GLSA Loge : Fidélité et Prudence - Orient de Genéve - Suisse 28/02/2008


De Midi à Minuit

Planche de jeune Maître

Vénérable Maître et vous tous mes Très Chers Frères :

C’est avec surprise et curiosité que le nouvel initié entend la demande du Vénérable d’ouvrir les travaux « puisqu’il est à midi » puis les fermer lorsque minuit sonne, alors qu’en réalité les travaux débutent vers 21 h et durent à peine deux heures.

Pourquoi nous annoncer qu’ils commencent à midi et s’étendent sur douze pleines heures, en totale contradiction avec nos montres ?

Ce décalage avec la réalité des horloges est tel qu’il ne peut, à l’évidence, être fortuit ; le rituel nous envoie un message qu’il nous faut méditer.

Cette planche, intitulée « de midi à minuit », est une modeste réflexion sur ce temps propre aux travaux maçonniques, qui se déroulent symboliquement entre midi et minuit.

Le monde du jour et de la nuit

Alors que le temps profane du travail s’étend ordinairement du lever au coucher du soleil, le temps imparti aux travaux du Maçon est délimité par le passage du soleil aux deux demi-méridiens.

En astronomie, ces bornes midi-minuit correspondent au passage du soleil à son zénith, c'est-à-dire au maximum de sa lumière, puis 12 heures plus tard il passe au nadir, dans l'obscurité d’un noir minuit.

Le travail du maçon est ainsi placé sous la lumière du soleil descendant, qui, à peine après avoir montré le maximum de sa lumière, va diminuer d’intensité pour faire place aux ténèbres, qu’un pâle reflet lunaire pourrait adoucir.

Soleil, ténèbre et lune, voici trois pistes que le rituel appelle d’abord à explorer.

Le soleil est dans toutes les civilisations l’image vitale par excellence. C’est le père cosmique, le principe actif, qui fait naître, fortifie et épanouit. Se consumant pour tous les êtres vivants sans exception, sa lumière généreuse est disponible pour tous. Elle est donnée sans contre partie: c’est l’image de l’amour toujours présent, éternel, qu’on peut qualifier de divin car, sans lui, rien n’existe ni ne peut exister.

Cet amour, renouvelé à chaque lever, il nous demande de le propager comme lui le fait, sans en imposer les formes, sachant cependant que les premières d’entre elles s’appellent fraternité, entraide et solidarité.

Ce soleil symbolique, entrant dans les recoins de l’âme, dissout le doute, et, comme le feu auquel il renvoie, purifie pour régénérer. Son rayonnement est une force vitale qui pousse vers l’avant, vers une vie nouvelle, débarrassée du passé et des pulsions morbides.

Il est midi, la lumière au zénith est à son maximum d’intensité ; ses vertus bienfaisantes à leur paroxysme. Il n’est pas de meilleures heures pour commencer les travaux, l’âme purifiée, le coeur baigné de l’amour que ses rayons insufflent, conduisant au désir de construire une vie nouvelle dans la promesse d’une moisson abondante.

Cependant comme excès de soleil brûle et assèche, il faut que sa chaleur s’atténue pour qu'elle soit bienfaisante. C’est précisément à midi que le soleil commence à décliner, brillant sans brûler.

Puis, le soleil s’enfonce inexorablement sous l’horizon ; sa lumière s’éteint, cédant place à l'obscurité qui efface la lumière de l’amour que l’on souhaiterait éternellement présent.

Ces ténèbres qui s’installent ne viennent pas pour nous effrayer mais pour nous rappeler que « le monde visible est fait de lumière et ténèbres, mêlés avec le plus bel art » (Goethe ; Traité de Physique). Lumière et ténèbres, bien et mal, ange et démon, mêlés en s’opposant, en lutte perpétuelle car si l’un l’emporte il n’y aurait ni mouvement, ni changement ni évolution pour l’homme devenu alors enchaîné car privé de sa liberté.

Cette obscurité en contraste avec le plein jour, c’est l’expression de la tension existentielle, conséquence de notre liberté de choix entre des contraires présents en nous.

Ces ténèbres nous questionnent sur le sens de notre existence, suggérant qu’existence et liberté sont des termes complémentaires. La condition humaine est dans la possibilité, le choix de soi-même; l’homme en existant se découvre responsable de soi, non pas étant mais ayant à être.

Mais, voici qu’apparaît la lune, renvoyant la lumière solaire que l’on croyait disparue.

La lune, qui reçoit et réfléchit (la lumière solaire) symbolise le principe passif en contraste avec le soleil, principe actif par essence.

Dans la plupart des mythologies et traditions encore actuelles elle est associée à l’idée de fertilité, lui prêtant une influence, faste si l’on sait s’en faire une alliée, sur la végétation, les maladies, les animaux, etc.

La lune est la matrice dans laquelle le germe se développe. Elle symbolise le processus secret de la gestation dans le mystère de l’âme. C’est la lumière de l’intérieur qui indique que toute connaissance profonde passe par une communion spirituelle. La lune absorbe la pensée discursive, logique et la mêle à l’imagination, l’intuition, la sensibilité, la nuance, le rêve, la poésie. Elle est l’inconscient profond, le trésor des origines ou du passé. Elle correspond à l'eau, sous son aspect purificateur qu’on retrouve au baptême ou à l’initiation; l’eau, solvant universel, qui dissout ce que le feu a laissé. La lune, mère nourricière, est la matrice, le creuset d’une possible renaissance.

Le message symbolique

Soleil et lune, lumière et ténèbres vont de pair sans s’opposer ; leurs qualités propres s’ajoutent et se complètent. De cette fusion des principes actif et passif, naît l’« androgyne », harmonieuse conciliation des parts masculine et féminine.

Je vois aussi dans ces 12 heures de travail, bornées par midi et minuit, l’image d’une année de vie (12 mois), faite d’une lutte herculéenne (12 travaux) entre lumière et ténèbres. Continuant cette symbolique des nombres, je peux y voir encore une incitation à contribuer au parachèvement de l’oeuvre du GADLU en agissant sur la matière (4) par l’esprit divin (3) présent en moi.

Toute cette symbolique de la nuit, du jour, du nombre, me dit que le temps maçonnique c’est le temps créateur, dédié à la construction de soi. Elle me rappelle aussi que ce temps est limité, que Kronos dévore ses enfants, que la mort est son terme.

Temps commun et temps maçonnique

Le temps des travaux maçonniques s’oppose au temps économique et social profane, tout en s’écoulant dans le temps des horloges, reflet du mouvement diurne et annuel du ciel. C’est ce temps commun que réfèrent la physique, la métaphysique, l’art, la littérature, l’ésotérisme, etc.…

Comment le temps maçonnique s’insère dans ce temps commun ? La décomposition naturelle du temps entre passé, présent et avenir donne un rôle central au présent, instant ponctuel entre passé et futur immédiat. Entre un passé figé, immobile, sur lequel nous ne pouvons rien, et un futur incréé, non advenu, se tient le présent.

Mais celui ci est un point de durée insaisissable car au moment où nous voulons l’appréhender il est devenu passé.

Comment alors assigner une durée à cet insaisissable ? Le temps a-il une durée ou n’est ce qu’une pure représentation commode de l’esprit, « une structure de réceptivité grâce à laquelle les sens peuvent être affectés par les objets (Kant) » ? Le temps ne serait-il pas hors de nous mais en nous, produit dans et par l’intériorité de la conscience ?

Goethe formule une lumineuse réponse: “seul l’homme peut accorder une durée à l'instant“. C’est en nous-même que nous donnons du temps au temps et faisons ainsi de l’éphémère du durable. . Ce durable nous pouvons également le penser, sans se contredire, jusqu’à sa limite, représentée par un présent suspendu, immobile, comme gelé en un moment perpétuellement figé, absolu, sans succession, que l’on appelle éternité.

Platon ne voyait d’ailleurs dans le temps que l’image mobile de l’éternité. Cette aspiration à la durée fait, de ce renouvellement irréversible d’un instant évanescent qu’est le présent, un état de la conscience qui forme continuité avec le passé et le futur immédiat. C’est cette réalité du présent qui ouvre le champ de l’action. Présent et action, indissociables complémentaires, liés par Bergson dans cette définition: « mon présent c’est mon attitude vis-à-vis de l’avenir immédiat, c’est mon action imminente ».

Cette liaison présent-action implique un futur proche, la pensée allant de l’avenir vers le présent, comme à rebours du temps ! Le lieu véritable du temps serait le futur et non le présent.

Ce présent-action s’interprète comme une projection continuelle de notre pensée vers le futur, tout acte étant un façonnement de l’avenir ou l’homme sent qu’il s’y prolonge.

Il est minuit…

Ces visions des temps maçonnique et commun me paraissent compatibles. Dans ces deux conceptions, le temps est une construction, propre à lui donner un sens, une justification. Cependant, à la construction d’un temps vital, utilitaire de l’urgence profane, la symbolique maçonnique nous invite à bâtir celui du devenir. Elle nous enseigne que l’avenir n’est pas ce qui vient vers moi, amené par la flèche irréversible du temps, mais ce vers quoi je vais.

Mon travail est terminé. En m’accompagnant par votre écoute bienveillante dans cette visite du difficile concept du temps maçonnique, j’ai l’impression que mes erreurs, mes approximations et raccourcis seront corrigés et pardonnés comme défauts… de jeunesse !

Vénérable Maître et vous tous mes Très Chers Frères, j’ai dit.

Gilles L\ - Frère de la Loge Fidélité et Prudence à l'Orient de Genève

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