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Le Silence

Cinq minutes de symbolisme sur le silence...vais je devoir me taire cinq longues minutes, ainsi que le redoutait notre V\ M\ lorsque je lui ai proposé ce sujet, lui qui me sait, si ce n'est provocateur, tout du moins enclin à être taquin ?

Le silence, donc ! Que de ramdam fait autour de ce mot tout simple, tout bête ! Que de phrases, de périphrases, d'images, d'explications devons nous émettre pour dire qu'être silencieux c'est s'abstenir de parler, d'émettre des sons, de faire du bruit, du barouf aurait dit notre F Pierre Dac !

Chez nous, le silence est la première obligation faite à l'Apprenti, qui siège sur la colonne du septentrion, autrefois souvent appelée colonne du silence. Comme si, d'emblée, on voulait indiquer l'importance capitale de cet état silencieux et toutes les vertus qu'il apporte à celui qui le respecte, du plus jeune Apprenti au plus vieux des Maîtres blanchis sous le harnais de l'initiation.

Dans notre mémento d'Apprenti, comme dans nos rituels, le silence s'impose rapidement comme un des tous premiers outils symboliques. Succédant aux tumultes des deux premiers voyages de l'initiation, le silence du troisième voyage indique au néophyte que sa progression sur le chemin de la Connaissance ne pourra se réaliser, dans un premier temps, que sous l'expresse condition de s'imposer le silence. De même que les sens exacerbés lors de sa première cérémonie lui font appréhender pleinement l'espace qui l'entoure, toutes ses capacités intellectuelles et sensitives permettront à l'Apprenti silencieux d'écouter, d'être pleinement réceptif, de s'approprier les lieux, les symboles, la parole de ceux qui interviennent. En un mot, le silence de l'Apprenti lui permet d'écouter bien plus que d'entendre.

Se taire pour être à même d'écouter est donc le tout premier devoir que doit respecter l'Apprenti, la toute première discipline qu'il doit s'imposer de façon à pouvoir entrer en communion avec ses Frères, mais aussi avec lui même. Faire silence, c'est permettre à sa personnalité la plus profonde de devenir accessible au message initiatique, ce que ne pourrait faire notre personnage, le profane que nous sommes le plus souvent hors du Temple, celui qui préfère étouffer l'autre sous la puissance vaine des mots, qui ne sont la plupart du temps là, que pour briller, séduire et parfois tromper. Faire silence , c'est aussi permettre au phénomène d'imprégnation de se réaliser pleinement, cette capacité de l'esprit humain de faire sien inconsciemment les sons, les paroles, les objets qui entourent l'initié.

Dès ses premiers pas en Maçonnerie, l'Apprenti se voit confronté à la nécessaire humilité, lui qui découvre un monde nouveau, où le temps n'existe plus, où les mots prennent un sens souvent différent par rapport à celui qu'ils ont dans le monde profane, où les objets les plus communs se
révèlent empreints d'un symbolisme insoupçonné, un monde réglé par l'observance d'un rituel jusqu'alors inconnu. C'est le silence qui lui permet donc d'ouvrir grand ses yeux, ses oreilles, son cœur, son esprit, afin d'atteindre la nécessaire concentration qui lui fera assimiler les sons et les gestes qui composent, non la liturgie, mais la symphonie du rituel. C'est le silence qui lui imposera de commencer à dégrossir sa pierre, humblement, sincèrement, ardemment, en faisant fi de son égo profane, en faisant tomber le masque, lui permettant de quitter le personnage pour devenir l'être vrai, celui qu'il aspire à être. C'est le silence qui lui permettra de réfléchir sur le pourquoi et le comment de la parole en Loge, sur son pouvoir, son utilité, certes pour celui qui l'exprime, mais surtout pour tous les Frères qui la reçoivent.

Dieu qu'il est difficile pour beaucoup de s'astreindre au silence ! Combien il est pénible, les premiers temps, de devoir réfréner son envie ou son besoin de faire partager le tumulte de ses idées, son ressenti profond ! Combien il est difficile de comprendre au départ le sens profond du signe pénal ! Cette main placée sous la gorge montrant que l'initié sait maîtriser le bouillonnement des passions, isolant le silence de l'esprit agissant, du tumulte des pensées incontrôlées. Oui ce simple signe qui nous guide vers la compréhension de la vertu du silence, vers la nécessité de la discrétion, vers l'observation du respect de la plus élémentaire des prudences, dans l'emploi des mots, qui peuvent vivifier mais aussi blesser. Et puis, comment jurer de respecter hors du Temple la loi du silence, si l'on n'est pas capable de s'imposer en Loge le silence de l'initié ? Car le silence est discrétion. Respect du serment prêté sur l'Autel des serments le jour de notre initiation,  serment de ne jamais divulguer nos secrets aux profanes « selon l'usage ancien », respect de ne jamais révéler les noms de ceux que nous côtoyons sur les colonnes du Temple, nécessaire et vitale discrétion qui a permis à notre Ordre de survivre en des périodes de troubles, de violences et de deuils.

Enfin, le jeune Apprenti comprendra rapidement que l'observation du mutisme initiatique n'est pas synonyme de silence de l'esprit, bien au contraire. Il verra que seul le silence lui autorisera de descendre en lui même en suivant le fil à plomb de sa pensée, pour réaliser l'introspection qui lui permettra de dépouiller le vieil homme, pour, in fine, en un mouvement ascendant, élever son niveau de conscience. Viendra alors pour lui le moment d'accéder à un degré où il sera à même de prendre la parole, car il en aura acquis la maîtrise, ou du moins les prémices de la maîtrise. Savoir se taire, savoir écouter et non pas entendre, savoir réfléchir voire méditer, voilà sans doute les trois travaux d'Hercules de l'Apprenti, les trois pas qui le conduiront à la porte de la Loge de Compagnon, où il pourra alors frapper à nouveau les trois coups, en demandant à être autorisé à progresser dans les voies de la sagesse et de la connaissance, vers toujours plus de Lumière, en affirmant qu'il est désormais prêt à offrir à ses Frères le fruit de sa méditation.

Bien au delà du premier degré, la notion de silence est omniprésente en Franc-Maçonnerie. Sans trahir aucun secret, chacun des serments que l'initié prêtera tout au long de son parcours comportera systématiquement l'obligation de respecter la loi du silence, dans et hors du Temple. Comme si les ouvriers, du plus humble au plus avancé dans les voies de la Connaissance, voulaient maintenir la tradition salomonienne, qui voulait que sur le chantier du Temple dédié à l'Eternel, aucune sonorité d'instrument métallique ne puisse venir troubler le silence, signe du plus profond respect du par le peuple élu à YHWH son Dieu.

Une rengaine maçonnique, injustifiée à mon humble avis, affirme que nous sommes tous d'éternels apprentis. S'il est un aspect de cette affirmation que je peux faire mien, c'est bien celui qui touche à la notion de silence initiatique, quel que soit le degré où l'on travaille. Sortant du cabinet de réflexion où l'épreuve de la terre s'est déroulée dans un silence angoissant, le silence a tout d'abord été imposé au jeune initié que nous avons tous été. Compagnon, puis Maître, l'initié sincère perpétue l'ascèse du silence, pratiquant ainsi le respect du Frère qui parle ou qui réalise un fragment du rituel, mais aussi s'efforçant de demeurer humble en se refusant à exprimer pour son seul plaisir et sa seule vanité ce qui n'a pas forcément besoin d'être dit, ce qui a été exprimé différemment par un autre Frère, ce qui n'apporte rien à la compréhension d'un symbole ou d'une simple idée. Qui parmi nous, n'a pas eu envie, un jour, de prendre la parole pour contredire un Frère, pour apporter non pas la contradiction qui vivifie mais la controverse qui peut blesser ou humilier. C'est là que le silence prend sa plus haute valeur, car il devient synonyme de tolérance et engendre une fraternité réellement sincère et agissante. Voila peut être un des signes de la vraie maîtrise : savoir parler si l'on est sur que nos mots seront plus beaux que le silence, plus forts que  les battements de nos cœurs, si l'on est sur de participer à une confrontation nécessaire et féconde et non à un combat d'idées antagonistes. Oui, le silence est le gage de l'acceptation de l'Autre dans sa différence, il est la matérialisation de la Paix et de l'Harmonie qui doivent présider à nos échanges en Loge. Et chacun de nous étant une part de la Création, chacun de nous recelant en ses tréfonds cet éclat de la Lumière primordiale, méditer et écouter en silence c'est sans doute se donner tous les moyens pour approcher du mieux possible la sphère du sacré et de la spiritualité.

Comme disait Paul Claudel, le silence permet d'accéder à l'empyrée du divin, il donne l'image de l'éternité et de l'infini vers lesquels notre quête nous conduit. Et, à l'instar du Grand Albert, quand nous serons au bout du chemin, nous pourrons résumer chronologiquement notre parcours en quatre simples mots : savoir, pouvoir, oser, se taire.

Nous avons tous commencé notre vie d'initié dans le silence. Tout au long de notre parcours, le silence nous a permis d'être ouverts au monde qui nous entoure, ouverts aux autres, capables d'entendre les battements de notre cœur mais aussi ceux de chacun de nos Frères. Si nos cœurs s'emballent et tentent de nous imposer ce qu'il est préférable de taire, le silence nous permettra d'agir en véritables initiés. Si le silence de notre Frère devient assourdissant, nous saurons alors qu'il est temps pour nous de l'écouter encore plus attentivement,son silence étant alors sans doute bien plus parlant que ses mots.Car le silence est la matérialisation de l'inexprimable, de notre moi le plus profond, comme de ce qui nous dépasse, et dont nous tentons de percer les mystères. Les étoiles hurlent en silence au plus profond de l'univers...ne sommes nous pas de la poussière d'étoiles ?

V\ M\ et vous tous mes F\ F\, j'ai dit.

J\ M\ N\


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