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Le silence

Le récit de la genèse dans l’ancien testament dit : « Au commencement, Elohim ou Dieu créa le ciel et la terre. La terre était déserte et vide, ténèbres sur la face de l’abîme mais le souffle, l’esprit d’Elohim planait sur la face des eaux ». Elohim dit : « Que la lumière soit ! Et la lumière fût ».

Voici donc le premier jour de la création tel qui est décrit par le Pentateuque, cette loi qui fonde le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam.

Première question : Dieu a créé le monde mais qui a créé Dieu ?

Le rabin Josy Eisenberg dit qu’à cette question là ne peut répondre que le silence. Notre esprit étant incapable de concevoir un être incréé car tout ce qu’il a vu sur terre n’est incréé.

Il faut citer ici le psaume XIX qui est un magnifique hymne à la création :

Les cieux rayonnent dans la splendeur saphirique de la gloire de Dieu, et le firmament proclame l’œuvre de ses mains.
Le jour en fait le récit au jour,
La nuit en donne connaissance à la nuit.
Point de discours, point de paroles,
Leur voix ne se fait pas entendre
Et sur toute la terre s’étend leur harmonie,
Et leurs accents vont jusqu’aux confins du monde…

Si dans la Bible, on lit que le silence de Dieu est la punition suprême, on trouve également que le silence d’attente et de soumission au silence divin est le lot humain.

Le mot silence apparaît dans notre langue au XIIème siècle, très exactement en 1190. Il vient du latin silentium, dont il est la traduction exacte. Notre ancienne langue employait même, à la place du latin silere, le verbe siler qui signifiait : se taire. On trouve autour de lui un adjectif : silencieux, silencieuse ; un adverbe : silencieusement ; et un curieux nom venu aussi de l’antiquité romaine : silenciaire, mot qui désigne l’officier qui faisait observer le silence aux esclaves et, par extension, les religieux qui gardent un grand silence, tel les Trappistes et tous ceux qui se taisent longtemps.

Ainsi, parmi nous, les frères apprentis qui n’interviennent jamais lors d’une tenue mais qui écoutent, reçoivent et s’imprègnent des principes, des rituels et des quêtes que leur enseignent ceux qui ont reçus la lumière bien avant eux pourraient porter le nom de silenciaires.

Si l’on peut pratiquement dire qu’il n’existe pas de silence total car il se produit toujours quelque chose qui émet un son, on peut affirmer aussi que le silence ne cesse jamais d’impliquer son contraire et que seul, le fond sonore de notre environnement nous permet de le reconnaître.

Silence : le sens premier de ce mot se trouve dans l’état de se taire, de garder le mutisme. Autour de cette signification première, l’usage a inventé de nombreuses variations. Le Littré définit d’abord l’état d’une personne qui s’abstient de parler. Bossuet lui, définissait trois sortes de silences :

Le silence de zèle, qui devait être celui de la concentration sur une tâche.

Le silence de prudence…dans les conversations et… Le silence de patience dans les contradictions.

Le silence attentif permet de coller au temps juste…et donc à l’action adéquate.

Par analogie, il s’utilise aussi à propos du langage écrit : la discrétion des journaux sur tel ou tel fait ou événement « passé sous silence ». L’expression, « le silence de la loi » s’emploie en parlant d’un cas que la législation n’a pas prévu. Le mot marque aussi l’interruption dans une correspondance : « pourquoi ce long silence ? »

Quelques notions plus techniques : les interruptions dans un bruit sont un silence, les pauses dans la musique : on y distingue sept silences, la pause, la demi-pause, le soupir, le demi-soupir, le quart, le huitième et le seizième de soupir.

A ce propos, Sacha Guitry disait : ce qu’il y a de merveilleux dans la musique de Mozart, c’est ce que le silence qui la suit est encore du Mozart.

Il s’avère également une excellente définition du secret, parfaitement illustrée par la formule : la loi du silence. Et aussi celle de l’oubli : le silence a recouvert cette affaire.

Employé au sens figuré, il marque le calme, l’absence de bruit : une forêt silencieuse, marcher en silence…ainsi que l’absence d’agitation morale et intérieure : on impose le silence à ses sens, à ses passions, à son mental.

Dans la parole, le mot définit : les suspensions dans le discours, dans l’écriture : les ellipses, et en peinture, il définit un calme dans la composition d’un tableau.

Mais le mot « silence » est assez riche pour faire éclater le cadre de ces définitions : On le retrouve dans le vocabulaire de l’amour (aimer en…silence).

Dans celui de la douleur : (souffrir en…silence) et des émotions diverses. Il y a sans doute autant de silences que d’adjectifs et d’états psychologiques. En effet, un silence peut être obstiné, mécontent, boudeur, consterné, glacial, pudique, discret, confondu, haineux, lourd, mortel etc.

Il y a le silence du confessionnal, pour ceux qui le fréquentent, de la posture de méditation pour ceux qui la pratiquent et celui du cercueil, pour tous.

Il y a le silence du théâtre après les trois coups, le silence des monastères, des cloîtres et des moines, de tous ceux qui pratiquent « la science du retrait enchanté » comme disait si bien Henri Michaux.

Le silence se manifeste aussi par toutes ces choses qu’on est incapable de dire. Et toutes ces autres qu’on ne veut à aucun prix entendre.

C’est le même silence qui est silence non pas parce qu’il se tait mais parce que les autres ne le perçoivent pas. Je veux parler de notre silence intérieur, du silence de notre conscience.

Paul Valéry disait joliment : Celui qui sourit et se tait regarde un sablier invisible.

Citons par contraste quelques proverbes de la sagesse populaire :

En France on dit le silence est d’or.
En Allemagne : Tais-toi ou dis quelque chose qui soit meilleur que le silence.
En Israël : savoir bien se taire est plus difficile que de bien parler.
En Roumanie : Même le silence est une réponse.
En Espagne : Entendre, voir et se taire, sinon la vie tourne à l’amer.
Au Danemark : Celui qui veut économiser doit commencer par sa bouche.
En Turquie : La bouche du Sage est dans son cœur, le cœur du fou est dans sa bouche.
En Chine : Tel a parlé toute sa vie qui n’a rien dit, tel de toute sa vie n’a point parlé et pourtant n’est jamais resté sans rien dire.
Et enfin au Japon, on dit que les mots qu’on a jamais prononcé sont les fleurs du silence.

Bien d’autres expressions populaires s’y rapportent : mettre sa langue dans sa poche, la tourner sept fois dans la bouche, couper la chique, clouer le bec, demeurer motus et bouche cousue, ne pas desserrer les dents ou plus trivial : la fermer. Mais on peut aussi museler, bâillonner, réduire ou condamner au silence.

Le général De Gaulle disait lui-même : « Rien ne rehausse l’autorité mieux que le silence, splendeur des forts et refuges des faibles ».

Et puis n’oublions pas ce si joli geste, l’index sur la bouche, employé depuis le plus jeune âge.

Et si le silence n’était qu’un leurre ? En effet, l’oreille humaine ne perçoit que certaines vibrations acoustiques, donc tout un univers sonore est là que nous n’entendons pas.

Le silence est déchiré par le bruit, ce n’est que du temps perforé par des bruits.

Le secret, pour vivre loin de l’agitation des imbroglios, des séductions, des attentes, et surtout à l’écart de sa propre intensité, c’est d’organiser le silence ; de considérer la plénitude du sommet de la montagne comme un capital, et le silence comme une richesse qui connaît une progression exponentielle. De considérer ce silence qui vous encercle comme un privilège acquis par choix, et d’y trouver votre seul ami intime.

Le silence est la couleur des évènements : il peut être léger, épais, gris, joyeux, vieux, triste, désespéré, heureux… Il se teinte de toutes les infinies nuances de nos vies. Sans cesse, si on l’écoute, il nous parle et nous renseigne sur l’état des lieux et des êtres, sur la texture et la qualité des situations rencontrées. Il est notre compagnon intime, l’arrière-fond permanent sur lequel tout se détache.

C’est le lieu de la conscience profonde, il fonde notre regard, notre écoute, nos perceptions.

C’est peut-être cette sorte de silence que j’ai ressenti il y a peu de temps, avec pour décor une salle ronde d’hôpital, des médecins, des internes, des externes, des infirmières, tous dans la lumière et le bruit, courant après les alarmes, s’appelant, riant et parlant fort entre eux. Autour de ce foyer grouillant d’agitation, des chambres dont la mienne, plongées dans une semi-obscurité. Allongé sur son lit, faible, las, on regarde malgré soi la fenêtre aveuglante et assourdissante qui donnent sur le monde des bien portants.

Soudain, sans que l’on s’y attende et sans que rien ne le l’ait signalé, on ressent une sensation étrange, celle d’être comme tiré en arrière, doucement, très doucement, sans soubresauts comme un travelling de cinéma. La grande fenêtre rapetisse petit à petit, les lumières et les bruits s’estompent remplacés par un silence vide et une torpeur noire qui vous enveloppent. Cela ressemble bien à la vie qui s’éloigne, et cela provoque une terreur panique et en même temps un étrange soulagement il faut bien l’avouer.

Alors, sans jamais l’avoir rencontrée ni même croisée, vous la reconnaissez sans aucun doute, c’est la mort qui vient vous faire du charme, elle rôde et tourne autour de vous, elle vous observe, elle vous sourit même, elle est venue vous chercher, elle n’est pas pressée, elle va vous emmener. La notion du temps disparaît totalement et vous ne sauriez dire si cela se passe dans un monde parallèle ou si c’est tout simplement la fin de votre vie ici-bas.

Toutefois si par hasard, vous avez soudain le culot de rompre le silence qui l’entoure et de lui parler mal, et la chance qu’elle se vexe, vous la verrez sans doute comme je l’ai vue vous tourner le dos et repartir d’où elle vient sans que vous ne sachiez jamais si à ce moment là, son visage affiche l’échec ou un sourire narquois. Dans tous les cas, ce silence qui s’effrite en accompagnant cette silhouette qui s’éloigne, qui s’atténue jusqu’à disparaître pendant ce lent retour vers le vrai monde, celui dans lequel nous vivons, ce silence la…ne s’oublie jamais.

Nous qui aimons pénétrer dans les temples de rencontre pour savourer un instant, la simple et envoûtante magie des lieux où l’on se recueille, où l’on se retrouve, où l’on partage et médite les silences divers qui nous mettent en contact avec un essentiel qui fonde notre quête car il est vrai que chaque être qui recherche l’harmonie a le sens sacré…le secret qui est en chaque être, ce grand vide illimité où l’on peut loger ou ne pas loger sa propre notion du sacré. Cela s’appelle aussi la conscience et c’est cet outil de mesure des responsabilités ou des effusions qui est étendu du saisissable à l’insaisissable.

La journée a vingt quatre heures. La vie a aussi son entrée et sa sortie. Chacun est à l’intérieur de sa peau, dans le sac de sa peau. Un délai est à sa disposition, un temps. Même s’il y a un grand architecte de l’univers, ses œuvres se font et se défont comme celles de ses créatures.
Ainsi ce très beau symbole du silence : la flamme d’une bougie dans la pénombre. Sa flamme s’élève, elle brille et pourtant elle va s’éteindre. Ce pourrait être aussi le symbole de notre action au monde.

Alors, Très Vénérable, très respectables frères, respectables frères et vous tous mes frères, si par hasard les mots que vous alliez prononcer ne sont pas plus beaux que le silence, ne les dîtes pas.

J’ai dit.

R\ A\


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