Obédience : NC Loge : NC 2010


De l'hérédité du savoir à l'école de la connaissance ou de l'inné du fils à l'acquis du frère

Avant de vous présenter les définitions qui ont servi à étayer mon propos, je voudrais d'emblée mettre en évidence que le titre de cette planche évoque l’idée d’un changement d’état, passer du savoir à la connaissance. Comment passons nous d’un savoir héréditaire, à la connaissance ?

L’hérédité, avant d’avoir été un terme largement employé par la génétique au début du 19ème siècle, est un terme latin « hereditas » qui signifie, de ce dont on hérite. C’est la transmission de caractéristiques des ancêtres à leurs descendants et ce quelque soit le mode de transmission, quelles que soient les caractéristiques. Le titre de la planche induit que nous héritons d’un savoir et que nous pouvons acquérir la connaissance.

Qu’est ce que le savoir ?

Le savoir est défini habituellement comme un ensemble d'aptitudes reproductibles, acquises par l'étude ou l'expérience. Les savoirs sont des données, des concepts, des procédures ou des méthodes qui existent hors de tout sujet connaissant et qui sont généralement codifiés dans des ouvrages de référence, manuels, cahiers de procédures, encyclopédies, dictionnaires.

Ainsi le savoir est un ensemble de données communes. Le savoir apparait, par cette définition, comme un élément extérieur à l’individu.

Alors que la « connaissance » est une « co-naissance », ce qui signifie « naître avec ». Elle implique de naître à ce qui est autre. Elle est une « naissance » permanente à soi-même. La connaissance, est indissociable d'un sujet connaissant. Lorsqu'une personne intériorise un savoir en en prenant connaissance, précisément, elle transforme ce savoir en connaissance. Le chercheur devient alors cherchant. Dans une perspective constructiviste, on dira que la personne construit cette connaissance, qu’elle lui appartient alors en propre car le même savoir construit par une autre personne ne sera jamais tout à fait le même.

Il apparait donc d’après ces définitions que savoir n'est pas connaître.

Le savoir met en œuvre les capacités intellectuelles de l’individu, quand la connaissance fait fonctionner son esprit. Le savoir consiste en une accumulation d’informations sur un ou plusieurs sujets, mais le savoir encyclopédique est de plus en plus rare. Le savoir est maintenant associé à une seule matière, ce qui conduit à l’isolement. Même le système éducatif français prend cette direction en permettant très tôt aux élèves puis aux étudiants de se concentrer sur une seule matière. Comme la science isole les particules élémentaires pour en comprendre le fonctionnement.

Kant nous a montré que le vrai « centre » de la connaissance est le sujet et non une réalité par rapport à laquelle nous serions passifs.

Kant met en perspective la connaissance scientifique par cette définition en creux, qui est une connaissance par l’expérience. Or cette connaissance par l’expérience telle qu’elle est proposée par la science consiste à placer l’individu en dehors du champ de l’expérience pour s’intéresser au monde qui entoure l’individu. La connaissance exotérique, la plus accessible par les profanes, car la plus enseignée, est celle issue des expériences scientifiques. L’homme n’est pas le sujet de ces expériences scientifiques, mais l’observateur passif d’un monde en évolution.

Les propos de Kant résonnent en moi en écho avec le mythe de la caverne de Platon. Les individus qui sont placés en bas de la caverne et qui observent les ombres projetées sur le mur savent ce qu’ils voient, mais ils ne connaissent pas la réalité. Ce qu’ils observent ne sont que des perceptions de leurs sens, alimentés par des préjugés. Ils sont passifs par rapport à ce qu’ils pensent être la réalité. Ils n’ont que le savoir de leurs sens pour les aider à la percevoir.

La caverne de Platon est semblable au cabinet de réflexion, un endroit sombre dans lequel nos perceptions sont décuplées par le silence et la sobriété du lieu. Seule une bougie éclaire non pas le monde réel, pour nous le renvoyer en une ombre et un reflet dans le miroir, mais notre propre personnalité composée de préjugés et d’ignorance. Or, nous avons demandé, en entrant dans le temple, à recevoir la lumière pour justement nous départir des préjugés du vulgaire afin d’avancer vers la connaissance et l’esprit. Le fait de quitter le cabinet de réflexion pour monter vers le temple est identique à l’apprentissage de Platon qui nécessite de monter pour passer devant la lumière puis de monter encore pour atteindre la vérité. L’idée même de redescendre vers la caverne pour expliquer à ceux restés au fond qu’une vérité tout autre existe est présente dans le mythe de la caverne. Je comprends mieux le plaisir des maitres qui ont eut à préparer le cabinet de réflexion pour les futurs apprentis. Ils ont ressenti, eux qui ont la connaissance, le plaisir de redescendre pour aller proposer à ceux qui n’ont que le savoir, de les suivre pour remonter vers la lumière et la voie de la connaissance.

Le franc maçon doit dépasser le stade du savoir pour progresser vers celui de la connaissance pour parfaire son évolution profane. Mais nous savons que la connaissance n’est ni unitaire ni monolithique. Il nous faut donc faire constamment des allers-retours entre le fond de la caverne et la lumière, en suivant le fil à plomb, car il nous indique le centre de la caverne, le centre de nous même. Le fil à plomb est le symbole de la recherche en profondeur.

Combien d’entre ceux qui ont la connaissance, ont expérimenté cette remonté vers la lumière lorsque qu’Alain nous a donné à voir sur le fond de la caverne une nouvelle image ? Combien sont revenus de la lumière pour exposer aux autres que la réalité est tout autre ? Combien ne sont jamais revenus ?

Pour ces voyages, le franc-maçon peut s’appuyer sur le rituel et les symboles du temple, qui sont les éléments qui lui permettront de transformer le savoir commun, en connaissance ésotérique.

Je veux mettre en évidence que le rituel porte en lui le savoir qui permet au franc maçon d’accéder à la connaissance. Si le savoir s’enseigne, grâce aux concours de mes frères, la connaissance s’apprend de manière individuelle et personnelle, par l’intériorisation et l’appropriation du rituel et des symboles. Ainsi la connaissance, en constante évolution, ne peut être universelle. Chacun d’entre nous ici porte la connaissance, sa connaissance qu’il met au service des autres frères pour créer une unité car la connaissance conduit à l'unité quand l'ignorance mène à la diversité et à la division.

Il y a donc un clivage évident entre l'acquisition du Savoir et celui de la Connaissance. Cette dernière demande, à celui qui s'y intéresse, de l'intégrer à la totalité de son être et de l'éprouver par sa capacité à la redonner, enrichie de son évolution et de son interprétation. C’est ce qui fait intervenir la notion d’expérience nécessaire à l’accomplissement de l’être humain.

Il apparait donc que le savoir du profane est transformé en connaissance grâce aux symboles et au rituel révélés à l’apprenti lors de son initiation et tout au long de sa période d’apprenti. Mais ce n’est qu’à force de travail sur lui même avec son propre savoir que l’apprenti pourra s’approprier ce savoir pour le transformer en connaissance et devenir compagnon.

En frappant trois coups à la porte du temple, ce n’était pas la curiosité qui me guidait mais le désir d'acquérir du savoir et vous m’avez fait naitre à la connaissance, ce qui m’a ouvert un champ encore plus large : la connaissance de soi.

Cette ouverture s’est matérialisée à double titre lors de la cérémonie d’initiation, mais ce n’est qu’aujourd’hui au travers de cette planche que j’en ai pris conscience. Lorsque le vénérable maître nous demande de nous retourner et que nous découvrons notre visage dans le miroir. Nous devrions comprendre que ce que nous recherchons, c’est nous même et qu’au cours de cette recherche, c’est essentiellement de nous même dont nous devons nous méfier. C’est la connaissance de soi, avec nos forces et nos faiblesses qui nous permettent de progresser sur la voie choisie. Puis après un moment face à face avec notre propre image, le miroir se baisse pour laisser révéler le frère qui porte le miroir, mais également le frère qui va nous accompagner sur le chemin de la connaissance. Dans mon cas, il s’agissait de mon père qui devenait alors mon frère. La lumière reçue me permettait de comprendre que je venais de renaître, que le Savoir profane allait s’enrichir de la Connaissance.

De ce jour, moi qui avais déjà le savoir d’un fils, je me suis retrouvé sur le chemin de la connaissance. Comme évoqué en introduction, j’avais changé d’état ; je suis passé de l’inné du fils à l’acquis du frère.

J’ai dit V\ M\

E\ B\


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