Obédience : NC Loge : NC 10/04/2002

Schibboleth


« Ma Sœur, je vais vous confier maintenant une preuve de mérite. Il s’agit de la communication d’un mot de passe sans lequel vous ne sauriez être introduite dans une Loge travaillant au grade auquel vous aspirez à être admise. Ce mot de passe est Shibboleth, il signifie épi». Tel sont les mots que la Vénérable Maitresse adresse à la future compagnonne.

Ainsi « Schibboleth » est entré dans ma vie de Maçonne un soir d’octobre 2000.  Son sens m’a paru bien mystérieux au 1° abord et a éveillé ma curiosité. Curiosité qui a inspiré notre Sœur 1° Surveillante qui m’a demandé de consacrer un peu plus de temps à son étude.

Maintenant, je sais que ce mot de passe était le sésame qui allait  m’ouvrir la porte d’une nouvelle étape dans la quête que j’avais entreprise.

Aujourd’hui, je vais essayer de décoder ce mot de passe et vous offrir le fruit    de mes recherches.

Pour tenter de connaître la signification première de « SH\ »il nous faut remonter quelques 3200 ans en arrière.

Ouvrons la BIBLE au Livre des Juges, ( chapitre XI et XII ) et prenons connaissance de l’histoire du Juge Jephté.
Nous sommes en 1200 avant J C, sur la rive est du Jourdain, après la bataille qui opposa les hommes de Galaad à ceux d’Ephraïm. Vainqueurs, les Galaadites, menés par Jephté tenaient la rive du Jourdain. De l’autre côté du fleuve, à l’Ouest, en Palestine, se trouve la terre des Ephraïmites. Ceux-ci, en pleine déroute, vaincus, ne souhaitent qu’une seule chose, repasser les gués et rentrer chez eux. En chef avisé, Jephté fait garde les gués du Jourdain par des sentinelles. Les guerriers Ephraïmites essaient de les tromper mais leur accent les trahit. En effet, ils ne savent pas prononcer le mot hébreu SHibboleth (avec le S schuintant) et disent Sibollet (avec le S sifflant ). Les voilà démasqués et passés par les armes. Ainsi 42000 d’entre eux périrent égorgés par les Galaadites.

Heureusement les mœurs ont changé et même si notre Sœur Experte est munie de son épée, elle ne nous passe pas par les armes si la prononciation que nous faisons de Shibboleth lors de notre instruction laisse à désirer.

Ici, tout est symbole.

Schibboleth, sur notre tableau de loge au 2° degré est représenté sous la forme d’un épi près d’un cours d’eau.
Regardons ce fleuve, tour à tour impétueux, sinueux,  ou calme et limpide. Il inspire depuis toujours la crainte et la vénération, il donne et reçoit, symbolisant le courant universel de l’existence humaine. Il apporte la fertilisation et la vie et parfois emportent tout sur son passage semant désolation et malheur.

Cette alternance est le symbole de notre existence de maçonne ou il ne faut jamais  croire que l’on est  arrivée  mais savoir qu’atteindre un niveau implique de redescendre et revenir en arrière pour vérifier ses connaissances et se remettre en question afin de  rebondir et franchir de nouvelles étapes et atteindre un autre niveau.

Le blé entre dans la vie de l’humanité au 8° millénaire avant JC. Cette céréale sauvage poussait en Asie du sud-ouest, coupée à la faucille, ses grains sont à l’origine pillés dans un mortier. Il est domestiqué puis cultivé plus tardivement et notamment en Palestine.
Il s’agit-là d’un véritable bouleversement  qui va transformer progressivement mais définitivement le devenir de l’Homme. De chasseur et ceuilleur  nomade et  il va devenir pour la 1° fois, sédentaire et producteur de sa nourriture. Il va apprendre à maîtriser le temps et organiser sa vie en fonction de l’enchaînement immuable des saisons et du travail de la terre au rythme des récoltes.

Pour la 1° fois dans l’histoire de l’humanité, la nourriture de l’Homme ne sera pas le produit d’une mort  stérile mais elle résultera d’une mort bien sûr,mais d’une mort créatrice.

En effet, le grain de blé sera en partie thésaurisé dans le but de le faire renaître. L’homme participera dorénavant à la création de sa nourriture.

Pour cela il lui faudra enfouir les grains de blé en terre ou ils vont commencer le cycle immuable de la mort et de la renaissance.

Cette histoire de la vie du gain de blé commence dans les profondeur de la terre.
C’est son 1° voyage, son « épreuve  de la terre ». De même que la profane dans le cabinet de réflexion subit cette épreuve dont elle ne ressortira jamais la même. Elle ne le sait pas encore mais elle sait malgré tout qu’une nouvelle vie l’attend puisque c’est pour cela qu’elle a frappé à la porte de Temple. son existence  sera à jamais bouleversée par ce retour sur elle-même et cette introspection à la fois voulue et forcée

« Etre initié c’est apprendre à mourir et renaître » a dit Platon

Poursuivons le voyage de Schibboleth. C’est l’hiver, dans l’ombre, notre grain de blé se prépare puisant déjà au sein de la terre,sa force. Il se concentre sur lui-même, il va emmagasiner son énergie vitale pour les épreuves qui l’attendent.
Il lui sera difficile de  sortir de terre, il devra d’abord lutter contre les éléments. De même, il est pénible de franchir la porte basse qui nous autorise l’entrée du Temple. Comme l’Impétrante lutte pour effectuer les 3 voyages de son initiation puis est purifiée par les  3 éléments  la jeune pousse de blé recevra l’aide de l’eau, de l’air et du feu du soleil pour enfin sortir de terre et se déployer pour percevoir la Lumière.
Elle va prendre son essor et comme les Compagnonnes se développent et mûrissent sur la colonne du midi, au soleil,  il va former des épis, se développer et prendre la belle couleur de l’or.
Parvenu à maturité les épis ploient vers le sol lourds du grain nourricier et aussi déjà prêt à retourner vers la terre et reproduire le cycle éternel de la vie et de la mort.

Ainsi les cycles de Shibboleth, l’épi, sont semblables aux étapes de notre parcours maçonnique. La profane pénètre dans le Temple courbée, les yeux bandés et évolue lors de ses 3 voyages avec difficulté et à besoin d’être soutenue. La Compagnonne évolue debout, sans soutien et sans obstacles au cours de ses 5 voyages, au bout desquels elle va découvrir la lumière de l’étoile flamboyante.

Tout au long de notre parcours nous devons nous appliquer à mourir symboliquement, à remettre en cause nos certitudes pour renaître et grandir dans notre volonté d’effectuer notre voyage vers la lumière de l’étoile flamboyante qui orne l’Orient de notre loge de compagnonne.

Ce passage du terrestre au céleste, du royaume de l’ombre à celui de la lumière à été magnifié dans l’antiquité  par les Egyptiens au travers du culte qu’il rendaient à Osiris.
Osiris étais le Dieu-juge des morts. Son histoire est un drame : la mort qui lui fut donnée par son frère Seth  et  sa renaissance grâce à son épouse Isis, introduit cette notion fondamentale de cycle mort-vie.
Il symbolise la pérénitée. Une mort qui détruit l’enveloppe corporelle pour dévoiler la substance spirituelle et la résurrection ou l’âme et le corps s’unissent.
Osiris a également donné l’agriculture aux humains.Il symbolise la fécondité. Les habitants des rives du Nil lorsque les eaux se retiraient après la crue, pétrissaient des petites statues  de la divinité faites de boue et les semaient de grains de blé et d’orge. En quelques jours elles germaient, symbole du nouveau jaillissement de la vie.

De même, on peut se référer aux mystères célébrés à Eleusis. Demeter déesse –mère qui a perdu sa fille Persephone va obtenir de Rhéa mère de Zeus de revoir sa fille et que celle-ci passe les 9 mois de végétation sur terre  ou elle contribuera avec sa mère au développement de l’agriculture.
Demeter est représentée portant une gerbe de blé dans ses bras et sa tête est couronnée d’épis. Elle donnera au fils du  roi Celas le 1° grain de blé et le chargera d’en répandre la culture  parmi les humains.

Cette offrande n’est-elle pas le reflet de ce que nous devons faire en portant par nôtre action dans le monde profane la nourriture spirituelle qui nous est dispensée dans nos ateliers.

Le destin du blé est également dans son devenir de pain. Il contient en lui-même le ferment, le levain, symbole de transformation spirituelle. C’est l’esprit qui avec l’action des mains de l’homme le transformera avec de l’eau du sel et sous l’action du feu en nourriture essentielle, source de partage. C’est la raison pour laquelle les chrétiens demandent rituellement que Dieu leur donne le pain quotidien qui devient en ce sens une double nourriture terrestre et céleste. De plus, l’ostie du culte catholique illustre par sa forme ronde l’éternité et l’universalité de la vie.

Le terme « Compagnon » lui date du 11° siècle et signifie «celui qui partage le pain « Ce pain qui est source de joie et d’amitié quand il est partagé entre frères et sœur, entre compagnonne ».

Ainsi se termine le voyage de notre grain de blé qui se sublime pour devenir la nourriture que l’on partage. Elle peut être comparée à la part spirituelle de l'être humain, l'élan du cœur, notre flamme intérieure qui prolonge la compréhension de chacune d’entre nous, étoile qui nous guide dans notre constante recherche, la quête de la vérité.

Quant à moi, j’espère que mon sésame Shibboleth, me guidera vers d’autres portes à ouvrir sur d’autres trésors à découvrir.

J’ai dit.

E\ C\

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