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Silence ou absence

Comme il se dit : On n'entre pas en maçonnerie pour bétonner des conditionnements extérieurs mais, pour évoluer, pour les assouplir voire même de s'en défaire ceci au moyen des outils symboliques mis à notre disposition.

Aborder le silence et l'absence est manifestement un travail assez ardu, dans la mesure où nous sommes dans un monde de représentation, de communication, ou l'apparence situe la personne, où nous sommes dans un monde où la verbalisation est la règle et le silence l'exception.

A l'âge de trois ans j'ai pris rendez-vous avec le silence. Quel choc, me retrouver en silence, face à moi-même sans pouvoir parler. Mais, Mais, …L'Homme est doté de la parole c'est donc pour s'en servir.

S'en servir oui, mais comment ? N'oublions pas que la brillance est le contraire de la lumière par définition.

La parole est souvent la manifestation des effets mentaux, des effets passionnels à contrario le silence permet à celui qui s'y adonne de se mettre à l'abri des contradictions, des oppositions et surtout se mettre à l'abri des jugements critiques hâtifs.

Le silence des Apprentis est imposé par le Rituel. Le Rituel manifeste son autorité par une discipline de prise de parole imposée aux Compagnons et aux Maîtres. Y a-t-il pour autant condamnation au silence ? L'Homme qui éprouve le besoin de parler aura une obligation de silence qui s'imposera tôt ou tard à lui comme une impossibilité de réponse à la tentative de se valoriser, valorisation qui se fera toujours au détriment d'autrui, tout au moins en comparaison ou référence à autrui.

Souvent le silence est associé à l'image de la mort, un silence de mort, il fait penser à l'éternité il met surtout l'accent sur la finitude de l'Homme.

Pour nos Frères Apprentis qui sont soumis au silence le plus strict n'est-ce pas là le commencement d'un cheminement, l'évolution vers d'autres grades. L'Homme ordinaire ne brise le silence que parce qu'il le déconcerte, le met face à lui-même, lui fait prendre conscience de la vacuité, lui fait éprouver l'étrange sensation du néant de sa vie, tout cela perturbe et génère une peur profonde.

Pour se rassurer, pour fuir cette peur, il lui faut absolument la reconnaissance d'autrui, il éprouve le besoin de vaines gloires. Les gloires humaines ne sont elles pas vaines ?

Quoi de plus utile pour s'étourdir qu'un bavardage continuel ? Pourquoi vouloir se noyer perpétuellement dans le bruit ? L'absence de bruit autour de soi n'est pas pour autant le silence. C'est un faux silence, le silence vrai est d'abord de se taire au fond de soi même. Le premier pas vers le silence est d'arrêter les vagues du mental et non pas se boucher les oreilles. Pour Karl Jung, le silence est la voie d'accès à l'héritage de l'inconscient collectif et à ses ressources créatrice infinies. Il manifeste la manifestation de l'intuition, voie royale de la connaissance innée. Nous pouvons nous poser une question toute simple : à quand remonte notre dernier entretien avec le silence ?

Le silence est une ressource extraordinaire, il apaise. Quand on cherche des mots pour encourager, consoler, supporter, pourquoi pas le silence? Lui seul peut atteindre le cœur et l'âme de l'autre.

Expérimenter, maîtriser le silence demande beaucoup de discipline et de pratique. C'est apprendre à vivre en essayant de changer notre rapport au, monde, de concentrer toute notre énergie sur ce que nous sommes, sur nos sens et de lâcher prise avec nos peurs. Quand on est silencieux il n'y a rien, ni entité, ni dissipation, ni agents perturbateurs.

Le silence peut se présenter sous bien des formes mais le plus incompréhensible est celui de l'incapacité de pouvoir communiquer.

Il existe plusieurs valeurs au silence depuis le refus du dialogue, le refus de s'engager dans la parole, au silence qui ne dit rien mais qui suggère beaucoup. Il existe bien une réalité indicible qui permet de reconnaître les sens du silence bien en de ça des mots.

Il peut manifester une réalité affective se rattacher au vécu le plus intime des sentiments de chacun de nous. Un regard, un tremblement sont parfois plus éloquents que le plus pompeux des discours.

Il peut manifester une réalité inconsciente, les actes manqués, les lapsus ne sont pas des formulations mais nous signalent à leur manière le contenu de notre inconscient de nos intentions cachées. D'un point de vue psychologique le non-dit a une valeur très importante. Ce que l'on n'ose pas dire est trahi bien souvent par une attitude, une posture du corps. Le refoulé reviendra dans les moments d'inattention.

Il peut être un signe vers la réalité spirituelle, toutes les traditions spirituelles insistent sur la valeur purificatrice du silence. Il existe le silence de l'inquiétude, le silence de l'ennui qui est le vide de l'existence du désir hanté par le manque d'occupation.

Le silence du désespoir qui est le naufrage intérieur ou le sens d'exister du monde s'effondre où l'ego voit se défaire le sens même de ses attentes. Au-delà de toute considération, le silence n'est pas l'oubli, l'oubli des choses, l'oubli de ce que l'on est l'oubli du chemin initiatique librement consenti et accepté. Il n'a rien à voir avec la timidité, le refoulement des émotions ou la perte de la spontanéité. Il doit être au contraire, pour nous maçons, une concentration des énergies qui permettra d'avancer dans la spiritualité.

Alors la parole devient inutile, elle n'est plus capable de décrire les expériences vécues, ni la connaissance, les mots deviennent insuffisants pour décrire la connaissance, transcrire le ressenti et les perceptions intimes.

Perceptions qui ne peuvent être vécues qu'à travers les symboles à des niveaux successifs selon le travail et le cheminement effectué tout cela conduisant à la connaissance de l'être ontologique.

On touche peut être ici du doigt le fameux secret maçonnique dont on parle tant et qui en définitive est propre à chacun de nous, il est si personnel et si intime. Il n'y a pas un secret maçonnique mais des secrets maçonniques en partant du principe que chaque Frère est détenteur de son secret maçonnique. La connaissance initiatique est éminemment personnelle et ne se transmet pas. L'entrée dans l'ordre maçonnique impose le silence. Silence qui doit conduire à une fraternité accomplie, et à une compassion vis-à-vis des Frères et de l'Homme en général.

Le silence n'est pas pour autant absence, abandon et oubli. Est-ce à dire que l'existence doit être pensée à partir du rien ? Rien signifie-t-il absence de quelque chose ? Il ne faut pas confondre ce que l'on attend avec le rien. Derrière la maison il y a un terrain vague, en y allant voir je constate qu'il n'y a rien là où j'attendais quelque chose, quelque chose qui, en fait, ne correspond pas à mon attente donc il n'y a rien. Si j'enlève l'attente, il y a bien quelque chose, un terrain vague. Un animal qui vit sans attente ne serait pas surpris, il n'y a donc pour lui aucun néant. Il n'y a que l'être. Il est impossible de voir le néant, il est impossible d'identifier le vide, On ne peut que se le représenter.

On ne saurait imaginer un néant un vide, sans s'apercevoir au moins confusément qu'on se l'imagine. Il est peut être très superficiel de concevoir le néant que comme l'absence de quelque chose.

L'absence a pourtant un pouvoir remarquable elle possède une puissance de négativité. Elle néantise si j'ose dire la perception des choses. A force de vivre dans l'imagination l'ego ne voit rien, il est dans ses attentes, dans le futur. Vivre dans l'attente c'est attendre de vivre, ne pas vivre est rester dans l'absence, dans le vide de l'absence. Je dis l'absence et non pas la vacuité. Ce qui permet d'expliquer notre terreur du vide, ce qui nous terrifie ce n'est pas le vide mais l'absence de quelque chose que nous y mettons.

Le malaise le plus commun de l'existence vient de là, je désire ardemment quelque chose qui a beaucoup de prix à mes yeux mais j'échoue dans mes tentatives. Je reste avec l'absence de ce que je voulais posséder. La difficulté est suscitée par le conflit entre ce qui est et ce qui devrait être.

Revenons un moment sur la vacuité, le vide d'objet, le vide d'une manière générale est il révélateur de la vacuité. La vacuité n'est elle pas le vide d'objet et le sentiment d'absence qui l'accompagne ? Tout objet est porté par la vacuité, émane de la vacuité et retourne à un moment donné à la vacuité. C'est l'écran blanc qui rend possible la projection, c'est l'espace qui rend possible tout aménagement.

La vacuité n'est pas la simple absence d'objet mais elle rend possible la présence d'un objet. Quand une absence est impossible à combler, tout s'abolit dans le silence l'abandon et l'oubli. L'oubli est perçu dans un premier temps comme l'échec de la mémoire à se souvenir, à l'impossibilité à conserver le souvenir.

Quelle est la relation qui s'établit entre la contemplation de certains objets, comme les symboles maçonniques par exemple et le travail de la mémoire ?

Pour lutter contre l'oubli faut il impérativement retrouver son impression première perçue sur un objet, sur un symbole maçonnique par exemple abordé auparavant ? L'impression est ici du strict ordre de l'expérience individuelle.

Dans la linguistique l'étude des phénomènes d'absence sont de tradition et ce depuis longtemps. A commencer par la rhétorique. L'omission de certaines parties du discours a été qualifiée selon la nature de l'omission d'ellipse. Le phénomène de l'absence est alors négatif. En témoigne le terme latin de « defectus » pour décrire l'ellipse.

Il existe un lien entre le phénomène de l'absence et la notion d'ineffable (dans certains grades maçonniques on approche l'ineffable sans pour autant y arriver tout au moins en ce qui me concerne). Le caractère ineffable se conçoit à partir du manque de termes, du manque de mots pour le décrire.

Lors de la disparition d'un être cher, l'absence génère le travail du deuil, il convient alors de prendre en compte cette simple question, question qui devient insoluble « où es-tu » ?

Question poignante de simplicité, à laquelle personne ne peut répondre. Il convient de composer avec le vide. Le dialogue de jadis devient alors un soliloque.

L'absence vient de s'installer face à celui qui vient de perdre un être cher. L'absence aussi de futur proche s'installe elle aussi avec toute l'incompréhension toute l'impression d'abandon que cela peut générer.

Sans développer davantage, les Maîtres Maçons passent par ce stade. S'installe alors une peur, la peur de la mort, qui n'est au fond que la peur de n'être plus rien. L'angoisse du néant. Pour tenter de faire la synthèse : L'absence est un manque, elle est donc pas vide. L'absence est remplie de la réalité qui nous manque, elle est donc la marque de notre aliénation au réel, nous sommes littéralement extérieur à nous même. Alors ? Une réflexion sur cette aliénation peut nous aider dans un premier temps à en prendre conscience, de la faire exister pour nous même afin de la dépasser ou tout ou moins de l'inclure dans notre étude de nous même.

Une étude de nous même qui se fait en silence, une introspection afin de mieux de connaître soi même, chercher à savoir qui l'on est. Déjà dans l'Antiquité l'inscription delphique nous y invitait (Connais-toi toi même est inscrit au fronton du Temple d'Apollon).

Le silence qui est d'abord intérieur nous ne nous écoutons pas car le monde extérieur couvre notre propre voix. Il faut donc du silence pour entendre notre propre grondement et mieux le comprendre, le silence intérieur, l'absence d'agitation morale, ne vient qu'une fois ce grondement analysé, le silence n'est pas vide, il est plein de sens ; et permet de mettre en valeur la parole qui le brise. L'absence est le détachement du monde, nous sommes absent de ce monde pour mieux l'examiner, c'est une prise de recul y comprit de recul sur soi-même. « Si nous imposons silence à nos sens » Bossuet, Discours sur l'histoire universelle.

Silence ou bien absence, la formule nous incite à faire un choix. Car s'il nous semble immédiatement que ces deux mots participent de la même idée, après un bref examen il n'en est rien. D'une part le silence comme nous l'avons vu est, d'après la définition qu'en donne le Littré : « l'état d'une personne qui s'abstient de parler » mais c'est aussi l'absence d'agitation morale, le silence des passions, le temps où elles laissent l'âme libre et calme, c'est imposer silence à ses passions, les réprimer, empêcher qu'elles ne troublent l'âme (ce qui nous fais agir). Ou pour prendre une métaphore picturale le silence est simplicité qui règne dans une composition, dans le coloris et la disposition des lumières. Il y a du silence dans ce tableau. D'autre part l'absence apparaît d'abord comme un manque, ici le manque de parole, le silence.

Toutefois l'absence est un manque et rien ne peut venir le combler alors que le silence peut être plein, ce peut être une complicité et dans la quête sa propre connaissance la marque de l'Un au sens plotinien (plotin) du terme, c'est-à-dire une osmose, un tout indépassable qui allierait à la fois le corps et l'âme, la matière et les idées, l'exact contraire de l'absence puisque tout est là Le silence signe primitif de l'absence vient donc le dépasser, le transcender dans la quête de sa propre connaissance. Ce n'est donc pas tant « silence ou absence » que silence et absence qui nous permet de travailler sur nous même, et de tenter d'analyser notre monde. Et c'est que nous faisons ici ce midi, nous nous absentons du monde afin de mieux le penser, c'est par objectivation de ce monde que nous tentons de le mieux comprendre. Le silence, comme nous l'avons vu a le même objectif : mais c'est la voie de la subjectivité qu'il nous incite à prendre. Dès lors silence ou absence, silence et absence pour penser la monde.

L'écoute (contraire de la parole) et le retrait du monde permet de le reconstruire à partir de soi de reconstruire le monde en soi afin de véritablement s'approcher au plus près de cet UN objet de la quête, objet de notre quête.

Enfin cette expérience étant strictement personnelle, le monde est différent pour chacun la parole est insuffisante, les mots sont trop faibles, il vaut donc mieux se taire. On revient au silence du sage.

Toutefois, pur tenter d'élargir cette réflexion, cette attitude de sage est-elle compatible avec le devoir de citoyen, de Maçon ? Le citoyen, le Maçon est celui qui est acteur de la Cité qui s'implique dans ses affaires; une attitude de retrait ne peut lui convenir c'est pourquoi il doit s'efforcer d'être réflexif, c'est-à-dire de penser sa propre pensée et de se regarder agir, d'être en partie absent.

J'ai dit V\ M\

N\ F\


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