Obédience : NC Loge : NC Février 1999


Liberté et Autorité

L'autorité est-elle l'ennemi de la liberté ?

Franc-maçon, je le suis, ou je m'efforce de l'être 24 heures sur 24. Il en est de même en ce qui concerne ma qualité d'anarchiste. Je suis, pour reprendre les termes de Fernand Pelloutier « un ennemi irréconciliable de tout despotisme, moral ou matériel, individuel ou collectif, c'est-à-dire des lois et des dictatures (y compris celle du prolétariat), un amant passionne de la culture de soi-même. »

N'ayez crainte mes frères, ce bref préliminaire n'a d'autre but que d'éclairer mes propos, il ne s'agit en aucun cas pour moi de faire ouvre de prosélytisme.

Je vais traiter des rapports entre l'autorité et la liberté tout d'abord dans notre société, dans le monde profane, puis au sein de la loge maçonnique.

Il est bien difficile de définir la nature humaine, il me semble même que son existence ne soit pas forcement une évidence. Admettons donc, le temps de cette planche, la réalité de cette nature humaine, j'identifierai alors, à l'instar de La Boétie, la liberté et la raison comme étant ses deux caractéristiques essentielles.

Autre grande question métaphysique : « Existe-t-il un sens à la vie ? ».
Cette question ainsi formulée postule l'existence d'un principe universel et transcendant (qui pourrait aussi bien être Dieu, le progrès ou encore le sens de l'histoire). Pour les croyants de toute obédience, j'y inclus par exemple les marxistes, la réponse va de soi. Comme il est loin d'en être de même en ce qui me concerne, que je me méfie de l'esprit grégaire et que j'aime à me présenter comme individualiste athée, permettez-moi, mes frères, de me demander simplement : « Existe-t-il un sens à ma vie ? »

La réponse est naturellement positive, sinon à quoi bon vivre ? Ma vie est mon Grand Oeuvre, ma pierre philosophale n'est autre que le plein épanouissement de mon individualité. Je donne un sens à ma vie. Il existe différentes dimensions à cette quête : intellectuelle (l'étude.), affective (ma famille, mes frères, mes amis.), spirituelle (la loge, l'art), sociale (mon métier, le militantisme.) etc. Cette culture de soi-même ne peut s'effectuer que dans la plus totale liberté.

L'autorité est, à l'origine, un concept théologique. Il suppose que l'homme ne peut accéder à l'autonomie. En effet, si l'homme est une créature, si la divine providence n'est pas née dans l'esprit des hommes effrayés de leur liberté et donc de leur responsabilité, l'homme ne peut pas être libre. On imagine aisément et on constate historiquement comment une telle conception de l'homme peut justifier tous les pouvoirs temporels, cléricaux ou laïques, notamment l'Eglise et l'Etat.

L'autorité est fondée sur un rapport de force mais seul un discours faisant référence à une transcendance (la monarchie de droit divin, le droit positif.) peut la légitimer et assurer sa pérennité. Ce n'est que lorsque je me considère comme ma propre créature, que je suis à même d'être libre et de trouver, en moi-même, l'autorité à la base de mes actes, « l'unique » de Stirner.

Devons nous en conclure que l'homme libre est un homme seul ? Il me semble qu'il n'en est rien. Nous avons postule avec La Boétie que tout autant que la liberté, la raison est constitutive de la nature humaine. Cette raison, notre intérêt bien compris nous pousse a nous associer. Les hommes sont différents, aucun individu ne possède tous les talents. C'est la raison pour laquelle j'ai besoin d'autrui pour satisfaire mon égoïsme. Pour mon épanouissement, je dois recevoir et donner de l'amour, j'ai également soif de connaissances entres autres nécessités. La raison me pousse donc à la solidarité et à l'échange avec mon alter ego mais comme le souligne La Boétie dans son remarquable « Discours de la servitude volontaire » : « ne peut tomber en l'entendement de personne que nature ait mit aucun en servitude, nous ayant tous mis en compagnie ».

S'il est incontestablement de l'intérêt de chacun de s'associer librement dans une relation d'égalité selon le bon vieux précepte qui dit que « l'union fait la force », comment se fait-il que nous acceptions de nous laisser gouverner, acceptation allant même jusqu'à « choisir » ceux d'entre nous qui auront l'insigne honneur de décider à notre place, de nous « représenter » ?
Sans doute la force de l'habitude y est-elle pour quelque chose, ainsi que l'ignorance. Celui qui est ne dans les ténèbres désire-t-il la lumière ? En soupçonne-t-il seulement l'existence ? La paresse et la lâcheté sont deux auxiliaires du tyran particulièrement efficaces.

C'est par le travail, par une action collective que l'homme parvient à se libérer des contraintes de la nature et ainsi accède à une certaine liberté qui lui permet de se réaliser en tant qu'être humain et qu'individu.  Mais ce projet ne peut se réaliser pleinement que dans le cadre d'une société libérée de toute forme d'oppression, dans une société sans classe. « Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m'entourent, hommes et femmes, sont également libres. » écrivait notre frère Bakounine. Cette association des égoïstes, pour reprendre l'expression de Max Stirner, a pour but de mettre en commun nos talents pour les optimiser, elle ne nie en rien notre autonomie car il nous est toujours possible de rompre cette association lorsqu'elle ne sert plus nous intérêts. C'est cette conception de l'ordre que j'oppose au gouvernement des hommes, « l'entre aide » chère à Kropotkine pour une meilleure et plus juste administration des choses qui permettra peut-être un jour l'avènement d'une société harmonieuse débarrassée du désordre inhérent à la loi du plus fort. Sachons méditer cette phrase de notre frère Elisée Reclus : « L'anarchie est la plus haute expression de l'ordre ».

Il n'est pas rare de rencontrer des frères peu au fait de la philosophie libertaire, qui s'étonnent sincèrement et fraternellement, de rencontrer des frères anarchistes. Je vous épargnerai la longue litanie des anarchistes illustres ayant appartenu à la franc-maçonnerie car c'est la une réponse un peu facile. Rassurez-vous, mes frères, certains anarchistes, ou prétendus tels, au nom d'une conception des plus simplistes de la lutte des classes, parfaitement ignare de ce que peut être la réalité de notre ordre, se montrent parfois intolérants vis a vis de leurs camarades francs-maçons.

Et pourtant, quels sont les buts de la franc-maçonnerie ?

Pour aller vite, je dirai, de mon point de vue qu'il s'agit essentiellement d’œuvrer au perfectionnement de l'individu par une connaissance intime de soi. Quel individualiste ne souscrirait pas a un tel objectif ?

En second lieu, j'évoquerai la compréhension des lois du cosmos, des lois naturelles (et peu importe qu'on y voit ou non une intervention divine, ces lois sont universelles.) C'est en ayant une connaissance aussi claire et précise que possible de ces lois naturelles, que l'homme s'y conformera ou les maîtrisera pour réaliser son projet d'émancipation tant individuelle que collective. Le rituel est une traduction en actes de ces lois universelles, plus particulièrement des cycles naturels. En observant strictement cet ordre, le franc-maçon n'aliène pas sa liberté, au contraire, s'il comprend le sens cache derrière le geste et la parole, il deviendra un être plus autonome. Cette nouvelle conscience lui permettra d'agir au lieu de subir.

Accéder à la connaissance est le premier pas vers la liberté, c'est également le premier acte de révolte, c'est en tout cas ce que nous enseigne la bible avec le mythe d'Adam et Eve ou la mythologie avec le récit prométhéen. A ce sujet, je ne résiste pas au plaisir (ce n'est pas mon habitude !) de  livrer à votre réflexion ce court passage d'une récente intervention de notre frère Raymond Carpentier sur les ondes de « France culture » : « Le projet maçonnique, c'est l’œuvre prométhéenne. C'est le projet fondamental de celui qui cesse de courber la tête devant les forces qui, cherchent à l'écraser, et qui entreprend de les mettre à son service.
Prométhée, l'homme qui a volé le feu aux dieux pour se chauffer, cuire ses aliments et éloigner les prédateurs. Prométhée qui a été puni par les dieux, puni parce qu'il a voulu conquérir sa liberté par ses propres forces, par sa technique, par son génie, son savoir, son énergie. Pêche que les religions n'ont jamais pardonne aux maçons : chercher la vérité par le travail en loge, l'échange des expériences, des idées, des critiques et non pas la soumission a quelque révélation  venue de l'extérieur. On pourrait dire que le maçon, c'est l'insoumis : celui qui ne courbe pas la nuque. »

Comment un ennemi de l'autorité, un libertaire, un individualiste peut-il accepter l'autorité qui règne dans la loge ? Le paradoxe, comme bien souvent, n'est qu'apparent. Il convient de caractériser précisément ce que l'on entend par autorité au sein d'une loge maçonnique. Ce principe se manifeste de deux façons ; la hiérarchie des grades et le collège des officiers.

Peut-on vraiment parler de l'autorité des maîtres sur les apprentis et les compagnons ? Au sens d'une autorité morale que confère l'expérience, peut-être, mais c'est la une autorité qui ne donne que peu de droits et de pouvoir au regard des obligations qui y sont attachées. Le maître se doit d'être un exemple, une aide, une lumière pour éclairer le cheminement des apprentis et des compagnons afin qu'ils parviennent a leur tour à la maîtrise. On perçoit aisément la différence avec le monde profane ou celui qui détient la connaissance et le pouvoir, peu enclin à partager son autorité,  met tout en oeuvre afin de maintenir le peuple dans les ténèbres.
Rappelons, enfin ce qui est une évidence en maçonnerie, seuls les progrès sur la voie initiatique permettent d'avancer dans la hiérarchie des grades, la richesse, la classe sociale, l'âge profane ne sont d'aucune utilité.

Pour ce qui est des officiers de la loge, penser un instant que leur autorité puisse aliéner ma liberté, c'est oublier que chaque office est appelé           « charge ». Le terme est assez explicite. Etre officier, c'est avant tout être au service de la loge, donc des frères. C'est surtout des responsabilités et du travail. Il s'agit, pour le collège des officiers, de faire vivre harmonieusement la loge afin que chacun en retire profit et joie. Chaque officier doit rendre compte de son travail en chambre du milieu qui vote chaque année. Point de vénérable à vie en maçonnerie ! La libre association d'hommes libres régie par des officiers soumis à un mandat impératif des frères, révocables chaque année, ne serait-ce pas là l'association des égoïstes dont rêve tout anarchiste ?

En conclusion, permettez-moi, mes frères, d'affirmer que dans la société profane l'autorité est et a toujours été l'ennemi de la liberté. Gémissons. Gémissons mais espérons car il est un ordre initiatique, le nôtre, ou l'autorité du rituel ou du maître, autorité librement acceptée et largement partagée, a pour but essentiel l'épanouissement dans la liberté de chacun de ses membres. Il se trouve que la franc-maçonnerie ouvre au perfectionnement de l'humanité, espérons.

Un maçon libre dans une loge libre.

J'ai dit.

C\ B\


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