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Musique et Liberté

La liberté donne consistance à la vérité elle-même, à l’homme en tant que question et projet qui ne se réalise qu’à la fin. La liberté est donc errance (délibération indépendance ouverture aux possibles) elle est indépendance (autonomie, délivrance ou discipline).
Liberté de jugement, d’action, de création mais aussi de comprendre de savoir (la raison doit s’exercer, personne ne peut comprendre pour moi et cette décision engage tout mon être.
La liberté n’est pas l’arbitraire ni la soumission aux passions. Etre libre ce n’est point pouvoir faire ce que l’on veut mais vouloir ce que l’on peut.

Voilà quelques idées bien générales sur la liberté. La notion de liberté peut se manifester sur beaucoup de plans et de très nombreuses manières. Nous en avons choisi quelques unes et avons tenté de voir si la musique a un lien avec elles, sans toutefois développer l’essence même de la liberté et approfondir son sens. Notre propos reprendra de nombreux genres musicaux et nous avons choisi d’en développer un plus que les autres : il représente à nos yeux une sorte de synthèse de ce que nous aurons déjà dit auparavant mais aussi de par son actualité, il nous rappellera ce que la musique peut apporter à l’homme en général en dehors du plaisir que l’on peut avoir à l’écouter.

1/ Dans ce cadre, la musique joue-t-elle un rôle contre les tyrannies, contre l’oppression ? Le compositeur peut-il ou a-t-il au travers de ses Œuvres lutté. Quelques exemples seraient là pour le prouver. Fidelio, opéra de Beethoven, nous narre l’histoire de Florestan, combattant pour la liberté de son pays face à l’envahisseur et qui une fois emprisonné continuera sa lutte. Les Noces de Figaro, opéra de Mozart, au demeurant si léger du moins à priori, est une ode à la liberté dans deux domaines : la liberté vis à vis du puissant mais aussi une certaine liberté sexuelle.

Liszt a mis sa musique au service des révolutionnaires hongrois au travers de certains de ses poèmes symphoniques. Chopin, au cours d’un voyage vers Paris, apprend l’invasion de son pays par les Russes, il ne pourra jamais y rentrer il ne le sait pas encore mais il écrira un certain nombre d’Œuvres dont la splendide Etude n¡ 12 dite « Révolutionnaire » pour crier à la liberté de son pays. Ecoutons aussi les chants des Quilapayun, groupe folklorique chilien, en tournée à Paris au moment du coup d’Etat de Pinochet : ils se voient interdire le retour en leur pays : leurs chants deviennent des plaintes de la liberté perdue et un appel à la révolution contre la dictature.

2/ Le blues est une autre manifestation des liens entre la musique et la liberté. Mais là le lien est différent de ceux que nous avons décrit plus avant. Le mécanisme est dans ce cas plus indirect. Le blues, et au même titre le negro-spiritual est un cri individuel d’aspiration à plus de liberté sur le plan du droit. Ces musiques auront un effet que je qualifierais de retard : elles vont permettre aux auditeurs et à ceux qui reprendront ces chants de prendre conscience de leur état et de ne plus le vivre comme inéluctable : je suis esclave et telle est ma condition et mon destin.
 
Un autre exemple du rôle de la musique dans l’accès à la liberté est pour nous symbolisé par l’hymne sud-africain : ce chant de mineurs repris par des groupes allant au travail est devenu plus qu’un cri puisqu’il a fédéré des hommes pour lutter vers la liberté. Ce chant a été à la fois cri individuel et a entraîné une prise de conscience individuelle mais aussi a cimenté le collectif pour devenir le symbole de la lutte pour la liberté et la fin de cet esclavage moderne qu’était l’apartheid. Il en a été de même pour certaines chansons de Joan Baez qui étaient reprises en chœur par les militants de la lutte anti-ségrégation aux Etats-Unis, dans la mouvance de Martin Luther King par exemple.

Au delà de ces deux exemples se pose une autre question sur l’essence même de la liberté et de sa définition dans un contexte que nous qualifierions de politique
Le droit antique en reconnaissant l’opposition de l’homme libre et de l’esclave marquait le souci de donner à la liberté un statut réel en faisant de l’esclavage des uns la condition de la liberté effective des autres.

On ne peut donc nier qu’il y ait un progrès dans la liberté, du droit antique au droit moderne, puisque celui-ci fait de la liberté la nature universelle de l’homme. Cependant le droit antique manifestait une conscience limitée mais concrètement réelle de la liberté alors que le droit moderne tout en définissant la liberté de façon universelle implique immédiatement dans cette définition la limitation et la négation de cette liberté. Le droit est en effet la limitation de ma liberté ou de mon libre arbitre de telle sorte qu’ils puissent s’accorder avec le libre arbitre de chacun d’après les lois universelles. Ainsi ma liberté est définie par la limitation ou la privation de ma liberté et la loi n’est pour ma liberté que sa limite négative.

La volonté minoritaire serait-elle donc une volonté qui se trompe ? A-t-on le droit de la contraindre à être libre, selon le vœu de la majorité ?
La différence entre le fonctionnement de ces deux catégories de musique (le blues le negro-spiritual et l’hymne sud-africain) en tant que moteur vers la liberté est que les premiers s’adressaient à l’individuel alors que l’autre agissait dans un cadre collectif.

3/ Un autre mouvement récent de la musique se veut une aspiration à la liberté : la pop music et plus récemment le rap. A l’origine de ces mouvements se trouve une aspiration à la liberté : liberté de création hors des standards de l’industrie pour la pop, accession à la connaissance, à l’éducation pour accéder à la liberté en ce qui concerne le rap. Mais très ­voire trop- vite, ces genres représentatifs d’une lutte se sont retrouvés récupérés par un système qui veut gommer ces différences et les fondre dans un moule plus conforme à ses intérêts économiques. Nous pouvons d’ailleurs nous poser la question de savoir si généralement les volontés de plus de liberté dans la création ne sont pas toujours récupérées par un système économique. Woodstock et l’Ile de Wight étaient pour la pop les manifestations spontanées du groupe ; plus tard sont intervenus les festivals organisés par le système. Cette liberté apparente dans le système économique des grandes multinationales du son n’est-elle pas finalement uniquement une liberté entre guillemets d’acheter, de consommer et non plus une liberté de création ?

4/ Le Rai
Le Rai reprend plusieurs des dimensions précédemment évoquées et en soulève d’autres. En effet son origine remonte au chant des bergers itinérants, des chanteuses-danseuses qui désiraient exprimer leurs joies et leurs peines à leur manière, loin des tapis des notables. Il s’agit donc d’un protest song chanté dans la langue de tous les jours et non en arabe médian qui est celle des médias et de l’enseignement. C’est en quelque sorte le blues du bled. Le terreau premier du rai est donc la langue de la vie, celle des émotions, des sentiments, du rêve, de l’utile, du conflictuel.
Le terme rai provient de erray, exclamation qui ponctuait les fins des vers oubliés, les moments creux d’inspiration de ces chanteurs itinérants. Cette exclamation vient de la racine arabe R’y qui signifie opinion, manière de voir les choses mais encore but ou dessein avec la notion de choix, de jugement. Il renvoie donc à la liberté de penser, au libre arbitre et donc à la possibilité plus ou moins efficiente qu’a le sujet d’agir sur les choses auxquelles il semble irrémédiablement soumis.

Avant l’indépendance, le rai a donc véhiculé, comme le blues, les éléments d’un chant protestataire ­ c’est l’étalage de la misère, de l’oppression sous le joug colonialiste. Il chante ensuite la résistance au sens majeur et ce toujours sous le couvert de chansons d’amour ou d’impression de banalité de la vie coutumière. D’où l’importance du second degré dans ces chansons d’amour où l’allusion, le double sens, la métaphore acquièrent toute leur importance.
On pleure d’amour sur l’amant ou l’amante mais il faut comprendre la patrie que l’on veut libre, les puritains les fâcheux qui s’opposent à cet amour n’étant que les colonialistes.

Aux premiers temps de l’indépendance le rai participe pleinement à l’effervescence d’un art populaire triomphant où tout ce qui avait précédemment rampé dans l’ombre peut dorénavant se clamer à la lumière. C’est toute une dimension patriotique du Rai qui se met en place. Très demandé, il pénètre alors au cœur des familles par le biais des mariages et autres festivités. De plus toute une branche féminine l’utilise pour chanter l’émancipation, la libération de la femme et son combat pour échapper à la soumission due à l’homme dans le cadre de la famille.

Le rai est au sortir des années 80 révélateur de la problématique de la société algérienne qui remodèle et élargit les espaces de tolérance, de liberté : une société régie par un code socio-religieux rigoureux, androcrate dans laquelle se manifeste une tendance forte à la sécularisation et à l’ouverture des mœurs. Le rai y représente la négociation permanente entre le profane et le sacré, le code et le réel, l’individuel et le collectif prenant une place de plus en plus importante au sein de la société puisqu’il supplante une bonne partie des chants d’inspiration religieuse qui jusqu’alors étaient de règle dans l’accompagnement des cérémonies familiales comme les mariages et les circoncisions et ce aussi bien pour les femmes par des répétitions de chants assez osés se cantonnant dans les limites de l’allusion que pour les hommes dans ce que l’on pourrait qualifier de défoulement rituel.

Le développement de l’intégrisme islamiste de ces dernières années a tout fait pour mettre un coup d’arrêt à ce genre musical allant jusqu’à l’assassinat des raimen populaires. Le rai a alors évolué en poussant à l’émergence d’une idéologie fondée sur la liberté individuelle et celle du plaisir qu’offre cette liberté devenant l’expression de l’individualité de ce qui peut se démarquer et échapper au collectif. Le rai combat l’intégrisme religieux en utilisant le religieux comme légitimation ; c’est par exemple la chanson de Khaled qui s’intitule « Prions le Prophète et ses 10 compagnons », un chant religieux qu’il remanie dans son rythme mais conserve dans son essence et qu’il utilise comme une sorte de rituel d’ouverture et de clôture de ses performances publiques visant par là à les légitimer.

C’est également par l’invocation de dieux ou de ses saints revenant comme un leitmotiv dans la plupart des chansons, que le rai reprend à son compte un retour aux traditions populaires dans sa mise en jeu du divin et c’est par ce biais qu’il s’oppose en force en entrant en conflit ouvert avec l’intégrisme islamiste qui veut toute personnalité d’un seul bloc dans son ordre nouveau où la parole divine ramenée à une vision étriquée du Coran fonderait la relation sociale, intégrisme allant jusqu’à l’élimination physique de ses opposants.
Ce qui attire les jeunes vers le rai est un impérieux besoin de nouveauté, de partage d’un élan commun, d’un mouvement pour échapper à la morosité du quotidien et aux étouffements du patriarcat politique comme familial.

5/ Les quatre aspects que nous avons évoqué plus haut, nous pourrions les considérer comme positifs mais il est un autre rôle de la musique que nous voudrions évoquer : la musique rassemble, certes, mais pas toujours pour le bien. La musique a été aussi instrument de régimes totalitaires et des musiciens ont été les instruments de mobilisation des masses délibérément comme des Carl Orff sous le troisième Reich ou Chostakovitch sous le régime stalinien ou involontairement, Wagner était mort quand ses musiques ont été utilisées par la propagande nazie. Le rôle fédérateur de la musique se trouve ainsi dévoyé mais la musique est-elle vraiment en cause. La liberté de l’engagement, du devoir et de la raison peut mener aussi à un dur esclavage, à une discipline creuse. Les nazis se voulaient hautement libres dans leur soumission et leur renoncement à leur propre réflexion, par idéal.

Conclusion :
La musique, ou plutôt son utilisation, a été présente dans les luttes de l’homme vers la liberté telle que nous la vivons actuellement. De nombreuses interrogations subsistent. La liberté n’est-elle qu’utopie ? Nous n’avons pas évoqué dans ce travail le problème du déterminisme mais ne sommes nous pas uniquement les jouets, les acteurs d’une pièce écrite par un autre, mise en scène par un autre ? Si nous le croyions, nous ne serions pas ici. C’est par l’usage que nous faisons de la liberté, comme les musiciens l’ont fait que nous sommes reconnus par nous-mêmes puis par les autres comme êtres humains.

Reste posée la question de l’utopie de la liberté ? N’est elle pas un chantier en perpétuelle construction ? Le travail que nous faisons en loge et que nous poursuivons au dehors, la maîtrise de nos passions, passions qui si elles ne sont pas dominées faussent notre jugement et donc aliènent notre liberté, la transformation de nos propres déterminations dans le cadre collectif de notre atelier nous rendent responsables de nos possibles, nous identifient à notre action, à notre travail comme réalisation de nous et donc nous rendent libres.

Reste le sujet de cette planche : Nabucco hymne à la liberté. Certes, ce célèbre chœur des esclaves connu sous ses premiers mots « Va pensiero » a servi de catalyseur aux Italiens du Risorgimento, luttant contre l’envahisseur autrichien mais il a aussi été récupéré par le système économique (une dame Mouskouri ne nous en a-t-elle pas fourni une version sirupeuse à souhait et dégagée de toute autre valeur que celle de l’argent) mais encore cette musique n’a-t-elle pas été récupérée aussi par Le Pen qui l’utilise pour ce qu’il conçoit comme une marche triomphale : Va pensiero est en effet joué par les gens du FN lorsque le sieur cité plus haut marche vers la tribune d’où il va haranguer ses auditeurs. Notre pavé mosaïque n’a que deux couleurs et Nabucco en a trois.
J'ai dit.

J\M\ S\


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