Un drôle de Maçon

Il serait bien illusoire et bien naïf de croire que la Loge maçonnique est composée de F\ F\ identiques et uniformisées et que tous pensent la même chose. C’est pourquoi je vais vous entretenir d’un Maçon hors-série mais néanmoins un bon maçon.

Apprenti, son Surveillant, en salle humide le prit à part et l’averti qu’il serait bientôt augmenté de salaire, chose normale car cela faisait un an qu’il était sur la colonne du Nord. Sur le chemin du retour, notre App s’interrogea sur le propos de son Surveillant, se disant que les échelons maçonniques sont bien faciles à gravir, il n’avait fait qu’une planche et le voilà, déjà aux portes du compagnonnage. La nuit fut longue pour notre App\.

Quelque temps plus tard, entre les Colonnes, notre Frère subissait l’examen que nous connaissons tous. « Quel âge as-tu ? …Donnes moi la première lettre… Quelle est ta place dans la Loge ? ...Il faut croire que les réponses furent satisfaisantes, puisque la Loge vota son augmentation de salaire et averti notre Frère de cette décision. Tout le monde le sait et connait le silence qui règne sur la colonne du Nord ».

Notre Frère, la semaine suivant la Tenue, écrivit à son surveillant lui expliquant qu’il ne pouvait pas accepter cette augmentation de salaire sous prétexte qu’il n’était pas encore en possession de tous les symboles afférent à son grade, et que dans ces conditions il serait qu’un très mauvais compagnon, aussi il suggéra que l’on reporte son augmentation de salaire à plus tard avec un argument valable : « je veux devenir un maitre maçon irréprochable ! ».

Vous allez pas me croire mais la chose se reproduisit sept années de suite, et malgré les changements de Vénérable, rien n’y faisait ; un jour un V\ M\ un peu moins tolérant que ses prédécesseurs, voulu l’obliger à devenir Compagnon et ainsi respecter la décision de la Loge, la chose s’envenima au point que notre Apprenti parla de démission ; mais devant une telle obstination, la Loge dans un esprit de tolérance finit par accepter cette singularité.

Singularité qui fit son petit effet dans le monde maçonnique, et qui réjouit le Tronc de la Veuve, car les visiteurs furent nombreux, curieux de voir l’Apprenti de sept ans ; car il faut le dire ses planches furent de plus en plus denses et charpentées.

Comme de bien entendu, il récidiva au grade de compagnon, attendant cinq ans avant d’être promu Maitre Maçon, et encore une fois il donna comme argument que sa besace de compagnon, n’était pas encore assez lourde de savoir et qu’il n’avait pas suffisamment voyagé entre les loges et les différents Orients et autres Obédiences. Ses travaux prenaient de plus en plus de sens et de consistance.

Maintenant c’est lui qui visitait les Loges des environs et chaque fois il apportait aux différents orateurs des contradictions pleines de bon sens, éclairant ainsi le reste de la Loge. Ce qui forcément ne plaisait pas aux ténors des Loges visitées, voyant en lui un concurrent sérieux dans le théâtre maçonnique. Fraternel peut être mais pas toujours… Et puis les contradicteurs, nombreux mettaient en avant le Règlement générale, pour s’indigner sur ce drôle de maçon… !

Un jour le compagnon, après cinq ans passés sur la colonne du Sud quitta l’Etoile Flamboyante pour connaitre l’Acacia. Il n’eut de cesse de combattre les trois mauvais compagnons qui étaient en lui en devenant un Maitre Parfait.

On aurait pu croire que notre Maçon hors normes, irait jusqu’au 33 degrés, une fois de plus, il surprit le milieu maçonnique, il s’intéressa à l’administration de son Obédience en se faisant élire Conseiller, assidu aux réunions, et grâce à son savoir initiatique, un beau jour il devint le Président de son Obédience.

Pensez bien que beaucoup l’attendait au tournant, guettant le moindre faux pas, les raisons du mécontentement, reposaient sur la remise en cause du système administratif, la fin des envois de rapports illisibles prenant trop de temps sur le travail initiatique des Loges, le rappel que la Maçonnerie n’est pas un parti politique, et que sa prétention n’est pas d’être la moralisatrice de la Vie profane tout en soulignant que la Maçonnerie en générale ne peut pas prendre parti sur tous les sujets, ne possédant pas la science infuse.

Aux Loges, il remplaça les questions dites à l’étude des Loges, par une seule question : « selon vous, la Maçonnerie est-elle initiatique, si oui pourquoi, et si non pourquoi ? Avec comme corollaire ceci : connaissez-vous l’histoire de notre Ordre ? »

Il est bien connu que dans l’ensemble le genre humain n’aime pas le changement, qu’il vaut mieux mettre les chaussons de l’habitude. Le mécontentement des Loges fut une fronde contre le Président de l’Obédience, car en fait Le Président de l’Obédience remettait en cause le travail monotone de certaine Loge qui s’imaginait être utile au Monde Profane.

Le Président de l’Obédience répondit point par point aux critiques, en soulignant, que la Maçonnerie avait eu son temps de gloire, que la société profane n’avait plus beaucoup d’appétence pour l’Ordre et que beaucoup de gens ignoraient l’existence de la Maçonnerie et qu’en réalité les vrais maitres de la vie profane étaient les financiers. Que pour être utile au monde profane il fallait que la Maçonnerie retrouve les Voies de la Sagesse, les Chemins de la Connaissance, en étant au-dessus des contingences matérielles et morales, et pour clore son propos, il souligna que les maçons en matière de gestion financière de l’Obédience avaient encore beaucoup de travail à faire.

Plus tard, lors de l’assemblée générale de l’Obédience, il ne fut pas reconduit dans sa fonction, on lui préféra un autre Maçon plus classique, un homme d’appareil, un fonctionnaire de la Maçonnerie. Tout rentra dans l’ordre d’avant le Drôle de Maçon.

J’ai reçu de ses nouvelles, il venait d’allumer les feux d’une loge Libre et Souveraine dont le titre évocateur donne une idée de ses futurs travaux ; Connais-toi, toi-même ! Il pouvait ainsi être un drôle de maçon et vivre sa différence.

P\ L\