GLNF Loge : La Fidèle Amitié - Orient d'Uzerche  Date : NC


Schibboleth

Pour se reconnaître les F.M .disposent de signes, de mots et d’attouchements. Parmi les paroles secrètes on distingue devises, acclamations, mots sacrés et mots de passe.
Au grade d’A. correspondent un signe, un attouchement, une marche et un mot sacré. A celui de C. on bénéficie d’un nouveau signe, d’un attouchement différent se divisant en deux séquences, d’une marche plus complète en deux temps et de deux mots : un mot sacré (qui est le pendant de celui d’A.  puisqu’il correspond à la colonne située en face) et un mot de passe, le premier dans la M.

La planche qui m’a été confiée s’attache à ce dernier.
Pour ce faire nous aborderons successivement le rituel de passage au grade de C. pour situer dans quel contexte le mot de passe est communiqué, puis nous examinerons les images symboliques qu’il recouvre avant de nous intéresser à ses origines historiques et de conclure sur l’importance de la forme s’y rapportant.

I. RECEPTION AU GRADE DE C. ET RITUEL

Lors de la réception au grade de C., l’A. qui demande à passer de la perpendiculaire au niveau, va vivre cinq voyages au terme desquels il sera instruit des secrets du second degré par le S1. Le signe d’ordre révélé, c’est l’attouchement qui est confié : celui-ci est la demande du mot de passe de C., lequel lui sera livré à l’oreille (caractère secret du mot de passe) et conduira à un attouchement complémentaire pour obtenir le mot sacré.
Le nouveau C., bien que déjà familiarisé avec les symboles basiques de la F.M., est perturbé par la cérémonie à laquelle il vient de participer activement : que de nouvelles découvertes, que de voies ouvertes, que de chantiers offerts avec des outils qu’il ne maîtrise pas encore, que de perspectives s’ouvrant à lui ! Il faut dire qu’il vient de vivre cinq voyages plein de richesses.          
Comment ne pas être épuisé après toutes ces informations divulguées que l’on tente d’appréhender ? C’est pourtant dans cet état que le nouveau F.C. va recevoir les secrets attachés à son grade. Harassé, ayant besoin de se pauser pour assimiler les principes qui viennent de lui être inculqués, il va devoir pourtant  prêter attention aux révélations que va lui faire le S1, après qu’il ait prêté son obligation par un nouveau serment.

Le C. en herbe, se voit alors détenteur de nouveaux codes et symboles qu’il va tenter d’enregistrer et de reproduire. Sa tête explose, ses neurones saturent et c’est à ce moment que le mot de passe de C. lui est confié !
Ce mot de passe est  << SCHIBBOLETH >>.
 
Le F.C. qui vous parle écoute ce mot hermétique sans l’entendre et encore moins le comprendre. Il pense avoir perçu le nom familier d’une plante servant de condiment : “Ciboulette” et s’interroge sur la recette de cuisine qui l’attend. Puis lui revient en mémoire une chansonnette de son enfance avec un refrain du style : “Il était un petit homme, ciboulette, cacahuète”. Il reste perplexe pour ne pas dire abasourdi : ce vocable lui est totalement étranger, il ne saurait le traduire ou l’épeler et encore moins l’écrire... L’instruction se poursuivra sans qu’il ait pu assimiler cette notion de base et c’est dans ces conditions qu’il se retrouvera placé en tête du 1er rang de la colonne du midi, suite à une “promotion” qu’il n’a pas vraiment perçue.
Lors de son passage au grade de C. , la signification de ce mot de passe ne lui est nullement donnée ; il lui est juste précisé que ce mot de passe est le préalable nécessaire pour échange du mot sacré.
Le rituel du grade de C. qui lui sera remis par la suite le renseignera utilement à ce sujet via les questions/réponses du Tuilage. Il découvrira ainsi que “SCHIBBOLETH” veut dire “EPI” et il apprendra  que ce mot de passe de C. est représenté par un épi de blé à côté d’un cours d’eau et qu’il vise un épisode relaté par la Bible au chapitre du Livre des Juges (XII).
Ce sera, pour le nouveau C., la piste pour explorer lectures diverses en quête d’explications sur ce mot secret...
Jules Boucher, en donne la définition suivante : <<Epis (au pluriel), mot que l’on traduit par “nombreux comme les épis de blé”, ce mot signifiant également  “fleuve”, servait de mot de passe aux Galaadites dans la guerre qu’ils menèrent sous Jephté contre les Ephraïmites : ceux ci ne pouvaient pas prononcer le vocable “Schin” et disaient “Sibboleth”au lieu de “Schibboleth”.>>
Il s’agit là d’une nouvelle approche : on ne vise plus un épi de blé isolé mais une multitude d’épis et la prononciation même du mot revêt une grande importance.

II. REPRESENTATIONS PHYSIQUES DU MOT

Le mot de passe désigne donc tant des épis de blé qu’un fleuve : similitudes ou contrariété entre ces deux images ?

1°) l’image du fleuve

Symbolisme lié à la possibilité universelle, à la fertilité, au renouveau de la vie et de la mort.
Les fleuves étaient, chez les Grecs, objet de cultes divinisés car mystérieux, inspirant vénération et crainte.
Dans la chine ancienne, la traversée des fleuves équivalait à un voyage au cours des saisons, visant l’alternance du yin et du yang,  pour conduire à une purification fécondatrice.
Le fleuve peut représenter l’existence humaine qui s’écoule comme un cours d’eau avec la variété des désirs et sentiments, des intentions, et de leurs détours... pour mieux renaître avec les autres.
Ainsi Héraclite déclare: << Ceux qui entrent dans les mêmes fleuves reçoivent le courant des autres.>>
La descente du fleuve vers l’océan consiste en un rassemblement des eaux et conduit à l’indifférenciation et au Nirvâna ; la remontée du courant correspond au retour vers la source divine, au Principe.
On aborde bien, au travers l’image du fleuve, l’alternance entre vie et mort :  mourir pour renaître, mais ici avec une notion de communauté et de partage.
Le fleuve ou cours d’eau c’est aussi un obstacle à franchir, à la fois séparation et passage entre deux territoires. C’est en le traversant qu’on passe d’une rive à l’autre. De même le mot de passe permet de franchir une étape, de découvrir de nouveaux horizons. Le mot de passe joue un rôle de pont entre deux monde qui coexistent, lien reliant des hommes s’ils se reconnaissent à travers ce mot secret qui a donc également une fonction de barrière, séparant les individus selon leur appartenance, leur croyance...
Cette réflexion peut nous amener à nous interroger sur la remarque d’Isaac Newton : “Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts”.

2) L’épi, autre image formatrice

Dans les civilisations agraires, l’épi (qu’il soit de blé comme dans les mystères d’Eleusis ou de maïs tel que chez les Indiens d’Amérique du nord) est le fils issu de la hiérogamie fondamentale Ciel/Terre (on retrouve ici les deux sphères du 4° voyage).
Fruit de cette dualité, attribut de l’été (saison des moissons), symbole de charité et d’abondance, l’épi est aussi l’emblème d’Osiris, le dieu du soleil mort et ressuscité, symbolisant ainsi, dans l’Antiquité Egyptienne, le cycle naturel de la mort et de la renaissance.    

L’épi contient le grain qui meurt soit pour nourrir, soit pour germer. Dès lors l’épi peut être considéré comme symbole de croissance et de fertilité, à la fois nourriture et semence. On retrouve donc des points communs avec le fleuve et ses dérivés...                 
L’épi de blé, tout comme le fleuve, exprime la vie qui n’est, selon Arnaud DESJARDINS, qu’un mouvement perpétuel de changements :” la naissance de l’enfant n’est autre que la mort du bébé, la naissance de l’adolescence c’est la mort de l’enfance”.
Irène Mainguy complète la notion que semble revêtir l’épi de blé visé par ce mot de passe.
Contrairement au grenadier qui peut pousser en solitaire, l’épi de blé, deuxième symbole  végétal, est le fruit d’un long travail : le C. devra lutter activement contre l’adversité afin d’atteindre la maturité nécessaire pour acquérir la force. En effet, le grain de blé, enfoui dans le sol, est semblable au récipiendaire introduit dans le cabinet de réflexion obscur. L’arbre entier est contenu dans sa graine : de sa mort de profane, l’initié va renaître avec une nouvelle promesse d’avenir fixant son âme dans la Lumière pour se perfectionner. De même, le C. se voit investi d’une nouvelle mission pour lui permettre de poursuivre son apprentissage avec le droit de s’exprimer en toute relativité.
L’épi de blé perpétue la vie... A son image, le C. devra faire croître en lui les fruits de l’initiation , par un travail intérieur de tous les instants, afin de progresser, petit à petit, étape par étape, chaque résultat obtenu n’étant que le point de départ d’un nouveau commencement, chaque phase de progression  portant en elle le germe de l’évolution future.
Il convient de souligner que l’épi de blé, au singulier, est symbole d’une multitude provenant d’une unité : il est né d’un seul grain parmi de nombreux et va en générer de nombreux à son tour. C’est le cycle de la vie, du renouveau, du printemps, de la naissance, de la fécondité et on retrouve ici les symboles du fleuve ou cours d’eau.
  Epi, en hébreux, se traduit par le mot “père” et Blé, en arabe, signifie “ fils de”, la fécondité impliquant donc tant le père (la semence) que la mère (en sa qualité de porteuse et nourricière).
Si les grains de grenade restent à l’intérieur du fruit, au contraire, ceux de l’épi de blé progressent avec la lumière du soleil. Ainsi le C. devra mûrir et sa maturité lui permettra de se réaliser au travers de sa recherche de la Connaissance abordée au cours des cinq voyages. Il progressera en s’ouvrant vers les autres, notamment en visitant de nouvelles loges.
  
Cette notion de multitude implique solidarité et fraternité entre les F.C., de même que les épis de blé poussent serrés les uns contre les autres comme pour mieux se protéger mutuellement et croître ensemble, à l’unisson.           
Saint Jean nous rapporte la parole du Christ :<< En vérité, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s’il meurt il porte beaucoup de fruits.>>  L’apôtre Paul ne disait - il pas : <<ce que tu sèmes ne prend point vie, s’il ne meurt auparavant>>?
Le F.C. doit utiliser la marche qui lui est offerte (3 + 2) pour entrer dans l’action et faire germer les possibilités potentielles contenues en lui pour grandir tel l’épi de blé. Il importe que le C s’applique à progresser. Pour reprendre une citation d’Antoine Saint Exupéry : <<ce qui sauve c’est de faire un pas. Encore un pas. C’est toujours un nouveau pas que l’on recommence>>.
         

III. ORIGINES HISTORIQUES DU MOT ET PORTEE

1) La Bible, Livre des Juges (12)

Epi, en hébreu, c’est le mot de guet du camp de Jephté. Il était le fils d’une prostituée et exclu, de ce fait, du territoire de GALAAD et donc de la maison de son père par ses propres frères.
Son peuple d’origine vint le chercher lorsqu’il fut attaqué par les fils du roi AMMON, et il devint alors le capitaine des Israélites.En sa qualité de chef des anciens de GALAAD, il tenta de dialoguer en vain avec l’adversaire via des messagers. Vaillant héros il fit éprouver à ces attaquants une très grande défaite.
Lorsque la tribu d’Héphraïm se révolta, Jephté s’empara des bords du Jourdain, fleuve par lequel les “ennemis” devaient passer. Tous ceux qui se présentaient au passage et ne pouvaient ou ne savaient prononcer correctement ce mot étaient égorgés et précipités dans le fleuve.
Quand un des fuyards d’Héphraïm disait “laissez-moi passer”, il lui était demandé son origine. S’il hésitait ou niait les soldats de Galaad le mettaient à l’épreuve en lui demandant de prononcer le mot “SCHIBBOLETH” et il disait “SIBBOLETH” car il ne pouvait pas bien prononcer ce mot. Il en périt 42.000...
Ce mot de passe des Galladites permettait d’une part de reconnaître les siens, de les épargner et, d’autre part, de déceler les autres pour s’en débarrasser.
 
Telle est la fonction d’un mot de passe : donner la clef aux invités pour leur permettre de rejoindre ceux qui sont des leurs. On retrouve ici l’idée de sécurité, de secret, de mystère, de silence, de serment... notions au coeur même de la F.M.
Ce passage de la Bible est rapproché, par certains adeptes de la mythologie gréco-romaine, des mystères de DEMETER où l’initié à ELEUSIS devait subir allégoriquement le sort du grain de blé qui meurt en terre pour renaître sous forme d’une nouvelle plante.
 
2°) Portée du mot de passe de C.

Le livre historique des Juges contenu dans l’Ancien Testament de la Bible vise deux peuples parlant la même langue et donc culturellement proches ; pourtant seule une mauvaise prononciation conduisait à la vie ou à la mort...On peut aborder l’importance du mot de passe de C. sous deux angles sur la forme et au fond.

a) appréciation sur la forme

Le mot de passe de C., dans son origine, consistait  à prononcer correctement le mot communiqué. Le stratagème visait à bien prononcer la consonne initiale du mot de passe, qui est une sifflante conduisant à prononcer “sibboleth” et non “schibboleth” et, par ce biais se monter sous son vrai jour, se trahir. C’est ainsi que les Ephraimites se révélaient ne pas être des hommes de Jephté. Le sésame touche donc au son émis par la personne interrogée.       
Le 1er voyage du C. est celui du perfectionnement de la perception des 5 sens, qui correspondent, selon Arnaud DESJARDINS, à des ouvertures par lesquelles nous recevons toutes les perceptions, dont l’ouïe, qui se transforment en conceptions et idées. C’est en entendant parfaitement ce que l’interlocuteur dit qu’on peut comprendre la signification exacte du message transmis et qu’on peut réagir en toute connaissance de cause.        
Le 3° voyage vise les Arts Libéraux et notamment le trivium des arts de la parole associant grammaire, rhétorique et logique ou dialectique.
Un mot mis à la place d’un autre, une intonation inadaptée, une vocalisation imparfaite, une ponctuation incorrecte peuvent conduire à une incompréhension entre émetteur et récepteur.
Pour dialoguer (oralement ou par écrit) et donc échanger il faut être au moins deux et tout l’art de la communication est de maîtriser ce que l’on entend faire passer comme message  pour l’amener l’autre à avoir un comportement  adapté en réponse.
 
Si l’A. doit se plier à la règle du silence pour mieux appréhender le nouveau monde s’offrant à lui, le C., doté de l’usage de la parole, se devra d’utiliser le langage avec discernement. D’où l’importance des mots employés, de la structure des phrases, de la prononciation des mots de leur vocalisation.
Bien apprendre à prononcer le juste mot est significatif de l’attention que l’on porte à autrui : adapter sa réponse à la demande, se mettre en conformité avec l’autre pour s’exprimer et être compris.
N’est-on pas proche, en ce domaine de l’attitude du F.M se mettant à l’ordre ? Sans rentrer dans la symbolique des signes, le simple fait de se mettre à l’ordre nous conduit à être à l’écoute, tous sens éveillés, dans le plus grand respect...
Le trivium des Arts de la Parole, nous apprend en outre que tout son possède en lui une énergie pour une transformation spirituelle. La musique, appartenant au quadrivium des arts Libéraux n’est- elle pas une suite harmonieuse de son rythmés ?
Pour conclure sur la forme, on observera que les M. disent parfois peut-être la même chose que les profanes, certes, mais ils le disent autrement...
       
b) Observations quant au fond

De cet épisode de la bible une leçon se dégage : le savoir ne suffit pas ; il faut aussi être imprégné de la connaissance s’y rapportant. L’écrivain le plus talentueux pourra tenter de décrire une fraise: il pourra décrire sa forme, sa texture, sa couleur, son odeur, sa saveur  et pourtant il ne saura communiquer au lecteur la sensation si particulière du plaisir à goûter un tel fruit. Ainsi, lire une multiplicité d’ouvrages sur la maternité ne procurera jamais à une femme les sensations connues lorsqu’elle porte en elle son enfant et lui donne la vie.    
 
De même une approche purement théorique, intellectuelle, littéraire de la F.M. ne permettra jamais à un profane de devenir un vrai M. au sens noble du terme.Il ne pourra pas tirer les bénéfices de son ou de ses savoirs sur ce thème. En effet il n’aura jamais senti, ressenti les émotions liées à la vie maçonnique. Il n’aura pas vécu  les instants de grâce d’une initiation, l’intensité d’une élévation, la chaleur d’une chaîne d’union, la communion intense partagée en nos tenues. Il saura mais ne comprendra pas la signification profonde de nos mystères et la Lumière restera, à ses yeux, voilée.Ainsi on peut connaître le mot de passe et pourtant être rejeté !

Un autre aspect intéressant, me semble-t-il, de cette histoire biblique est le rôle du mot de passe : il permet d’être identifié, reconnu comme ayant la qualité d’appartenance à un groupe.
Ainsi on ne se proclame pas être F.M. mais on est reconnu comme tel par ses frères via les signes, mots et attouchements. On ne naît pas F.M., on n’est pas ipso facto et à vie F.M. parce-qu’on a été admis : on le devient par l’initiation et on le demeure par son comportement de tous les instants...
Si la planche soumise est compréhensible aux F. présents, c’est que le C qui présente le fruit de ses travaux aura a su ordonner ses idées et les retranscrire un langage clair pour ses pairs conformément à l’enseignement du 5° voyage auquel il a été invité.
Ne lui reste plus qu’à faire place à la musique de tous les temps, celle qui nous permet de communier avec l’harmonie des sphères du 4° voyage pour atteindre la Sagesse, je veux parler de la symphonie du Silence.

J’ai dit.

P\ V\

Bibliographie :
Jules BOUCHER : La symbolique maçonnique
Jean CHEVALIER et Alain GHEERBRANT : Le dictionnaire des symboles
Irène MAINGUY : La symbolique au 3ème millénaire                    

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