, et enfin le désir, soit ce qui motive et met en oeuvre l'ensemble de le personnalité. Il n'atteindra sa propre perfection que grâce à un équilibre entre ces trois facultés, aucune ne devant empiéter sur les autres. Ce philosophe poursuit son analyse par une comparaison; observant la cité comme une entité politique, en rapport analogique avec l'âme humaine puisque la cité est aussi composée de trois unités: les sages, qui devraient la diriger, les guerriers, qui devraient la protéger, et les travailleurs, qui doivent la faire prospérer.

Ici, comme dans d'autres parties de son oeuvre, Platon puise dans les vieux textes coptes indoeuropéens, la fameuse répartition tri fonctionnelle des rôles mise en lumière par Georges Dumézil. Or il est intéressant de constater que cette idéologie tripartite est encore présente dans non temples. Si l'on veut bien se souvenir du rôle que joue Eros dans la vision de Platon et dans la Grèce antique, l'objet aimé est une image qui nous renvoie à la perfection et à ce qui le rend désirable. Comparer cette explication aux trois facultés de l'âme ou à la tri partition de la Cité, vous obtiendrez la Sagesse, la Force et la Beauté. La Sagesse attire l'esprit de l'homme comme la réflexion de ceux qui devraient gouverner la Cité; la Force renforce le courage de l'individu comme l'effort des guerriers; la Beauté provoque le désir de l'homme; la Production suscite l'activité des travailleurs dans la Cité.

L'harmonie et la justice

L'harmonie caractérise le but à atteindre. On sortirait sans doute du sujet en recherchant l'origine pythagoricienne de la notion d'harmonie et le corollaire musical de l'édifice. On imagine aisément, les maçons "opératifs" complétant la cathédrale de pierres par une cathédrale de notes. Retenons simplement la notion d'Harmonie comme indissolublement liée à la notion de Justice. En nous référant, une fois encore à la voûte et au contrefort de l'architecture gothique, nous pouvons définir la Justice comme l'image de la vraie science. Nul ne pourra jamais dire jusqu'où s'étendait la science des maçons "opératifs". Étaient-ils des experts dans le domaine de la géométrie, science par excellence, qui leur permettait de comprendre la terre et le Temple ?

Nous ignorons s'ils avaient connaissance des mesures la de force pour déterminer la poussée que chaque pierre devait supporter; nous ne savons, non plus, s'ils avaient un moyen de calculer l'importance du contrefort qui devait contenir cette poussée. Cependant les cathédrales sont là, qui témoignent de la perfection de leur savoir. Ce témoignage vaut aussi pour les modestes outils qu'ils employaient. Aujourd'hui encore, ils sont utilisés de manière symbolique par les Maçons spéculatifs. 

L'actualité du travail maçonnique

La philosophie maçonnique invite chaque Frère à rechercher l'harmonie à partir d'une quête personnelle, la Maçonnerie montrant la voie d'une justice équitable. Pour chaque Frère, le cheminement sera différent, personnel et souvent en fonction d'une motivation à trouver destinée à guider son élévation spirituelle. Dans le domaine de l'équité le travail de chaque Frère demande du courage, de la persévérance et de la tolérance. Cette recherche ressemble à un cheminement actif, à une initiation volontaire, à un désir en soi et autour de soi d'harmonie universelle. Rechercher sa vérité se résume bien souvent à l'accomplissement d'un désir profond visant à découvrir les intentions de G.A.D.L.U. accessible aux vérités profondes de chacun. Le Temple de Salomon, la construction du Temple maçonnique symbolisent cette volonté de trouver dans la Fraternité les instruments du bon, du vrai et du juste nécessaires, à la pensée généreuse contribuant à donner à l'homme sa dignité et sa responsabilité.

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