Obédience : NC Loge :  NC Date : NC

 

De la bienfaisance au RER

Vénérable Maître et vous tous mes frères, en vos grades et qualités, je vais ce midi essayer de donner un éclairage sur notre rite, sur l’une de ses spécificités, à savoir la bienfaisance. Si je reviens, ce midi, sur ce point, c’est pour bien montrer qu’il faut bien vivre ou avoir bien vécu le sens 

(3ème grade), force ou fortitude mais aussi les vertus théologales : croyance (ou foi), espérance et bienfaisance. Tout est dit dès la réception d’un candidat lors de la cérémonie d’initiation.

Car, en nous engageant en franc-maçonnerie, nous nous engageons sur un chemin initiatique, qui doit nous permettre de traverser l’existence, muni de qualités d’esprit et de coeur, afin d’ouvrir notre chemin aux appels à servir autrui, comme peut l’indiquer la symbolique du tableau de loge au 1er degré de la colonne brisée ayant comme devise « adhuc stat (il établiera, tu t’éléveras) vers le « sic transit gloria mundi » et « ténébrae non comprehenderunt » c’est ainsi que va la gloire du monde … songez que le moment peut arriver où toutes les illusions disparaissent … aimez donc exclusivement la VERITE et la JUSTICE, si vous voulez acquérir un bonheur solide et durable, c’est la première leçon que l’ordre vous donne, gardez-vous de l’oublier.

Mes BAF que cela vous plaise ou non, notre engagement doit avoir des retombées, or, force est de constater que notre itinéraire initiatique développe aussi bien des qualités que des défauts.

En effet, nous venons dans ce lieu, pour comprendre que notre but n’est pas la recherche de notre satisfaction personnelle mais pour apprendre à vivre l’essentiel en désapprenant l’inutile. Ce que Jeanine SOLOTAREFF, nomme la banalisation, autrement dit la mort de l’âme (l’erreur équivalent au désert, synonyme du monde aride de la banalisation, privé de la fécondité de l’esprit ; ainsi la fin du monde signifie la fin du monde de la banalisation). En venant ici, nous voulons nous créer un nouvel état d’esprit, acquérir une nouvelle forme d’intelligence, une nouvelle sensibilité, qui seront un premier pas vers la bienfaisance. Cependant, la progression du maçon rectifié nécessite une lente maturation (le processus initiatique). Qui n’a pas compris le sens initiatique et n’est pas sur la voie de cette sensibilité doit rebrousser chemin, revenir aux fondamentaux de notre rite, quel que soit son grade, car c’est un devoir que d’accepter de se remettre en question en revisitant le chemin parcouru, comme un éternel apprenti, car je le répète, dès l’intronisation, tout est dit.

Ainsi lors de la cérémonie d’initiation, y est dit dans le rituel : « prenez garde, Monsieur, vos réponses dans cet instant, sont des engagements pour l’avenir (page 1) ; puis à deux reprises est fait référence à la bienfaisance : « mais êtes-vous également décidé à pratiquer, selon votre pouvoir, envers tous les hommes qui sont aussi vos frères, les actes d’une bienfaisance douce, constante et universelle ? » (page 7) et dans le serment où il est rappelé d’être bienfaisant envers tous les hommes » « je promets sur mon honneur et ma conscience… d’être bienfaisant envers tous les hommes » (page 16), enfin de manière plus symbolique celle-ci s’exprime dans l’épisode du tronc des aumônes, je cite : « Vénérable Maître, notre nouveau Frère Apprenti refuse de remplir ses engagements philanthropiques.

 On vous a effectivement dépouillé de vos métaux. Mais seriez-vous, dans l'impossibilité absolue d'aider votre prochain ?...

 Mon Frère, c'est une épreuve que la Loge présente à votre réflexion sous cette forme. Méditez-la et que jamais votre coeur ne soit pris au dépourvu devant le malheur d'autrui, en vertu de ce mot qui brille à l'autel d'Orient "JUSTICE" que je vous prie de lire à haute voix. Je vous rends vos bijoux et métaux, la Loge est satisfaite du désintéressement dont vous avez donné la preuve en les abandonnant à celui qu'elle avez chargé de vous dépouiller. Gardez-vous mon Frère des vices dont ils sont la cause. Vous pouvez maintenant remettre au Frère Eléémosinaire, l'Obole que votre bon coeur vous conseillera.» (page 23).

Justice, bienfaisance douce, constante et universelle, désintéressement

Ces épisodes nous amène à voir que la bienfaisance est perçue comme une qualité, une vertu, qu’elle se veut désintéressée, j’y reviendrai plus tard. Ces épisodes nous évoquent la justice, et une place est faite à l’éléémosinaire, élément symbolique de la loge. En grec éleêmosunê, qui signifie « compassion » avant que le terme n’évolue vers le sens de « don généreux fait aux pauvres », l’éléémosinaire est tenu de par sa qualité de s’informer des frères dans le besoin moral, physique, matériel… A travers cet épisode du tronc des aumônes, il nous est rappelé à chaque tenue, cette vertu avec laquelle il faut se familiariser et tendre. Symboliquement, la présentation du tronc des aumônes marque le premier geste de bienfaisance du nouvel impétrant. Cet exemple symbolique est doté d’une portée spirituelle forte que nous devons toujours pratiquer. Pour se faire, il sera demandé au nouvel impétrant de « méditez ». Mais comment ? Par, le silence qui lui sera demandé. Ce dernier est le moyen qui lui permettra d’ouvrir les portes de sa conscience pour transformer les aspérités de son coeur et recevoir l’enseignement qu’il transformera par la suite en vertus. Ici, apprendre à donner ce qu’il a reçu en portant au dehors la lumière qui lui a été transmise en loge. En gardant le silence, il comprendra alors mieux pour ensuite mieux agir.

En effet, il est demandé au nouvel apprenti, dès l’initiation, de se mettre en mesure d’agir, et agir au service de la bienfaisance.

Mais qu’entendre par bienfaisance au regard du RER ?

La bienfaisance est une vertu qui nous porte à faire à autrui tout le bien qui dépend de nous, c’est l’acte du Bien Faire et de Faire le Bien. Cette idée de bienfaisance peut se décliner à plusieurs niveaux. A mon sens, il y a bienfaisance à partir du moment où elle procure le bonheur. Ainsi, une vie parsemée de petites attentions, de ces petits gestes simples de la vie relève aussi de cet état d’esprit de bienfaisance, ce savoir-être, ce savoir-vivre. En est-il des paroles de bienveillance, d’encouragements, de sympathie, ne serait-ce qu’un bonjour…, ce que l’on pourrait qualifier de courtoisie.

Mais, au sens le plus noble, la BIENFAISANCE, c’est celle qui a pour effet de donner. Ainsi, la bienfaisance c’est répandre nos bienfaits sur autrui et d’une certaine manière rayonner. Mais, comment ?

L’initiation le permet, car, elle n’est pas une connaissance, une gnose qui ne serait être une simple acquisition de savoir et d’accumulation de connaissances, ni même un simple savoir-faire mais un savoir-vivre.

Ainsi au premier degré, l’apprenti suivra le précepte de la JUSTICE, à celui de compagnon : la PRUDENCE….

La JUSTICE veut qu’on considère le mérite, les moeurs, les services rendus… qualités qu’on attend d’un maçon à savoir qu’il ait des moeurs, de la probité, de l’amour pour ses frères.

Mais, il ne suffit pas d’être juste dans la distribution, encore faut-il être prudent, càd aider d’abord ceux qui en ont le plus besoin et ne pas donner au-delà de ce qu’on peut. N’est-ce pas là le sens à donner à l’équité ? En effet, ce serait une faiblesse que de tout dépenser dans la bienfaisance ou renoncer aux bonnes oeuvres qui ne nécessitent pas toujours de l’argent. Je m’entends, au-delà de l’argent, de l’aspect matériel, les autres ont souvent plus besoin de notre temps ou de notre expérience. Car, quelque part, il ne faudrait pas que le fait de donner une obole, soit un affranchissement suivi de toute indifférence. Je me souviens du tsunami en Asie, à la veille des fêtes de Noël, où avait été demandé des dons pour ces pays dévastés, où était donné un euro sur le prix du repas de Noël, quel bel exemple de générosité, mais qui au fond, s’inscrit dans une démarche de désengagement pour fuir une quelconque responsabilité ou vérité ?

Notre rituel insiste sur la notion de bienfaisance désintéressée, que l’on pourrait aussi qualifier de « don gratuit », de « don gratuit de soi »., car ce don ne s’achète pas, ne se monnaye pas et n’attend rien en retour.

L’action de donner, si elle est désintéressée, est un des éléments essentiels de cet amour du genre humain qui fonde l’action maçonnique. Mais, il ne peut y avoir de droits sans devoirs. La contrepartie de l’action de donner est l’action de RECEVOIR.

Ainsi, il est essentiel, pour un maçon, de savoir recevoir, avec humilité, sans gêne, ni honte. C’est ce qui renforce les liens de la fraternité.

Mais qu’en est- il de l’acte de donner dans le monde profane ? Quelle est la motivation de chacun ? Est ce un besoin, un Manque ? Et que donne -t-on ?

Il y a des « professionnels du don » attachés aux subventions en tout genre (logique étatique) ou privatisés celles des fondations à la logique entrepreneuriale, tellement tournés sur eux-mêmes qu’il leur importe peu de savoir si le bénéficiaire «REÇOIT» ou «REFUSE» car pour eux seul importe leur besoin de donner afin de se donner bonne conscience ou satisfaire un EGO. Cela est FAIBLESSE.

Pour nous, maçons, il est primordial, avant de vouloir apporter à l’autre, de prendre conscience des sentiments qui nous animent afin, si cela est nécessaire, de les surmonter et de faire une réelle offrande, un véritable don. Pour cela, il faut d’abord réaliser que le don véritable commence par soi –même, en Polissant sa pierre brute ou encore « en se connaissant soi-même » afin de se débarrasser de nos passions négatives qui empêchent de regarder l’autre avec amour.

La véritable bienfaisance devient alors invisible, circule entre les êtres, pauvres ou riches, sans signes extérieurs, gratuite et spontanée, désintéressée, en se traduisant dans l’acte par son caractère intimiste, ni vu ni entendu mais dans l’ombre et le silence, entre soi et l’absolu. C’est dans cette unique condition que se vit la pure bienfaisance qui est alors VERTU. Telle la parabole du bon samaritain, lequel n’a pas regardé si le voyageur étranger appartenait à sa parenté, à son pays, à sa race, à son pays, pour l’aider à l’inverse du lévite et du sacrificateur qui eux lui ont exprimé une indifférence totale alors qu’il avait besoin d’aide. Pour cela, il faut la VOLONTE, comme nous le dit le rituel au 1er degré : « la volonté d’être utiles à nos semblables ». En effet, Être BIENFAISANT, encore faut-il le vouloir. Ainsi, le maçon a la liberté d’agir ou de ne pas agir. Etre bienfaisant, c’est se vouloir libre de bien agir et agir comme tel. Ainsi libéré de nos affects, maitre de nous-mêmes, nous n’avons pas besoin de nous chercher des excuses. La volonté suffit.

Ainsi, la BIENFAISANCE ne doit pas rester une vaine pensée, elle doit se transformer en acte, en action, ce que certains appellent avoir une démarche de BIENFAISANCE ACTIVE que notre rituel peut résumer par cette pensée : « être utile à nos semblables ».

Bienfaisant, être Bienfaisant, c'est-à-dire être en action de pratiquer le bien. En quoi l’ordre maçonnique nous éclaire-t-il pour y parvenir ?

En participant activement et en toute humilité à la construction du Temple. En pratiquant la rectitude, dans le respect de la règle, celle qui est gravée dans nos coeurs et qui se vit par les vertus cardinales et théologales, lesquelles tracent le chemin de l’initiation afin que la paix et la Lumière se répandent parmi nous.

Or, cette Lumière doit nous amener à nous préoccuper de la vie. Ainsi, le sens de notre vie n’est-il pas cet esprit de la vie, cet esprit qui nous conduit à ne pas confondre l’affectivité avec la sensibilité, le mental avec l’intelligence, la croyance avec la foi, le savoir avec la connaissance. Le sens de notre vie est de tenter de comprendre l’initiation, car ce vécu initiatique ne s’étudie pas à l’image d’une discipline intellectuelle, il nous faut l’éprouver en s’éprouvant, la percevoir par le cœur. Ainsi, la bienfaisance devient l’action d’un coeur pur.

Tel est donc notre devoir, celui d’exercer une BIENFAISANCE ACTIVE.

Or, l’homme libre vers lequel nous tendons, se trouve confronté en permanence au devoir. La liberté et le devoir sont des notions opposées. Si pour le monde PROFANE, être libre c’est être dispensé de toute responsabilité, de toute obéissance. Il n’en va pas de même pour l’initié, le maçon. Etre libre ce n’est pas être indépendant, ce n’est pas faire ce que l’on veut, mais ce que l’on doit.

Enfin, en pratiquant les vertus, n’est-ce pas aussi un moyen de parvenir à la vérité. Une recherche de la vérité, qui, comme le dit, le rituel du 1er degré ne peut s’accomplir que dans la souffrance, n’est-il pas dit (en parlant de l’homme) non seulement qu’il cherche et persévère…mais qu’il souffre afin sans doute de parvenir à notre réintégration (page7), mais ceci est une autre histoire.

J’ai dit, Vénérable Maître.

B\ M\

 

Bibliographie :
- Philantropie et Franc-maçonnerie : histoire d’un marqueur social et culturel XVIIIème-XXème siècles.
- Rituel d’initiation RER, loge Roger Salengro
- Rituel au premier degré, loge Roger Salengro
- Jeanine Solotareff, Une lecture symbolique des évangiles 

 


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