Obédience : NC Loge : NC Date : NC

Le Statut de la Parole en Loge

Le propos de ce midi est le statut de la parole en Loge. Traiter ce sujet oblige a définir la parole, a cerner son contenu et sa fonction après avoir évoqué ses locuteurs ainsi que les modalités de sa circulation.

Qu'entend-on par parole ? La parole est une vibration sonore qui se propage et se distingue du son en devenant signe. Une chose est un signe quand elle est interprétée comme le signe de quelque chose par un interprète. La réunion des signes forme un matériel de représentations. L'organisation de ces représentations délivre un contenu qui est le sens. La parole est donc un outil de communication qui exprime un sens.

Je traite de la parole en Loge. Qu'est-ce que la Loge ? Une Loge est un lieu dont le temps et l'espace ont été soustraits au temps profane et a l'espace commun pour constituer un lieu de réflexion ou l'on cherche l'idéal de perfection de notre Ordre Initiatique. Cette poursuite s'effectue au moyen de la Parole puisque nous travaillons dans une tradition orale.

La parole en Loge se décompose en trois versants :

- La parole écrite du rituel, prononcée par les Officières, selon une forme fixe.

- La conférence, ou morceau d'architecture.

- Les contributions, libres paroles des assistants qui peuvent prendre la forme de questions ou d'apports.

Ces trois temps de la parole sont trois manières différentes d'exprimer un contenu.

Réfléchissons en premier lieu à la parole du rituel. Par le vouloir et l'injonction de la Vénérable Maitresse sa parole crée un nouvel espace, l'espace sacre du Temple et transforme le temps profane, monde de l'identique et de la répétition en espace ou la parole acquiert un pouvoir créateur.

En raison du consensus de l'assemblée l'aspect intangible des paroles du rituel préserve leur efficacité. Mais leur répétition pourrait les stériliser et les fixer dans un néant. Pour ne pas anéantir la portée de ces énonciations, la parole en loge doit revitaliser le texte du rituel. Ceci nous conduit à aborder le contenu des paroles échangées en Loge, et en premier lieu celles du Rituel. Par la volonté énoncée par la Venerable Maitresse la loge est devenue un lieu de symbolisation. Symboliser c'est jeter ensemble des concepts afin d'en délivrer un sens. Qu'est-ce que le sens questionne Deleuze. Est-il manifestation des représentations organisées dans les phrases ? Devient-il signification ? Peut-on dire que le sens existe ? Car on ne peut que l'inférer à mesure que la parole le véhicule : le sens n'existe pas hors de la proposition qui l'exprime. Les stoïciens affirmaient que le sens est l'exprime de la proposition ; il le déclarait fatal. Le sens est fatal car il est fige : il fixe une pensée, délivrée sans souffrir de reprises.

Notre rituel et notre méthode arriment le sens à des images, nos outils dont le contenu doit nous conduire au sens. Mais le contenu symbolique de nos outils agit par omission, à la manière d'une métaphore qui signifie par ce qu'elle cache ou retire. Ainsi le vocabulaire que transporte-le rituel joue sur un déplacement de sens que seuls les voyages intérieurs de l'officialité et de l'initie permet de traduire. La place du sens se situe entre le dit du rituel et le symbolique qu'il sous-tend. Puisqu'il est constitue de symboles, le rituel ne peut nommer. Il reste un interdit et l'auditeur, sujet de l'initiation qu'il vit en lui-même doit restituer a cet interdit sa totalité en replaçant le signe qu'est le symbole ou sa nomination dans l'espace de sens. C'est ce déplacement du sens, non mesurable ni communicable qui constitue le secret intérieur. Et le secret est un non-dit puisqu'il ne peut être dit car il est vécu. Ainsi le rituel est-il un langage qui déclenche un vécu, un langage qui vise un non langage.

Pourquoi le rituel produit-il du secret ? Un rituel est incitatif par la formulation et l'emploi d'images qui transportent le sens sans le délivrer. Le sens reste a trouver. Il est induit, pas produit. La chose signifiée disparait dans le signifiant, autrement dit le sens représente disparait sous la parole du Rituel, qu'elle soit signe ou symbole, puisqu'est cache et non manifeste le sens qui les articule. Ce sens ne peut être donne puisque c'est sa recherche qui constitue le travail initiatique.

Que cache le secret ? Tous les artifices stylistiques ne peuvent concourir à en transmettre le sens à qui ne l'a pas saisi. Le sens en question est la connaissance que transmet l'institution. Benveniste dit : « Ceux qui communiquent ont en commun une certaine référence de situations, des représentations communes, a défaut de quoi la communication comme telle ne s'opère pas, le sens étant intelligible, mais la référence restant inconnue ».

Notre rituel et nos outils constituent notre référence commune. Les outils se voient attribuer certaines fonctions conceptuelles qui entrainent la constitution d'une syntaxe et d'une grammaire capable de produire du sens. La parole fait passer l'outil-signe au statut de signifiant, de métaphore dont le symbolisme - le terme absent - va produire une signification. Les outils sont des signes dont la parole en loge décrit le fonctionnement, en décodant leur contenu initiatique. Notre méthode maçonnique s'appuie sur une série de concepts que véhiculent les outils. C'est une manière active d'appréhender l'abstraction et notre travail consiste à mettre cette abstraction d'abord en mots, et puis en vécu.

A la manière de l'art du trait qui permettait aux « non doctes », aux « non Lettres » d'aborder l'abstraction pour apprendre a concevoir des plans, l'ensemble de nos outils rassemble le corpus de notions conceptuelles susceptibles de nous faire évoluer. Le recours à des outils pour figurer des concepts permet de conserver au travail en Loge son aspect laïc, comme d'éviter toute direction de pensée. Car les notions véhiculées ne sont pas encore traduites en langage, les référents employés sont tires de la réalité, ce qui les place hors du champ de la théologie ou des systèmes dogmatique et place le travail spéculatif à l’abri de l'idéologie.

La parole en Loge va consister à rendre au langage le bagage conceptuel que véhiculent les outils et d'en interpréter les métaphores. Nous apprenons à manier l'abstraction : l'Art Royal est l'apprentissage de la pensée. Mettre en mots le bagage conceptuel que renferment les outils est la troisième partie du travail, la première étant la méditation, la seconde la spéculation, et la troisième la formulation. Manier l'abstraction c'est querir le sens. Mais nous ne sommes pas des philosophes qui travaillons dans l'abstrait. Nous devons vivre le sens pour le trouver. Il se peut que nous le définissions selon notre trajectoire, mais il ne nous appartient pas de le fixer car il deviendrait lettre morte.

Le sens n'est la propriété de personne. L'on n'en est pas dépositaire, mais simplement mandate pour tenter de transmettre un regard sur les outils qui le véhiculent. L'outil est un signe évolutif, puisqu'il évolue au moyen de notre parole qui lui prête notre traduction de son contenu. Le figer sur une parole caduque car nous ne l'avons pas intégrée en nous-mêmes par le fruit d'un travail  intérieur c'est le dénaturer, c'est le détourner de l'idée active dont il est le porteur. Alors le symbole-signe ou outil-au lieu d'être le porteur distant d'une idée, devient opaque puisqu'il n'est plus alimente par la méditation qui permet de découvrir le sens qui l'articule a une chaine et a une méthode. C'est alors que le rituel véhicule du secret - car on a oublie qu'il transportait un sens induit sans cesse a redéfinir et non point un sens produit par des formules qu'une stérile répétition a vidées de leur contenu.

Le sacre, c'est tout ce qui met a distance le politique dit Lacan. Le politique cherche a modeler des esprits dociles au moyen d'une Doxa c'est à dire une parole dont le contenu est devenu indifférent. La parole du politique c'est la Démagogie qui assoit des certitudes sur lesquelles l'on a cesse de s'interroger. Alors la parole est morte ou mortifère. Elle fait taire des voix qui retombent dans le silence sans plus chercher à percer les énigmes. Le secret remonte a une origine inconnue que la substitution du discours a stérilisé.

Or le sens reste la vie de la parole. Le sens disais-je reste la connaissance que transmet l'institution. Cette connaissance est vie puisqu'elle s'articule sur le vécu de chacun. Si le sens ne peut être explicite dans la parole du rituel, par tradition, respect ou ligature (autrement dit silence oblige de la métaphore), aux dires du rituel au moyen duquel furent consacre l'espace, défini le temps et crée le myste vont s'adjoindre les paroles des acteurs du mystère. Le sens va surgir de la planche ou une Sœur fait part du point de sens qu'elle a trouve, ou de la libre parole dont les contributions vont tenter d'éclairer l'énigme qui s'est déroulée. Chacune vient en Loge faire partager sa trajectoire, faire part de ses découvertes. Chacune rend compte de son état d'avancement dans la quête du sens.

A ce moment la parole n'est jamais assez précise. Elle devient un exercice spirituel. Rappelons-nous qu'au Rite Français Rétabli l'on frappe sur son tablier avant de demander la parole, car la parole c'est l'outil du travail en Loge. C'est cette parole qui doit redonne vie a l'ensemble des outils et aux mythes de notre Ordre. C'est alors que le signe perd de son opacité pour devenir référent.

Le secret est disponible dit-on au Rite Français 1801. Entourées par le réseau sémantique de notre rituel, nous entrons dans le travail en Loge, moment de risque et d'émoi, ou se construit l'idée et s'aborde la recherche de la Connaissance. J'aurais voulu - et sans doute aurais-je du - parler du silence. Evoquer le serment. La constitution et la création des initiées. Dire que tout travail sur la parole nous place à la frontière entre l'imaginaire de la représentation, le symbolique de la loi que nous tentons d'appréhender et que notre parole n'est qu'un surgissement dans le réel qui essaye de permettre a l'abstrait de passer dans le système de références communes qu'est le langage. Je n'ai pu et su parler que du sens, celui qui articule notre engagement et soutient notre idéal, un sens que je me refuse à croire fatal et mortifère ce qui reviendrait a accepté la pensée magique et le déterminisme alors que nous travaillons a la création d'un espace sorti des lois de la fatalité et de la répétition pour œuvrer en l'honneur de la vie.

J'ai dit.

B\ M\ S\ P\


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