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La Lettre G

Toute formulation réduit la pensée qu'elle est sensée exprimer. S'agit-il de la Lettre G, ou d'un signe prenant la forme manuscrite de la majuscule de la 7ème lettre de l'alphabet latin ? Cette question renferme toute la différence entre le langage traditionnel ou sacré, à caractère universel, s'exprimantpar signe, et la langue profane dont les mots et les lettres qui les constituent sont propres à chaque groupe d'expression, et ne seront compris que par les personnes appartenant à ce groupe d'expression. Ceci nous amène, préalablement à l'analyse classique des interprétations de la lettre G, à nous interroger sur ce qu'est une lettre par rapport à un mot, un signe, une langue, et à dégager ce que tout cela contient de sens explicite ou caché.

La langue profane est indispensable pour régler les échanges économiques, culturels, et interpersonnels, mais n'est comprise que par ceux qui l'on apprise, essentiellement en tant que langue dite « maternelle ». La langue sacrée n'utilise pas les mots pour leur sens concret, mais comme véhicule de l'idée qu'ils sont censés faire naître. D'où le terme d'idéogramme.

L'idée est du domaine de la pensée, elle s'exprime d'abord par le son, qui est le support de la tradition orale, puis par le signe, permettant la transmission écrite de la langue sacrée, enfin par les lettres abstraites qui, lorsqu'elles sont assemblées, forment les mots concrets. La nature concrète des mots utilisés dans le monde profane a un intérêt évident pour le fonctionnement social du groupe humain qui les utilise. A l'inverse, cette précision dans la formulation est source d'incompréhension et de conflit, non seulement vis à vis de ceux qui parlent une langue dite « étrangère », mais aussi pour ceux qui parlant la même langue, ne se comprennent pas. L'épisode biblique de la tour de BABEL illustre ce dilemme. La langue profane participe donc au principe de division de ce qui est Un et sans limite, tandis que la langue sacrée ramène le binaire, auquel les mots prêtent une fausse apparence de réalité, à l'Unité.

L'idéogramme est un signe qui n'est pas uniquement le calque d'un son, mais une écriture dont la signification résulte de l'association d'idée correspondant aux éléments qui le composent. Une langue et son écriture, que celle-ci soit idéographique ou phonétique, ne sont pas une simple strate de connaissance, mais quelque chose qui structure l'individu. A travers une langue et une écriture particulière transparaissent une perception et une approche du monde différente.

Cette un peu longue introduction est peut-être essentielle pour déterminer la façon dont nous allons aborder notre réflexion sur la Lettre G, et la symbolique d'une manière générale. En effet, en privilégiant, la combinaison, l'espace et l'image contre la verbalisation et le découpage analytique, on s'inscrit dans la recherche spirituelle et initiatique du sens derrière le signe.

La lettre G est donc un symbole dont le sens mystérieux ne peut s'exprimer en mode intellectuel, mais dont le but est de susciter une illumination. Cependant, puisque la raison humaine divise et borne artificiellement ce qui est un et sans limite, et malgré la fausse apparence de réalité des mots, nous allons analyser les principales interprétations qui ont pu être faite de la lettre G.

La première interprétation se fonde sur le développement symbolique attaché à cinq mots dont l'initiale commune est bien sûr la lettre G : Géométrie, Génération, Gravitation, Génie, Gnose.

GÉOMÉTRIE

L'allocution après le 3ème voyage du rituel de réception au grade de Compagnon nous dit ceci : La géométrie a pour but la mesure des lignes, des surfaces et des volumes. Cette science, source inépuisable de connaissances est l'objet spécial des études du compagnon, telle est l'une des raisons qui justifie au grade de compagnon la présence de la lettre G, initiale de Géométrie, au centre de l'Étoile Flamboyante. Cette présence nous rappelle aussi que Dieu, le Grand Géomètre à créé l'univers suivant les mêmes règles que cette science a découverte : harmonie et rigueur. Par ailleurs l'instruction de ce même grade de Compagnon nous indique : « Cette étoile symbolique ne contient-elle aucun autre symbole ? On voit, au milieu, la lettre G qui représente notamment la Géométrie, symbole par excellence de l'intelligence humaine ».

Au plan symbolique, la Géométrie est donc la science de la construction universelle. Elle sert à façonner les individus, au plan moral, en vue de leur destination, puis à les unir harmonieusement pour leur bonheur réciproque. La loge est elle-même régie par des règles géométriques strictes explicitées dans l'instruction du grade d'Apprenti : Quelle est la forme de votre loge ? - Un carré long ; Dans quelle sens est sa longueur ? - De l'orient à l'occident ; Sa largeur ? - Du midi au septentrion ; Sa hauteur ? - Du zénith au nadir ; Que veulent dire ses dimensions ? ; Que la Franc-maçonnerie est universelle ?

L'architecture de la loge constitue le modèle symbolique de structuration de notre esprit, et permet le travail constructif présidé par la Sagesse, achevé par la Force, et orné par la Beauté. La Géométrie est image d'ordre, d'harmonie et d'équilibre. Elle s'oppose au tumulte des passions qu'il va falloir vaincre et leur propose un modèle figuré à travers lequel elles pourront s'exprimer de manière féconde.

Car, si la passion est souvent aveugle, elle ne l'est pas toujours, et, s'il faut la vaincre, il ne faut pas la tuer. De même que soumettre sa volonté ne signifie pas ne plus en avoir. A l'extrême, l'ascèse est une illusion, puisqu'elle muselle les désirs et les passions par la contrainte et la pénitence, conduisant le plus souvent au refoulement et à l'absence de bonheur pour celui qui s'y soumet, à moins qu'il soit un saint, ce qui n'est pas fréquent. Enfin, la géométrie ne nous épargne ni la brisure de la ligne droite, ni l'incertitude de la courbe, ni l'arête vive de l'angle aigu, ni le point sans dimension, ni la dimension sans limite. Elle nous propose simplement d'inscrire le cercle dans le carré, et le carré dans le cercle, ou encore l'étoile dans le cercle, autour et par rapport à un mystérieux point.

GÉNÉRATION

La Génération correspond au binaire créateur, représenté à l'entrée du Temple par les deux colonnes. La Génération est bien sûr œuvre de vie par la création d'êtres vivants, mais surtout pour le Compagnon, le symbole de la pensée, du principe qui précède le geste créateur. On peut voir là aussi une manière de rappeler au Compagnon son devoir d'ingérence dans la genèse de la pensée qui s'inscrira dans l'œuvre de progrès. La Génération pousse l'homme à se construire par le travail et l'action pour son propre bonheur et celui des autres. Lorsque l'homme est représenté dans l'étoile, l'organe mâle de la génération est situé au centre de l'étoile. L'analogie entre le pouvoir fécondant du sexe masculin et la puissance créatrice de l'esprit organisant le chaos et évidente. Le flamboiement de l'étoile ne figure-t-il pas par ailleurs la manifestation de la force de Génération contenue et concentrée en son centre, puis diffusée vers l'extérieur après s'être modelée sur la Géométrie du Pentagramme.

GRAVITATION

La Gravitation est explicite en observant l'étoile : les cinq pointes et le flamboiement sont équidistants du centre et le lien est toujours maintenu par cette force de gravitation sans laquelle l'étoile s'anéantirait.

Au plan physique, la Gravitation est la garantie du maintien de la cohésion et de l'équilibre des parties d'un tout. Elle est toujours conditionnée par l'existence d'un centre, appelé justement centre de gravitation.

Au plan symbolique, la gravitation exprime la nécessité de l'attirance mutuelle entre les hommes pour permettre l'édification de l'œuvre commune.

Cette attirance trouve sa source dans la puissance de l'amour et de la fraternité qui anime une communauté d'hommes. Notons que le sens du mot communauté est différent de celui d'une collectivité qui désigne un regroupement d'individus sur des bases d'intérêts économiques, culturels, sociaux, ou d'opinions convergentes. Cette force d'aimer, correctement centrée et pénétrée d'harmonie, d'union et de concorde, sera alors, pour les Maçons, le triple ciment de leurs œuvres.

La Fraternité maçonnique procède en effet du principe de Gravitation. Elle naît d'une conscience d'abord. Cette conscience est au centre de l'étoile, elle a traversé les épreuves pour y parvenir, elle a frappé pour qu'on lui ouvre les portes du temple, elle a cherché pour trouver la Vérité, elle a demandé pour recevoir la Lumière. L'amour fraternel se distille ensuite harmonieusement à l'ensemble de la communauté des hommes, amis ou ennemis, à conditions qu'ils en soient dignes, puisque donner sans discernement conduit à épuiser le foyer central, à gommer la lettre G, à tuer l'étoile, à s'affranchir de la nécessaire vigilance vis à vis des forces contraires, égoïstes, malveillantes.

GENIE

Le Génie prend deux sens. En premier lieu, il exprime la faculté de l'homme de l'Art, celui qui sait construire, celui qui connaît la Géométrie et la met en pratique dans l'ouvrage réalisé. Symboliquement, cette acception du mot Génie nous invite à hiérarchiser nos désirs, à structurer notre pensée, pour que l'édifice ne soit pas bancal. Nous avons des outils pour le faire, et on nous en a expliqué l'usage au cours de l'initiation. En second lieu, le Génie est un principe spirituel organisateur et fécondant qu'il nous faudra intuitivement capter. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'un bon, ou mauvais esprit, qui produiraient quelque effet physique destiné à surprendre les sots ou les naïfs. Ce génie là, faiseur d'illusion, est extérieur au spectateur qu'il est censé étonner.

Le Génie dont nous parlons n'est pas un effet, mais participe du mystère de l'initiation. Il n'est pas extérieur à nous, mais en nous. Il EST nous, à conditions qu'après être mort aux préjugés du vulgaire, nous puissions renaître à la vie nouvelle que confère l'initiation. Le Génie est la force de motivation et d'inspiration que va nous insuffler la communauté. Notre travail maçonnique n'est pas un travail solitaire, il est un maillon de la connaissance partagée au sein de l'assemblée délibérante que constitue la Loge. Nous savons tous que notre planche n'a plus la même résonance en nous, après que nous l'ayons lue en Loge. Il s'agit moins d'ailleurs de l'effet des commentaires « techniques » qui ont pu être faits, si importants soient-ils, que de l'influence de l'Egregor qui se distille en nous.

GNOSE

C'est la connaissance caractéristique de tout esprit ayant su pénétrer les mystères incommunicables de l'initiation. Elle s'acquiert par les efforts personnels de méditation sur le sens caché des symboles. Elle puise à toutes les sources de pensée traditionnelle, particulièrement dans ce qu'elles contiennent d'universel.

La Gnose est également le reflet dans l'homme de l'intelligence universelle. L'instruction du grade de Compagnon nous précise : « Cette lettre mystérieuse, dans le centre de l'Etoile, n'a-t-elle pas d'autres significations ? Elle est aussi le symbole de l'Intelligence Suprême, du Grand Géomètre de l'Univers. C'est pourquoi ce symbole est l'objet de la vénération particulière du Compagnon Maçon ». « L'étude des facultés intellectuelles et des secrets de la nature m'ont amené par leur symboles, à pénétrer la connaissance jusqu'au Trône du Grand Architecte de l'Univers lui-même ».

La Gnose attache plus d'importance à l'Essence qu'au fait, elle cherche le sens sous le signe. Elle exprime une disposition de l'Esprit à considérer la manifestation dans ce qui la précède comme dans ce qui est après, en dessous, et au dessus d'elle. C'est à la faveur de cette méditation que vont très concrètement s'effectuer nos choix. En effet, la voie initiatique, comme la vie profane, est constituée d'une succession de choix, mais les critères de jugement ne sont pas les mêmes. Les choix sont éclairés par la raison ou assombris par l'erreur dans la vie profane, tandis qu'ils sont guidés par la Connaissance, ou la Gnose, dans la vie nouvelle que confère l'initiation.

Notons enfin que le Maçon, en tant qu'homme libre dans une loge libre, se positionne sans ambiguïté sur la responsabilité de ses choix. Pour illustrer notre propos, nous nous intéresserons à l'exemple classique du Bien et du Mal. Il nous faut donc définir ce que sont le Bien et le Mal ? La tâche n'est pas si aisée qu'il n'y paraît à première vue. Certes les règles sociales et les commandements religieux déclinent des valeurs dont l'importance est réelle pour l'équilibre général de la société et l'équilibre mental des individus qui la constituent. Mais si l'on change de pays ou d'époque, ces règles peuvent être différentes et conduisent également à un équilibre général, plus ou moins durable, jamais définitif.

La référence à une morale est donc restrictive, et se trouve en contradiction avec le caractère universel de la Gnose. Poussons plus loin ! Le rituel de réception nous fournit quelque indication complémentaire : Qu'est-ce que la vertu ? - La vertu est une ferme et constante disposition à pratiquer le bien ; Qu'est-ce que le vice ? - Le vice étant l'opposé de la vertu, est une disposition habituelle au mal. Les deux formules ne sont pas symétriques. En effet le vice, en tant que disposition habituelle au mal, suppose des exceptions. On peut faire le mal sans le vouloir, ou sans le savoir. De cette apparente imprécision découle toute la richesse et toute la difficulté de la voie initiatique qui sollicite les efforts spirituels de chacun, tout en évitant d'inculquer des dogmes.

Le Bien et le Mal n'apparaissent pas dans l'exercice de notre vie avec la netteté contrastée du Pavé Mosaïque. Ce qui est bien pour nous peut être mal pour les autres. Ce qui est bien pour la société peut être nuisible à nos intérêts personnels ou familiaux. Ce qui est bénéfique pour l'entreprise qui nous emploie peut être maléfique pour notre conscience. Ce qui était bien hier sera peut être mal demain. Le Mal peut même revêtir les apparences du bien. Ainsi le bon sens populaire ne nous dit-il pas que l'Enfer est pavé de bonnes intentions ? Puisqu'il est question d'enfer, l'ange déchu, LUCIFER (Lux Ferris, le porteur de lumière), est aussi le plus beau des anges puisque, si le mal n'avait pas l'apparence du beau, la tentation n'existerait pas. Notons également que la chute de l'ange porte en elle-même le germe de sa renaissance par la rédemption, et que le Prince des Ténèbres est en exacte symétrie du Dieu du Royaume des Cieux.

La Gnose est connaissance, donc, et cette connaissance est en nous, de nature intuitive. Ce n'est qu'en harmonie avec notre conscience, et par l'application aveugle d'une règle imposée, qu'elle apaisera nos tourments, conciliera les contraires et se réalisera dans une action féconde et généreuse.

La Lettre G a suscité bien d'autres interprétations. Nous en citerons quelques unes, en développerons brièvement certaines et en omettrons beaucoup pour contenir notre propos. Certains auteurs ont vu dans la lettre G une altération du symbole alchimique du sel et une initiale de la « matière première ». La lettre G au centre de l'Etoile exprime la quintessence qui triomphe de l'état animal. On pourrait imaginer la représentation de cet état animal par une étoile sans flamboiement, expression d'une vie physique, respectable bien sûr, mais réduite à elle même, c'est à dire à sa propre conservation ou celle de son espèce. L'instinct de conservation a d'ailleurs ses limites puisque cela n'a pas empêché de nombreuses espèces de disparaître, montrant ainsi les limites des possibilités d'adaptation et de contrôle de l'environnement par le monde animal.

L'homme, au contraire, n'a pas disparu en tant qu'espèce, même si certaines formes de civilisation n'existent plus. Cela ne nous invite-t-il pas à nous demander ce qui pousse les hommes à se préoccuper de ce qui dépasse les strictes nécessités de leur survie ? En d'autre terme, pourquoi ont-ils des besoins spirituels ? Certainement pas par rapport au niveau d'évolution de la société, puisque ce questionnement a existé en tout temps et en tout lieu. Cette quête spirituelle est peut-être même le moteur de notre survie.

De nos jours encore, les aborigènes éprouvent le besoins de faire une fois dans leur vie un voyage rituel à travers le désert afin de célébrer par le chant la création du monde et glorifier la perfection de cette création. Est-ce bien différent du chemin de Compostelle, de celui de la Mecque, ou encore de cet autre qui conduit au mystère de la lettre G, lorsqu'on a eu le privilège, ou plutôt le mérite, de voir l'Etoile Flamboyante.

Le graphisme du symbole G, lorsqu'on le considère comme signe dynamique, et non comme lettre alphabétique, traduit l'exigence de se connaître pour se construire et de remonter au principe, à la vérité première, à la recherche de la parole perdue. Ce signe s'écrit en décrivant une sorte de spirale allant de la périphérie vers le centre, en évoquant la concentration des forces spirituelles, destinées ensuite à se répandre au dehors en une action féconde. La situation du signe, au centre de l'étoile, et le moment initiatique où il apparaît, c'est à dire le grade de Compagnon, sont des éléments essentiels du message. Peut importe alors la forme que revêt ce signe qui pourrait être une autre lettre d'un alphabet quelconque, ou un dessin, ou un point, ou être virtuel, comme le quatrième pilier de la loge. Ce pourrait aussi être l'œil du Maître qui conçoit les plans de l'œuvre à construire et dont la pensée s'exprime dans la structure de l'étoile, régie par le Nombre d'Or.

Le discours littéraire autour de les différentes « explications » données à la Lettre G, par associations phonétiques (Iod, God), grammaticales, ou par coïncidences historiques, graphiques, ne sert qu'à orienter l'initié, mais ne sera toujours que très secondaire à l'impression qu'il est susceptible de produire. L'impression est l'empreinte que laisse un corps lorsqu'il est appliqué sur un autre. Analogiquement, les interprétations analytiques mettent l'initié sur la voie afin d'éviter qu'il ne s'égare sur de mauvais chemins, car comme nous le dit notre Frère VOLTAIRE : « il y a des impressions funestes dont on ne revient jamais ».

La lettre G est donc l'intelligence en gésine. Elle nous montre l'initié en qui le feu est éveillé, feu créateur et maîtrisé au cœur de l'étoile Flamboyante qui porte en elle l'annonce d'une autre étoile, idéogramme classique de la pierre philosophale.

J'ai dit.


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