GLNF Loge : Nicolas Dalayrac – Orient de La Réunion 01/01/2007
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Les Voyages du Compagnon


Le Premier

Mon initiation restera gravée dans ma mémoire toute ma vie : ce fut l’un des moments les plus émotionnellement intenses de mon existence pour moi qui fait profession de garder une attitude impassible dans les circonstances les plus difficiles. Le V\ M\ qui avait posé sa main sur la mienne durant mon serment me dit par la suite qu’il l’avait sentie trembler … ce n’était rien comparé au tumulte que je ressentais à l’intérieur !

Par comparaison, mes voyages de compagnon furent peut-être l’objet de moins d’émotions – ou peut-être d’émotions plus contenues, mais certainement de plus de ressenti symbolique. Mes premiers pas d’apprenti m’avaient fait voir sans comprendre, mais avec la suite des tenues est venu le temps du début de l’analyse du vécu, d’une ébauche de discernement, de la perception du non dit.

J’ai marché vers la pierre brute que j’avais travaillée avec la laie mais il était temps pour moi de me servir du maillet et du ciseau pour terminer de façonner cette matière informe en une pierre cubique, taillée pour s’insérer à sa place dans le mur de ce temple que je me suis donné pour tâche d’aider à bâtir sur le chemin du G. A. D. L. U.

A ce stade de mon parcours mon travail n’est pas d’aider à édifier le temple – ceci serait bien présomptueux de ma part - mais de travailler la pierre cubique que je suis. Bien formée, du moins c’est ce que je souhaiterais qu’elle devienne, elle devrait s’insérer et s’intégrer dans la construction commune.

Je suis à la fois ouvrier et matière, je travaille, je façonne et je perfectionne la beauté des cinq sens de cette pierre brute qui n’est rien d’autre que moi-même.

Je tiens le ciseau de la main gauche, le côté passif, intellectuel de mon cerveau, le siège de l’analyse, des nombres et des séries, celui de la réflexion, du spéculatif. A gauche, Boaz, celui qui, établi par la force, marque la pierre brute dont le travail demande une certaine rudesse, transmise précisément par le ciseau. Avec ce dernier, j’affine, je perfectionne, j’utilise mon entendement. A droite, Jachin, celui qui établit, symbole de la stabilité, conduit l’énergie agissante sur le maillet, un signe de commandement. Pour transformer cette pierre, j’ai besoin des deux, de l’intelligence et de la détermination agissante, le raisonnement qui concevra le plan et l’énergie qui le réalisera. La Beauté naitra de la Force et de la Sagesse.

Que suis-je venu faire en Loge ? … « Vaincre mes passions et soumettre ma volonté ». Par le maillet et le ciseau, j’espère passer de l’observation passive à l’action réfléchie.

Mon chemin de compagnon est celui qui me mènera vers mes frères … Je me formerai pour prendre soigneusement la place que je dois tenir dans la structure. Oui, la pierre cubique que j’aurai façonnée trouvera sa place dans le mur du temple.

Le Deuxième

Mon premier voyage m’avait fait redécouvrir cette pierre brute que j’ai à façonner en une pierre cubique, susceptible de s’ajuster à sa place dans le mur du temple. Avec le maillet par lequel je transmets ma volonté agissante et le ciseau qui place cette force précisément à l’endroit ou elle doit être mise en œuvre, je travaille la pierre pour la transformer lentement en une pièce de l’œuvre.

Mais ces outils, pour indispensables qu’ils soient, ne peuvent suffire ! D’autres outils me furent révélés comme la règle et le levier.

Lors d’une réflexion précédente, j’avais envisagé le compas comme symbole de l’esprit et de son pouvoir sur la matière, un instrument de mesure me permettant d’apprécier la portée et les conséquences de mes actes et indiquant les limites de l’humain.

Son ouverture variable me donnait une image de mon moi et de mon non-moi. A l’intérieur, les composantes de mon idéal spirituel, mon moi accessible, constructible ; à l’extérieur, ce qui m’échappe et m’est imposé, les réalités dont je dois m’accommoder comme l’est le don de la vie et la mort de toute chose.

De même que le compas, qui, solidement planté à la verticale, me montre la seule voie à suivre dans mon chemin vers le G.A.D.L.U., la règle, elle, me montre la rectitude de la morale et la droiture de l’idéal que j’ai choisi. La règle me sert à tracer des lignes droites sur les matériaux dégrossis et dressés. Compas et règle sont les outils indissociables de la géométrie et sans la rectitude de la règle, point de construction possible.

L’un des sujets de méditation qui me furent proposés était l’architecture ou plutôt les ordres architecturaux, ces règles qui déterminent les proportions et les ornementations, en particulier des colonnes. Ceux qui me furent proposés étaient Grecs (dorique, ionique et corinthien) et Romains (Toscan et Composite). Ces ordres des colonnes, symboles de la Force aux pieds de laquelle ils étaient placés.

Le dorique a les proportions de l’homme : la hauteur étant six fois le pied. Il représente la Force, la colonne du premier surveillant. L’ionique lui à les proportions de la femme, plus svelte avec une hauteur de huit fois le pied, les volutes du sommet se faisant l’image de la chevelure. C’est la colonne de la Sagesse et du V\ M\, ceci dit avec tout le respect que je lui dois ! Le corinthien est quant à lui, encore plus svelte avec un rapport de dix entre sa hauteur et sa base. C’est la colonne de la Beauté et du second surveillant… dont acte …

Il m’apparut néanmoins qu’il y a bien d’autres merveilles d’architectures anciennes dans le monde et certaines, bien antérieures aux styles d’architecture que l’on me demanda de méditer depuis Tiahuanaco dont l'origine de se perd dans les millénaires jusqu’aux temples d’Egypte dont l’architecture quant à elle comporte six ordres.

Point de référence à ceux-ci toutefois … la F\ M\ est universelle mais elle tire ses racines dans le monde judéo-chrétien dont elle est issue, tout comme les ordres proposés à mes réflexions.

Le Troisième

J’avais utilisé la règle, le fil à plomb et le niveau pour travailler la pierre mais un autre outil se révéla également : le levier, qui, de part son principe de multiplication des forces, permet de placer aisément la pierre cubique là où elle doit se trouver. Instrument incomplet par excellence, car, comme tous les outils, seul il ne peut rien, il est immobile et inutile et ne trouve sa fonction que lorsque qu’une force extérieure lui est appliquée. Mais le levier se révèle extraordinairement puissant sous l’action d’une force extérieure. C’est un instrument puissant et d’autant plus puissant que la force initiale qu’il démultiplie est puissante : « Avec lui je soulèverais le monde » disait Archimède.

Cette force initiale c’est la volonté, intelligente par le placement du point d’appui, obstinément ferme dans son application et désintéressée dans ses objectifs. Elle doit être intelligente car rien ne sert de s’acharner en vains efforts ne conduisant qu’à des déplacements inutiles. Elle doit être ferme et résolue, sans jamais dévier dans son application ni renier ses engagements. Elle ne doit avoir qu’un seul but : déplacer la pierre pour la mettre à sa juste place dans l’édifice.

Le compas qui me fut révélé antérieurement m’a montré les limites. La règle que j’ai découverte par après, m’a montré la voie. Le levier, proprement placé et volontairement manié, me donne aujourd’hui le moyen de déplacer les blocs les plus lourds.

Cette pierre qui me fut donné de soulever, c’est moi-même, la pierre brute que j’aurai façonnée et qui devra trouver sa place dans le mur du temple.

Sans le levier, l’architecture n’aurait pu engendrer ni les colonnes de l’ordre Toscan le plus dépouillé ni celles de l’ordre Composite le plus complexe. Il est bien le symbole intelligent de la force au service de la beauté d’une construction comme celle du temple.

La encore plusieurs thèmes de réflexion me furent proposés : par le chiffre sept, ceux des sept arts libéraux : Grammaire, Rhétorique, Logique, Arithmétique, Géométrie, Musique et Astronomie que les anciens jugeaient indissociable de l’Astrologie, ces thèmes qui sont sensés représenter l’ensemble des arts et des sciences humaines. Les trois premiers sont les arts du langage par lequel on communique. J’ai noté que ces thèmes étaient aux pieds de la colonne de la Sagesse. Mais il y a de la beauté dans les géométries fractales et quiconque aura levé les yeux au ciel par une belle nuit d’hiver n’aura pu que ressentir la beauté de l’univers qui nous entoure. Sagesse et beauté se rejoignent.

Le Quatrième

Ce quatrième voyage fut celui de l’équerre par laquelle je vérifiai la pierre cubique dont les trois dimensions se doivent d’être harmonieusement et précisément associées. Celles-ci ne doivent pas nécessairement être égales, nul n’est sensé être parfait et j’oserais dire que cette perfection serait contraire à l’édification d’un temple solide et durable. Une telle perfection serait égoïste, car un tel homme n’aurait aucun intérêt à s’associer à ses semblables pour former avec eux un ensemble plus vaste.

La perfection se complait dans la solitude de ce qui ne peut être enrichi par l’échange. Etre parfait doit être très triste car plus on s’améliore plus on devient seul. A la limite, la perfection et l’inutile se confondraient elles ?

Durant ce voyage, j’ai également pu contempler deux sphères, terrestre et céleste. Cette petite planète que j’eu la chance de parcourir en tous sens depuis des années m’est devenue d’une certaine façon bien familière et pourtant il me reste tant de choses à y découvrir ! Aurais-je encore cent vies que je n’y arriverais certainement pas ne fut-ce que parce que les éléments qui la composent changent et évoluent en permanence tel une être vivant dont certains disent que notre terre en est un appelé Gaia. Et pourtant, cette boule de matière n’est qu’un grain de poussière tournant autour d’un soleil quelconque parmi les cent milliards d’autres soleils d’une galaxie somme toute bien banale dont on en dénombre des milliards dans notre univers connu.

Et voici que tout d’un coup, ce voyage m’indique sans aucune retenue que c’est maintenant cet univers qui est le champ de ma réflexion, le domaine dans lequel mes investigations peuvent maintenant se donner libre cours. Je devrais faire preuve de fort peu d’humilité pour ne pas ressentir une certaine appréhension à cette perspective mais que m’importe ! Je garderai en mémoire que maintenant nul domaine ne m’est interdit … mais je ne m’y aventurerai pas seul.

Que les faces de la pierre cubique que j’aspire à être soient nettes et d’équerre et celles-ci permettront l’assemblage ajusté, une rencontre « carrée » et plane entre semblables et comme l’a dit le grand Teilhard de Chardin « rien dans l’univers se saurait résister à l’action convergente d’un nombre suffisamment grand d’intelligences, groupées et organisées».

Le Cinquième

Ce cinquième et dernier voyage fut celui qui à bien des égards me rendit perplexe. Là, plus d’outil, plus de symboles révélés, plus de thèmes présentés, plus de champ d’investigation ouvert, rien qu’une déambulation. Bien sûr, elle avait un sens qui suivait le soleil, partant de l’Occident, lieu de sensations fortes, des faits établis pour gagner l’Orient par le Septentrion et revenir par le Midi.

Le Septentrion était ma place, dans cette obscurité où je me mis à élaborer mes premières réflexions, mes premières hypothèses. Passant devant l’Orient, ces hypothèses furent soumises à une lumière vive, critique, l’émission des antithèses et c’est au midi que j’aurai à y tenter cette synthèse rationnelle dont je pressens qu’elle restera élusive jusqu’à la fin.

Lors de ce voyage, j’entendis glorifier l’une des vertus cardinales de notre ordre : le travail sans qui rien ne peut se concevoir ni se faire. Ce travail que j’aurai à faire inlassablement … cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage disait le poéte Boileau et ce sera mon but sur ce chemin qui me reste à accomplir.

J’avais découvert cinq ordres et sept arts libéraux, l’y ai reçu pèle mêle l’étoile flamboyante à cinq branches et la lettre G, une symbolique universelle, la première lettre du mot anglais « God » mais la septième lettre de l’alphabet latin, la première lettre de cette Géométrie dont le troisième voyage m’a indiqué l’importance. J’ai gravi cinq marches et fait cinq pas et cette fois-ci pas en ligne droite. Alors que tout cela se bousculait dans ma tête, ce fut la fin de l’analyse car le V\ M\  ayant levé les bras me mis sur le chemin de la sortie, besace à l’épaule. Il était temps pour moi de prendre la route, d’explorer cette sphère céleste que j’avais brièvement aperçue lors de mon quatrième voyage.

Mes Frères, je pars mais je reviendrai et encore une fois, je sollicite votre indulgence pour cette planche bien imparfaite. Merci de m’avoir écouté.

J’ai dit, Très Vénérable.

J\M\ C\
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