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Confucius

Confucius naquit il y a plus de deux mille cinq cents ans à Qufu, dans la péninsule du Shandong, à l'Est de la Chine (en 551 avant J.C. semble-t-il). Aujourd'hui, dans sa ville natale, des arbres séculaires se dressent, symboles d'équilibre et de continuité. Et pourtant, quel personnage fut jamais plus controversé, déformé, utilisé, sans cesse remanié selon les nécessités du moment?

Ses "Entretiens" ont souvent été interprétés à la lumière d'un confucianisme dogmatique, triomphant, bien ultérieur à Confucius lui-même, puisque le Confucianisme ne devint doctrine officielle, orthodoxie d'Etat mise au service de la stabilité dynastique que sous les Han, quatre siècles après la mort du Maître.

La légende lui attribue des caractéristiques exceptionnelles, une vie de gloire et de pouvoir, un nombre très important de disciples. Or, la vie de Confucius nous le présente plutôt comme un éducateur, entouré d'un petit nombre de disciples fidèles. De son propre aveu, il naquit dans des circonstances modestes et y resta toute sa vie. Confucius nourrit certes de grandes ambitions politiques, cherchant désespérément le Prince capable d'appliquer sa doctrine, mais il mourut sans avoir pu les réaliser (en 479 avant J.C.).

La Chine de Confucius, celle de la période troublée des "Printemps et Automnes", se caractérise par la décadence du pouvoir central et le cynisme politique. C'est dans cette fragmentation, ce bouleversement politiques, qu'il faut replacer les principales préoccupations de Confucius et, en particulier, son insistance sur la perte du Mandat Céleste, la perte de la "Voie". Confucius se sent chargé d'une mission essentielle, celle d'"éveiller le monde comme un gong" et de lui faire retrouver la Voie perdue. Cette mission lui serait confiée par le Ciel lui-même, cette autorité impersonnelle mais omniprésente qui règle le cours des choses, la vie des hommes et qui le protège contre toute crainte, y compris celle de la mort.

L'humanisme de Confucius

La pensée de Confucius modèle un idéal de l'homme. Si pour les Taoïstes, la Voie est, en bref, la grande communion qui régnait à l'Origine entre les êtres et les choses et qu'il s'agit de retrouver, la Voie selon Confucius désigne plus spécifiquement la Voie des Anciens, c'est-à-dire des Sages Rois de l'Antiquité. C'est dans cette mesure que l'on a pu parler de son "agnosticisme" et de son éthique essentiellement fondée sur l'affirmation des valeurs humaines. Sa réponse à un disciple qui lui demande comment servir les esprits, est caractéristique à cet égard : "Tant que l'on ne sait pas servir les hommes, comment peut-on servir leurs mânes ?" (Entretiens livre XI, 11)

L'enseignement de Confucius est centré sur un idéal pratique, fondé sur une certaine conception de l'homme et de sa nature éthique. L'idéal que propose Confucius, contenu dans le terme chinois "jun-zi", signifiant littéralement "fils de souverain" et par extension descendant d'une famille noble, est surtout "l'homme de bien".

L'homme de bien doit tendre vers la réalisation du Souverain Bien qu'est le Ren. Le Ren est le maître mot de l'éthique confucéenne. Le ren est une vertu d'humanité. Il ne désigne pas un Bien abstrait, absolu, mais le bien qu'un homme peut faire à un autre. Vertu d'humanité si rare, toutefois, que Confucius ne juge personne digne de cette qualification... Les composantes du ren concernent les relations de l'homme confucéen : parents, souverain, amis. La piété filiale peut être considérée, au sein d'une conception de l'Etat sur le modèle d'une grande famille, comme le ciment des rapports sociaux et hiérarchiques.

"Etre bon fils, être simplement bon fils et bon frère, c'est déjà prendre part au gouvernement". (Entretiens, II, 21).

Entrent également dans la composition du ren deux vertus d'honnêteté : "zhong", la loyauté envers soi-même et les autres et, en particulier, envers son souverain ; et "xin", la fidélité à la parole donnée qui rend un homme digne de confiance.

L'homme de bien doit enfin posséder deux qualités sans lesquelles il ne saurait assumer de responsabilités politiques : "zhi", le discernement et "yong", le courage.

Les préceptes de la morale individuelle guident déjà l'attitude politique. L'humanisme confucéen place une grande foi dans l'éducation comme facteur d'amélioration constante. "Etudier" doit être entendu dans un sens pratique, de "voir faire", "entendre dire", c'est-à-dire apprendre par expérience. "Si j'ai seulement deux hommes avec moi, je suis sûr d'avoir un Maître".

Le grand souci de Confucius est donc de marquer que la vie en commun est, avec le contrôle qu'elle entraîne des moindres détails de la conduite, le principe de perfectionnement qui fait d'un individu humain un homme accompli.

L'enseignement de Confucius est donc une morale agissante et c'est en tant que directeur de conscience qu'il semble avoir bâti son prestige. Pour ajouter à l'efficacité de son enseignement, il avait souci de l'infléchir en fonction de son interlocuteur. "Les trainards, je les pousse; les fougueux, je les retiens".

L'éducation est directement orientée vers les responsabilités politiques et le restera tout au long de l'histoire chinoise, en vertu du recrutement des fonctionnaires par examens. Mais elle revêt chez Confucius une dimension plus large, en devenant la méthode directrice de l'art de gouverner. Le Grand Educateur, c'est le souverain. Toute la pensée de Confucius est fondée sur le rapport entre le Maître et le Prince. Un souverain ne peut gouverner que s'il est lui-même droit, digne d'être un exemple et une norme pour ses sujets.

C'est cette rectitude, cette exemplarité dans la personne même du souverain qui lui permet de s'imposer comme tel, qui justifie son pouvoir et son autorité. Cette rectitude est proche de la notion romaine de "virtus".

Le rôle fondamental du rituel

Au rôle primordial du souverain, il faut cependant ajouter, pour que se réalise le gouvernement idéal, le rôle non moins essentiel du rituel, du "li". Clef de voûte de l'édifice social et marque suprême de civilisation, le rituel constitue en Chine le trait distinctif entre "barbares" et "civilisés".

Le caractère chinois "li" représente un vase sacrificiel contenant des objets précieux destinés aux esprits, et par extension, désigne le rituel du sacrifice offert par le souverain ou ses vassaux aux mânes de leurs ancêtres. Rituel accompagné de musique et de danses qui constituent l'harmonie et l'efficacité du geste. Ce rituel en vient à marquer toutes les activités humaines, qui se déroulent en grande partie dans le temps des ancêtres (mariages, expéditions militaires, négociations diplomatiques, etc...)

De là provient l'idée que c'est de l'accomplissement rigoureux des rites royaux que dépend la bonne marche de l'Etat, mais aussi la paix et le bonheur du peuple, la fertilité des champs, l'ordre social.

L'effort de Confucius pour revenir à la vision authentique du rituel n'est pas un réflexe de conservateur, voire d'un réactionnaire - comme on l'entend dire parfois - mais la tentative de retrouver une forme d'équilibre social. Le rituel joue dans le bon fonctionnement du gouvernement un rôle fondamental, puisqu'il canalise les énergies et les instincts individuels dans des comportements harmonieux, facilitant ainsi les relations politiques et sociales. C'est l'esprit, et non la lettre du rituel que Confucius tente de retrouver.

Loin de prôner une adhésion aveugle, dogmatique à une forme quelconque d'étiquette ou de règles arbitraires, il accorde une grande importance à l'expérience et au jugement de chacun. Le "yi" est ce sens du Juste, cette capacité de juger ce qu'il est équitable de faire dans telles circonstances.

"Dans les affaires du monde, l'homme de bien n'a pas une attitude rigide de refus ou d'acceptation. Le juste est sa règle". (Entretien IV, 10)

Il n'y a donc pas dans la pensée de Confucius de critères absolus, de valeurs abstraites, mais plutôt un rapport complexe entre les situations environnantes et le sens du Juste. "L'homme de bien est impartial et vise à l'universel ; l'homme de peu, ignorant l'universel, s'enferme dans le sectaire". (Entretien II, 14)

A l'instar du Bouddha, Confucius rejetait pourtant toute spéculation sur l'Univers et faisait de l'homme l'objet propre du savoir. C'est grâce à la vie de société que se constitue la dignité humaine.

Confucius cherche à rendre sensible l'unité d'un principe d'ordre unissant, à la manière d'un courant réversible, des groupements hiérarchisés (les amis, les parents, le domaine, l'Etat) mais étroitement solidaires qui vont de l'individu à l'Univers. Pour lui, la vie en société est l'étape obligatoire entre l'homme et l'Univers, à la différence de la vision taoïste, philosophie plus cosmique où la voie du sage n'est pas forcément une voie sociale.

"Qui ne reconnaît le Décret Céleste ne saurait être homme de bien. Qui ne possède les rites ne saurait s'affirmer. Qui ne connaît la valeur des mots ne saurait connaître les hommes". (Entretien XX, 3)

Brigitte Boudon


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