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La boite à outils du compagnon

Comme chaque jour je m’étais retiré de bon matin dans mon atelier de sculpteur, petit appentis de planches disjointes, devenu ce lieu privilégié où régnait une palpable influence spirituelle propice au travail manuel et à la réflexion, et où, à partir de la pierre brute, je tentais, jour après jour, de réaliser une œuvre de glorification libératrice du travail, sorte de chef-d’œuvre, fondé sur une incitation permanente au perfectionnement intellectuel et moral tant individuel qu’universel.

Comme tout Art la sculpture est un chemin initiatique, un chemin de recherche, où tailler dans la chair de la pierre, la façonner pour la dégager de ses scories et ainsi permettre l’accomplissement de l’œuvre, s’apparente à notre propre transformation où l’initié, peu à peu, éclat après éclat, va parvenir, dans la sagesse, à la maîtrise de son esprit, à l’accomplissement de son « Grand Œuvre ».

Sur ce « chantier », qui depuis tant d’années était devenu mon principal art de vivre, dans cet univers emplit d’outils virtuels, de symboles créateurs d’images, de « signes » se rattachant à un rituel traditionnel et immuable, je pouvais réfléchir tranquillement, pierre taillée après pierre polie, à la finalité de mon engagement dans cette voie de construction du « Temple de lumière et de vérité » : le Temple de l’universelle fraternité.

Donc, ce matin là, assis devant ma « boîte à outils », dans ce lieu de travail, tant matériel que spirituel, ouvert sur un espace multidimensionnel, sur une géométrie de l’espace où, par équerre, niveau et perpendiculaire, je pouvais cheminer,« de la pierre brute à la pierre taillée » et « de l’équerre au compas », le long d’un carré long, lieu où devait se réaliser « l’œuvre », j’avais consciemment le sentiment d’une proximité concrète avec une tradition ancestrale héritée du temps passé.

Et là, devant cette boite ouverte sur un devenir dynamique, je songeais comment, par une réalisation constructive, donner du sens à chacun de mes outils, outils qui m’apparaissaient alors comme une représentation d’un monde à la foi réel et fictif, un monde où chacun d’eux aurait sa place et sa fonction. J’avais conscience que chacun de ces outils, interprétation matérielle d'une sorte de « bibliothèque virtuelle », qui me permettait de toujours choisir le bon outil et de le manipuler dans le cadre du meilleur rapport qualité/temps, chacun de ces outils étaient aussi le moyen de perpétuer une tradition, voire un art.

A ce stade de l’observation méthodique de tous ces outils (et j’en avais plusieurs à ma disposition, certains étaient des outils de façonnage, d'autres de contrôle ou de traçage, ou, selon l'usage qu'on savait en faire avec l'expérience, les deux ou les trois à la fois), je remarquais que nombre d’eux pouvaient efficacement et indifféremment s’utiliser des deux mains et qu’en fait il suffisait de les adapter à sa propre personnalité pour les utiliser correctement, pour bien s’en servir, pour être un bon ouvrier, et surtout pour être reconnu comme tel. Mon Père d’ailleurs me l’avait enseigné en son temps me disant très souvent que les outils n’ont que la valeur de l’usage qu’en fait leur utilisateur et que : « Les mauvais ouvriers n’ont jamais le bon outil ! ».

Même si rien n’est jamais parfait, tout noir ou tout blanc, je constatais que tous ces outils avaient entre eux une interaction permettant non seulement une organisation rationnelle du travail mais également une efficace maîtrise de l’œuvre à entreprendre : bâtir mon Temple intérieur.

Il me restait alors à comprendre, à interpréter, au-delà des explications livresques communément admises mais forcément subjectives puisque chacun a sa propre interprétation, l’utilité de chacun de mes outils dans leur expression symbolique ainsi que leur champ d’application respectif, tant matériel que spirituel, comme moyen d’accéder à la Connaissance et à la Sagesse ultime.

Tenter de comprendre l’outil, de le définir était-ce cela, et uniquement cela, le but, l’objet de ma démarche ? Certes non ! Au-delà de cette démarche de compréhension il faut prendre conscience de notre relation intime avec nos outils, réaliser le sens profond de chacun d’eux, jusqu’au point à se demander si nous ne serions pas nous-mêmes les outils de notre propre transformation !

Et dans cette transformation l’outil prend tout son sens, sens qui doit nous rendre sensible, à la compréhension de son essence. Nous sommes là dans le domaine de la sensitivité, de la spiritualité et de la métaphysique, voire de l’ontologie, ou peut être simplement de l’intuition ! Car comprendre les outils ne serait-ce pas, essayer d’entrer en soi, de passer de l’autre côté du miroir par une introspection, une méditation intérieure, volontaire et durable, afin de mieux appréhender notre environnement au delà de notre monde matériel, avec comme support, ces outils ? Comprendre les outils, leur utilité, soulever le voile du symbole, ne serait-ce pas une démarche obligée pour accéder à une forme supérieure de spiritualité et d’universalisme ? J’en étais là de ma réflexion, me demandant quels outils adéquats et cohérents représentaient une suite logique à ceux utilisés jadis sur les chantiers des Maçons opératifs, ces constructeurs de cathédrales qui avaient élevé, grâce au génie et à l’intelligence, la science de la géométrie au niveau d’un Art Royal, quand un dialogue improbable et parfois discordant s’engagea entre ces différents outils soudain comme animés d’une vie propre !

Le Compas et l’Equerre étaient les premiers à discourir entre eux de leurs vertus respectives fondées sur la mesure de l’Esprit et de la Matière.

Le Compas tournant et virevoltant sur ses pointes, tel une danseuse de ballet, traçant le cercle du cycle de la vie déclarait haut et fort : « Je représente la conscience supérieure de l’Être, image du monde céleste, je suis le centre du « Tout » et de l’éternel absolu, je suis l’Esprit, celui qui, la tête au ciel et les pointes sur terre, détermine les acticités créatrices et le dynamisme du constructeur qui, au fur et à mesure de l’ouverture de sa conscience affine sa vigilance et sa maîtrise de soi ».

Fort de sa qualité ancienne l’Equerre rétorquait : « Quant à moi je représente la morale, le respect des lois, et de l’ordre. Je suis la « Norma », le modèle, l’exemple ; je suis la représentation symbolique de l’espace terrestre et de la Matière que je rectifie et ordonne, comme j’ordonne et rectifie le raisonnement et les idées afin que la construction de l’édifice soit « juste et parfaite ».

Puis venaient le maillet et le ciseau, vieux couple, inséparable, lié par une énergie agissante, complémentaire dans leur action mais toujours en querelle, l’un protestant constamment d’une voix dure et tranchante contre les coups reçus, l’autre le percutant avec fermeté et résolution à coups « retriplés » pour l’aider à façonner la pierre vivante ! « Je suis celui qui, comme au spectacle, frappe les trois coups qui ouvrent la représentation, le passage d’un monde profane à un monde sacré, car je suis l’emblème de celui qui dirige les travaux » - disait le maillet - « Symbole de pouvoir, de puissance et d’autorité, je représente également cette volonté spirituelle, cette présence de l’esprit, porte de l’accès à la Connaissance et à la création ».

« Sans doute ne puis-je rien sans toi » – rétorquait le ciseau à son compère – « mais tu ne peux rien sans moi ! Je suis ton intermédiaire obligé entre l’Esprit et la Matière. Si tu es l’action je suis la réaction ; même si je suis parfois trop tranchant dans mes répliques je suis celui qui, en faisant tomber les éclats qui nous cachent la réalité du monde, donne à l’ouvrier la possibilité de rectifier et de transformer son environnement ».

Experts de la vérification tous azimuts voilà que se présentaient des jumeaux : le « Niveau » et la « Perpendiculaire », autre inséparable couple constamment entre verticalité et horizontalité.

C’est le niveau, toujours précis dans sa recherche de « l’équerre juste » qui s’exprimait en premier : « Si mon nom latin est « libella », qui signifie « balance », je n’en suis certainement pas une (de balance !), même si, au départ, j’oscille souvent avant de m’affermir dans des certitudes. Tout en étant apte à mesurer les différences de niveaux, je ne suis pas qu’un simple égalisateur entre verticale et horizontale mais celui qui, par la recherche constante de la précision, de la perfection et de la stabilité, participe à la mise en œuvre correcte des connaissances. Sans avoir un égo surdimensionné je suis tout de même considéré par certains comme un vrai bijou ! »

A son tour la perpendiculaire, outil simple et ingénieux ne manquant pas d’aplomb, déclarait : « Bien que souvent on voudrait que j’aille me faire pendre ailleurs, je suis grâce à mon poids dans la recherche en profondeur de la vérité, cette indispensable voie droite qui indique la verticalité idéale, l’axe du monde. Je suis le symbole de cette exploration, au cœur des choses, qui est une invite à un voyage intérieur à la recherche d’un équilibre autour duquel tout s’articule. Par la rectitude de mon jugement que rien ne détourne certains n’hésitent pas à me considérer moi aussi comme un beau bijou ! ».

Retour d’un troisième et lointain voyage la Règle et le Levier, fidèles compagnons de route et pourtant si dissemblables dans leur utilité première, s’avançaient tour à tour pour s’exprimer.

« Ma règle - dit la Règle - est de toujours suivre la règle et d’agir avec méthode, mesure, équité, rectitude et précision pour tracer une ligne droite entre morale et devoirs, ainsi que leur stricte application. Avec mes 24 pouces je suis l’outil idéal pour, d’une seule main, diriger et vérifier le travail accompli ».

Le levier, toujours un peu rigide dans son comportement mais fort de sa puissance élévatrice de la pensée vers la connaissance, déclarait avec force et vigueur : « Par l’application de la raison, de la volonté, de la logique, du discernement et de l’intelligence, je suis déterminé à vaincre toutes les résistances et je peux ainsi, déplacer ma pierre, soulever des montagnes, et découvrir la face caché des choses ».

Et la Truelle me direz-vous ? Qu'en est-il de la truelle qui est le seul outil maçonnique « célibataire » ?

Elle aussi avait son mot à dire dans ce concert où chaque outil voulait apporter sa note et faire entendre sa musique : « Je suis celle qui unit, celle qui permet de lier les pierres entre elles, de rassembler ce qui est épars pour en faire un ensemble cohérent. C’est moi qui permet un ajustement de différentes pensées par comparaison de données très diverses, en respect des opinions, des croyances et idées de l’autre, pour trouver et confronter les points communs ou de divergences et contribuer ainsi à faire croître une pensée plus riche et plus harmonieuse. Je représente l’achèvement du travail ».

A l’issue de cet échange imaginaire où chaque outil avait avec conviction exprimé sa raison d’être, un constat s’imposait, sorte de synthèse en forme de conclusion.

L’outil, prolongement de la main, est avant tout le moyen que s'est donné l'homme pour agir sur son environnement. En ce sens, pour le franc-maçon, prolongement de l’Esprit, il est destiné à devenir le symbole du lien entre les deux dimensions de chaque être humain : l’une d’ordre rationnel, la conscience de soi, impliquant analyse, donc distinction, séparation, l’autre d'ordre spirituel celui de la conscience absolue, impliquant unité, union, amour.

Chacun de nous, par ses outils, devient l’alchimiste de sa propre transformation. Chacun d’eux nous convie à cette quête profonde de vérité et nous devenons l’artisan, l'instrument actif de notre propre existence. Nous sommes tout à la fois « l’Outil » de nos actions sur nous-mêmes et sur le monde et en même temps l’ouvrier, l’artiste, le créateur, le coordinateur de ce grand Œuvre qu’est l’édification de Temple de l’humanité.

J’ai dit.

B\ G\


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