GLF
Loge : NC 06/2021

  
Je ne sais ni lire ni écrire …

 
« Fais aux autres tout le bien que tu voudrais qu’ils te fissent à toi-même ». - Rituel initiation au 1er Degré


Mes Très Chers Frères, je vais vous parler d’un manque. Oui, mais je vais essayer de ne pas tomber dans une narration romantique et nostalgique en cette période de confinement (avril/mai 2020) qui sépare les Frères et qui nous empêche de nous retrouver en Tenue.

Bien sûr, nous pouvons communiquer entre nous à l’aide des multiples moyens contemporains à notre disposition. Mais en Loge habituellement, de quelle façon exprimons-nous notre amour fraternel ? J’ai pensé que la Planche est un moyen par lequel nous manifestons l’attention toute fraternelle que nous portons à nos Frères réunis dans une enceinte sacralisée.
Nous avons tous en tête les mots attribués à l’Apôtre Jean au premier verset de son Evangile qui nous affirme que la Parole est « … la vie … et que … la vie est la lumière des hommes » (Jean 1 : 4). Vie et parole sont étroitement liées.
A la fin de la Tenue le Vénérable Maître nous invite à garder cette Lumière en nous lorsque nous serons dans le monde profane car bien évidemment, ce n’est pas en Loge que nous passons l’essentiel de notre temps. Alors ne conviendrait-il pas mieux d’inverser la proposition rituelle entendue en fin de Tenue, et dire « … pour que nous achevions dans le Temple, l’œuvre commencée au dehors … » ? Bien entendu cela ne nous exonère pas d’achever aussi au dehors l’œuvre commencée dans le Temple.
Mais n’est-il pas parfois plus aisé pour l’homme Franc-Maçon d’achever l’œuvre extérieure que l’œuvre intérieure ?
Alors, que venons-nous dire en Loge ? Pourquoi le dire et comment le faire ?

Un souvenir marquant m’est revenu à l’esprit.
Il y a quelques années de cela, après une conférence donnée par le Grand Maître Français de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix, j’ai questionné ce dignitaire sur l’enseignement Rosicrucien.
Je pensais au contenu des monographies adressées mensuellement aux adeptes. Ne s’agit-il pas d’une instruction imposée ? Qui choisit les sujets d’études ? A quelles autorités se réfèrent-ils ? Quelle est leur compétence ?
Ce Grand Maître à qui j’avais confié mon appartenance Maçonnique, m’avait répondu que les Maçons savent transmettre un savoir et des connaissances ainsi que des sentiments personnels au moyen de l’outil appelé Planche, Et, surtout me précisa-t-il, c’est entre Maçons que vous vous instruisez en Loge, ce qui est une excellente chose.
Ce Grand-Maître m’avait semblé agréablement intelligent et sympathique à ce moment-là ! Il m’avait confié avoir été membre de la Grande Loge de France en d’autres temps. Le Rite Ecossais l’a donc mené du statut de Maître Maçon à celui de Grand Maître Rosicrucien. Cela ouvre des perspectives, n’est-ce pas ? Je plaisante.


Ses propos bienveillants m’avaient instantanément fait prendre conscience qu’en tant que Maître Maçon je suis particulièrement bien gâté par mes Frères. Je mesure l’importance de l’apport reçu par mes semblables, en Loge.
En Loge nous nous auto-alimentons spirituellement. L’instruction Maçonnique est assurée par les adeptes eux-mêmes. Au moyen de la Planche, nous recevons de nos Frères des commentaires et des explications sur des thèmes très divers. Et nous pouvons ensuite intervenir sur ce qui a été dit. Nous n’avons pas à entendre un ministre du culte ni même un prétendu expert. En effet, qui aurait autorité pour nous imposer une opinion plutôt qu’une autre ?
Nous échangeons des paroles que nous souhaitons édifiantes et parfois, un Frère particulièrement inspiré peut-il même se permettre de nous transmettre ses connaissances. Jamais nous ne subissons et toujours nous recherchons l’idée derrière les mots et plus encore, l’esprit plutôt que la lettre.
Donc, depuis quelques décennies se sont mes Frères Maçons qui m’enseignent au cours de la Tenue ce que je considère être des paroles de sagesse. Apport Maçonnique augmenté par mes lectures profanes, bien entendu. A partir de quand et comment le savoir se change-t-il en connaissance, ou plutôt se transmute-il, dirait un Alchimiste ?

Toujours au sujet de l’enseignement, une de mes références chrétienne est l’Ancien Testament où nous voyons les Lévites « enseigner tout Israël » (2 Chron. 34:30 et 35:3). Les Hébreux pratiquaient le partage des connaissances et plus particulièrement celui de la Loi mosaïque. Les Lévites instruisaient le peuple sans faire appel aux seuls chefs désignés comme porte-paroles de l’autorité suprême.

En Loge, ces enseignements et instructions dispensées par des Maçons pour édifier d’autres Maçons est d’apparition relativement récente puisque cela remonte au 19ème siècle. En effet, nos Grand anciens ne présentaient pas de Planches en Tenues. De nos jours certaines Obédiences consacrent une fois par mois leur Tenue aux Initiations ou augmentations de salaire et en alternance à la lecture du Rituel. A cela s’ajoutent des séances d’instruction par questions et réponses. Les Frères écoutent, retiennent, réfléchissent et méditent en dehors de la Loge.
Parfois, une Planche est présentée après la Tenue, au cours des Agapes.

En ce qui concerne la Grande Loge de France nous nous instruisons mutuellement en Tenue au moyen d’un travail de réflexion qui est une démarche d’amour fraternel puisqu'il y a eu don de soi suivi du partage avec les Frères, évidemment. Les interventions des Frères contribuent ensuite à renforcer ce sentiment que nous appelons « L’Egrégore » qui est une rencontre avec le Rituel dans le parcours du Maçon,
Dans ce contexte rituel nous apprenons à formuler de bonnes paroles et aussi à recevoir ces bonnes paroles. Nous nous appliquons le principe positif énoncé au cours du troisième voyage : « Fais aux autres tout le bien que tu voudrais qu’ils te fissent à toi-même ».
Les paroles édifiantes prononcées sous forme d’exposé ne sont pas un cours du soir pour l’Apprenti ou le Compagnon. Quant aux Maîtres, ils ne prennent pas une revanche sur leur hiérarchie profane professionnelle qui ne reconnaîtrait pas ce qu’ils pensent être leurs justes mérites.

Je pense à la réponse du questionnement « Etes-vous Franc-Maçon ? » : « Mes frères me reconnaissent comme tel ». Que ne ferait-on pas parfois pour être reconnu ?!
Pour certains Frères une difficulté apparaît lorsqu’il faut écrire le résultat de leurs réflexions.
Dans mon esprit je n’entends pas « Je ne sais ni lire ni écrire » mais plutôt pour certains, « je n’aime ni lire ni écrire » même si nous bénéficions tous d’une bonne formation scolaire ce qui n’était pas le cas de tous nos prédécesseurs dans les siècles passés.
Pour avoir été Second Surveillant à deux reprises, j’ai appris que pour certains nouveaux Frères la rédaction d’une Planche est la réactivation d’un cauchemar scolaire.
De plus, il arrive aussi que l’élaboration d’une réflexion Maçonnique personnelle ne soit pas soutenue par un fonds culturel acquis par la lecture et l’étude de textes anciens ou non.
C’est ainsi que c’est bien après la cérémonie d’initiation le tout nouveau Frère découvre avec horreur un ultime voyage et une ultime épreuve à laquelle il n’avait pas pensé : la rédaction de ses impressions d’initiation.

Il n’en demeure pas moins que nous ne sommes pas tous à l’aise quand il s’agit de rédiger une Planche et c’est avec plus ou moins de bonheur que nous nous y employons.
On ne dit pas au profane qui souhaite nous rejoindre, qu’il aura des textes à rédiger. Il comprend que la Maçonnerie est spéculative parce qu’au minimum il a parcouru le livre « La Maçonnerie pour les Nuls ». Mais cela ne suffit pas toujours pour percevoir que l’écriture sera l’aboutissement d’une étude puis d’une réflexion.

C’est en rédigeant que les Apprentis et les Compagnons découvrent et s’approprient les Outils Maçonniques tandis que les Maîtres conçoivent et tracent divers plans. Les uns et les autres rendent leur ouvrage accessible aux autres Frères en proposant une réflexion spiritualiste. En effet, je tiens un Outil en mains mais pourquoi est-ce ainsi ? Et pour qui ? Et comment ? Quel est mon ressenti ?
Il n’est rien de plus affligeant que subir un Frère conférencier du jour, reprendre des extraits du Rituel qu’il énonce à la suite, tandis que d’autres multiplieront les citations et extraits de textes venant d’auteurs profanes.
Il m’est agréable d’entendre un Frère expliquer de quelles façons il s’est approprié les Outils Maçonniques en nous livrant une réflexion personnelle.
Laquelle dépend entièrement de sa personnalité, de ses centres d’intérêts et de son vécu.
Avec le temps qui passe je me fais à l’idée que la méthode Maçonnique nous est bénéfique par imprégnation mentale. Venir régulièrement en Loge, s’asseoir, s’approprier le Rituel et écouter, nous influence inconsciemment sans avoir de gros efforts à faire.  
Ce qui n’exonère pas de lire, de réfléchir et puis de méditer.
Comme le dit un ami Maçon pour lui-même : « et un jour je vais comprendre René Guenon comme si je lisais un Astérix ! ».
Mais le plus vraisemblable acte d'amour dans le partage Maçonnique apparaît dans les incroyables moments d'Egrégore. Les d'échanges prolongent la pensée après les Tenues, ou par courrier électronique depuis le domicile.
Pour certaines personnes cette pensée est un besoin profond, comme une démangeaison spirituelle les portant à se rendre au-delà du point marqué, c'est-à-dire au-delà du rationnel et de la logique.
Cette démarche peut être dérangeante pour le groupe social formaté qui emploie le mot « ésotérisme » pour qualifier ce qui intéresse des personnes avec de drôles d’idées incontrôlables. L’antagoniste étant « exotérisme » lequel est accessible à tous et présente l’avantage d’être contrôlable. C’est rassurant, pour certaines personnes.
Esotérisme est un mot-valise pouvant contenir des aspects religieux, métaphysiques, mystiques, historiques, et vous avez sans doute en tête d’autres éléments à rajouter. Je pense et je le dis pour faire sourire que dans certaines Obédiences on traiterait de lévitation, télépathie, téléportation, civilisations extra-terrestres et aussi pour certaines de sujets sociétaux voire même politiques ! Est-ce possible ? En tout cas on le dit. Gardons l’esprit ouvert.
Le Rite Ecossais est fort parce qu’il ne traite pas l’ésotériste comme un adversaire. Est bienvenu en Loge celui qui progresse sur un chemin parallèle et qui éventuellement semble rebelle à l’ordre établi, qui se complait éventuellement dans la contradiction, en recherchant inlassablement le bonheur pour lui-même et pour les autres.
A la fin du 3ème voyage initiatique, il est dit : « … puisse le feu qui vous a enveloppé se transmuer dans votre cœur en un amour ardant pour vos semblables, puisse la Charité inspirer désormais vos paroles et vos actions »
Peut-être le besoin de transcendance de l’ésotériste s’exprime-t-il ainsi ?

Il n’est pas question de s’opposer à la logique et à la raison mais de considérer qu’il existe un monde à explorer de l’autre côté du miroir où se trouvent les sentiments, les expériences, les souvenirs, et tout ce qui est invisible. C’est le vaste domaine du rêve et de l’utopie.
Je parle de rêve mais je ne dis pas qu’il faut rêvasser. Il faut garder les pieds sur terre en fréquentant assidument sa Loge car les Frères éloignent pour nous le risque de dispersion mentale ou de délire mystique.
Je viens entendre en Loge des Frères qui se livrent sans réserve à la pratique de l’analogie entre les sentiments, les idées et le Rituel. La parole initiatique vient du cœur et touche l’autre soi-même là où cet autre peut l’entendre. C’est un cadeau que je reçois volontiers car je sais que ce Frère a travaillé pour moi, pour nous et pour notre édification collective.
Cela met parfois à mal mes capacités d’écoute, de patience et de tolérance mais puis-je refuser ce qui est donné si sincèrement ? L’effort du Frère mérite considération et tolérance tellement il a à cœur de bien faire au moyen des Outils symboliques.

Mais c’est l’intuition et l’imagination créatrice qui nous raconteront de bien belles histoires.
La Franc-Maçonnerie propose de « … travailler sans relâche au bonheur de l’Humanité, de poursuivre son émancipation progressive et pacifique ». Rien que ça ! Il y a deux millénaires, Jésus s’y est attelé et c’est à partir du 18ème siècle que la Maçonnerie apportera son soutien et sa méthode à ce projet universel.
Il ne faut pas se leurrer : c’est un rêve ! Bien qu’éveillés nous vivons dans un rêve. Nous demandons de l’amitié fraternelle dans un contexte serein que nous souhaitons emporter en quittant la Loge. Avec d’autres Maçons nous cherchons à répandre nos belles valeurs avec l’efficacité redoutable d’un virus qui contamine le monde.


Nous ne voulons que du bien à nos semblables, et même si le projet est une grande utopie, à la fin de chaque Tenue c’est avec constance que nous renouvelons les vœux de Paix, d’Amour et Joie pour tous.
Pour mener à bien ce projet nous n’avons pas de gourous, ni de maîtres à penser mais nous sommes tous un peu des magiciens qui utilisent le Rite comme une baguette magique. Nous sommes de doux rêveurs qui regardent le monde à travers le flou d’un nuage de poudre magique.

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Conclusion :

Je vous ai livré des idées qui me sont venues pendant cette période de distanciation. J’ai ressenti parfois de la confusion en moi. Mais c’est avec bonheur que je vous retrouve dans ce creuset Maçonnique qui aiguillonne notre intelligence et notre imaginaire. Ecoutons-nous patiemment les uns les autres puisque nous bénéficions en Loge, selon une formule psychanalytique, d’une : « Ecoute attentive et d’une neutralité bienveillante ».
Rédiger une Planche, c’est effectuer un voyage dans notre mémoire en réactivant des souvenirs que nous associons aux Outils et Symboles que nous côtoyons en Loge.
Surtout il ne faudrait pas que s’éloignent de nous les Frères qui n’ont certes pas toujours l’habileté de l’écrivain mais qui cultivent bien souvent le talent du cœur.
J’espère que toujours en Loge je saurai recevoir vos Planches comme un cadeau du cœur.

J’ai dit

A. B

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Référence :
L'écoute active a été initiée par le psychologue américain Carl Rogers. Elle correspond à une méthode d'écoute qui consiste en une attitude d'entière disponibilité pour les paroles de son interlocuteur. Elle est particulièrement pertinente dans le cadre de la psychothérapie. Une écoute active se caractérise par une attitude disponible et intéressée, de la neutralité bienveillante, des demandes de reformulation sous forme de questions ouvertes. Elle exclue toute interruption de parole ainsi que toute forme d’interprétation.

1 Thessaloniciens 5 : 11 (version Louis Segond) : « C’est pourquoi encouragez-vous les uns les autres et édifiez-vous mutuellement, comme vous le faites déjà »


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