Obédience : NC Loge : NC Date : NC

Le Crépuscule

Symbole…

C’est, comme l’on sait, le morceau de poterie cassé en deux dont chacun possède une partie et qui permet de s’assurer du lien entre deux individus. Le crépuscule en est une merveilleuse illustration maçonnique, il est la césure entre la nuit et le jour ou entre le jour et la nuit, ces deux états peuvent apparaitre comme deux contraires mais sont intimement complémentaires l’un donnant en permanence naissance à l’autre. Le crépuscule est le lien indéfectible qui unit ces deux moments. En lui seul il est la naissance ; La naissance sans cesse renouvelée du jour et la naissance sans cesse renouvelée de la nuit.

Il est une illustration maçonnique, car si dans la vie profane, nous travaillons à la lumière, nous réalisons en tenue un voyage de l’Occident à l’Orient pendant que le feu de Phébus féconde l’autre face de notre terre, mais qui aux deux extrémités est en permanence borné par un crépuscule. Le crépuscule est à la fois symbole d’apparition et de disparition.

L’apparition, la naissance, la disparition serait donc la mort…

Là encore pour les franc-maçons que nous sommes toutes et tous, la mort n’est qu’un passage à l’Orient Eternel auquel nous devons renaître, en ce sens le crépuscule est toujours annonciateur de naissance.

Le rituel nous dit : « que ceux qui ont des oreilles entendent, que leurs yeux voient et que leurs âmes comprennent ».

Si le crépuscule n’est pas a priori annonciateur de vagissements ou de gémissements, quoique travailler de midi à minuit puisse aussi être interpréter comme « de la naissance à la mort », c’est bien en musique que s’effectuent en entrée et en sortie, nos travaux d’atelier.

En revanche ce même crépuscule s’empourpre. Le rouge du sang de la mère qui enfante ou le sang du bougre assassiné n’en sont-ils pas une belle allégorie ou l’inverse peut-être mais les yeux voient. « Que leurs âmes comprennent » est le sens même de la recherche initiatique. Cette dernière phrase peut aussi s’interpréter en considérant que cette image du crépuscule est proche des représentations cinématographiques ou littéraires de science fiction, qui sont faites de la porte ouvrant vers un autre monde ou une autre époque.

Les « portes du ciel » désignent dans la langue des anciens Égyptiens les portes qui fermaient le meuble sacré abritant la statue de la divinité. Leur ouverture met en contact le monde des hommes et celui des dieux. Cette ouverture permet à l’Univers de se perpétuer en renouvelant le processus de la création et donne aux hommes à voir une image d’une réalité ineffable. Leur fermeture est le prélude à une renaissance future et, dans son attente, renvoie la divinité dans un Au-delà ténébreux, dissimulant ainsi son apparence aux yeux des humains. Pour les anciens Égyptiens, certains lieux sont à leur manière une réplique des réceptacles d’images divines. De ce fait, ils possèdent des portes, matérielles ou non, qui marquent le passage entre des réalités physiques et mentales. Ainsi le crépuscule dans son interprétation au sens d’une rituélie égyptienne peut constituer la porte ! Mais quelle porte ?

La porte d’occident serait ainsi celle du crépuscule du soir marquant le début du voyage sous la voûte étoilée et celle de l’Orient, derrière notre Vénérable l’ouverture à la lumière du Saint des Saints.

Mais alors pourquoi travaillons-nous de midi à minuit et pas du soir au matin ?

Là encore la notion de crépuscule prend une place importante car il marque l’alternance, du midi et de minuit il est la brune jonction du jour et de la nuit. A midi aucune ombre n’est portée, les objets ne projettent plus qu’un minimum d’ombre. C’est l’heure où il convient de les observer rigoureusement, en les observant sous toutes leurs faces.

Au crépuscule l’agitation du jour se calme et la paix du soir s’étend graduellement. Les détails s’estompent.

A minuit, la nuit épaissie ses voiles, les ténèbres de l’extérieur ne prévalent plus sur la lumière du dedans. En cette nuit d’autres ombres plus subtiles, évanescentes nous transforment la réalité. C’est le moment qui donne à notre perception sensorielle la liberté d’être subordonnée à notre imagination ou à notre spiritualité.

Nous voyageons donc ainsi d’un état conscient et matériel et cheminons vers un état où l’ensemble des perceptions est transformé.

Les ombres portées par ce passage de la nuit au jour ou du jour à la nuit seront donc les plus grandes au crépuscule. En cela il est un exhausteur de nos sensations. Le crépuscule se conjugue avec l’alchimie du travail en loge qui donne le sens de notre rituélie. Pour moi rien ne compte plus dans notre initiation que ce qui s’accompli intérieurement.

Le crépuscule va permettre le passage de la pleine lumière à un moment plus propice à la réflexion. En cela il est le passeur dont l’ensemble des mythologies nous a parlé. Il n’est pas le Styx il est la barque qui permet de franchir cette rivière (je parle ici de la rivière issue d’une source située dans le massif du Chelmos, dans le nord de l'Arcadie; l'eau sourd et tombe en cascade d'une falaise rocheuse. Elle est évoquée par Pausanias. La source forme avec d'autres le fleuve Krathis, qui se jette dans le golfe de Corinthe. Pausanias rapporte diverses propriétés de cette eau, toxique et ayant le pouvoir de dissoudre différentes matières).

Si les ombres et les reliefs sont amplifiés au crépuscule, il marque aussi l’heure à laquelle les lumières des demeures vont donner un éclairage nouveau aux intérieurs. Les chandelles (même aujourd’hui électriques) sont alors l’illumination de notre intérieur, elles nous permettront de découvrir par delà nos simples yeux. Pour cela je cite un petit poème en prose de Charles Beaudelaire :

Celui qui regarde du dehors à travers une
fenêtre ouverte ne voit jamais autant de
chose que celui qui regarde une fenêtre
fermée. Il n’est pas d’objet plus profond,
plus mystérieux, plus fécond, plus
ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre
éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir
au soleil est toujours moins intéressant que
ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce
trou noir ou lumineux, rêve la vie, vit la vie,
souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j’aperçois une
femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours
penchée sur quelque chose, et qui ne sort
jamais. Avec son visage, avec son vêtement,
avec son geste, avec presque rien, j’ai refait
l’histoire de cette femme, ou plutôt sa
légende, et quelque fois je me la raconte à
moi-même en pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieil homme, j’aurais
refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et
souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous: « Es-tu sûr que
cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce
que peut être la réalité placée hors de moi,
si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et
ce que je suis ?

Quand on donne la lumière au nouvel initié on lui offre la nuit…

L'enseignement spirituel de l’initiation c'est d'endurer les blessures, les souffrances dues à la transgression des codes normalement admis. La déstabilisation engendrée contraint d'explorer d'autres façons de voir et de vivre le monde, de faire face à l'inconnu en obtenant des résultats équivoques, d'expérimenter de nouvelles attitudes, de s'adapter aux situations inattendues par de nouvelles aptitudes. La déstabilisation dérange et contrarie. Elle met le monde en désordre et, dans la succession d'initiations de midi à minuit, ce chaos ressource et renouvelle la vie de l'initié. Cet accomplissement permet d'évaluer le périmètre des règles de l'organisation dans laquelle continuer à vivre ensemble. Cette juxtaposition d'états profanes, d'états sacrés, est un laboratoire pour que la collectivité évolue. Les sociétés et les individus ont besoin de changement mais ils y résistent et se retrouvent souvent dans le conservatisme rattaché à la tradition. Dans la stricte application du rituel, lorsque les lois et les valeurs ne sont plus remises en question, elles deviennent des dogmes rigides, aveugles aux évolutions des mentalités.

Le travail de dégrossissage de séparation et de désordre, recherche les limites, du point de rupture à partir duquel l'on sait régler un système. Elles sont les étapes successives de réglages où chaque décomposition tue une part en nous même et chaque peau enlevée amène au dépouillement et au renoncement des artifices de la représentation. Se dissoudre dans la décomposition, comme le jour dans la nuit, pour donner naissance à une autre perspective. Comme les paroles entendues dans le recueillement du silence qui apportent la méditation sur la portée de nos intentions réelles. Ne serait-ce pas là une définition de ce que peut figurer le crépuscule pour le maçon ?

A tout cela je n’ai pas une réponse tranchée. Mes réflexions sur un thème, à ma connaissance peu traité, sont celles-ci et pour parfaire son illustration, je terminerai par une présentation d’expérience physique où certains pourront peut-être voir transparaitre une forme d’alchimie crépusculaire…

Comment assembler par soudage deux métaux en dessous de leurs points de fusion ? Entre deux plaquettes d’argent (point de fusion : 960° C) de 2 à 3 mm d’épaisseur, jouant le rôle de métal de base, on dispose, comme métal d’apport, une feuille de cuivre (point de fusion : 1083° C) de 0.1mm préalablement enduite d’un décapant pour éliminer les oxydes de surface.

On place l’ensemble dans un four et l’on chauffe régulièrement. On constate qu’à partir d’une température, nettement inférieure aux points de fusion des deux métaux, il se forme à la surface de contact des plaquettes un alliage liquide cuivre-argent.

La formation de cet « alliage de surface » assure la liaison complète des deux plaquettes et ceci à une température de 778°C, inférieure de 300°C au point de fusion du cuivre et de 200°C environ au point de fusion de l’argent. La température de 778°C, est appelée le « point eutectique » de l’alliage cuivre-argent.

Le crépuscule est donc le « point eutectique » de notre travail de midi à minuit. Je me garderai de définir précisément son horaire lors d’une tenue car il m’apparait que c’est toute la tenue qui nous conduit à l’alchimie de notre recherche maçonnique. Il est dit qu’entrer en franc-maçonnerie est apprendre à mourir. En parallèle, l’âge avancé préalable de la mort est le crépuscule de la vie…

J'ai dit V\ M\

J\ T\


3250-1 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \