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Gloire au travail


Nous étions mal partis, nous les enfants du judéo-christianisme pour considérer que l’on doit  rendre hommage au travail !

Une malédiction originelle pèse de tout son poids depuis que, selon l’ancien testament, « l’éternel » chasse Adam et Eve et les projette à l’est du jardin d’Eden. C‘est à la sueur de ton visage que tu gagneras ton pain, menace-il le premier. J’augmenterai la souffrance de tes grossesses et tu enfanteras dans la douleur prophétise-t-il pour la seconde.

C’est donc à force de peine et travail  que l’homme tirera la nourriture du sol. Si l’on ajoute à cela que l’on a coutume d’appeler « femme au travail » les efforts de la parturiente, la malédiction de Yahvé pourrait se  résumer en trois mots : « Condamnation au  travail ».

Durant de longs siècles les autorités religieuses rappelèrent aux pauvres hères que leurs naissances dans cette sphère besogneuse, était  voulu par Dieu. Ils étaient donc très justement placés là pour racheter le péché originel.

Fort heureusement, dès qu’il en a eu les possibilités (peut-être dès qu’il a connu « le verbe ») l’homme s’est acharné au travail. Non pas pour racheter quelques fautes que ce soit, mais pour faire avancer l’humanité dans la voie du savoir de la compréhension du monde et du progrès. Pour autant le travail a été rude, la souffrance et la mort ont  souvent accompagnés cette création de biens et de bien-être.

Lorsque tout jeune, à peine sorti de l’adolescence  je « montai » à Paris, j’avais bien d’autres ambitions que le travail. Je travaillais pour pouvoir survivre mais j’étais guidé par cette idée libertaire qui me soufflait qu’il ne fallait pas perdre sa vie à la gagner. Les 9 heures de travail quotidien me paraissaient lourdes, ennuyeuses et sans perspective. J’avais un collègue, qu’à l’époque je trouvai âgé, il devait bien atteindre la quarantaine, un juif séfarade plein de bonté avec une certaine mansuétude pour mon jeune âge. « Mon petit » me dit-il « tu passes 9 heures par jours ici. Autant que cela te soit bénéfique, investis-toi dans ton travail et tu en tireras satisfaction ». Je ne sais pourquoi, peut-être simplement par orgueil, mais j’ai suivi son conseil, j’ai voulu tout expérimenter de mon travail et suis devenu, assez rapidement une sorte de référence. J’étais en quelque sorte : « Content et satisfait » mais je ne le manifestai pas vraiment par mon silence. Si la discrétion et la réserve n’était pas mes qualités premières, je gardais, toutefois une forte idée de la valeur du travail, et de sa contribution au bien général.

Lorsque le vénérable maître s’adresse en ces termes au premier surveillant : « Les ouvriers sont-ils contents et satisfaits », on a une tout autre approche que la malédiction du travail. Le travail en loge se doit d’être à la fois : fondamental, harmonieux et  émancipateur.  Selon ces termes, il doit se situer au sommet de notre idéal. C’est pourquoi, l’ensemble des frères reprennent en cœur à la demande du Vénérable Maître: « Gloire au travail ».

Lors de l’initiation au second degré, le frère reçoit à chaque voyage des outils : Maillet et ciseau pour les cinq sens, règle et levier pour les ordres d’architecture, fil à plomb et niveau  pour les arts libéraux, l’équerre  pour les grands initiés. Le parallèle entre les outils et la teneur du voyage n’est pas toujours évidente. Il est nécessaire d’étudier chaque fonction en profondeur pour tenter de conclure à un rapprochement ou d’en deviner un rapport.

Je tâche, avec peu de succès, de déconstruire la forme figurative de chaque objet pour en deviner un sens symbolique moins évident. Mais ce n’est pas suffisant. Mon esprit rationaliste ne peut que m’amener à trouver un lien avec une réalité concrète.

Curieusement, c’est justement au 5ème voyage, « Gloire au Travail » qu’aucun outil n’est proposé. Il ne s’agit donc plus d’un travail appelant une réflexion manuelle intelligente, mais d’un travail les mains libres de tous outils, ne se posant que sur la seule pensée.

Ce cinquième voyage pourrait être, sinon le résumé, du moins la conclusion des quatre autres. Pour pouvoir être réalisé, il a toutefois besoin des quatre précédents. Il ne peut être porteur qu’en s’appuyant lui-même sur ces quatre bases.

Pour ce travail de réflexion et de recherche que nous tentons de pratiquer en loge, il ne s’agit plus en écoutant les planches ou les interventions de nos frères, de tolérer une idée, mais d’aller plus loin et d’entrer dans une phase de compréhension. Non pas pour  changer d’opinions ou de philosophies  mais pour comprendre le cheminement de l’autre, réfléchir pour une fois non pas à partir de ses propres évidences mais suivant les vérités de l’autre.

« L’ennemi de la vérité » dit Friedrich Nietzsche « ce n’est pas le mensonge, ce sont nos convictions. ».

L’adversaire principal n’est donc peut-être pas le faux semblant, l’imposture, le manque de simplicité… mais la présence quasi permanente des certitudes.

Ce n’est pas un travail facile. Il faut pour cela, comme l’a dit un de nos frères dans cet atelier, ne pas se contenter de regarder mais voir, ne pas se contenter d’écouter mais entendre. Il faut essayer de franchir un pas de plus et de passer de la tolérance bienveillante à la bienveillance tout court…

Les outils et les symboles qui sont proposés à notre réflexion sont ceux qui nous ont été légués par les hommes qui nous ont précédés. Si tel est le cas, il serait peut-être plus judicieux de ne pas se perdre dans des méandres philosophiques pour aller chercher la vérité mais de considérer que cette même vérité a été déposée sous nos yeux par les civilisations qui nous ont précédées… Reste à apprendre à  les lire !

Selon Galilée : « La philosophie est inscrite dans ce vaste livre (l’univers) qui constamment se tient ouvert devant nos yeux et on ne peut le comprendre sans avoir d’abord appris à connaître la langue et à interpréter les caractères dans lesquels il est écrit. ». Pour Galilée cette langue c’est les mathématiques.

En Italie, dans les Pouilles, il y a, un joli village, Alberobello, ou les maisonnettes, nommées « trulli » sont construites à partir des matériaux se trouvant sur la surface même de l’habitation. C’est-à-dire, non pas de matériaux sortis d’une carrière voisine, mais les seuls matériaux se trouvant dans les limites même de la surface de la future construction. Chaque lauze est prélevée sur place et montée, sans le secours de liant, sous forme de mur arrondi d’abord puis entreposé de manière à bâtir un toit en forme de cône. Un peu comme nos bories sauf que les lauzes sont celles creusées sur la surface même de l’habitation. Ainsi chaque prélèvement du sol sert à la fois à l’élévation extérieure et à la réalisation d’un espace en profondeur.

Je me sers de cette image, parce qu’elle est peut-être susceptible de définir symboliquement, du moins tel que je la perçois, la construction du maçon… On ne se contente pas de chercher à l’extérieur le matériel pour se construire mais on va tenter de puiser au plus profond de soi pour extraire peu à peu les pierres nécessaires à l’élévation de son propre édifice.

Pour ma part la raison, domine mes possibles recherches et mes pensées. J’ai tendance à ne pas prendre en considération mes intuitions. Je sais pourtant  que l’intuition devrait se conjuguer avec la raison, comme deux méthodes de recherche inséparables. Comment appréhender les symboles qui nous entourent sans suivre une inspiration que nous voudrions clairvoyante. Le sentiment n’est pas toujours proche du raisonnable et la raison finalement assez rarement sensitive.

C’est peut-être pourquoi  Gérard de Nerval disait qu’il se hâtait, dans sa quête, d’aller chercher les autres déceptions que lui réservait la science. Il ajoutait toutefois : « La patience était la plus grande vertu des initiés antiques. Pourquoi passer si vite, arrêtons-nous, et cherchons à soulever le voile austère de la déesse de Saïs… ».

Il est difficile d’être patient. Un de nos frères disait il y a quelque temps dans cette loge que le temps n’avait pas d’importance quel que soit notre degré, quel que soit notre qualité. Mais voilà, a l’exemple de Maïakovski « nous voulons l’avenir aujourd’hui » et comprendre tout de suite ce qui n’est pas encore intelligible, atteindre à ce qui n’est toujours pas accessible, entendre ce qui n’est pas encore audible. On tente alors de déchiffrer lettre après lettre un texte qui nous échappe dans sa globalité mais c’est probablement là que réside l’essentiel du travail qui nous est demandé, avec  son lot de patience et de réflexion, de persévérance et d’écoute.

Comment travailler sur soi ? Nietzsche préconise : « Tu dois devenir l'homme que tu es. Fais ce que toi seul peux faire. Deviens sans cesse celui que tu es, sois le maître et le sculpteur de toi-même. ».

Tailler sa pierre en quelque sorte, en allant chercher au fond de soi.

On ne peut cependant le faire qu’au contact et avec l’aide des autres. En nous souvenant, comme nous l’apprenons dès l’initiation, que « Le plus dangereux ennemi que tu puisses rencontrer sera toujours toi-même. ».

« La musique » dit-on « rend audible ce que l’on n’entend pas» comme la poésie rend compréhensible l’intuitif.

Je compte sur vous, mes frères pour être la mélodie et le souffle qui  m’aideront à déchiffrer l’énigmatique et à conjuguer raison et intuition.

M\G\


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