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Connais-toi toi-même
En quoi le projet maçonnique rejoint-il cette injonction ?

To be or not to be. Je pense donc je suis. Il m’est plus facile de me reconnaitre à travers Shakespeare ou Descartes mais ce n’est pas pourtant que je me définisse ou que je me connais vraiment même si je n’ignore rien de moi. Cela fait tout de même près de 63 ans que je me côtoie et pourtant, en y réfléchissant bien, il est certainement des recoins de moi que je n’ai pas encore explorés sinon à quoi servirait ma démarche maçonnique, mon parcours initiatique sans fin puisque je suis, et je le reconnais, un éternel apprenti, dans le sens que j’ai toujours cette soif d’apprendre, de comprendre le pourquoi des choses. Qui sommes-nous, où allons-nous ? Impossible, bien sûr, de répondre à ces questions mais seulement de tenter de s’approcher d’un début de définitions ou d’hypothèses jetées les unes à côté des autres, sans le pouvoir de trancher.

« Connais-toi toi-même et tu connaîtra l’univers et les Dieux ». Qui est l’auteur de cette maxime inscrite sur le temple de Delphes ? Apollon, Homère, Socrate et pourquoi pas Confucius, même si les dates ne collent pas ! À l’origine, dans les textes delphiques, cela pouvait signifier : « reconnais-toi mortel et non dieu, et soumets-toi à la suprématie de Zeus ». Mais depuis Socrate est passé par là et s’est penché sur le côté philosophique de la maxime.

Selon Platon, dans le Premier Alcibiade, l’homme doit prendre soin de son âme, doit se connaître d’abord lui-même avant de chercher à connaître ce qui lui est extérieur. Sage raisonnement, comment se permettre de comprendre notre environnement si l’on ignore qui nous sommes ? Comment juger son monde si l’on est incapable de se juger ? Pour Socrate, discourir de la vertu ou de tout autre sujet qui permet de s’examiner soi-même et examiner autrui fait le plus grand bien. Discourir de la vertu, pourquoi pas mais Socrate laisse la porte ouverte, on peut discourir de toute autre sujet qui permet de s’examiner soi-même. Quels sont ces sujets ?

Discuter de la légende d’Hiram, ou de la devise de la Franc-Maçonnerie « Liberté, Égalité, Fraternité » est-il un moyen de s’examiner soi-même ? La Franc-Maçonnerie a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale et la pratique de la solidarité. Elle travaille à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Elle a pour principes la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de conscience. Inciter le Franc-Maçon à rechercher la vérité, c’est l’obliger à s’interroger sur ce qui l’entoure et ce qu’il est. Il ne peut trouver la vérité qu’en ayant une bonne connaissance de lui-même. L’étude de la morale et la pratique de la solidarité est-elle possible sans un travail préalable sur soi ? Ne faut-il pas être un Franc-Maçon accompli, exemplaire pour pratiquer la solidarité et étudier la morale ? De l’initiation à la Chambre du milieu, c’est le chemin indispensable, nécessaire pour devenir Maître et se transformer en ayant appris à se connaître.

Comme le disait Socrate, discourir de la vertu ou de tout autre sujet qui permet de s’examiner soi-même fait le plus grand bien. La recherche de la vérité et l’étude de la morale sont à l’évidence des sujets qui permettent de s’examiner soi-même comme le fait de travailler à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social. Nous discourons de vertu. Pour Platon, l’homme doit d’abord se connaître lui-même avant avant de chercher à connaître ce qui lui est extérieur. La tolérance mutuelle et le respect des autres ne peut s’obtenir qu’une fois accompli le voyage intérieur. Le projet maçonnique passe donc d’abord par une meilleure connaissance de soi-même, c’est le profane qui s’efface peu à peu pour laisser la place au Franc-Maçon.

L’article 3 du Règlement Général stipule que le Franc-Maçon a pour devoir, en toute circonstance, d'aider, d'éclairer, de protéger son Frère, même au péril de sa vie, et de le défendre contre l’injustice. On peut imaginer que pour accomplir son devoir le Franc-Maçon doit d’abord se connaître pour pouvoir aider, éclairer et protéger son Frère. Discourir d’une question à l’étude des loges est-ce un moyen de s’examiner soi-même et d’examiner les autres ? Certainement puisqu’en apportant sa contribution au débat, c’est un peu de soi-même que l’on apporte, sa pensée, son point de vue, c’est le reflet de l’âme, du moi. On découvre à travers la contribution sa propre vision de la société ou de la symbolique. C’est un travail sur soi. C’est aussi le moyen de révéler la pensée des autres. Socrate a donc raison : discourir permet de s’examiner soi-même si le sujet est maçonnique, si la parole circule. Socrate dit aussi que la seule connaissance qu’il possède est celle de savoir qu’il ne sait rien car ce qui est au-dessus de nous est sans rapport avec nous. Il nous invite donc à nous intéresser à nous, à nous connaître d’abord pour découvrir l’univers et les dieux. Il y a quelque chose de séduisant, connaitre l’univers et les dieux, c’est tentant et cela semble accessible puisqu’il suffit de se connaitre soi-même. Alors, allons-y, découvrons-nous, dans le sens de se découvrir, se mettre à nu. Poussons l’introspection puisque l’univers nous est promis. Mais est-ce si aisé de se mettre à nu, de se découvrir, de se connaître ? Et comme Socrate, vais-je découvrir que je ne sais rien ? Bien sûr que je ne sais rien et c’est pourquoi j’apprends à me connaître en espérant que mon parcours maçonnique m’éclairera au bout du chemin où je trouverai la lumière.

Aristote est bien conscient de la difficulté : nous sommes facilement aveuglés par nous même et reprochons facilement aux autres ce que nous faisons ou ce que nous sommes en fait. Il fait même remarquer que la méconnaissance de soi peut mener à la pusillanimité et à la vanité. Et comme l’oeil ne peut se voir lui-même, nous avons besoin du regard des autres pour nous connaître. Les autres comme un miroir. Le miroir comme un rétroviseur qui nous ramène à l’initiation lorsque nous découvrons que notre pire ennemi, c’est nous. Je suis mon pire ennemi, le savoir c’est déjà un début, c’est commencer à se découvrir, se connaître, donc à s’en défendre.

Saint Augustin s’est penché sur le précepte delphique. Le devoir de l’homme, écrit-il, est de rentrer en lui-même et de revenir vers la partie divine. Pour lui, si l’homme n’est pas capable de discerner l’ordre providentiel de l’univers, c’est qu’il ne se connait pas encore assez lui-même. On en revient au départ : connais-toi toi même et, pour cela, va à l’intérieur de toi, découvre-toi. Quoi de mieux pour se découvrir que d’être confronté à un évènement, que d’être confronté à l’extérieur, au monde ? Pourtant, le bruit du monde, l’insupportable mouvement permanent du monde qui nous entoure nous permettent-ils d’aller à l’intérieur de soi, de faire ce retour sur soi nécessaire à une meilleure connaissance de soi-même? Peut-on, dans la société actuelle, avoir un comportement maçonnique, humaniste ?

Les circonstances, l’environnement, les conditions nous permettent de mieux nous connaitre en analysant nos réactions, si l’on peut rester indifférent ou au contraire terriblement touché, révolté. C’est déjà s’analyser, se jauger, commencer à savoir quel homme se cache en nous, en moi, qui suis-je, bon, humain, humaniste ? Monstre, tortionnaire, bourreau ? Mets-moi dans une situation donnée, saurais-je rester moi-même (si je sais qui je suis) ou vais-je devenir un autre ? Mon miroir me renverra-t-il l’image que j’ai de moi ou un tout autre individu, pourquoi pas meilleur sinon pire ? Cela dépend tellement de la situation. Juste ou bourreau. Qui suis-je ? Une personne en mouvement, un être en devenir. Si le temps suspend son vol un instant, qui suis-je à ce moment-là ? Serai-je le même un peu plus tard lors d’un autre instant suspendu ? Mais la vie est continue, c’est un mouvement éternel. Donc je serais autre à chaque instant différent, à chaque situation différente.

Alors qui suis-je ? Je vous le demande, moi je ne le sais pas encore ou pas exactement et j’ai besoin du miroir, du reflet de mon image dans votre regard pour en avoir une idée. Je suis Franc-Maçon parce que mes Frères me reconnaissent comme tel. Suffit-il de définir le Franc-Maçon pour que je me connaisse moi-même ? Qu’est-ce qu’un Franc-Maçon ? Un homme libre dans une loge libre. C’est un peu court, jeune homme mais oui, je suis libre, libre de penser librement, de me connaitre, de m’examiner. Pourquoi suis-je devenu Franc-Maçon ? J’étais dans les ténèbres et je cherchais la lumière. Je ne suis donc plus dans les ténèbres et la lumière est en moi, c’est la connaissance, le savoir. L’Apprenti sur la colonne du Nord apprend le silence, apprend à écouter. L’occasion de se connaître soi-même ? Sans discourir malgré la recommandation de Socrate ? L’Apprenti  ne discoure pas mais en écoutant les Frères discourir, il se découvre en se retenant d’intervenir, il apprend ainsi à maîtriser sa pensée avant de pouvoir maîtriser son verbe. Période indispensable pour commencer son parcours maçonnique en douceur. L'apprenti est heureux ou impatient : il apprend.

Le Compagnon passe sur la colonne du Midi, il connaît la lettre G et doit maintenir en lui l’équilibre physique, l’équilibre intellectuel, l’équilibre moral et, par l’union des trois, développer régulièrement la vertu créatrice, qui est l’Énergie. Je connais la lettre G et je suis équilibré, énergique. La lettre G est le monogramme de Gravitation, de Géométrie, de Génération, de Génie et de Gnose. Cinq G comme cinq voyages formateurs. La Gravitation qui rapproche les coeurs et en les unissant à l’amitié fraternelle assure la solidarité de l’édifice maçonnique. La Géométrie fondement de la science positive qui façonne les individus pour leur permettre de tenir leur place, celle qui leur convient le mieux, dans l’édifice social. La Génération, la force vitale perpétuant la série des êtres. Le Génie, l’intelligence humaine la plus brillante. La Gnose est la reconnaissance morale la plus étendue, la plus généreuse, l’impulsion qui porte l’homme à apprendre toujours davantage et qui est le principal facteur de progrès. Le Gnostique doit débarrasser son moi intérieur des vêtements qui le recouvrent. Il doit s’interroger sur lui-même et sur la destinée humaine : « Qu’étions-nous ? Que sommes-nous devenus ? Où étions-nous ? Où avons-nous été jetés ? Vers quel but nous hâtons-nous ? » La Gnose concentre son effort sur la recherche de la nature véritable de l’homme. Le thème du miroir, on y revient, est très présent dans la pensée gnostique. La connaissance de soi, dans l’optique gnostique, devient la clé pour accéder au Royaume ou au Repos. Connais-toi toi même et tu connaîtras l’univers et les dieux. Le moi de la Gnose est ontologique, il s’intéresse à l’être parfait que l’on peut atteindre en se dépouillant de ce qui est étranger. Un mouvement qui part de l’homme extérieur au Moi qui est l’homme parfait. Me connaissant un peu mieux me suis-je vraiment débarrassé de l'étranger en moi ?

Mais revenons sur les cinq voyages du Compagnon. Voilà qui devrait m’éclairer sur ma connaissance de moi-même. Le premier voyage, par le maillet et le ciseau, signifie que le Compagnon doit s’efforcer à faire disparaître ses défauts, ses préjugés et ses erreurs. Des défauts, j’en ai encore bien sûr, mais j’ai moins de préjugés et je fais moins d’erreurs car en étudiant les sens cela m’a conduit à la connaissance de la personnalité humaine et à l’explication de la formation des idées. Le deuxième voyage par l’équerre et le compas symbolise la recherche de la Justice et de la Vérité. Il est dit aussi que le Compagnon doit faire une part importante aux arts, aussi bien ceux qui sont l’expression du beau que ceux qui tendent vers l’utile, les deux étant nécessaire au développement de l’humanité.

L’art, dit Aristote, est la joie des hommes libres. Ne suis-je pas un homme libre dans une loge libre ? Le troisième voyage par la règle et le levier symbolise l’étude de la Nature. La règle, emblème du jugement droit, et le levier, emblème de la puissance du travail ou de la volonté. La volonté mise au service du Droit devient invincible. Le niveau du quatrième voyage figure les efforts que nous devons faire pour réaliser progressivement l’égalité sociale. Enfin le cinquième voyage, par la truelle, marque l’achèvement du labeur et proclame la glorification du travail.

L’analyse approfondie de ces cinq voyages montre le Franc-Maçon que je suis devenu et éclaire d’un jour plus précis cette connaissance de moi-même. J’ai pu alors contempler l’Etoile flamboyante, symbole du grade de Compagnon et astre de la libre pensée. L’Étoile flamboyante a cinq pointes : les quatre membres de l’homme et la tête qui les gouverne. C’est la réunion de toutes les vérités conciliées par la Lumière, en même temps que la clarté personnelle de la voie intérieure. Chacun crée son Étoile flamboyante par ses pensées, ses sentiments, sa conscience et ses actes. La clarté personnelle de la voie intérieure. Le chemin à parcourir est intérieur, c’est un retour sur soi, un voyage à l’intérieur de soi, dans sa caverne.

Ma pensée est libre et mon Étoile flamboie, j’ai effectué mes cinq voyages. L’Étoile flamboyante est le résultat du travail matériel et intellectuel réunis. Le travail est la base de tout. En écrivant cela, je ne peux m’empêcher de penser aux millions de sans emploi, sans base. Une partie de moi se révolte en pensant aux travailleurs déshérités ou disgraciés par le sort. Mais est-ce le sort qui s’acharne ? Une autre partie de moi imagine un monde meilleur, plus humain, dans le sens de plus tourné vers l’homme. La société d’aujourd’hui semble avoir oublié l’homme et la valeur travail. Sommes-nous assez nombreux pour nous en rendre compte ? Les lumières sont-elles réservées à une petite partie de l’humanité ? L’une progresse, l’autre régresse ? Et dans ce monde, quel est mon rôle ? Ai-je suffisamment de connaissance de moi ? Puis-je répandre les vérités que j’ai acquises, suis-je prêt par mon action à préparer une humanité meilleure et plus éclairée ?

La Franc-Maçonnerie travaille à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Est-ce se connaître soi-même ?

L’acacia m’est désormais connu et je connais la légende d’Hiram. Je peux dessiner des plans aussi parfaits que possible et donner aux Apprentis et aux Compagnons des instructions et des avis utiles afin de développer en eux l’amour du Vrai et du Bien. En fait, j’ai sept ans et plus puisque je suis Maître et je porte le deuil d’Hiram. Ma connaissance de moi-même s’éclaire maintenant d’une lumière plus forte. Je me connais mieux parce que j'ai refait le chemin parcouru. J'ai su regarder en arrière, dans mon miroir, et découvrir l'homme que je suis devenu. La transformation se fait en douceur, insensiblement, malgré soi, subrepticement. L'univers et les dieux me sont-ils connus ?

C'est aller vite en besogne mais ce que je sais, c'est que je ne sais rien et que de longs et pénibles efforts sont encore nécessaires. La Pierre brute est à peine dégrossie.

J’ai dit.

O\ G\


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