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La loi du silence

Dans le paragraphe concernant la prise de parole, le Rituel d’apprenti au rite français rappelle précisément les usages à respecter et, notamment, la « loi du silence ». Le Commentaire sur la cérémonie d’initiation  évoque la « discipline maçonnique » qui,  durant le temps de l’apprentissage (je cite) « prend la forme de la loi du silence, à laquelle l’apprenti est strictement tenu ». Tout en précisant que cette « loi salutaire est une grande leçon d’humilité et de maîtrise de soi ».

Cette loi signifie avant tout que l’apprenti ne peut pas demander la parole, mais qu’il doit répondre, par contre, lorsque le Vénérable l’interroge.

Jean MOREAU, dans son livre : « Les francs-maçons » (collection « Idées reçues ») évoque la « Flûte enchantée » de notre BAF MOZART, et il écrit ceci (je cite) : « PAPAGENO, symbole du non initiable à cause de sa frivolité et de ses perpétuels bavardages, a, durant un moment, la bouche condamnée par un cadenas, et rappelle l’apprenti qui n’a pas droit à la parole au début de son initiation » (fin de citation).

L’apprenti ne doit pas parler durant son initiation : procédé pédagogique courant dans maints rituels d’initiation (dont l’école !) privilégiant l’écoute et l’observation. « Ecoute » est le verbe qui introduit la règle de Saint BENOÎT.

Le silence favorise l’écoute et l’observation de l’apprenti, indispensables à toute tentative de compréhension des rituels et symboles mis en œuvre dans l’espace sacré de la loge lors de chaque tenue. Il favorise également la réflexion.

Dès la première tenue, je l’avoue, il m’a semblé revivre l’expérience de l’école et des premières années de collège, quand il fallait « se taire », « écouter », « se concentrer » : bref ! Être sage.  Rassurez-vous : ce parallèle avec l’école et le collège fut de courte durée…en réalité, je me suis vite souvenu de ces périodes d’étude, plus tardives, où l’on revendique le silence. C’est alors que j’ai pleinement pris conscience de la richesse de cet outil favorisant concentration et mise en disponibilité, rendant particulièrement sensible à tout ce qui se dit et se passe autour de soi.

J’ai également pris conscience, aujourd’hui, de notre état très particulier d’apprenti : « muet qui ne sait ni lire ni écrire » (selon l’auteur GIBET), destiné à demeurer très longtemps un étudiant patient, docile et très persévérant.

Les textes historiques nous rappellent que les apprentis tailleurs de pierre du Moyen-Âge n’étaient autorisés à participer aux réunions corporatistes qu’à titre d’auditeurs muets, sans le droit de participer aux débats ni aux votes. Ils s’instruisaient en silence

Le silence permet aussi de faire oublier le « physique » ; lors de chaque tenue, je m’applique à prendre une position du corps harmonieuse et figée, propice à la concentration, comme on nous l’a expliqué et appris en instruction : se tenir parfaitement droit et immobile, les mains à plat reposant sur les cuisses…pour favoriser la réception de ce que l’on pourrait appeler…des « ondes sacrées ».

Ainsi, à ce stade de notre réflexion, le silence semble bien être un véritable vecteur de réussite pour tout apprentissage.

Au-delà de cet aspect « concentration / observation », il est courant de dire que l’on se tait quand on ne sait pas. Le silence est alors une forme d’aveu d’ignorance. Or, par définition, l’apprenti franc-maçon ne sait rien, il a tout à apprendre. Son silence est donc témoignage d’humilité.

Dès les premières tenues, j’ai été tout particulièrement frappé par le décalage existant entre le savoir profane et cette ignorance abyssale d’apprenti franc-maçon. Je me suis bien souvent trouvé embarrassé dans les gestes - je pense au déphasage rythmique fréquent lors des batteries ; je pense aux gestes et postures que je n’arrive pas encore à mémoriser parfaitement…-  voire avec les paroles - je pense à ce cafouillage lors de la présentation de ma loge mère en tant que visiteur, au point de confondre Rameau et Truelle…même s’il s‘agissait d’argent dans les deux cas !

Il me semble, même si cette impression s’estompe peu à peu, que je vis un véritable apprentissage spatio-temporel, tout à fait comme un jeune enfant qui découvre tout son environnement et qui doit tout apprendre pour pouvoir y vivre : les gestes, les mots, les usages, les pratiques, etc.  Et j’avoue, lors des premières tenues, que cette impression de ne plus rien savoir, de ne plus avoir de repères, de références…s’est révélée à la fois intimidante et un peu inquiétante.

Finalement, cette remise en question fondamentale, m’a paru plus acceptable et supportable dans ce « monde du silence » que j’ai vécu non pas comme une punition mais comme une offrande (je ne l’ai pas subie mais accueillie avec joie et soulagement).

Le silence est le symbole de l’apprenti. Certes ! Mais c’est aussi une exigence imposée à tous les Frères d’une loge en tant qu’élément fondamental du rituel ou, autrement dit, en tant  que (je cite) « acte précis accompli de manière collective » (fin de citation).

Le silence est une marque de respect. La loge étant un lieu sacré (dès l’instant où le travail maçonnique commence) le silence est une évidence incontournable. C’est un silence sacré.

Au rite français, le rituel d’apprenti note précisément les « moments de silence » (voire de « profond silence ») scandant la tenue : par exemple, lors d’une initiation, avant le premier voyage et après avoir donné la lumière au Récipiendaire ; mais aussi juste avant la chaîne d’union et après avoir juré.

On peut donc dire que le silence est marqué, comme en musique, car ces pauses participent intrinsèquement au rythme général de la tenue. Le silence est finalement noté, comme sur une partition musicale.

Et l’on retrouve d’ailleurs cette marque de respect aux agapes, car le silence est également de rigueur à certains moments du rituel. Le Livret d’accompagnement du RF  est parfaitement explicite dans le chapitre consacré aux santés : « (…) tous les Frères font silence, et la même règle s’observera chaque fois que le Vénérable et les Surveillants auront frappé ».  Pourtant - et je dois avouer que cela m’amuse (parce que ça me rappelle sans doute l’école, encore et toujours…) - le Vénérable réclame parfois haut et fort ce silence, lorsqu’il est oublié : « On se tait au coup de maillet » !

J’ai été frappé, dès les premières tenues, par l’universalité de ce silence, tant son appropriation par l’ensemble des maçons est spontanée et émouvante. Au premier grade, par ce silence, il n’y a semble t’il plus d’apprentis, de compagnons et de maîtres, mais seulement des Frères partageant un idéal de sérénité spirituelle.

Cela ressemble à une forme de « silence majeur » où l’homme, devenu franc-maçon, atteint une dimension spirituelle qui le « transporte ailleurs ». C’est d’ailleurs en vous observant, mes bien-aimés Frères, au hasard du regard, que j’ai pris peu à peu la mesure - quasiment physique - de cette fraternité qui nous soude à ce moment-là, une fraternité qui m’a toujours paru amplifiée par ce silence divin que nous nous efforçons d’apprivoiser.

Je l’avoue : ce silence sacré, qui fait suite au « bruit et fracas » et au « cliquetis d’armes » des deux premiers voyages, ce silence sacré me plaît, car il me rassure et m’apaise… J’ai déjà pu étancher cette soif de silence à travers l’expérience incomparable du pèlerinage. Sur un Chemin, comme celui de St Jacques de Compostelle, les échanges sont certes nombreux et riches, mais les possibilités d’ « ensilencement » sont infinies…

Je ne puis oublier - j’allais dire : passer sous silence… - le silence profond régnant dans la Chambre des Réflexions, symbole immatériel (par comparaison avec les autres symboles, visibles, palpables…) mais omniprésent, voire pesant. Bien qu’aimant apprivoiser le silence, j’ai découvert le jour de mon initiation, dans cette Chambre à la fois effrayante et rassurante, une qualité et un poids de silence inhabituels, inconnus. Je ne le savais pas encore : c’était un silence profond, lui aussi : « majeur », « pour s’écouter »…

Enfin, et ce n’est pas le moindre engagement, le silence de l’apprenti participe à la pérennité du « secret maçonnique ». Cette loi du silence est imposée par le serment que chacun d’entre nous a prêté lors de son initiation.  Le rituel de l’apprenti insiste sur cette notion fondamentale, notamment par le signe d’apprenti : « (…) avoir plutôt la gorge coupée que révéler nos mystères ».

Ce moment solennel de l’initiation, lors de la prestation de serment face au Vénérable, est particulièrement impressionnant ! Je me souviens de cette sensation de malaise ressenti en prononçant ces quelques mots, barbares a priori, lors des obligations : « Je consens (…) à avoir la gorge coupée, le cœur et les entrailles arrachées, etc. » …mais je me souviens également de cette bouffée de fierté en mesurant aussitôt l’importance de mon engagement.

Pour conclure, permettez-moi de rappeler qu’il est dit que le Maître doit être à l’écoute de l’apprenti et lui enseigner (je cite) « le moyen de déterminer la place qu’il devra accorder au silence dans son apprentissage de la franc-maçonnerie ».

Un enseignement fondamental, car le silence reste et restera toujours un « outil de construction privilégié ».

J’ai dit, très Vénérable.

Y\ B\


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