Liberté
et Autorité
L'autorité est-elle
l'ennemi de la liberté ?
Franc-maçon, je le suis, ou je m'efforce de l'être
24 heures sur 24. Il en est de même en ce qui concerne ma
qualité d'anarchiste. Je suis, pour reprendre les termes de
Fernand Pelloutier « un ennemi
irréconciliable de tout despotisme, moral ou
matériel, individuel ou collectif, c'est-à-dire
des lois et des dictatures (y compris celle du prolétariat),
un amant passionne de la culture de soi-même.
»
N'ayez crainte mes frères, ce bref préliminaire
n'a d'autre but que d'éclairer mes propos, il ne s'agit en
aucun cas pour moi de faire ouvre de prosélytisme.
Je vais traiter des rapports entre l'autorité et la
liberté tout d'abord dans notre
société, dans le monde profane, puis au sein de
la loge maçonnique.
Il est bien difficile de définir la nature humaine, il me
semble même que son existence ne soit pas forcement une
évidence. Admettons donc, le temps de cette planche, la
réalité de cette nature
humaine, j'identifierai alors, à l'instar de La
Boétie, la liberté et la raison comme
étant ses deux caractéristiques essentielles.
Autre grande question métaphysique : « Existe-t-il
un sens à la vie ? ».
Cette question ainsi formulée postule l'existence d'un
principe universel et transcendant (qui pourrait aussi bien
être Dieu, le progrès ou encore le sens de
l'histoire). Pour les croyants de toute obédience, j'y
inclus par exemple les marxistes, la réponse va de soi.
Comme il est loin d'en être de même en ce qui me
concerne, que je me méfie de l'esprit grégaire et
que j'aime à me présenter comme individualiste
athée, permettez-moi, mes frères, de me demander
simplement : « Existe-t-il un sens à ma
vie ? »
La réponse est naturellement positive, sinon à
quoi bon vivre ? Ma vie est mon Grand Oeuvre, ma pierre philosophale
n'est autre que le plein épanouissement de mon
individualité. Je donne un sens à ma vie. Il
existe différentes dimensions à cette
quête : intellectuelle (l'étude.), affective (ma
famille, mes frères, mes amis.), spirituelle (la loge,
l'art), sociale (mon métier, le militantisme.) etc. Cette
culture de soi-même ne peut s'effectuer que dans la plus
totale liberté.
L'autorité est, à l'origine, un concept
théologique. Il suppose que l'homme ne peut
accéder à l'autonomie. En effet, si l'homme est
une créature, si la divine providence n'est pas
née dans l'esprit des hommes effrayés de leur
liberté et donc de leur responsabilité, l'homme
ne peut pas être libre. On imagine aisément et on
constate historiquement comment une telle conception de l'homme peut
justifier tous les pouvoirs temporels, cléricaux ou
laïques, notamment l'Eglise et l'Etat.
L'autorité est fondée sur un
rapport de force mais seul un discours faisant
référence à une transcendance (la
monarchie de droit divin, le droit positif.) peut la
légitimer et assurer sa pérennité. Ce
n'est que lorsque je me considère comme ma propre
créature, que je suis à même
d'être libre et de trouver, en moi-même,
l'autorité à la base de mes actes, «
l'unique » de Stirner.
Devons nous en conclure que l'homme libre est un homme seul ? Il me
semble qu'il n'en est rien. Nous avons postule avec La
Boétie que tout autant que la liberté, la raison
est constitutive de la nature humaine. Cette raison, notre
intérêt bien compris nous pousse a nous associer.
Les hommes sont différents, aucun individu ne
possède tous les talents. C'est la raison pour laquelle j'ai
besoin d'autrui pour satisfaire mon égoïsme. Pour
mon épanouissement, je dois recevoir et donner de l'amour,
j'ai également soif de connaissances entres autres
nécessités. La raison me pousse donc à
la solidarité et à l'échange avec mon
alter ego mais comme le souligne La Boétie dans son
remarquable « Discours de la servitude volontaire »
: « ne peut tomber en l'entendement de personne
que nature ait mit aucun en servitude, nous ayant tous mis en compagnie
».
S'il est incontestablement de
l'intérêt de chacun de s'associer librement dans
une relation d'égalité selon le bon vieux
précepte qui dit que « l'union fait la
force », comment se fait-il que nous acceptions de
nous laisser gouverner, acceptation allant même
jusqu'à « choisir » ceux d'entre nous
qui auront l'insigne honneur de décider à notre
place, de nous « représenter » ?
Sans doute la force de l'habitude y est-elle pour quelque chose, ainsi
que l'ignorance. Celui qui est ne dans les
ténèbres désire-t-il la
lumière ? En soupçonne-t-il seulement l'existence
? La paresse et la lâcheté sont deux auxiliaires
du tyran particulièrement efficaces.
C'est par le travail, par une action collective que l'homme parvient
à se libérer des contraintes de la
nature et ainsi accède à une certaine
liberté qui lui permet de se réaliser en tant
qu'être humain et qu'individu. Mais ce projet ne
peut se réaliser pleinement que dans le cadre d'une
société libérée de toute
forme d'oppression, dans une société sans classe.
« Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les
êtres humains qui m'entourent, hommes et femmes, sont
également libres. »
écrivait notre frère Bakounine. Cette association
des égoïstes, pour reprendre l'expression de Max
Stirner, a pour but de mettre en commun nos talents pour les optimiser,
elle ne nie en rien notre autonomie car il nous est toujours possible
de rompre cette association lorsqu'elle ne sert plus nous
intérêts. C'est cette conception de l'ordre que
j'oppose au gouvernement des hommes, « l'entre aide
» chère à Kropotkine pour une meilleure
et plus juste administration des choses qui permettra
peut-être un jour l'avènement d'une
société harmonieuse
débarrassée du désordre
inhérent à la loi du plus fort. Sachons
méditer cette phrase de notre frère
Elisée Reclus : « L'anarchie est la
plus haute expression de l'ordre ».
Il n'est pas rare de rencontrer des frères peu au fait de la
philosophie libertaire, qui s'étonnent
sincèrement et fraternellement, de rencontrer des
frères anarchistes. Je vous épargnerai la longue
litanie des anarchistes illustres ayant appartenu à la
franc-maçonnerie car c'est la une réponse un peu
facile. Rassurez-vous, mes frères, certains anarchistes, ou
prétendus tels, au nom d'une conception des plus simplistes
de la lutte des classes, parfaitement ignare de ce que peut
être la réalité de notre ordre, se
montrent parfois intolérants vis a vis de leurs camarades
francs-maçons.
Et pourtant, quels sont les buts de la franc-maçonnerie ?
Pour aller vite, je dirai, de mon point de vue qu'il s'agit
essentiellement d’œuvrer au perfectionnement de
l'individu par une connaissance intime de soi. Quel individualiste ne
souscrirait pas a un tel objectif ?
En second lieu, j'évoquerai la compréhension des
lois du cosmos, des lois naturelles (et peu importe qu'on y voit ou non
une intervention divine, ces lois sont universelles.) C'est en ayant
une connaissance aussi claire et précise que possible de ces
lois naturelles, que l'homme s'y conformera ou les maîtrisera
pour réaliser son projet d'émancipation tant
individuelle que collective. Le rituel est une traduction en actes de
ces lois universelles, plus particulièrement des cycles
naturels. En observant strictement cet ordre, le franc-maçon
n'aliène pas sa liberté, au contraire, s'il
comprend le sens cache derrière le geste et la parole, il
deviendra un être plus autonome. Cette nouvelle conscience
lui permettra d'agir au lieu de subir.
Accéder à la connaissance est le
premier pas vers la liberté, c'est également le
premier acte de révolte, c'est en tout cas ce que nous
enseigne la bible avec le mythe d'Adam et Eve ou la mythologie avec le
récit prométhéen. A ce sujet, je ne
résiste pas au plaisir (ce n'est pas mon habitude !)
de livrer à votre réflexion ce court
passage d'une récente intervention de notre frère
Raymond Carpentier sur les ondes de « France
culture » : « Le projet
maçonnique, c'est l’œuvre
prométhéenne. C'est le projet
fondamental de celui qui cesse de courber la tête devant les
forces qui, cherchent à l'écraser, et qui
entreprend de les mettre à son service.
Prométhée, l'homme qui a
volé le feu aux dieux pour se chauffer, cuire ses aliments
et éloigner les prédateurs.
Prométhée qui a été puni
par les dieux, puni parce qu'il a voulu conquérir sa
liberté par ses propres forces, par sa technique, par son
génie, son savoir, son énergie. Pêche
que les religions n'ont jamais pardonne aux maçons :
chercher la vérité par le travail en loge,
l'échange des expériences, des idées,
des critiques et non pas la soumission a quelque
révélation venue de
l'extérieur. On pourrait dire que le maçon, c'est
l'insoumis : celui qui ne courbe pas la nuque. »
Comment un ennemi de l'autorité, un libertaire, un
individualiste peut-il accepter l'autorité qui
règne dans la loge ? Le paradoxe, comme bien souvent, n'est
qu'apparent. Il convient de caractériser
précisément ce que l'on entend par
autorité au sein d'une loge maçonnique. Ce
principe se manifeste de deux façons ; la
hiérarchie des grades et le collège des officiers.
Peut-on vraiment parler de l'autorité des maîtres
sur les apprentis et les compagnons ? Au sens d'une autorité
morale que confère l'expérience,
peut-être, mais c'est la une autorité qui ne donne
que peu de droits et de pouvoir au regard des obligations qui y sont
attachées. Le maître se doit d'être un
exemple, une aide, une lumière pour éclairer le
cheminement des apprentis et des compagnons afin qu'ils parviennent a
leur tour à la maîtrise. On perçoit
aisément la différence avec le monde profane ou
celui qui détient la connaissance et le pouvoir, peu enclin
à partager son autorité, met tout en
oeuvre afin de maintenir le peuple dans les
ténèbres.
Rappelons, enfin ce qui est une évidence en
maçonnerie, seuls les progrès sur la voie
initiatique permettent d'avancer dans la hiérarchie des
grades, la richesse, la classe sociale, l'âge profane ne sont
d'aucune utilité.
Pour ce qui est des officiers de la loge, penser un instant que leur
autorité puisse aliéner ma liberté,
c'est oublier que chaque office est appelé
« charge ». Le terme est assez explicite. Etre
officier, c'est avant tout être au service de la loge, donc
des frères. C'est surtout des responsabilités et
du travail. Il s'agit, pour le collège des officiers, de
faire vivre harmonieusement la loge afin que chacun en retire profit et
joie. Chaque officier doit rendre compte de son travail en chambre du
milieu qui vote chaque année. Point de
vénérable à vie en
maçonnerie ! La libre association d'hommes libres
régie par des officiers soumis à un mandat
impératif des frères, révocables
chaque année, ne serait-ce pas là l'association
des égoïstes dont rêve tout anarchiste ?
En conclusion, permettez-moi, mes frères,
d'affirmer que dans la société profane
l'autorité est et a toujours été
l'ennemi de la liberté. Gémissons.
Gémissons mais espérons car il est un ordre
initiatique, le nôtre, ou l'autorité du rituel ou
du maître, autorité librement acceptée
et largement partagée, a pour but essentiel
l'épanouissement dans la liberté de chacun de ses
membres. Il se trouve que la franc-maçonnerie ouvre au
perfectionnement de l'humanité, espérons.
Un maçon libre dans une loge libre.
J'ai dit.
C\ B\
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