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13/04/2012


La solution du Binaire ou l'Au delà de la Dualité

Apparus dans les trois premiers degrés du Rite sous forme d'un pavé mosaïque au milieu du Temple, le Noir et le Blanc sont présents en force au trentième degré, celui du Grand Elu Chevalier Kadosch ou Chevalier de l'Aigle Blanc et Noir.
- Camp divisé en deux parties par une balustrade, blanc du côté de l'Orient, noir du côté de l'Occident,
- bauséant mi blanc, mi-noir,
- lumières certaines blanches, d'autres noires,
- bijou sous forme d'un aigle à deux têtes mi blanc, mi noir,
- poursuivant blanc et poursuivant noir,
- …et même le nom du degré, celui de Chevalier de l'Aigle Blanc et Noir, le Blanc et le Noir sont partout, toujours l'un avec l'autre, jamais l'un sans l'autre.

Pourquoi une telle importance est accordée à ces deux couleurs, ce « binaire », précisément à ce trentième degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté ?

LE REAA

Le Rite Ecossais Ancien et Accepté appelé encore l’Ecossisme est un système qui prend la forme d’une concaténation de nombreuses Traditions ésotériques, Egyptienne avec son rameau Hermétique, Grecque, orphique et pythagoricienne, Hébraïque avec sa branche Cabbalistique, Chrétienne avec l'Alchimie, et surtout Chevaleresque à travers les influences teutoniques et templières. Il a pour sujet et objet la sève, le liant que l’on qualifie de « religare », au fondement de toutes religions sans en être pour autant une. Il a pour but affiché de réunir les hommes sur des bases universelles qui dépassent et relativisent leur cadre socioculturel et confessionnel, afin que leurs soit assignée la mission de faire le bien de l’humanité.

C’est un système à trente trois degrés, dont le trentième, celui de Grand Elu Chevalier Kadosh ou Chevalier de l’Aigle Blanc et Noir a un rôle de première importance.

En effet, le Chevalier Kadosch est défini par l’expression « son nom fût autre, et le même pourtant ». C’est donc un degré qui comporte implicitement tous les degrés antérieurs. Celui qui le détient a la pleine connaissance de ce qui lui a été enseigné précédemment.

Ce degré aussi marque le suprême de l'enseignement initiatique, au moins métaphoriquement, dès lors que le sommet de l'échelle mystique qui indique l'effort nécessaire à son évolution est atteint par l’initié.

Le REAA se fond sur la volonté de rechercher la chose cachée (ésotérique trouve son étymologie dans esoterikos signifiant caché) en sachant que par cette volonté les hommes passent par les mêmes chemins et font les mêmes constats.

L'initié commence par l'étude de l'homme, des devoirs qu'il a à remplir envers ses semblables et envers soi même, il découvre une vérité qui est l'existence du Grand Architecte de l'Univers, auteur de tout ce qui est, ainsi que l'obligation de l'amour pour son prochain. Il s'instruit des sciences et des arts, moyens qui lui permettront d'arriver à la Vérité. Il s'aperçoit alors qu'une fois instruit, l'homme s'égare, hanté par l'égoïsme, l'ambition et l'ignorance. Il se fit dieu et le mal prévalut, d'où sa chute.

La Parole ainsi perdue, l'homme ainsi déchu, le mal et la confusion régnèrent sur la terre à la place de l'amour du prochain.

Il fallait donc faire quelque chose, et le rite en donne une voie qui s'appuie sur le thème récurrent de la quête, de la recherche de la Parole Perdue, et de l'alternance des Ténèbres et de la Lumière, du processus de Mort et de Renaissance. Donc, déjà, une alternance de phénomènes opposés et contraires, de binaires.

La méthode est une certaine aide créative qui, brisant notre savoir, faisant table rase de nos connaissances acquises, nous pousse à les remettre sans cesse en question.

Faire chercher la Parole c'est inviter l'initié à chercher, à réfléchir, à persévérer et, en l'aidant par un système de signaux bien disposés le long de tout son chemin, à comprendre sa quête.

Découvrir la Parole, c'est comprendre que celle-ci n'est réellement perdue que pour ceux qui ne sont pas persévérants dans leur recherche, ou qui sont persuadés d'être détenteurs d'une Vérité jamais remise en cause.

La révélation se fait, se construit dans un mouvement permanent d'élévation de la pensée humaine. C'est le sens des divers degrés du REAA où on meurt à des vies qui deviennent antérieures, pour être régénéré dans une vie meilleure, une vie à laquelle on est mieux préparé. En quelque sorte, on passe du noir (la mort) au blanc (la vie), du blanc (la vie) au noir (la mort), puis de nouveau du noir (la mort) au blanc (la vie), etc…

Au 18è degré, degré de l'exaltation à l'amour universel, ce fut un dépouillement particulièrement sévère qui était exigé, à savoir la mort à Dieu dans le sens de la demande à Dieu de libérer l'initié de toute conception, définition, formalisation du principe infini, par quelque conditionnement confessionnel ou philosophique que ce soit. C’est seulement dans cet état de disponibilité totale, que l’illumination se produit, symbolisée par la voix qui surgit au plus profond de soi-même. Tout était dit par cette voix mystérieuse, les erreurs de l'homme, la faute de ses défauts, de son ambition, son égoisme, son ignorance, qui firent que l'apocalypse régnât sur terre.

A la connaissance de l'Ancien Testament succède la Nouvelle, comme apparait la Nouvelle maçonnerie qui mène vers la Jérusalem Céleste. L’initié devient un intermédiaire privilégié entre le Grand Architecte de l'Univers et les hommes. Il lui est enseigné de privilégier l'alchimie spirituelle afin de devenir un philosophe, càd un ami de la Sagesse, désireux de connaître la Vérité. On lui fait comprendre les 7 vérités gnostiques qui explicitent entr'autres qu'il existe un principe premier, impensable inconnaissable, impénétrable, pénétrant l'Univers dans tous ses plans, et que l'harmonie universelle résulte de la complémentarité des contraires. Il apprend aussi que l'homme éclairé par la Raison pénètre aisément les Ténèbres et les obscurités que l'ignorance et la superstition répandent autour de lui.

L'initié, écrit un TIIIF, entame une quête spirituelle, à travers la recherche de la Parole perdue, une progression lente vers la Connaissance, qui transcende progressivement son individualité, et l'élève au niveau de l'absolu, en réconciliant la matière et l'esprit, vers cette intelligence que l'on désigne comme le Principe, vers ce que l'on peut définir comme l'état du Saint-Empire, dont le mythe peut être considéré comme le fondement de l'Ecossisme. Le Saint Empire qui est l’idéal d'état possédant autorité spirituelle et pouvoir temporel, permettant l'accès à une dimension autre, de s'élever vers le Divin, « parce que, rappelle Paul NAUDON, Dieu est en l'Homme, et que cette immanence est le reflet de sa transcendance ».

Le mythe du Saint Empire remplace celui d'Hiram, la construction de son temple intérieur devient celle de son Saint Empire individuel, à fonctions royale et sacerdotale, tendant vers l'Absolu et débouchant, écrit notre TIIIF Henri Lustman, sur une action collective, créant une fraternité à travers une vision sacrée du monde, vers l'unité des peuples et de la société.

Le Rite se définit lui même comme un Ordre initiatique, traditionnel, chevaleresque, international et universaliste. Les Grandes Constitutions de 1786, concernant son objet proclament que son but final est : « l'union, le bonheur, le progrès, et le bien être de la famille humaine, en général, et de chaque homme individuellement ».

Et c'est au Chevalier Kadosh qui a assimilé tout l’enseignement initiatique reçu depuis le premier degré, que revient la lourde tâche d'agir, dans et pour, cet objectif. Il doit « vouloir et oser », après avoir su « se taire et savoir », et agir en pleine conformité avec la Devise Ordo Ab Chao et celle du Suprême Conseil « Deus Meumque Jus » pour faire profiter l'humanité de sa sagesse dont l’acquisition a fait de lui l'adepte parfait de la gnose maçonnique.

Il est devenu ce que le rituel appelle un soldat de l’universel et de l’éternel, tel un chevalier de l’Ordre du Temple « un Ordre militaire et religieux, des soldats soumis à l’autorité sacerdotale ». Un Chevalier détaché des préjugés et des erreurs, un être accompli portant avec lui « l’harmonie d’un équilibre entre les deux formes de l’action, l’une intérieure en se maitrisant et en tendant à se dépasser, l’autre extérieure dans l’action dans le monde profane ». Un initié prêt au combat pour obtenir l’harmonie, la paix et le bien et qui oeuvre pour mettre l’Homme en rapport avec le Principe qui le transcende.

Le binaire

A son initiation au degré, le Chevalier Kadosch avait été « assailli par un poursuivant noir qui » loue la violence, le mépris des interdits, le matérialisme, la destruction totale afin de vaincre le monde, et un poursuivant blanc qui réfute ces exhortations et prône l’humilité, la sacralisation de l’être, le symbolisme, la spiritualité, le réemploi des matériaux pour construire selon des conceptions différentes.

Il avait ainsi découvert le symbole des contraires qui envahissent incessamment le coeur et l’âme de l’Homme. Un binaire toujours présent auquel, par plusieurs fois le Très Puissant Grand Maitre fit allusion. « Tu as raison, mon Frère, répondait il au Grand Prieur, les Princes Ecossais de Saint André ont failli dans l'épreuve, mais il ne pouvait en être autrement. Ils n'avaient pas les ailes de l'Aigle Blanc et Noir qui plane couronné, au dessus des contraires. Encore un effort de la part de nos frères et ils atteindront peut-être la solution du binaire ».

Le Très Puissant Grand Maitre donna encore plus de précision à l’arrivée des récipiendaires au pied de l’échelle Mystique : « ...sachez-le mes frères, la solution du binaire ne se trouve jamais dans le même plan que les termes, eux même opposés et contraires ».

Le binaire nous apparaît ainsi sous la forme de ces Blanc et Noir qui sont présents partout, jamais l’un sans l’autre. Ne désigne t’il pas aussi le positif et le négatif, le Ciel et la Terre, le Soleil et la Lune, le Jour et la Nuit, la Vie et la Mort, le Bien et le Mal, le Bon et le Mauvais, la Lumière et les Ténèbres, …les couples d'opposés et contraires qui sont indissociables de ce qui a été créé ?

Résoudre le binaire, pour certains, se comprend d'emblée, intuitivement, naturellement, d’effacer le Noir pour qu'il ne reste plus que le Blanc, d'abandonner les Ténèbres et accéder à la Lumière, de quitter le Vice pour ne garder que le Vertu.

Mais tout étant relatif dans le monde créé, le Bon pour l’un peut être considéré comme le Mal par l'autre et inversement. Certains disent alors que c’est la Vérité, qui est une et unique, qui permet de reconnaître ce qui est Blanc et ce qui est Noir. La solution serait alors la quête de la Vérité, après la quête de la Parole…

La dualité

La résolution du binaire est aussi comprise d'une autre façon, à un autre niveau.

Les Chevaliers Rose-Croix, lors de la Cène, pour le partage sacré du pain et du vin, se transmettent « le signe et le contresigne », pour rappeler les paroles d'arcanes de Hermès Trismégiste sur la Table d'Emeraude.

« Il est vrai sans mensonge, certain et très véritable : ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est ce qui est en bas. Par ces choses se font les miracles d'une seule chose. Et comme toute choses sont et proviennent d'un, par la méditation d'un, ainsi toutes les choses sont nées de cette chose unique par adaptation. Le Soleil en est le père, et la Lune la Mère. Le vent l'a porté dans son ventre, la Terre est sa nourrice et son réceptacle… »

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Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est ce qui est en bas. Le blanc est comme le noir et le noir est comme le blanc. Comme le serpent, archétype fondamental lié à la vie, qui est à la fois mal et remède, qui peut tuer, et tel le Serpent d’Airain du 25ème degré, ramener à la vie. Comme le Bien et le Mal qui sont les accords et les discordances dont la réunion est l'harmonie universelle comme le dit le 26ème degré.

Le binaire dont nous parlons n’est il pas en fait la « dualité » évoquée par le Grand Prieur : « J'appris à contempler la dualité et à la résoudre et j'atteignis les portes de notre Commanderie ? »

La dualité qui est définie comme « le caractère de ce qui est double en soi ou composé de deux éléments de nature différente qui en fait se complètent pour n’être qu'un ? »

L’Aigle bicéphale blanc et noir du degré est le symbole binaire d’une autorité spirituelle et temporelle, telle que celle du Saint Empire qui se résout en unité en conciliant la Foi et la Raison. Mais concilier les éléments de la dualité n’est il pas chercher à ce que la dualité revienne à ce qu’elle était à l’origine, seulement l’Un, l’Unité, l’Unique ?

Il ne sera sans doute pas hors de propos de rappeler Saint Thomas sur la notion de création. A l'origine, il n'y a rien, ni en Dieu, ni hors de Dieu qui puisse servir de matériau pour la création du monde. La création n'est pas un changement, puisque tout changement suppose quelque chose qui change, qui est également présent au départ et à l'arrivée. Mais alors, si la création n'est pas un changement, que reste t'il ? Pour Saint Thomas, « dans la nature, la création n'est autre que sa Relation à Dieu Créateur, qui est le Principe total et Unique de l'être ».

La solution recherchée pour résoudre le binaire dans lequel l’initié est plongé ne serait elle pas de trouver la Voie qui permette le retour vers le Principe, vers l’Unité, vers la non-dualité de l’être telle que remarquée par Saint Thomas ?

N’oublions pas que le Chevalier Kadosch est aussi Prince du Tabernacle (24ème) qui est un intermédiaire privilégié entre le GADLU et les hommes.

Une autre quête donc, qui prend le relais de la recherche de la Parole Perdue, et qui cette fois ci a pour objectif d’atteindre l’Unité elle-même.

Les autres traditions

La non-dualité de l’être et la quête de retour vers l’Unité sont universelles. On les retrouve dans la plupart des Traditions. Et c’est ça qui les rend intéressantes, chacune ayant sa propre façon de les définir, de les résoudre.

Le Chevalier Kadosch n’a pas de préjugés, il est ouvert à tout pour améliorer ses connaissances. Il s’enrichit du savoir des autres de façon à agir de la façon la plus efficace possible dans la tâche qui lui revient. Je vous propose donc, mes chers Frères Chevaliers Kadosch, de jeter un coup d’oeil rapide sur ce que pensent certaines de ces Traditions.

La tradition vedique

Dans la Tradition Védique de l’Inde, la non-dualité de l’être se reflète par trois mots : « Je suis Brahma », Brahma étant le dieu créateur-démiurge de l’hindouisme. C’est simple et c’est clair…

Le bouddhisme zen

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L’Enso est le symbole de la vacuité dans le bouddhisme zen.

Concernant le bouddhisme Zen, On dit qu’il est « une expérience intime, qui permet d'unir le visible et l'invisible, le relatif et l'absolu, ce qui se passe et ce qui demeure. Il n'est ni le bien ni le mal, ni le oui ni le non, ni le vide, ni le plein ».

La « vacuité » est une notion qui indique qu'il y a une différence fondamentale entre la façon dont nous percevons le monde (y compris nous) et la réalité de ce monde. Voir le monde comme peuplé d'entités autonomes, séparées et durables, objectivement existantes, est une erreur métaphysique. Selon la thèse de la vacuité, les phénomènes se définissent non pas par une « nature propre », une chose en soi qui leur appartiendrait en propre, mais uniquement par l'ensemble des rapports qu'ils ont entre eux. Les phénomènes surgissent d'un processus d'interdépendance de causes et de conditions, mais rien n'existe en soi ni par soi.

« Le Zen est au delà du monde des contraires, d'un monde construit par la distinction intellectuelle...s’exprime l’écrivain Japonais D.T. Suzuki. Chrétien, si je crois à la valeur du Zen dans une vie chrétienne, c'est que le Zen n'est attaché à aucune religion, à aucune croyance. Il invite seulement à plus d'authenticité, à ne pas se barricader dans les dogmatismes, à ne pas se scléroser dans des rites sans vie. On constate ses fruits chez les plus grands maîtres: la simplicité, le désintéressement, l'esprit de pauvreté, la compassion, l'amour, la joie, l'équilibre et la sérénité. Le Zen est une lampe allumée, un feu sur la colline, une conscience éveillée ».

La tradition chinoise

C’est la Tradition Chinoise qui explique de façon la plus explicite et la plus complète les notions de Dualité et d’Unicité. Elle fournit même des méthoses pratiques qui permettent le retour de la dualité vers l’Unicité.

La création

S'inspirant du Yi King, le « Traité canonique des mutations » hérité de la tradition chinoise qui datait de plusieurs milliers d'années avant JC, Lao Tseu parlait comme suit de la Création.

« Le Tao donna naissance à Un
Un donna naissance à Deux
Deux donna naissance à Trois
Trois donna naissance aux dix mille êtres
Tout être porte sur son dos l'obscurité et serre dans ses bras la lumière
Le souffle indifférencié constitue son harmonie ».

Le « Tao » évoqué par Lao Tseu est traduit littéralement par « Voie ». Mais c'est le Principe Suprême qui est à la fois l’Origine et la Fin de tous les êtres. Il a la forme de ce qui n'a pas de forme, et l'image de ce qui n'a pas d'image. Il ne crée pas le monde comme quelque chose de distinct de lui, car il n'est jamais séparé de la nature et des êtres, il « est » la nature et les êtres. Il ne crée pas, il engendre. Et aucun nom approprié ne peut lui être associé.

« Le Tao que l'on peut nommer n’est pas le Tao éternel, disait Lao Tseu,
Le nom que l'on peut nommer n'est pas le nom éternel.
Sans nom, il représente l’Univers
Avec un nom, il constitue la Mère de tous les êtres ».

Le « Un » représente le Souffle Primordial, l’Unité/Totalité Première, l'Energie Vitale Universelle et Originelle, passé et présent, sans opposé, infini et éternel, né du Tao le Principe Suprême.

Le « Deux » qui correspond au Yin et au Yang produisit les trois souffles-énergies : le pur, l’impur et le mélangé, qui à leur tour, constituèrent respectivement le Ciel qui est Yang, la Terre qui est Yin, et l’Homme qui est un mélange de Yang et de Yin.

Le « Trois » est la Grande Triade Chinoise, Ciel, Terre et Homme qui génère toute la Création par combinaison de Yin et Yang.

Le Yin et le Yang

Le « Yang » est le principe masculin, actif, créateur, lumineux qui est associé au ciel, au soleil. Le « Yin » est le principe féminin, passif, existentiel, obscur, qui est associé à la terre, à la lune.

Les deux principes Yin et Yang sont présents dans toutes choses et s’équilibrent continuellement de façon dynamique. De nombreuses pièces de monnaie anciennes de Chine sont rondes avec au milieu un trou carré, et beaucoup d’histoires mythiques ou légendaires de ce pays tournent autour de ces deux figures géométriques dont l’une, le carré (qui peut être dessiné avec...une équerre), représente la Terre, le monde matériel, le Yin, et l’autre, le cercle (qui peut être dessiné avec...un compas), le Ciel, le monde spirituel, le Yang.

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Dans Yang il y a Yin et vice versa dans Yin il y a Yang. Il n'existe pas de Yang absolu ni de Yin absolu, et cela est figuré très justement par la « Roue de Lao Tseu » qui est « le ruban de Moebius ». Prenez un ruban par les deux bouts, et collez ceux-ci en les retournant, c'est le ruban de Moebius. A tout niveau du ruban, on constate la présence des deux faces, comme Yin et Yang sont présents dans chaque aspect de la vie et de ce qui est créé.

Tout ce qui existe peut être décrit en terme de Yin et Yang car ceux-ci se trouvent en toute chose en trois types de relation : (1) en relation d'Opposition tout en sachant que l'un porte en lui le germe de l'autre, (2) en relation d'Interdépendance, car l'un ne se conçoit pas sans l'autre, l'excès ou la déficience de l'un entraînant des conséquences sur l'autre ainsi qu'un déséquilibre de l'ensemble, et (3) en relation d'Engendrement et de Mutation de l'un en l'autre.

Il faut encore ajouter que le Changement est la loi unique qui régit Tout. Rien n'est fixe, il n'y a pas de dogme. Par exemple, dans une famille composée de la mère, du père et du fils, la mère est Yin (essence féminin) par rapport au mari. Mais elle sera Yang (essence masculin) par rapport à son fils aussi longtemps qu'elle le nourrira. Quant à l'enfant, Yin (càd essence féminin) à sa naissance par rapport à son père et sa mère, il devient Yang (essence masculin) par rapport à sa mère à son adolescence. Mais il demeure Yin (essence féminin) par rapport à son père, jusqu'à son âge adulte. Tandis que pour tout étranger au cercle de famille, ce rejeton mâle sera Yang (essence masculin) de sa naissance à sa mort.

« Depuis l’origine, disait Lao Tseu, des êtres ont atteint à l’ « Un ».
Le ciel en accédant à l’ « Un » devint pur,
La Terre en accédant à l’ « Un » devint paisible,
Les esprits en accédant à l’ « Un » devinrent efficients,
Les vallées en accédant à l’ « Un » se remplirent,
Les êtres en accédant à l’ « Un » se multiplièrent,
Les princes et seigneurs en accédant à l’ « Un » devinrent l’exemple de l’Univers ».

« Atteins à la suprême vacuité (1)
Et maintiens toi en quiétude,
Devant l’agitation fourmillante des êtres,
Ne contemple que leur Retour.
En effet, chaque être accomplit sa croissance
Puis retourne à sa racine ».

Le «Un », je vous en avais déjà parlé, est le Souffle Primordial, « l’Unité Première ».

L'histoire suivante, tirée du l'ouvrage de Lie Tseu, l'un des principaux grands Maîtres Taoistes, illustre d'une certaine manière la Voie vers la disparition de la dualité.

C’était au temps où Lie Tseu lui même cherchait encore à apprendre auprès du grand maître Lao Chan.

Quand je suis devenu disciple de mon maître, dit-il, c'est seulement après trois ans passés à avoir peur de juger intérieurement et extérieurement et de qualifier quelconque par des paroles, qu'il m'honora pour la première fois d'un regard.

Au bout de cinq ans, quand j'arrive à juger au fond de moi même ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, et à distinguer par la parole entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, mon maître alors me sourit pour la première fois.

Au bout de sept ans, quand naturellement est effacée dans mon esprit la distinction entre le juste et le mauvais, et dans mes paroles celle entre l'avantage et l'inconvénient, mon maître, pour la première fois, me fit asseoir sur sa natte.

Au bout de neuf ans, quand j'eu perdu la notion du juste et de l'injuste, du bien et du mal, en moi aussi bien que vis à vis des autres, alors en moi s'établit la communion parfaite entre le monde extérieur et mon intimité foncière, je ne distinguai plus le Maître comme un Maître, ni un ami comme un ami.

Ne plus distinguer intérieur et extérieur, c'est sentir la vue comme « l’ouïe, l'ouïe comme l'odorat, l'odorat comme le goût, tous intégrés en un seul tout. Mon coeur est comme ne battant plus, mon corps comme complètement délivré, ma chair et mes os comme dissolus, je ne sens plus que mon corps s'appuie sur quelque chose ou que mes pieds se reposent sur la terre. Je suis le vent passant de l'Est en Ouest, comme une feuille détachée de sa branche, comme un fruit sorti de son arbre, je ne sais plus si c'est le vent qui me porte ou c'est moi qui porte le vent ».

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Tao

Il ne s'agit donc pas de se mettre dans une des deux positions de la dualité pour combattre l'autre, de faire disparaître le Yin, le noir, pour ne garder que le Yang, le blanc. Car le noir Yin reviendrait comme le blanc Yang partirait, et le cycle perpétuel continuerait. Car cela correspondrait à rester dans les contradictions de ce qui a été Créé, sans vraiment chercher à s'en échapper pour entamer la route de retour vers l'Origine.

La Voie consiste à chercher à arriver à plus différencier le mal du bien, à recevoir et accepter tranquillement amour et haine, blanc et noir, (ne) joie et peine, à ne pas sentir, ni voir, ni vivre des Yin et des Yang différenciés, de ce qui est Créé, pour accéder à la communion intime de soi même avec tout ce qui nous environne.

C'est une Voie qui propose des pratiques méditatives, un style de vie, des exercices, qui permettent de relier, d'harmoniser le yin et le yang en soi même, la terre et le ciel, le visible et l'invisible.

Le wu wei

Le Wu Wei (Vo Vi en Vietnamien), qui est souvent traduit par « Non Agir », « Non effort » ou « Agir par le Non Agir » est (2) « le principe d’action du sage qui agit en harmonie avec le Tao, à l’extérieur comme à l’intérieur.

Selon John Blofeld, il s’agit de » [...] ne pas aller au-delà de l’action spontanée qui est adaptée aux besoins tels qu’ils se présentent, de ne pas s’engager dans des actions savamment calculées et de ne pas agir avec l’intention de dépasser le strict minimum nécessaire pour obtenir les résultats voulus ».

C'est en quelque sorte un laisser agir le naturel et la nature, faire corps avec celle ci, ne pas aller contre elle et laisser de côté ce qui n'est finalement qu'illusoire et illusion, un « agir par le non agir ». Il suppose que « l’on développe le sentiment d’être un canal par lequel agit le Tao » Comme le suggère le Yi King, le « Traité canonique des mutations » de la Tradition Chinoise, « l’homme parvient à l’éternité en ce qu’il ne veut pas tout faire de lui-même en se glorifiant de ses propres forces, mais s’ouvre paisiblement et à chaque instant aux impulsions émanant des profondeurs des forces créatrices ».

Le wu-wei consiste donc à être « intérieurement disponible », « abandonné à la volonté céleste » qui procède de la dynamique supérieure. « Comme la nature, la » volonté céleste « est partout, elle est l’Intelligenceuniverselle : en devenir à l’extérieur et immobile à l’intérieur de chacun. À l’extérieur, elle se manifeste par les événements, les circonstances, les conditions de la vie – auxquels il faut s’adapter. Car il faut être comme l’eau, qui épouse les méandres de la rivière, qui subit toutes les transformations – non pas de sa nature profonde qui est d’être eau, mais celles que lui imposent les méandres que sont les événements, les circonstances, les conditions – avant de se fondre dans l’océan d’où elle est issue ».

La méditation

Au delà de la méditation faite pour comprendre le plus profond de soi même, les Taoistes pratiquent une alchimie intérieure dont le sens est la fusion du Yin et du Yang des trois composants essentielles de l'être humain, (trois joyaux, sanbao 3244-2-5, tam bao en vietnamien) que sont l’essence (jing 3244-2-6 en chinois, tinh en Vietnamien), le souffle (qi 3244-2-7 en chinois, khí en vietnamien) et l’esprit (shen 3244-2-8 en chinois, th.n en vietnamien).

Ces trois composantes doivent régresser à leur état originel par l’ascèse et la méditation avec de nombreux exercices dont l'ultime étape est l'obtention ce qui est appelé le « grand élixir de retour » (dahuandan 3244-2-9), un embryon cosmique purement Yang qui ira vers le Ciel, symbole de l'éternité, pour revenir à l'unité primordiale du Tao, poussant ce qui reste de Yin vers la Terre.

Développement de l’embryon cosmique, un des processus de l’alchimie interne taoïste.

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Conclusion

Ainsi le Chevalier Kadosch n’a pas seulement à combattre en soi et agir pour les autres pour chasser les passions mauvaises et amener à atteindre à « l'union, le bonheur, le progrès, et le bien être de la famille humaine, en général, et de chaque homme individuellement ».

Il oeuvre aussi pour mettre l’Homme et lui-même en rapport avec le Principe qui le transcende. Sa quête n’est pas finie, elle continue. La recherche de la Parole Perdue est remplacée maintenant par la recherche de la Voie qui mène du monde de la Dualité vers le Un, vers le Principe à partir duquel tout a été créé…

Pour conclure, je vais vous lire un court poème ésotérique que j’aime beaucoup et qui émane de l’une des trois religions monothéistes.

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Ce poème nous fait penser au Taoiste qui ne s’exprime pas différemment en disant « Je ne sais plus si c'est le vent qui me porte ou c'est moi qui porte le vent ».

N\ N\ C\

Notes :
1 La vacuité est défini au niveau du chapitre sur le Bouddhisme Zen.
2) http://www.radio-canada.ca/par4/ind/guerrier/wu_wei.htm.

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