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Nous avons laissé nos métaux
 à la porte du Temple


Les métaux ont toujours constitué pour l’homme des symboles de puissance ou de richesse. Maîtriser le bronze ou le fer, c’était posséder les armes et donc le pouvoir. Détenir l’or, c’était accéder à la richesse.

L'homme a reçu l'usage des métaux, comme un dépôt et non comme une propriété, comme toute chose sur cette terre, mais, trompé par ses instincts les plus primaires, il en abuse par l'usage trop immodéré qu'il en fait. Il s’est éloigné de sa véritable nature, et a modifié son échelle de valeurs. Les bouleversements planétaires actuels, qu’ils soient humains ou climatiques, ont pour origine l’homme et ses excès, l’homme et ses passions. Les passions peuvent être innocentes, mais l’abus que l’homme en a fait les a rendues criminelles.

Il faut le dépouiller de ses métaux. C’est lui faire le plus beau des cadeaux, c’est lui rendre son humanité perdue, c'est lui rendre la grâce de bien user des bienfaits de la Nature.

Pour construire le temple de l'humanité, il faut laisser ses passions et ses métaux à la porte du Temple.

Pour son initiation, avant sa première épreuve dans le cabinet de réflexion, le postulant est dépouillé de tout ce qu’il porte sur lui de précieux, et, en particulier, des objets métalliques, qui symbolisent "ce qui brille d'un éclat trompeur". Il est débarrassé des biens qui lui semblaient essentiels, argent et bijoux Cela ne veut pas dire qu'on lui enlève ce qu'il possède. On n'enlève pas à ce profane ce qu'il est, on lui enlève ce qu'il n'est pas, ce qui ne fait pas partie de lui-même, et surtout, on lui démontre qu’il peut s’en passer. Dans cette pièce obscure, au décor macabre, le profane abandonné au silence et à la solitude est placé devant la nécessité de la mort, qui seule, permet la renaissance à une vie nouvelle. Il se retrouve symboliquement in utero, dans la matrice originelle, prêt à la métamorphose. Ce dénuement symbolique, et le choc psychologique qui l’accompagne, l’incitent à un retour sur lui-même, à une remise en question qui le préparent à sa nouvelle vie.

Plus tard, il baissera la tête pour franchir la porte basse, dénudé, les yeux bandés, et la corde au cou. Il subira les épreuves de l’eau, de l’air et du feu. La fonction de ces voyages symboliques est de susciter une réflexion qui lui permettra de se dépouiller de ses préjugés, de se débarrasser de tout ce qui peut l’inhiber, de ces métaux qui alourdissent le profane, qui le rendent pesant. Il changera ainsi la nature de son regard sur le monde, cette expérience existentielle fondamentale le conduira à transformer sa manière de penser et d’exister, et de l’assumer.

Les richesses matérielles, les honneurs, les distinctions, nous aveuglent souvent. Ils développent notre ego, mais uniquement dans cette illusion que nous renvoie le regard de notre entourage et du monde extérieur. Face à ces métaux, la démarche maçonnique nous propose l’humilité et la clarté, qui conduisent à la véritable lumière. Les valeurs profanes n'y ont plus cours, au vieil homme succède l’homme nouveau, au chaos, l’harmonie, et aux ténèbres, la lumière.

Ce que l’on réalise dans nos ateliers, après le dépouillement des métaux à la porte du Temple, c’est une démarche fraternelle, par l’immersion empathique au sein d’un groupe. Tout profane ressent profondément en lui-même la phrase de Jean-Paul Sartre : «L'enfer, c'est les autres». Parce qu'il vit en société, l’homme ne peut laisser exploser son moi profond. Chacune de ses tendances est brimée par la structure sociale nécessaire dans laquelle il se trouve. S'il choisit la solitude, et l’utilisation de ses propres moyens, sa quête de la connaissance sera limitée, et, s'il opte pour la recherche en groupe, il lui sera impossible de communiquer tout, d'avouer tout, de reconnaître tout, et de se dépouiller face aux autres.

Tel est donc le sens et le but de la fraternité en maçonnerie. Nous nous réunissons en groupe après avoir laissé nos métaux à la porte du Temple, c'est-à-dire que dans ce cocon protecteur, dans cet oeuf, où nous accédons à une vie nouvelle, nous avons abandonné la part matérielle de nous-même, nos inhibitions, notre agressivité. Nous avons, par principe, accepté la totalité des autres individus, qui sont devenus nos Frères.

Comme le disait Sénèque : « Si tu veux connaître ta valeur exacte, mets de côté argent, maison, honneurs. Regarde au-dedans de toi-même ».

Depuis mon entrée en franc-maçonnerie, j’essaie de prendre conscience de moi-même. Cela fait partie de ma construction. La prise de distance avec soi-même, pour mieux appréhender sa personnalité est une épreuve difficile, que la plupart des hommes redoutent. Ils n’ont pas la liberté d’esprit, qui permet de prendre le recul nécessaire à cette introspection salutaire.

Cette prise de conscience doit m’aider à abolir les obstacles qui se dressent entre celui que j’ai cru être et celui que je suis réellement depuis toujours, et que je dois faire émerger. Je dois devenir moi-même. Je dois franchir le barrage de mes fausses certitudes et de mes angoisses pour arriver au cœur de mon être intérieur. Je dois regarder en moi, chercher  mes qualités et mes défauts, et les reconnaître, sans me mentir, en restant objectif. Chercher des excuses serait une perte de temps, car personne ne me jugera, hormis moi-même.

Pour y parvenir, je dois me dépouiller de mes métaux, ce qui est plus facile à dire qu’à mettre en œuvre. En effet ces métaux constituent tout ce  à quoi j’étais habituellement attaché dans le monde profane. Ma peur de les perdre m’empêche encore parfois d’avancer.

Je dois ouvrir toutes grandes mes oreilles, mon esprit, et mon cœur. Je dois me prendre en charge avec détermination, patience et persévérance. Le combat que je mène contre les vils métaux que sont l’orgueil, l’ambition et les mauvais sentiments doit se vivre quotidiennement, il exige une vigilance de tous les instants. Cette quête permanente est un travail douloureux, car depuis notre naissance, nous sommes conditionnés, et prisonniers de certains modes de pensée que nous croyons personnels, mais qui nous sont insidieusement imposés par le monde qui nous entoure. 

Je dois déposer les métaux, pour changer mon regard, ne plus subir la vie de l’extérieur, mais la vivre de l’intérieur, avec sérénité, à ma vraie place. Cette libération me permettra de m’élever spirituellement, de me purifier, de découvrir le monde réel, et de passer de l’état d’esclave à celui d’homme libre. La route est longue pour y parvenir.

Ces métaux, j’apprends également à les faire taire, à ne plus les entendre tinter et sonner. Le silence des métaux me permet d’aborder les problèmes en toute impartialité. En les faisant taire,  je deviens plus objectif, dans ce que je dis, et dans ce que je fais. Je trace paisiblement mon sillon, à travers l’impatience et la précipitation ambiantes.

Le fondement et le but de la franc-maçonnerie, ce sont la Paix et la Vérité, imprégnées de l’amour et de la bonté pour nos Frères, et pour toutes les créatures. Le moment est venu pour moi d’exprimer cette essence dans ma vie personnelle. Je veux réformer le monde ? Je dois commencer par moi-même, sinon, quelle serait ma légitimité ? Pour cela je dois me dépouiller des métaux de la subjectivité, des envies, des rancoeurs, des colères, des certitudes stériles. Ces métaux-là ne sont pas nobles, ils sont les scories qui polluent ma paix intérieure. Je dois les écumer. Je ne dois pas simplement aimer ma famille et mes amis, car limiter l’amour, c’est d’abord le nier. Je dois être ami avec mes semblables, les écouter, tout en exprimant ma vérité, calmement et clairement. En faisant abstraction des métaux des autres, je peux aller plus loin dans leur compréhension, et, au-delà des apparences, discerner ce qui est dit, de celui qui le dit.
  
A la fin d’une tenue, bien que les travaux soient clos, nous ne devons pas nous empresser de reprendre les métaux laissés à la porte du Temple, mais plutôt de vivre le monde profane en initié, et tenter de continuer l’œuvre maçonnique. Ma conception personnelle de la plénitude maçonnique, ce serait, un jour, de laisser mes métaux à la porte du Temple, et de ne jamais les reprendre en sortant.

C\ R\ 

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