Obédience : NC Loge : NC 28/10/2000

Les trois grandes offrandes

Je voudrais, avant toute chose, citer en épigraphe, une phrase extraite du livre « BRISER LE TOIT DE LA MAISON » de l’historien des religions Mircea ELIADE : « C’est parce qu’il est exemplaire que le mythe est créateur, qu’il éveille et oriente les activités de l’homme ».

Il m’a été demandé de rapporter mes réflexions sur « les trois grandes offrandes ». Mon ignorance suscite des questions auxquelles cette planche ne prétend pas répondre. Elle entend pour le moins les poser.

Quelles offrandes ? Pourquoi des offrandes ? Quels symboles représentent ces offrandes ? Ou, quelle lecture autre que celle d’un profane peut-on en faire ? Telles sont les questions qui, à mon sens, valent d’être posées.

De la lecture de la planche tracée du premier grade, il est dit, je cite : « Nos Loges sont élevées sur des lieux sacrés, car la première Loge fut consacrée par trois grandes offrandes : la première fut le consentement d’Abraham à la volonté de DIEU... ; la deuxième, les nombreuses et ferventes prières du Roi David, qui apaisèrent la colère de Dieu et arrêtèrent l’épidémie de peste qui faisait rage parmi son peuple... ; la troisième, les nombreuses actions de grâce, offrandes, holocaustes et riches présents que Salomon, ...fit, en construisant, dédiant et consacrant le Temple de Jérusalem au service de Dieu. Par ces trois grandes offrandes, les bases de la Franc-Maçonnerie furent, sont et resteront éternellement sacrées ».

Ces trois grandes offrandes, considérées dans l’histoire biblique, sont citées dans leur ordre chronologique. Leurs dates approximatives sont les suivantes :

la première, celle d’Abraham, est estimée environ à 1850 avant J-C ;
la seconde, à l’orient du règne de David, vers 1000 avant J-C ;
enfin, la troisième, si l’on retient la date d’achèvement du temple, est voisine de 960 avant J.-C.

1-Le sacrifice d’Abraham :

«..., il arriva que Dieu éprouva Abraham… » (La Genèse 22 1)

Ce sacrifice constitue « LE » premier sacrifice biblique. Il est aussi le plus important puisqu’il consistait, pour Abraham, à immoler ce qu’il avait de plus cher : son fils (« prends ton fils, ton unique, que tu chéris,... »). La violence de cet acte n’a d’égale que la confiance totale qu’Abraham avait en Dieu. En ce sens, il constitue un mythe fondateur.

Le caractère essentiel de ce sacrifice réside dans sa gratuité. C’est la seule volonté de Dieu qui a dicté la conduite d’Abraham. Aucun enjeu ne motivait un tel acte. Peu importe l’issue que Dieu a décidé de donner à ce sacrifice, la signification de celui-ci était la mise à l’épreuve d’un homme.

« Quand ils furent arrivés à l’endroit que Dieu avait indiqué, Abraham y éleva l’autel... » (La Genèse 22 9)

Ce sacrifice est un acte fondateur. Cet autel ne symbolise-t-il pas une première « pierre » pour l’Humanité ? Il constitue un acte révélé, la base d’un rituel, l’idée que, sans sacrifice, toute activité de l’homme est futile. Il élargit au sacré le concept profane d’éthique.

Il faut noter que, le pays de Moriyya, que Dieu a choisi pour cet holocauste, a été identifié plus tard comme étant la colline sur laquelle s’éleva le Temple de Salomon à Jérusalem. La tradition postérieure a accepté et confirmé cette localisation.

2-Les prières de David :

Yahvé étant parfait, il se situe au dessus du bien et du mal. Il incarne donc les deux et, à ce titre, joue un rôle qui paraît ambiguë aux yeux d’un profane. Il est à la fois le « miséricordieux » et « l’injuste », « Dieu » et « Satan ».

« Yahvé envoya la peste en Israël depuis le matin jusqu’au temps fixé,... » (Deuxième livre de Samuel 24 15)

C’est également pour mettre à l’épreuve David que Yahvé lui a demandé de dénombrer les populations d’Israël et de Juda. Le recensement était alors considéré comme une impiété, car il relevait des prérogatives de Dieu, seul maître d’accroître les familles et les peuples.

David donc, après avoir fait compter les habitants d’Israël et de Juda, s’adressa à Yahvé dans ces termes : « C’est un grand péché que j’ai commis ! Maintenant, Yahvé, veuille pardonner cette faute à ton serviteur, car j’ai commis une grande folie ». Yahvé lui fit répondre : « Je te propose trois choses, choisis-en une et je l’exécuterai pour toi... :

faut-il que t’advienne trois années de famine dans ton pays,
ou que tu fuies pendant trois mois devant ton ennemi qui te poursuivra,
ou qu’il y ait pendant trois jours la peste dans ton pays ? »

David choisit la peste.

Après que des milliers d’hommes moururent, Yahvé se repentit et arrêta la main de l’ange exterminateur.

« Monte et élève un autel à Yahvé sur l’aire d’Arauna le Jébuséen ». (Deuxième livre de Samuel 24 18)

Ce sacrifice est également un acte fondateur. Comme le précédent, il a été sacralisé sous une forme mythique. Il est révélé. C’est la similitude avec le sacrifice d’Abraham qui confirme sa dimension rituélique et notamment l’acte d’élever un autel. Celui-ci peut être symboliquement considéré comme constituant une seconde « pierre » établie à la gloire de Dieu.

Il faut ici noter également que l’aire d’Arauna, que Dieu a choisi pour que David y élève cet autel, était situé sur la colline qui dominait la Jérusalem primitive au nord. C’est sur celle-ci que s’élèvera le Temple de Salomon.

3-Le temple de Salomon :

« Yahvé donna à Salomon une sagesse...plus grande que la sagesse de tous les fils de l’Orient... » (Premier livre des Rois 4 9 et 10).

Salomon, roi d’Israël, fils de David, fut comblé par Yahvé. Il lui donna la sagesse, l’intelligence et « un cœur aussi vaste que le sable qui est au bord de la mer ». Gabaôn était le plus haut lieu qui supportait un autel sur lequel Salomon a offert mille holocaustes. C’est en allant sacrifié sur ce site que Yahvé apparut en songe à Salomon et lui demanda ce qu’il voulait obtenir de Dieu. L’humilité poussa Salomon à demander un « cœur plein de jugement pour discerner entre le bien et le mal ». Ce qui lui fut accordé.

« Yahvé a dit à David : Ton fils que je mettrai à ta place sur ton trône, c’est lui qui construira le Temple pour mon Nom » (Premier livre des Rois 5 19).

C’est à Hiram, roi de Tyr et de Sidon et ami de David, que Salomon fit appel pour organiser la logistique de la construction du Temple. Celle-ci se fit en pierres de carrière et dura sept ans. Pendant le chantier, « on n’entendit ni marteaux, ni pics, ni aucun outil de fer dans le temple (1) ». (Premier livre des Rois 6 7)

Hiram Abif, (personnage différent du roi de Tyr), était le fils d’une veuve de la tribu de Nephtali. Son père était Tyrien, ouvrier en bronze. Il était plein d’habileté, d’adresse et de savoir pour exécuter tout travail de bronze. Il coula deux colonnes de bronze de dix huit coudéesv(2) de haut (9.36 m) et de douze coudées (2) de circonférence (soit un diamètre d’environ 2 m), surmontées chacune d’un chapiteau de cinq coudées (2) de hauteur (2.6 m).

Les chapiteaux étaient en forme de fleur, ce qui laisse supposer qu’ils répondaient à l’ordre corinthien. Les colonnes étaient dressées devant le vestibule du sanctuaire ; il dressa la colonne de droite et lui donna pour nom « Yakîn » ; il dressa la colonne de gauche et lui donna pour nom « Boaz ». Il est supposé que ces noms signifiaient respectivement « elle est solide » et « avec force ».

Conclusion

La première offrande constitue symboliquement un des actes de foi les plus forts de l’histoire biblique. Il pourrait être considéré comme le mythe fondateur du rite sacrificiel.

Dans la seconde, le choix des sentences laissé à David s’articule autour du chiffre trois (trois sentences, trois années, trois mois, trois jours). De même, l’importance rituélique que ce chiffre revêt aujourd’hui a sans doute été inspirée par cette époque.

Enfin, Salomon, acteur de la troisième offrande, ne symbolise-t-il pas la synthèse de nos vertus ? Sa SAGESSE, premier angle de notre triptyque, la FORCE qu’inspire l’architecture du temple, composé de pierre, de cèdre et de bronze, constituant le deuxième, la BEAUTE de la bâtisse, le troisième.

Ces trois offrandes ont été consacrées en un même lieu, fixé dans la durée par le Temple de Salomon. Ce lieu est sacré puisque choisi par Yahvé lui-même. Il est symboliquement reproduit sur les lieux d’édification de tous les Temples Maçonniques du monde. C’est pour cette raison que les fondements de la Franc-Maçonnerie demeureront éternellement sacrés.

Si l’on transpose ces offrandes à la période médiévale, les Francs-Maçons, concepteurs de l’architecture sacrée, ne sont-ils pas les dignes enfants d’Abraham, de David et de Salomon ? Comme ceux-ci, n’ont-ils pas protégé leur science par des secrets afin d’être toujours plus créatifs, de se rapprocher toujours plus de la perfection, de la Vérité ?

De nos jours, on ne construit plus de cathédrales. Les manifestations de la foi sont donc plus subtiles, plus symboliques, dans un univers beaucoup plus matérialiste, plus vénal. C’est, me semble-t-il, à l’édification d’un temple spirituel, d’un monde meilleur, que nous devons consacrer nos efforts. Chaque Homme en constituant une « Pierre ». Mais cet édifice sera d’autant plus solide que chaque Pierre qui le constitue sera bien « taillée », c’est-à-dire, que chaque Homme sera instruit et doué d’une grande Sagesse.

Je dirai pour terminer que, sans référence au sacré, notre vie serait certainement vouée aux pires turpitudes. C’est la dimension spirituelle de nos actes qui doit donner un sens à notre vie, qui nous condamne à créer, au sens de construire, d’édifier, par opposition à la sclérose, à la destruction.

Telles sont les réflexions que les trois grandes offrandes, qui fondent toutes les Loges depuis toujours, m’inspirent.

A\ L\

Notes :

(1) Voir l’Exode 20 25 : « Si tu me dresses un autel de pierres, ne le bâtis pas en pierres taillées, car, à les travailler au burin, tu les profanerais ».
(2) La coudée ancienne (d’Ez) mesurait 52 centimètres.


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