Obédience : NC Loge de Saint Jean Date : NC



Le Couteau
Planche pour le banquet d’ordre

Puisque le couvert est dressé est que nous sommes attablés, nous allons consacrer quelques minutes à l’ustensile qui se trouve à la droite de votre assiette : le couteau.

Pourquoi le couteau ? Parce qu’il est par excellence l’outil qui tranche dans la matière, il revêt une propriété symbolique très forte. Bien au-delà du psychisme, c’est l’image de l’esprit qui entre dans la matière pour la subordonner.

Il est défini par la plupart des dictionnaires comme « un instrument tranchant composé d’une lame et d’un manche ». Cette définition - pour le moins lapidaire - est loin de résumer cet objet qui est en fait le premier outil de l’homme. Le couteau n’est pas, comme peuvent le penser certains, une arme blanche. En français, on utilise les noms de dague ou de poignard pour désigner les ustensiles destinés à un usage martial ou cynégétique dotés d’une courte lame et d’un manche. Le terme de couteau est réservé à l’outil qui sert à trancher.

Le couteau est le premier outil de l’homme. En effet, plus que le bâton ou la pierre qualifiés d’outils mais qui ne résultent d’aucune construction, le biface puis le couteau, à l’origine constitué d’une lame en silex et d’un manche en os ou en bois de cervidé fixé par des nerfs préalablement trempés sont les fruits des premières réflexions techniques de l’homme.

Là où les dents du règne animal ne peuvent que déchirer, l’homme peut désormais trancher précisément grâce à son couteau.

« Premier outil de l’homme », c’est ce que nous disent les livres d’histoire. Une précision s’impose. Dans la réalité, en dehors du cas du chasseur solitaire partant plusieurs jours, c’était toujours à la femme qu’étaient dévolues les tâches « ménagères » et notamment la préparation du gibier et des repas. Le couteau est donc plutôt le premier outil de la femme. Son invention a, bien avant l’électroménager, participé à sa libération ! Il est même assez probable que le passage du biface en silex, à une lame, toujours en pierre, mais munie cette fois d’un manche soit dû à l’une de nos ancêtres. Encore une idée reçue qui disparaît.

Par la suite, c’est l’homme qui lui a donné une vocation meurtrière en l’utilisant comme arme. Pour l’anecdote, le mot « bracquemard » qui désigne en argot un organe de reproduction masculin particulièrement développé est en fait le nom du grand coutelas que portaient traditionnellement les bourgeois du Moyen-Âge à côté de leur bourse. Sigmund Freud n’a donc rien inventé en considérant le couteau comme un symbole phallique. Une nouvelle idée reçue qui disparaît.

Le couteau dont l’usage est universel, est par conséquent présent dans toutes les civilisations. Les formes et les matériaux utilisés sont variables en fonction du degré de culture technique et des richesses locales. Ont été plus particulièrement utilisés les métaux (le cuivre, le bronze, le fer, l’acier), mais aussi la céramique depuis une dizaine d’année et dans les îles du Pacifique qui ne disposaient pas de minerai, le bois et l’os.

Cet outil universel a reçu un symbolisme différent selon les civilisations. Le dictionnaire des symboles de Chevalier et Gheerbrant cite notamment : le travail de l’homme (Vietnam), l’arme cruelle (Inde), le pouvoir d’éloigner les influences maléfiques ; ce qui correspond en fait au symbolisme du fer dans diverses régions du monde.

Pour nous autres Francs-maçons, même s’il n’apparaît pas comme tel dans la Loge, le couteau est lié au symbolisme général des instruments tranchants c’est à dire le principe actif modifiant la matière passive.

Dans la Loge, trois officiers portent une épée :
Le Couvreur dont l’épée lui sert à défendre la Loge contre toute intrusion extérieure.
Le Vénérable Maître dont l’épée flamboyante, tout comme les épées Védiques ne comporte pas de tranchant. Son profil ondoyant rappelle le feu et le pouvoir de l’esprit. Les alchimistes pour parler de leur feu secret, de ce feu qui conduit l’?uvre hermétique, comme le Vénérable Maître conduit la Loge, disent indifféremment notre feu, notre épée, notre sel. De très anciennes représentations du pouvoir de l’esprit sur la matière montrent d’ailleurs, une épée flamboyante reposant à plat sur l’?uf du monde.
Le troisième officier portant une épée est l’expert qui, dans notre Loge, est muni d’un glaive dont le tranchant est double. C’est l’expert qui accompagne dans sa première démarche initiatique le profane et qui à l’aide de son action le conduira à se modifier en « postulant », « récipiendaire », « néophyte » et enfin « apprenti » au cours de l’initiation au premier degré.

Le symbole du couteau est aussi fréquemment associé à l’idée d’exécution, de mort, de vengeance, de sacrifice (Abraham lors du sacrifice d’Isaac). Il est à noter que dans beaucoup de traditions, le terme utilisé pour désigner l’instrument du sacrifice est « couteau sacrificiel » et non pas le nom d’une arme par nature comme cela aurait dû être le cas puisqu’il donne la mort. Ce choix n’est pas innocent, à mon sens. En effet, le sacrifice rituel est autre chose qu’une simple mise à mort. Chez les anciens peuples d’Amérique du Sud, il correspondait à un rite de passage en rapport avec leur cosmogonie. Dans nombre de religions, il est aussi l’instrument clé des initiations.

Dans le domaine profane, on appelle aussi « couteau » le prisme triangulaire qui supporte le fléau d’une balance. Ce prisme est le point d’équilibre immuable autour duquel va se mouvoir le fléau, comme le couteau sacrificiel est le point d’équilibre dans les rites d’initiation entre le profane et le sacré.
Par ailleurs, il est à noter qu’on ne nomme pas « cartes » les figures qui composent le jeu de tarot, mais qu’on les appelle des lames. Ceci n’a rien d’étonnant au regard de la valeur initiatique de cet ensemble de cartes.

Pour moi, le couteau évoque aussi la devise ternaire qui ouvre et clôture nos tenues :
- la liberté, par le sentiment que j’ai éprouvé lorsque mon grand-père m’a donné mon premier couteau le jour de mes sept ans.
- l’égalité car sans outil tranchant il n’est pas possible faire des parts égales.
- et enfin la fraternité par le couteau qui tranche la chair donc qui éloigne les deux plaies pour mieux rapprocher les frères de sang.

Voilà un bref aperçu de ce que peut inspirer ce compagnon qui accompagne modestement tous nos repas. Pour l’heure, nous ne lui en demanderons pas plus. Bon appétit et large soif pour la suite.

J’ai dit, Vénérable Maître.

M\ L\M\


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