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L'Art Royal

Alchimie et Initiation

7009-4-1
Newton, géométre divin par William Blake

L’ Art Royal est présent dans le cabinet de réflexion.
Puis avec cette phrase, véritable programme communiqué au néophyte :
« Maintenant, la parole est donnée au Frère Orateur pour exposer succinctement le sens et le but de l’Art Royal ».
Toute réflexion approfondie passe de l’analyse qui sépare à la synthèse qui recompose. « L’Art royal, art qui sépare et qui unit » écrivait Albert le Grand.
Dans son traité sur l’Optique, Newton écrit : « La transformation des corps en lumière et de la lumière en corps est très conforme au cours de la nature, qui semble se complaire aux transmutations ».
( question 30).

On peut utiliser les symboles alchimiques dans le cadre d’une introspection, afin d’avancer dans le « connais-toi toi-même ». ( V.I.T.R.I.O.L : Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem soit :Visite l'intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée. ).
Le processus alchimique passe par plusieurs opérations qui ont lieu dans l’athanor, foyer où elles s’effectuent :
-la putréfaction, couleur noire, œuvre au noir, (négredo). Correspond à la mort symbolique, nécessaire pour qu’une régénérescence soit possible.
-la résurrection, par la perte de la couleur noire, œuvre au blanc(albédo) ; purification.
-la rectification, passage par les couleurs de l'arc-en-ciel, qui peut symboliser la diversité des connaissances ou les divers aspects psychiques, avant de parvenir au rouge (couleur du phénix ou du pélican); c'est l'œuvre au rouge (rubedo).
 
Dès le premier degré, la voie à prendre est donnée; c'est la voie du symbole; la pensée symbolique est la clé; l'accès en est facilité par le fait que le langage courant est lui-même symbolique ; le mot "clé" que je viens d'employer en est un bon exemple. Le verbe, la parole, est symbole. Chaque mot a une définition précise et s’ouvre secondairement à d’autres sens, selon une interprétation qui évolue avec les connaissances que nous acquérons, et selon notre intuition et notre désir ou notre intérêt pour la vie de l’esprit ou pour la vie intellectuelle. Le symbole, visible, est la porte de l’invisible. Arthur Rimbaud, qui avait tout compris du symbolisme, écrivait « alchimie du verbe » et « le bateau ivre » rend compte de son état psychique du moment.

Nous avons plutôt l'habitude d'engranger dans notre mémoire sous forme de savoir ce que nous apprenons, et d'en rester là, satisfaits de notre acquisition, sanctionnée par un diplôme ou un avancement. Nous sommes tous avides d’avancement, qui se confond avec la reconnaissance. Pourtant l'essentiel n'est pas d'engranger, mais, à partir des symboles, de s'ouvrir à cette vie de l'esprit, à un chemin de recherche, à un chemin de pensée libérée pour une  compréhension nouvelle. Si nous en étions tous conscients beaucoup chercheraient moins les signes visibles de reconnaissance, les rubans, les baudruches.
J'appelle ici pensée la raison réflexive accompagnée de l'imagination active, créatrice de sens.
L'Art Royal est une voie royale, une métaphore de l’initiation maçonnique.
On accède facilement au sens symbolique des métaux. L'or, le plomb, tout le monde en saisit les associations possibles. Mais par la suite, pour d'autres théories, pour d'autres doctrines, pour d'autres phrases du rituel, nous devrons conserver l'esprit du symbole, notamment envers les textes sacrés, et toujours se détacher du sens premier.
  
Voici deux citations de Roger Bacon (XIII°siècle) :
" L'Alchimie est la science immuable qui travaille sur les corps à l'aide de la théorie et de l'expérience, et qui, par une conjonction naturelle, les transforme en une espèce supérieure plus précieuse“.
"Je dis de plus que la nature a toujours eu pour but et s'efforce sans cesse d'arriver à la perfection, à l'or. Mais par suite de divers accidents qui entravent sa marche, naissent les variétés métalliques".

Il s’agit peut-être pour le maçon de s’appliquer cette sentence à lui-même. L’or, c’est l’excellence, la lumière, le rayonnement solaire, la joie solaire de l’homme libéré, les joies de l’esprit, l’aboutissement auquel travaille l’homme perfectible.
Et encore ces citations ; celle d’un célèbre alchimiste, Zosime de Panopolis : « Le grand soleil produit l’Œuvre car c’est par le soleil que tout s’accomplit ».
Et d’Hermès Trismégiste : « Achevé, accompli est ce que j’ai dit de l’opération du soleil ». Le feu, agent actif de l’alchimie, est sur terre comme le représentant délégué du soleil.

Dans l’expression : l’alchimie travaille sur les corps, on remarque que l’évolution et le changement impliquent d’être éprouvés par le corps, le vécu, notre psychisme intimement lié au corps. Il ne s‘agit pas ici de spéculation abstraite.

L’alchimie repose sur des croyances que la science moderne a heureusement détrônées. Mais nous y avons perdu une relation profonde avec la Nature, à laquelle on donnait les traits d’Isis dans la Tradition, comme on pourrait en avoir avec une personne très chère, en harmonie avec le Tout-Un, ou l’un-tout. Vivre aujourd’hui dans les bureaux et dans les voitures fait que pour nous la Nature n’est plus qu’une toile de fond sans beaucoup de présence.
 
L’art, dans l’expression « art royal » est l’équivalent de technique, comme on le rencontre encore dans des expressions comme « ouvrage d’art » ou « école des arts et métiers ». Le technicien est celui qui possède un savoir qu’il s’est donné la peine d’acquérir, et qu’il met en pratique pour réaliser une œuvre. C’est là tout le travail maçonnique. La franc-maçonnerie spéculative réalise la jonction entre Art, artisanat, maçonnerie opérative, et spéculation intellectuelle ayant pour but la spiritualisation de l’homme. C’est un artisanat de l’esprit. L’art de l’architecture sert de support à cette jonction qui voit ennobli le travail d’exécution, dans un cadre sacré, prélude au travail de conception du Maître. Lequel doit se poursuivre jusqu’à réalisation de l’or spirituel.

L’Art Royal est l’art de faire de l’or à partir de n’importe quel métal, y compris avec le plomb tout enténébré, rivé à son état de matière, à la Terre, comme enchaîné par les passions humaines (la corde au cou de nos rituels). Ce qui est lourd ne peut s’élever ; dans le psychisme les passions non maîtrisées ont cette force d’attachement de la corde au cou. La purification, période d’épreuves par le feu libère le mental, et libère le désir de connaissance, qu’inaugure l’œuvre au blanc. Puis vient l’embrasement de l’amour ardent, qui réalisera  l’œuvre au rouge. Dans une tautologie redondante, Hildegarde von Bingen, mystique rhénane du 12°siècle, déclarait : “Je suis ardée par l’ardeur de l’ardent “. Désir ardent de Dieu dont elle est comme embrasée.

Ce que l’homme ne connaît pas, il l’imagine ; les amis de la sagesse, qu’ils soient philosophes ou religieux, sont porteurs d’un idéal du Juste et du Bien qui compose avec ce qu’ils imaginent  afin de construire un édifice théorique satisfaisant pour l’intellect, en lequel ils peuvent croire et sur lequel s’appuyer. Ainsi chacun est appelé à préparer d’abord, à construire ensuite, son Temple intérieur où puisse être reçu Dieu, ou le Principe, ou le Un-Tout, ou la Grande Lumière, selon son vocabulaire préféré. L’alchimiste, lui, travaille au Grand œuvre, veut obtenir l’élixir d’éternité, la pierre philosophale.
L’aspiration à trouver, quitte à la créer, l’harmonie qui procure son sens à l’univers amène à hiérarchiser les métaux, au nombre de sept, en relation avec les 7 planètes : « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » (Hermès Trismégiste). Ainsi le soleil est associé à l’or, la lune à l’argent, le mercure à mercure, le cuivre à vénus, le fer à mars, l’étain à jupiter, le plomb à saturne.

Eclairons cette symbolique par quelques autres représentations du désir de perfection, de spiritualité, qui, semble-t-il, peut illuminer tout homme (enfin presque).
Pour Platon, par le discours de Diotime dans le Banquet, on s'élève de la beauté des corps, de degré en degré, jusqu'à la beauté morale, puis à la beauté des Formes, jusqu'à  contempler la beauté absolue, pure Forme.
Pour Plotin on s'élève de l'âme (figuré par la lune qui reçoit sa lumière du soleil, à l'intellect (émané de l'Un) jusqu'à la lumière de l'Un.
Dans le Yoga, la conscience s'élève de chakra en chakra, de degré en degré le long de la Kundalini, colonne d’énergie parallèle à la colonne vertébrale, jusqu'à l'élévation suprême, jusqu'à l'éveil spirituel.
On pourrait établir une comparaison avec l’arbre des Séphiroth sur lequel le Kabaliste  pratique la méditation mystique. 

A partir de la Foi en une évolution du monde vers la perfection finale voulue par Dieu, l’Art Royal procède de ce puissant désir d’unifier la Nature et la foi grâce à la connaissance des lois de la création, que l’alchimiste met en œuvre pour accomplir le Grand œuvre.
L’alchimiste veut échapper à la mort par la pénétration des lois de la Nature, et leur pratique, leur mise en chantier, grâce au travail et à la connaissance. Il croit avoir percé les mystères de la Nature, et voir la vérité sous le voile d’Isis, qui est aussi le voile de l’impétrant.
 
Le Grand œuvre conduira à la Vie parfaite, éternelle, que l’Or spirituel symbolise.
Dans l’Art Royal, le monde et l’être même du praticien de cet art sont confondus. Il n’y a pas, comme le rationalisme nous y invite dans tout ce qui occupe habituellement notre esprit moderne, séparation entre le monde et le moi. L’alchimiste progresse avec le travail de l’œuvre qui est sa propre réalisation spirituelle. Le métier fait l’homme.
Son état psychique évolue avec la progression de ses pratiques sur la matière de l’œuvre, grâce au souffre, au mercure, et au sel, sous l’action du feu d’origine divine, feu ardent, feu soleil grand maître des métamorphoses, comme le montre la succession des saisons.
 
L’alchimiste croit en l’unité  originelle  de la création, en l’unité fusionnelle parfaite que le devenir a divisé, dégradé en ses éléments. Unité absolue de la Nature et de Dieu que l’art royal retrouvera au terme de la transformation des métaux. Chaque métal marquant une synthèse, une étape de transformation. Chaque métal correspond à un état psychique. Passant alternativement de la dissolution (solvere) de la matière sous l’action purificatrice du feu (œuvre au noir) à une nouvelle coagulation (coagulare) de ses éléments, par étapes progressives. A la fin des temps, les métaux auront changé d’état et seront devenus de l’or. De même nous pouvons évoluer, c’est-à-dire changer, à travers nos états psychiques jusqu’au vécu d’une spiritualité.

En devenant franc-maçon, vous êtes entrés, mes Frères, dans une démarche d’évolution vers la parole que vous êtes venu chercher ici. La parole perdue est au dedans de nous-mêmes, au fond de notre propre puits (V.I.T.R.I.O.L), inséparable de votre pensée.
Ce qui nous est donné dans le cabinet de réflexion, juste avant le passage du monde ancien au monde nouveau, sacré, de l’atelier maçonnique, c’est le viatique de tout le parcours à venir dans cette Odyssée que constituent les degrés du rite écossais.

Ce que l’Art Royal nous dit, c’est que, quel que soit le métal dont nous sommes faits, il est possible de progresser afin d’atteindre le rayonnement lumineux et joyeux de l’or spirituel. Seul le trop vil métal ne se prêterait pas à une évolution, ( hélas certains en sont faits, reconnus pour la forme comme initiés, comme nous venons de le constater à la direction de l’Obédience).
Cette réalisation passera par l’œuvre au noir, qui commence au cabinet de réflexion, initiant un « connais-toi toi-même » par des épreuves. Dans l’athanor, qui peut représenter notre intériorité, ou encore la loge maçonnique, où se font les mutations psychiques, l’œuvre blanche, neutre, d’observation après décantation précédera l’embrasement final de l’œuvre au rouge, l’embrasement du désir, dernière phase alchimique et son couronnement. Celle qui rendra l’adepte « aussi rayonnant que jamais ».

Nos aspirations sont symboliquement figurées dans l’alchimie, création de l’imaginal. Imaginal : produits de l’imagination quand elle est orientée vers l’harmonie avec le rayonnement divin que l’homme imagine, veut voir, en lequel spontanément il croit comme il peut croire en la Beauté.
Cherchons donc sans cesse l’idée sous le symbole ; idée qu’il nous appartient d’extraire de la gangue de l’obsolète alchimie. On y trouvera une métaphore de l’initiation effective proposée au maçon, une métaphore de la transformation du profane en initié, bien au-delà de l’initiation formelle qu’il vient de vivre au 1°degré.

L'alchimie symbolise la transformation intérieure dans notre approche de la spiritualité qu'il s'agit de reconnaître en nous alors que nous l'écartons sans cesse de notre conscience, si nous situons le divin hors de nous-mêmes, comme les religions l'enseignent.

J’ai dit.

M\ G\

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