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Nous avons laissé les métaux à la porte du temple

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En préambule, j'aimerais évoquer l'attachement « aux métaux » grâce à une figure hautement symbolique, l'arcane XV du tarot de Marseille : le diable. Que voyons-nous sur cette carte ? Un diable androgyne debout sur un chaudron doré, deux diablotins à ses pieds y sont attachés. Que symbolise cette image : d'abord la soumission, l'attachement aux valeurs matérielles (le profit), les diablotins sont liés par les mains et le cou au diable, ils sont ses prisonniers ! Le diable louche, tire la langue et fait un geste amical de la main, par cette attitude il cherche à séduire, à attirer (on le voit aussi dans la dimension sexuelle de l'arcane), mais en louchant il nous empêche de voir clair, il nous divise en deux (en fait les diablotins ne sont qu'un) puis nous attache à la matière, bref nous lie à nos passions, nos pulsions pour nous empêcher d’être ce que nous sommes. Laisser les métaux à la porte du temple c'est comme je vais essayer de le montrer briser ses chaînes et rompre avec ce que symbolise l'arcane XV.

Au REAA, lors du rituel d'ouverture, le vénérable maître marque de manière solennelle le début du travail maçonnique par cette phrase : « Mes frères, nous ne sommes plus dans le monde profane, nous avons laissé les métaux à la porte du temple; Élevons nos cœurs en fraternité et que nos regards se tournent vers la lumière ».

Voilà une formule qui doit interpeller et être comprise par chaque franc-maçon : elle pose le but du travail maçonnique (« élevons nos cœurs en fraternité et que nos regards se tournent vers la lumière ») et en donne le moyen, la condition sine qua non pour se mettre en quête de ce but : le dépouillement des métaux (« nous ne sommes plus dans le monde profane, nous avons laissé les métaux à la porte du temple »).

En effet, le temple est un lieu « sacré », il n'est ouvert qu'à l'initié qui s'est préalablement défait des attributs du monde profane : les métaux. C'est une expression à forte charge symbolique, le franc-maçon ne peut prétendre à l'entrée du temple qu'en s'étant livré à un travail préliminaire : le dépouillement des métaux. Mais de quoi s'agit-il au juste ? Pourquoi ce dépouillement est il le premier acte de l'initié ? Quelles en sont les conséquences ? Voilà quelques questions auxquelles je vais essayer de répondre en replaçant le dépouillement des métaux dans le cadre de l'initiation et dans celui d'une tenue courante.

« Laisser ses métaux à la porte du temple » au sens propre du terme est le premier acte de la vie maçonnique, avant d'entrer dans le cabinet de réflexion, le frère qui mène l'initiation demande à l'impétrant de lui remettre ses bijoux, alliance, montre, argent... L'initiation peut être considérée comme une véritable opération d'alchimie spirituelle, le moment d'une métamorphose, aucune interaction magnétique ne peut être tolérée, cette interprétation du dépouillement des métaux a été très largement développée par Oswald Wirth ou Jules Bouchet dans leurs ouvrages respectifs mais je crois que l'on peut d'abord la considérer comme un abandon volontaire de ce qui dans la vie profane nous attache à des valeurs fallacieuses comme les marques de puissances, de pouvoir, de réussites sociales qui sont portées par des métaux comme l'or ou l'argent (comme l'arcane du diable le représente). L'initiation et particulièrement l'épreuve de la terre exige du profane parce qu'elle est un face à face avec soi même, un total détachement intérieur, une rupture avec les chaînes matérielles ou non de la vie profane : le récipiendaire doit abandonner ses passions, ses désirs, son orgueil, son égoïsme, ses préjugés...pour se retrouver dans un état de pauvreté, de simplicité et d’innocence qui seul lui permettra d’être transformé par les épreuves de la terre, de l'air, de l'eau et du feu. En effet comment rédiger son testament philosophique ? Comment prêter serment ? Comment porter les premiers coups de ciseau sur la pierre brute si l'on est resté un homme plein de fausses certitudes, de sentiments vils si l'on n'a pas fait ce travail préalable. On peut à cette occasion évoquer René Guénon qui dans son « aperçus sur l'initiation » indique : « se débarrasser des idées fausses dont son mental est encombré représente un des sens que l'initiation maçonnique désigne symboliquement comme le dépouillement de métaux ».

A la fin de l'initiation les métaux sont rendus à l'apprenti, le dépouillement, les épreuves qu'il vient de vivre lui permettent de relativiser la valeur de ces métaux, voir le mettent en garde contre les dangers qu'ils peuvent représenter. Le pouvoir, la richesse matérielle, l’ego...semblent bien peu de choses aux yeux de l'apprenti face à la prise de conscience qu'il vient d'opérer et aux engagements qu'il vient de prendre. Mais ce dépouillement des métaux doit il se limiter à l'initiation ? Non, le REAA nous le rappelle lors de l'ouverture des travaux : « nous ne sommes plus dans le monde profane, nous avons laissé les métaux à la porte du temple ». Alors pourquoi cette opération doit elle se répéter de manière systématique ?

En effet le REAA invite chaque franc-maçon au « dépouillement des métaux » lors de chaque tenue. Pourquoi ? L'encyclopédie de la franc-maçonnerie indique que le terme métaux « traduit la force des vices et la nocivité des passions humaines ». Comme cela a été démontré dans ma première partie consacrée à l'initiation, les métaux désignent tout ce qui dans le monde profane, au plan spirituel comme matériel, fait obstacle à la quête de l'individu et doit être laissé à la porte du temple, mais la franc-maçonnerie n'est pas qu'une voie d'éveil individuel, elle peut être considérée aussi comme la construction fraternelle d'un édifice spirituel et humaniste, elle ne peut donc supporter que certains de ses « ouvriers » par leur emprise avec le monde profane fassent obstacle à cette entreprise collective. Pour moi « laisser les métaux à la porte du temple » c'est d'abord faire un effort sur soi même (comme cela a été démontré dans le cadre de l'initiation) mais au profit du travail qui va être accompli en loge. Les métaux peuvent alors être considérés comme des obstacles au travail collectif des francs-maçons, quels peuvent être ces obstacles ?

Je ne vais pas ici me lancer dans une liste exhaustive de ce qui caractérise le monde profane et que l'initié doit laisser à la porte du temple avant de travailler en loge, on peut évoquer bien sur l'orgueil, l’égoïsme, les habitudes, l'égo... Mais je crois que par « les métaux » on peut qualifier tout ce qui s'oppose ou se heurte à notre devise : « Liberté, Égalité, Fraternité », laisser les métaux à la porte du temple c'est prendre ses distances avec sa position sociale afin d'écouter avec attention les propos d'un frère moins favorisé socialement, c'est aussi dans cette optique mettre de coté ses préjugés politiques ou culturels afin de considérer l'autre comme son frère, c'est renoncer à l'attachement aux valeurs matérielles afin de se montrer généreux lors du passage du « tronc de la veuve » et savoir venir en aide à un frère dans la difficulté (c'est ici se dépouiller vraiment de certains métaux), bref c'est se comporter avec humilité, se tenir sur ses gardes face à tout se que représente le monde profane et je dirai savoir se reconnaître une certaine ignorance pour être prêt au partage.

En conclusion, « Laisser les métaux à la porte du temple », c'est l'acte maçonnique par excellence, c'est à la fois un préalable à la quête spirituelle mais aussi une vertu à développer, sans lui pas d'initiation pour le futur franc-maçon, sans lui pas d'égrégore dans le temple, j'ai presque envie de dire, sans le dépouillement des métaux, pas de franc-maçonnerie.

A ce sujet, une question et un souhait, les francs-maçons ne sont pas des saints et la franc-maçonnerie n'a pas pour objectif d'en fabriquer, nous sommes tous le résultat d'une histoire, d'une culture, d'un vécu... Une question dis-je : quand faut-il « récupérer » ses métaux ? Mon souhait d'apprenti si j'en juge à certaines conversations au ton bien profane qui m'arrivent aux oreilles après la tenue, je dirai après les agapes ! (Humour, enfin presque !)

Vénérable maître, j'ai dit.

J\ B\


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