Obédience : NC Loge : NC Date : NC

Le Silence

Je romps le silence ce soir pour vous entretenir du…silence, de mon silence.
C’est un silence en trois temps que j’aborderai de la façon suivante :

Le silence du profane,
Le silence de l’initié,
Le silence de l’apprenti Franc-maçon et enfin ma conclusion.

1- Le silence du profane : j’avais 11 ans, j’étais le plus grand de mon école, quoi de plus normal lorsqu’on se trouve en classe de cm2. Assis à mon bureau, mon livre ouvert à la bonne page, j’attendais patiemment que le tour de lecture proposé par le maître arrive à mon niveau. C’est à moi. J’ouvre la bouche mais subitement aucun mot ne sort et lorsque j’y arrive, tous les mots sont hachés. Je ressens une immense douleur intérieure. C’est la naissance dans la souffrance de mon bégaiement.

Le maître, surpris de mon comportement, décide alors de faire partager à l’ensemble de ses collègues ce moment privilégié que peut-être pour lui un enfant en difficulté. Sur le champ et d’un pas motivé, il m’emmène avec mon livre dans toutes les classes de mon école pour que chacun puisse profiter de ce spectacle. Debout, face aux élèves, il me demande de lire la page de mon livre et…je bégaie. Du plus grand, j’étais subitement devenu le plus petit, le plus petit des petits, une bête de foire. En pleine détresse, je comprends instantanément que je serai dorénavant tenue à la loi du silence…

Un enfant du silence, un enfant du rêve et de la contemplation, je le suis depuis toujours, mais ce silence là, je ne l’avais pas choisi.

Depuis ce jour et jusqu’à mes 20 ans, à l’oral je collectionne les zéros. Non pas parce que je ne connais pas mes leçons, mes cours, mais parce que je n’arrive pas à dire un mot sans bégayer. Alors, j’ai appris à vivre avec ce silence. Ce silence qui devient pour moi et par obligation un refuge mais aussi avec le temps un outil d’exploration. Je l’écoute, il me renseigne, il me parle sur l’état des lieux et des êtres. Mais j’ai peur, peur de prendre la parole, la parole, cet outil du dialogue, ce magnifique symbole d’union qui nous permet de nous joindre et de nous comprendre. Au début était le verbe.

Alors, pour ne pas être celui qui se tait, celui qui n’est pas confronté aux autres, celui qui reste avec ses idées et sa façon d’être, celui qui ne s’ouvre pas, celui qui ne communique pas, pour rompre le silence, JE RUSE.

En une fraction de seconde, je trouve le mot qui sortira de mes tripes presque normalement. J’étouffe, je me bats, je me rassure, j’échafaude des plans, j’écoute et je regarde plus que tout autre.

Bob Wilson un metteur en scène d’opéra, en parlant du silence disait : « Il n’y a rien d’aussi fort que le silence, le silence renforce tout et je me sers du silence pour renforcer mes sens ».

Depuis mes 11 ans, ce silence m’apprend donc à mieux observer ce qui m’entoure, à être plus réceptif aux situations auxquelles je suis confronté. Il m’apprend aussi à mieux écouter et accroît ma réceptivité.

Apprendre à observer, à écouter, c’est diriger son attention vers l’essentiel, c’est susciter l’éveil, la curiosité saine. Apprendre à écouter, c’est apprendre à entendre avec l’ouïe de sa conscience et de son cœur.

Le bégaiement, ce compagnon intime de mon existence, ce silence de mon enfance, de mon adolescence, aujourd’hui ne me fait plus peur. Cet imposteur, ce vitriol, je l’ai détesté, j’ai souffert, j’ai appris à vivre avec et je l’ai vaincu. Il restera cependant comme une empreinte indélébile de mon secret intérieur.

2- Le silence de l’initié : c’est comme le patinage artistique. Il y a les « figures libres », celles que l'on croit comprendre et que l'on exécute avec bonheur, c'est du moins ce que l'on pense et « les figures imposées », la droitesse, la justesse, l'humilité, l'application du rite rythmé par les maillets du Vénérable Maître et de ses accesseurs, dans un silence sacralisé.

Le jour de mon initiation, dans le cabinet de réflexion, plongé dans les ténèbres, le crâne me rappelle le silence de la mort mais sans le savoir le coq peint en blanc sur le mur annonçait déjà la lumière que j’allais recevoir.

La coupe bien remplie, de ma libre volonté, sans contrainte et devant une assemblée de maçons témoins qui vont devenir mes Frères, la main droite sur le cœur je m’engage sur l’honneur au silence le plus absolu sur tous les genres d’épreuves que l’on pourra me faire subir. Je bois, je bois tout. Les voyages se succèdent et le silence vient à régner sur les colonnes.

Les yeux bandés, devant l'Autel des serments, une pointe du compas appuyée sur mon cœur, je prête serment sur les trois grandes lumières de la Franc-maçonnerie. Cet engagement, cette promesse solennelle m'engage à cet instant à garder les secrets de la Franc-maçonnerie. Si je devais manquer à ma parole, je serais parjure à la parole donnée et sous le coup des sanctions suprêmes, indigne d'appartenir à la Franc-maçonnerie. Mon serment sur le silence, moi Stéphane Renaudon, la main sur le cœur, je vous jure de l'appliquer avec la plus grande rigueur.

Le bandeau définitivement retiré, en toute lumière, les pieds en équerre je prête à nouveau serment sur les trois grandes lumières de la Franc-maçonnerie et je prends réellement conscience à cet instant du nouveau monde qui s’offre à moi. C’est un engagement fort à l’égard de moi-même et de ceux qui s’apprêtent à transmettre le degré que la loge aura décidée.

Oui, je prends conscience du sens de ma parole et j'accepte la responsabilité à laquelle je m'engage sur la voie initiatique. Cela prends un instant de donner sa parole, mais la tenir prend une vie entière. Je sais alors qu'il deviendra récurrent pour moi de me poser cette nouvelle question : « Que vais-je faire de cette parole donnée ? »

J’ai choisi d’être Franc-maçon et j’affirme mon choix. J’ai envie d’y consacrer du temps, j’ai envie de le vivre, j’ai envie de travailler. Je me le jure.

L'initiation maçonnique telle qu’elle doit être ne peut pas se définir, ne peut pas s’exprimer, elle ne peut que se vivre pour soi et en soi. C’est ma définition du secret Maçonnique, fondement de notre méthode de travail car il oblige chaque Frère, à son rythme, à une découverte progressive de lui-même.

Je connais les secrets de mon grade et peut-être qu'un jour, j'aurais un autre serment pour un degré nouveau. Mais dans l'instant, je suis bien à ma place au Septentrion et si les sages décident qu'un jour il sera le moment, je serai prêt, je m'en remets à eux.

3- Le silence de l’apprenti Franc-maçon : Toute personne sensible sait que plus une expérience est profonde, plus le sujet dont il s'agit tient à cœur, plus il est difficile de le formuler en mots. Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu'épeler mais qu'il me soit permis un survol de dix huit mois passés dans le silence, dans une chambre d'écho, prêt à résonner de la parole retrouvée.

Notre conseiller fédéral contait ici même que la chose la plus importante pour un Franc-maçon se situait dans l’acuité du regard. Un regard ne ment pas, il voit avec son âme et là…je repense à mon cm2 et je vois cet instituteur d’une intelligence extrême qui me promène comme un animal de foire dans toutes les classes. Il y a des blessures comme cela qui ont du mal à cicatriser. Et là aujourd’hui, dans cette école de la vie, dans cette école de perfectionnement, je me retrouve le plus ancien des apprentis mais pas plus grand pour cela.

Dans cette loge, je n'ai pas un Maître, mais des Maîtres. Toi mon parrain, qui est mon soutient, le gardien de mes pas, toi mon Frère Second Surveillant, qui m'éveille et me rassure et pour qui l’Agapé ne se dément pas. Et vous tous mes Frères qui participez à faire de moi un apprenti cherchant, un apprenti mutant, une pierre à l'édifice.

J’attends impatiemment le premier vendredi et troisième samedi du mois. J'aime installer le temple, me remplir de la symbolique des outils, des sautoirs, des objets, contempler ou devrais-je dire analyser le tableau de loge posé sur le pavé mosaïque, la beauté du maillet et du ciseau que je dispose en équerre sur les marches de l’orient. Mon maillet et mon ciseau qui ont à ce jour éliminé une partie de mes scories. Je sens l’équerre s’ajuster sur l’une des facettes de ma pierre. Par ces préparations, je conditionne mon silence pour la tenue.

Je ne suis plus dans le monde profane. Je m’assure que mes pensées sont entièrement orientées vers ce qui se passe ici et maintenant. L’esprit libéré, je regarde vos déambulations, vos angles, l'équerre de vos pieds mais aussi vos clins d'yeux, vos sourires et je ressens cette complicité, ce partage, cette fraternité. J’écoute vos travaux, j'écoute vos cœurs, je sens vos évasions. Quoi de plus fort qu'une complicité avérée, qu'un partage mutuel offert par des silences entendus, écoutés, bien compris. J'aime écouter le sage, j’aime sentir la force, j’aime regarder la beauté. Je suis en communion avec vous mes Frères.

Assis dans l’obscurité du Septentrion, je fixe le fil à plomb, il chuchote à mon oreille. Il m'invite sans cesse, dans les profondeurs du silence de mon for intérieur à user de la verticalité pour mieux trouver mon équilibre. Ce fil à plomb, garant de la vigilance, me propose un éternel voyage aux confins de moi-même, sans cesse à la recherche du bon, du bien, du vrai. J’ai besoin de comprendre, d'apprendre, pour être au plus prêt de la fraternité, de l’égrégore.

Pour autant, j'aime aussi remonter le long de ce fil à plomb, vers la lumière, vers l’action sans prétention aucune.

Ce silence de plomb qui demeurait en moi, je l’ai aujourd’hui transformé en un silence d’or. Je suis aujourd'hui un apprenti heureux, un apprenti épanoui. J'ai toujours eu l'impression de courir après quelque chose et cette chose vis maintenant à l’intérieur de moi. J’ai cette volonté affirmée d’être Franc-maçon à chaque instant de ma vie familiale et fraternelle.

J’ai conscience que mon chemin d’apprenti m’a fait prendre un virage à 90 degrés juste et parfait et sur ce nouveau chemin, je me sens libre. Dans mon sac à dos, j’y ai mis mes outils, le fil à plomb remplaçant mon bâton de pèlerin. Ernest Hemingway citait « aux plus importantes croisées de nos chemins de vie, il n’y a pas de signalisation ». Et bien, j’en ai trouvé une : « Il faut qu'on s'aime pour vivre et vivre pour s'aimer ». Tel est le panneau de signalisation du nouveau territoire où je chemine.

Ce silence d’apprenti agit comme un véritable levier, il me permet de mettre à jour des réels instants de bonheur. Il me force à être attentif, à être modeste, à être humble, à être patient, à discipliner ma raison, à repousser mon égoïsme, mes préjugées, à approfondir ma capacité de réflexion avant la parole et l’action. J’ai aussi compris que le bonheur est toujours près, mais le pire n’est jamais très loin.

Je réalise à ce jour que mon silence a été bénéfique à ma construction. Il est le maître d’œuvre aujourd'hui de la taille de ma pierre. Il provoque des joies, des peines, des manques, des doutes quant à la façon d'être au milieu de vous mais je vous l'affirme : je les aime ces trois temps de mon silence car ils m'ont façonnés et fait de moi ce que je suis ce soir entre les colonnes.

Le lien qui nous unis mes Frères est comme le lien à trois brins d’épis de blé, torsadés ensemble pour en faire une gerbe dont va s’extraire le grain fertile. Ma joie est grande de me retrouver dans cette chaîne d’union ou nos cœurs battent l’amble, le rêve, le devoir, le plaisir dépouillé ou le moi, le soi et le nous se rejoignent. Cela donne un sens à ma vie.

Pour conclure, je sais qu’il me reste un long chemin à parcourir, mais je suis tenace et je tenterai ce challenge impossible…découvrir la sagesse.

Je compte sur vous mes Frères pour devenir le Maçon qui écrit Liberté Egalité Fraternité dans son cœur et qui applique cette notion ternaire.

L’arbre du bien, l’arbre du beau, l’arbre du vrai sont unis par leur sommet. Je fais mienne cette maxime d’Alexandre Soljenitsyne et j’irais tel un pèlerin marcher sur des chemins éclairés par vous mes Frères, accompagné par trois petits points qui murmureront à mon oreille : je veux être un homme heureux.

Vénérable Maître, j’ai dit

S\ et M\ R\


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