Obédience : NC Loge : NC 09/04/2015

 

L’étoile flamboyante

Je me souviens encore de cet instant si particulier, ou mes membres fébriles et hésitants, se sont pris à découvrir et à apprécier le mouvement répété et progressif de cette marche tant redoutée. Ce moment de solitude intérieure ou le corps se met en mouvement, sans savoir réellement où il
va nous mener.

Je me laisse à penser qu’après le temps de l’émotion, vient celui de la réflexion. Celui du chemin que doit tracer le Compagnon.

C’est symboliquement que tels les entrelacs qui décorent nos colonnes, les saisons se sont succédées, au fil de ces longs voyages.

Au nord, j’y ai craint l’hiver et sa peine, son obscurité, son monde souterrain.

A l’est, le printemps m’a ouvert les yeux, comme la jeune pousse qui cherche la lumière, j’y ai vu l’aube, la création.

Au sud, l’été m’a réconforté et sustenté, midi m’a guidé, la fleur de tournesol m’a inspiré, la plénitude m’a conseillé et m’a orienté vers un monde que certains diront « supérieur ».

A l’ouest, avec l’automne, le crépuscule a agi sur mon devenir, sur ce lien entre lumière et obscurité, entre la vie et la mort, entre le sacré et le profane.

A ma grande surprise, mon chemin fut parsemé de paysages magnifiques, de senteurs étonnantes, de saveurs délicates, d’improbables harmonies vibratoires, et de pierres toutes si différentes au demeurant.

Comme les bâtisseurs de cathédrales et les maillons qui m’ont précédé, j’ai tracé dans la poussière de ce sol imparfait, les contours de ma propre construction, cette épure, ébauche de mon devenir dans l’univers, dans ce fragment de cosmos étoilé.

Les Adeptes du Grand OEuvre alchimique pensaient se transformer en transformant la matière, alors je me suis laissé guidé par l’altération intrinsèque du temps et de l’espace. Je me suis libéré de mes carcans pour repenser cet acte de construire.

En tant qu’Apprenti, et pour apprendre à me connaître, je suis allez chercher mes imperfections au plus profond du « moi », en suivant la verticalité, en dégrossissant les différentes facettes qui me constituent, par l’usage du maillet et du ciseau, non sans quelques blessures, car puissance et précision ont souvent été à la recherche l’un de l’autre, je vous l’avoue.

L’hésitation et le geste imparfait ont laissé place au fil des coups répétés, à un travail plus sûr, plus précis, plus rapide, mais aussi plus riche grâce à sa technique et sa pratique régulière. En tant que Compagnon, je me suis découvert par rapport aux autres, en travaillant sur l’horizontalité, avec l’usage des sens, compléments inséparables du maillet et du ciseau, qui m’a permis d’ôter de moi, l’obstacle du contact.

Malgré les conseils avisés des pierres taillées que je découvre sur les chantiers, je doute encore et toujours de cette force, cette sagesse et cette beauté tant recherchée. Et si par malheur, pressé d’achever mon travail avant de l’avoir commencé, je m’aventure en dehors de cette double dimension, la pression mal contrôlée du geste n’aura d’autres conséquences que de déliter inexorablement mon socle. Support de mon devenir.

Ma fondation se lézardera, et le temple que je m’efforce de bâtir disparaitra à jamais, éventré par cet orgueil sous-jacent.

Alors, suis-je une pierre ? Mes semblables me reconnaissent comme telle me direz-vous. Oui mais avec ses aspérités et imperfections. Je me dois de mieux les connaître, d’apprécier avec discernement la place de ce bloc dans l’édifice qu’est et que sera l’humanité.

C’est porté par le souffle chaud et savoureux de son courant ascendant, que le feu de l’étoile intérieure du Compagnon que je me dois d’être, initie cette force universelle qu’est la connaissance : ma connaissance.

Ce scintillement presque invisible au demeurant, parce qu’opacifié et occulté de ma vision profane, a laissé apparaitre des reflets aux contours géométriques bien définis, presque naturels et graduels.

Cette proportion, divine pour certains, beauté inhérente de l’esprit de géométrie pour d’autres, trace un équilibre isostatique, logique et parfait Armé de ma canne, j’arpente, je tire, je trace, je contourne, je ponctue.

Comme les constructeurs médiévaux, j’agis par analogie.

Comme le Compagnon, je procède avec discernement, je trace dans la « Chambre du Trait », et passe de « l’ab-strait » au « concret ». Je découvre enfin l’invisible caché derrière l’apparence. La morphogénèse chlorophyllienne de cette jeune pousse va enfin donner vie. La spirale du
temps a fusionné presque naturellement les éléments, entre eux l’alchimie a pris corps, au coeur de cet arbre de vie.

Tels les amas de pierres enchainées au fil du temps d’une oeuvre de Smithson, ou comme l’enlacement végétal des voutes gothiques de Mauri, je suis le reflet de ce lien, de ce cordon ombilical qui me lie à la terre mère, à ce sédiment nourricier, vecteur de vie et de création. Ma progression géométrique au coeur de ce cercle si souvent parcouru, mais jamais achevé, se segmente, se triangule, se positionne dans ce plan quasi métaphysique qu’est le pentagramme, où ma recherche ontologique se précise, mon existence prend forme, mon libre arbitre s’affine. Cette étoile où l’harmonie interne et externe se complète, n’a de sens que pour celui qui ne sait la déchiffrer, que pour celui qui ne sait discerner l’irrationalité du nombre d’or, qu’à l’infinitude de ses proportions harmonieuses.

Un seul trait suffit, me glisse les murmures des colonnes. Encore faut-il connaitre sa signification véritable. Celle de l’homme qui cherche à se redresser, qui cherche à atteindre son étoile, qui deviendra lui-même étoile, tracé dans cet espace qu’est le temps maçonnique, à l’aide du
compas, et de la règle.

Comme le pèlerin des régions septentrionales sur la route de Compostelle, je me donne le but et le moyen d’atteindre cette étoile intérieure, sa puissance et sa clarté traverseront les nuages et me guideront dans les ténèbres passagères, car « C’est au coeur des ténèbres que l’homme voit
le mieux les étoiles », disait Emerson en contemplant la nature de la vie.

Comme l’étoile, je suis aligné par rapport à mon axe de rotation. Toujours immobile, elle guide dans l’obscurité notre parcours maçonnique.
Destiné à voyager et à briller, le Compagnon est comme l’homme au coeur du cercle de Léonard de Vinci, au centre de ce pentagramme. Les cinq pointes en sont les membres. La tête analyse et décide. Les bras et les jambes délimitent la sphère et l’action. Il porte à lui seul l’enveloppe de
l’univers.

Il irradie progressivement, comme l’étoile flamboyante, qui démontre une activité rayonnante, et symbolise le flux et le mouvement qui partent d’un centre, du coeur vers d’autres coeurs. Flux de lumière et de chaleur. Flux de bonheur et d’harmonie.

L’étoile flamboyante peut représenter l’initié parfait que je me dois de devenir, le lien entre la matière et l’esprit, entre l’équerre et le compas, entre rigueur et ouverture.

La lettre G en son centre transcrit la Géométrie, science qui était autrefois considérée comme le cinquième des arts libéraux, le fondement de toute science dont nous sommes les constructeurs, celle des maçons, que Pythagore nous a léguée, élaborée au cours de ses voyages et avec sa
théorie des nombres.

C’est à nous désormais de transmettre, de glorifier ce travail par l’usage des outils symboliques, de rayonner dans le but de notre amélioration, ainsi que celle de l’humanité toute entière. Mettons en oeuvre l’éthique de réciprocité, cherchons l’altruiste qui sommeille en nous. Armons-nous de force et de vigueur, et sachons trouver l’étoile.

Elle, qui lors du dernier voyage du Compagnon s’est dévoilée au sein de cet espace-temps sacré, comme le miroir du flamboiement éphémère.

Témoignage perpétuel du labeur du Compagnon franc-maçon : celui de passer de la Perpendiculaire au Niveau, et devenir ce rayon bénéfique. Ce vaste chantier qu’est le nôtre, mes SS\ et mes FF\, celui d’« Achever au-dehors l’oeuvre commencée dans le Temple ».

J’ai dit.

P\ B\ O\


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