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Le Compagnonnage

Définition :

Le terme Compagnonnage désigne principalement une branche du mouvement ouvrier français, célèbre pour son Tour de France, qui connu l’apogée de sa renommée avec Agricol Perdiguier compagnon et Franc maçon, tout cela au milieu du XIXème Siècle avant de disparaître presque entièrement, suite à l’industrialisation, et à la transformation de l’apprentissage, puis à l’autorisation des syndicats ouvriers. Il a cependant échappé à l’extinction au début du XXème Siècle avant de connaître une période de renouveau.

Le Compagnonnage a été aussi pratiqué mais plus marginalement en Belgique, et sous une forme un peu différente au Canada et en Allemagne. Mais il ne s’est jamais implanté en Grande Bretagne, dans laquelle une autre forme d’organisation, les « Sociétés Amicales » ont succédé aux Confréries et Corporation du Moyen Age.

Cette appellation « compagnonnage » n’apparaît dans la langue Française qu’en 1719, pour désigner le temps du stage professionnel qu’un compagnon devait faire chez un Maître. « Du latin  populaire *companionem*, proprement, celui qui partage le pain avec un autre, de « cum », avec et *panis* « pain ». De là compain est devenu « copain ».

Au plan général humain, il évoque un compagnonnage de vie, un groupement de fraternité d’êtres vivants dont le but est : entraide, protection, éducation, transmission des connaissances entre tous ses membres.

Dans un sens voisin, le mouvement des compagnons d’Emmaüs, a, par exemple comme but « d’agir pour que chaque homme, chaque société d’hommes puisse vivre, s’affirmer et s’accomplir dans l’échange et le partage ainsi que dans une égale dignité, le « manifeste universel » c'est-à-dire d’aider à partager le pain !

Les Légendes où la genèse :

Les légendes compagnonniques font référence à trois fondateurs légendaires : Salomon, Maître Jacques, et le Père Soubise qui les mettent en scène à l’occasion de la construction du Temple de Salomon, événement censé avoir vu naître l’Ordre des compagnons.

*La légende Salomonienne est particulièrement importante dans les mythes des compagnons du « Devoir de Liberté ». Elle semble d’origine plus tardive que les autres et avoir été introduite à partir du mythe maçonnique d’Hiram dans les chambres des « Gavots » et les « Cayennes » des « indiens » entre la fin du XVIIIème et le début du XIXème siècle, avant de s’étendre dans les rituels  des autre sociétés compagnonniques.

* Selon la légende principale, Maître Jacques aurait apprit à tailler la pierre étant enfant, avant de partir en voyage à l’âge de 15 ans pour arriver sur le chantier de la construction du Temple de Salomon à l’âge de 36 ans. Devenu Maître des tailleurs de pierres, des menuisiers et des maçons, il serait revenu en France en compagnie d’un autre Maître appelé Soubise, avec lequel il se serait fâché pendant le voyage. Débarqué à Marseille, il se serait caché à la Sainte Baume pour se protéger de son rival et y aurait été assassiné, trahi par un de ses fidèles. Ses vêtements auraient alors été partagés entre les différents corps de métiers.

Une autre version de la Légende, probablement plus tardive, identifie Maître Jacques à Jacques de MOLAY, dernier Grand Maître de l’Ordre du Temple. Une autre encore l’identifie à Jacques MOLER, qui aurait été Maître d’œuvre de la Cathédrale d’Orléans en 1401.

** Représenté en robe de bure, le Père Soubise aurait été selon la légende, Architecte sur le chantier du Temple de Salomon, où il aurait encadré les charpentiers. Il serait revenu en France par Bordeaux après sa brouille avec Maître Jacques dont il aurait jalousé l’autorité. Selon certaines légendes il aurait été à l’origine de l’assassinat de celui-ci, alors que d’autres légendes l’en innocentent ! Une autre légende encore en fait un moine Bénédictin qui aurait participé avec Jacques MOLER au chantier d’Orléans.

*** Une autre légende compagnonnique importante est celle de la séparation des rites. Le mythe compagnonnique la situe en 1401, à l’occasion de la construction des tours  de la Cathédrale sainte Croix d’Orléans. Les deux Maîtres d’œuvre, Jacques MOLER et SOUBISE de Nogent auraient fait face à une grève qui aurait dégénérée en une terrible bataille suivie d’une scission ! Il semblerait que cette légende s’appuie sur des faits historiques plus tardifs, à savoir la scission entre compagnons catholiques et protestants et la destruction par ces derniers de la flèche de la Cathédrale d’Orléans en 1568.

Les Symboles :

Les rituels et les symboles du compagnonnage et de la Franc Maçonnerie quoi que l’on en pense sont quelque peu différents bien qu’ils aient quelques éléments communs.

Les Origines historiques :

Fixer une date précise de la naissance du compagnonnage nécessiterait de lui donner une définition précise qu’elle n’à jamais vraiment eue, et les archives que nous possédons ne remontent guère avant le XVIIIème siècle.                                                                                         

Il y eu vraisemblablement des organisations d’ouvriers où d’oeuvriers et d’artisans  dès les origines de ces métiers. L’étude comparée des  religions  et  des  traditions  des  différents  pays   du  monde  semblent  montrer que ces artisans se sont transmis ces connaissances plus ou moins secrètes, de génération en génération, depuis la plus haute antiquité. On en trouve des traces importantes dans l’Egypte antique et après dans l’antiquité Romaine .

Le compagnonnage existait bien sûr déjà au temps de la construction des Cathédrales sur le plan du Gothique et Gothique flamboyant  qui succède à partir du XIème siècle au Roman. On en retrouve des signes où des marques laissé dans les constructions qui sont parfaitement reconnaissables, aussi bien en France qu’à l’étranger.

En France sous l’ancien régime l’Organisation des métiers est construite autour des corporations et de trois classes qui sont : Apprentis, Compagnons et Maîtres. Pour les compagnons, il était extrêmement difficile, à moins d’être fils où gendre de Maître, d’accéder à la Maîtrise. De plus le « livre des métiers » rédigé en 1268 à la demande de Louis IX, interdisait à tout ouvrier de quitter son Maître sans son accord. C’est par réaction à ces mesures que seraient nées au-delà des premières guildes ou corporations rassemblant les métiers,  plus particulièrement  les sociétés de compagnons indépendantes qui prirent le nom de « compagnonnages » seulement au XIXème siècle car auparavant elles se nommaient de manière aussi indépendante « Les Devoirs ».

La première mention indiscutable des pratiques compagnonniques remonte en l’année 1420, lorsque le Roi Charles VI rédige une ordonnance pour les cordonniers de la ville Troyes il est dit que : « plusieurs compagnons et ouvriers du dit métier, de plusieurs langues et nations, allaient et venaient en ville œuvrer pour apprendre, connaître, voir et savoir les uns des autres ».

Au XVIème siècle , les condamnations royales à l’encontre des « devoirs » se multiplient, sans parvenir à les faire disparaître. En 1539 par l’Ordonnance de Villers-Cotterêts, François 1er reprend les interdictions de plusieurs de ses prédécesseurs : « suivant nos anciennes Ordonnances et arrêts de nos cours souverains, seront abattues, interdites et défendues toutes confréries de gens de métier et artisans par tout le royaume et fait défense à tous compagnons et ouvriers de s’assembler en corps sous prétexte de confréries où autrement, de cabaler entre eux pour se placer les uns les autres chez les Maîtres où pour en sortir, ni d’empêcher de quelque manière que ce soit les dits maîtres de choisir eux-mêmes leurs ouvriers soit français soit étrangers ».
Par ailleurs un procès verbal judiciaire daté de 1540 recueille le témoignage d’un compagnon cordonnier natif de Tours qui reconnaît avoir mangé chez une femme nommée « la Mère » à Dijon, et avoir voyagé pendant quatre ans à travers la France.

C’est certainement à partir de cette époque que datent les dénominations au sein des compagnons de « Pays » (ouvriers pratiquant leur métier sur le sol en atelier) et de « Côterie » (ouvrier pratiquant leur métier en hauteur, sur les échafaudages) : les gens du cru, ne souhaitant pas  prendre de risques, auraient fait venir des gens de la Côte pour réaliser les travaux dangereux sur les échafaudages.

A partir du XVIIIème siècle, l’Eglise ajoute sa condamnation à celle du Roi : en 1655, une résolution des docteurs de la faculté de Paris (faculté de Théologie) atteste en les condamnant l’existence des « Devoirs » de pratiques rituelles non contrôlés par les autorités religieuses. Simultanément, l’Eglise tente de mettre en place un contre-devoir avec la création d’un Ordre semi-religieux de frères cordonniers, qui se soldera rapidement par un échec total.
En 1685 la révocation de l’édit de Nantes aboutit à une scission du compagnonnage (problèmes entre Catholiques et Protestants) ; Les protestants et les non-croyants se regroupent dans un  autre « devoir » qui prendra au moment de la révolution française le nom de « Devoir de Liberté ».

L’Apogée du mouvement :

A partir du XVIIIème siècle, le compagnonnage présente deux fortes caractéristiques : sa puissance en tant qu’organisation ouvrière devient considérable. Il organise des grèves parfois longues, contrôle les embauches dans une ville, établit des « interdictions de boutique » contre les Maîtres récalcitrants, va même parfois jusqu’à mettre l’interdit sur des villes entières, les privant de toutes possibilités d’embauches et les menaçant par là de faillites généralisées. Et dans le même temps sa division est profonde et les rixes entre compagnons de devoirs rivaux font de nombreuses victimes.
Si la révolution française concrétise en Avril 1791 une très ancienne revendication du compagnonnage mettant fin au système des corporations par le décret d’ALLARDE, deux mois plus tard la loi LE CHAPPELIER interdit les Associations ouvrières.


-1804 voit la fondation du « Devoir de Liberté » qui regroupe tous les compagnons qui ne se reconnaissent pas dans le catholique « Saint Devoir de Dieu» : loups, étrangers, indiens, gavots. A cette même époque, le tout nouveau code pénal punit l’organisation d’une grève d’une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement. Ceci n’empêche pas le compagnonnage de continuer à se renforcer en tant qu’organisation de protection et de revendication, malgré les luttes fratricides entre ses deux tendances. Les historiens évaluent à moins de 200 000  le nombre de compagnons en France dans la première moitié du XIXème siècle. C’est l’époque où Agricol PERDIGUIER dit :  « Avignonnais la Vertu » le popularise par ses ouvrages et tente de l’unifier.

Le Déclin puis le Renouveau :

La seconde moitié du XIXème siècle voit le déclin du compagnonnage sous l’effet conjugué de la révolution industrielle qui met en place des procédés de fabrication moins dépendants des tours de mains et des secrets de métiers, et aussi de l’organisation de la formation par alternance, de l’échec de l’unification des compagnonnages et  aussi du chemin de fer qui bouleverse la pratique séculaire du Tour de France à pied. A partir de 1884, les syndicats, désormais autorisés, montent rapidement en puissance dans le monde ouvrier et tournent en dérision les pratiques ancestrales du compagnonnage, qui semble condamné à disparaître rapidement !
Lucien BLANC dit « Provençal le Résolu » crée en 1889 l’ « Union compagnonnique des Devoirs unis » mais ce mouvement ne parvient pas à rassembler tous les Devoirs et à relancer le compagnonnage.

Il survit cependant. Face à l’industrialisation, ses pratiques, et ses valeurs ancestrales, si elles sont moquées par les modernistes, attirent entre les deux guerres l’attention des traditionalistes. Pendant le régime de Vichy, le Maréchal PETAIN accorde une « charte du compagnonnage » le 1er Mai 1941, d’où naîtra l’ »Association ouvrière des compagnons du devoir ». A la libération, l’Union compagnonnique reprend ses activités et les deux rites de charpentiers, indiens et soubise  fusionnent  avant de donner naissance à la « Fédération compagnonnique des métiers du bâtiment ».

La formation d’un compagnon :

Depuis toujours l’accueil est la valeur fondamentale du compagnonnage. A chaque étape de son tour de France, l’apprenti est reçu dans les maisons de compagnons, où l’on vit autour de la Mère et sous la responsabilité du Prévôt. C’et ainsi qu’il apprend lui-même à aller vers les autres, et à rencontrer des gens de toutes origines et de toutes conditions. Chez les compagnons fraternité et solidarité ne sont pas de vains mots. On commence d’abord par s’intéresser à la personnalité du jeune, à ses talents et ses aspirations, afin de mieux transmettre des valeurs de comportement et de vie sociale. Le jeune est accueilli dans une deuxième famille qui va l’éduquer et lui donner la compétence et la confiance indispensables pour réussir sa vie.

On intègre le jeune dans une communauté de pratiques professionnelles fondées sur l’effort, le travail, l’ouverture et la qualité. Maîtriser le savoir d’un métier constitue un gage de respectabilité et de dignité. Le compagnon est un homme libre : il a un  métier qui lui assure la sécurité, le respect de ses pairs et la reconnaissance sociale. Pour les compagnons, le métier ne se limite pas à un savoir technique, c’est une forme de liberté, une manière d’être, une culture. Le compagnon est d’abord un homme de l’art, et le goût du bel ouvrage constitue la base de son éthique et de son identité. Le travail manuel a un caractère sacré : il unit la main et la pensée, façonne l’homme et le fait participer à la création. Il est source de joie et d’équilibre, il est la voie du salut.
                               
Se former chez les compagnons c’est d’abord « voyager la France », pendant cinq à sept ans, pour se mettre à l’école de ceux qui pratiquent le métier, de différentes manières. Pendant son tour de France qui s’est élargi progressivement au tour d’Europe et parfois au tour du Monde, l’itinérant  acquiert, en changeant de « Maître » où actuellement d’entreprises, une où deux fois par an, une expérience humaine et professionnelle considérable, il fait l’apprentissage de la mobilité et de l’adaptabilité. Il découvre par l’expérience les réalités du monde. Le voyage est bien le fondement de l’identité compagnonnique.

Même à son apogée le compagnonnage n’a jamais été un mouvement de masse. Il cultive au contraire sa différence par rapport au monde profane des simples manœuvres. Le compagnon appartient à un corps d’initiés, sélectif et élitiste, qui fait de l’excellence, l’objet de sa quête perpétuelle: il s’agit de s’élever, à travers les épreuves, tant du point de vue moral que social ou matériel. Le compagnonnage est un Ordre, une communauté spirituelle, qui a une cause à défendre et à promouvoir : un modèle d’apprentissage professionnel, mais aussi éthique. C’est le consentement à la règle commune qui unit les compagnons des « devoirs » ainsi que le sens de l’honneur. Cet esprit de corps ne signifie pas que chacun doivent renoncer à sa singularité. Au contraire, l’unité et donc la richesse du compagnonnage est faite de différences, chaque individu a sa place et participe avec ses particularités à l’intérêt commun.

Chaque compagnon reçoit en héritage le patrimoine et les secrets d’un métier et d’une culture, des valeurs et des traditions ancestrales, qu’il à cœur de léguer à son tour aux jeunes générations. Il s’agit de faire fructifier une tradition, dont on est les dépositaires. Transmettre c’est une manière d’aimer, ce que l’on transmet et celui à qui l’on transmet en toute confiance. La transmission d’un homme à l’autre de ce que nous ont légué les anciens, est charge, mission, obligation, culture. On transmet les savoirs, les valeurs et les comportements indispensables pour l’autonomie, l’épanouissement mais aussi la sociabilité et l’employabilité des individus.

L’Initiation :

Un rituel condamné par l’Eglise Catholique  car il est trop proche de certains sacrements : La cérémonie de réception ressemble à un baptême et aussi à la Messe ; par ailleurs ils sont reçus par les  Huguenots et les reçoivent à leur tour ! cette seule particularité aurait suffit à l’époque à les faire largement condamner :
Les compagnons cordonniers prennent du pain, du vin, du sel et de l’eau qu’ils appellent les quatre éléments, les mettent sur une table et ayant devant elle celui qu’il veulent recevoir compagnon, le font jurer sur ces quatre choses par sa Foi, sa part de Paradis, son Dieu, son chrême et son baptême ; ensuite ils lui disent qu’il faut qu’il prenne un nouveau nom et qu’il soit baptisé ; et lui ayant fait déclarer quel nom il veut prendre, un des compagnons qui se tient derrière, lui verse sur la tête un verre d’eau en disant : «  je te baptise, au nom du Père du Fils et du Saint Esprit ».

Les parrains et sous-parrains s’obligent aussitôt à lui enseigner les choses appartenant au dit « devoir ».

Bien sûr on devient compagnon à l’issue de deux cérémonies que sont l’adoption en tant qu’aspirant puis la réception. L’impétrant reçoit de ses pairs sa couleur frappé des symboles de son état, de son engagement et de ses devoirs, ainsi que sa canne, instrument du voyage, symbole de l’itinérance. C’est le point de départ de sa vie d’homme, au cours de laquelle il s’efforcera d’associer l’être au métier et à la cité. L’aspirant s’élève peu à peu, par l’étude et l’ascèse  du travail : en transformant le matériau de base en objet utile et beau, il se transforme lui-même et acquiert la maturité.

Aspirant pendant une période d’essai, l’apprenti ou adopté devient compagnon au cours d’une cérémonie et pendant laquelle il présente une pièce de réception : son Chef d’œuvre. Le cheminement compagnonnique est un véritable parcours initiatique, avec ses cérémonies, ses rites, ses secrets, ses épreuves et son but : quitter l’adolescence, devenir adulte par l’acquisition de connaissances et de savoir faire.

Ce  Chef d’œuvre, ce travail de réception atteste des compétences que le compagnon a acquises au cours de ses années de voyage et d’apprentissage. On juge non seulement la maîtrise technique, mais aussi le comportement de l’aspirant face aux difficultés du métier, sa patience, sa ténacité. La présentation de ce travail pour être reçu compagnon par ses pairs, n’est pas une fin en soi, mais plutôt une étape de son parcours, un nouveau point de départ : l’engagement du compagnon n’est-il pas de faire de sa vie un chef d’œuvre, une vie de paix, de travail et d’étude. Enfin le compagnon « fini », premier compagnon ou « rouleur » est celui qui prend des responsabilités au sein du mouvement : il est reconnu par ses pairs au cours d’une cérémonie spéciale appelée « finition ». Il s’occupe en particulier de l’accueil et du placement des apprentis. Le compagnon fini est l’homme dont la conscience est ouverte à l’homme !

J’ai dit.

Frère Marc

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