GLNF Loge : La Fidèle Amitié - Orient d'Uzerche  20/05/2005


Le silence de l’ Apprenti

J’ai eu le plaisir de vous faire partager mes premières impressions lors de la tenue régulière du 21 janvier dernier ;
Ce soir, quatre mois plus tard,  je vous livre ma première planche, vous invitant à faire preuve d’une certaine clémence (et patience car j’ai du mal à faire court !) en vous souvenant du jour où vous aussi, mes frères, vous avez dû franchir ce cap.

Profane d’hier, devenu néophyte, tout récemment initié, le tout jeune apprenti veut participer à la vie de cette nouvelle famille où il vient d’être accueilli mais il doit observer la règle du silence.

Le débutant apprenti débarque dans un monde nouveau, il n’a plus de repères, il découvre une multiplicité de signes (lieux, objets, symboles, rites) le déroutant, ne manquant pas de l’interpeller et il s’interroge intérieurement sur le sens caché de tout ce contexte qu’il n’appréhende pas encore.

L’apprenti va s’attacher à vouloir comprendre la signification de cet environnement afin d’avancer, à petits pas, sur la voie de la Vérité.

Pour ce faire, petit apprenti, rien ne sert de courir en tous sens, de s’agiter tel un pantin (image de toi, l’homme d’hier), de poser une multitude de questions auxquelles tu n’es pas encore prêt à recevoir les réponses.

Il est temps de te poser, de réfléchir au sens de la vie, de ta vie, le temps d’attendre que ton âme rejoigne ton corps revêtu d’un tablier blanc, au col relevé, et de gants d’une blancheur à faire pâlir la pureté... Tout simplement faire une pause dans cette course effrénée de tous les jours, observer la règle du silence pour permettre à ton ange intérieur de se manifester par la bouche des autres, celle de tes nouveaux frères.
 
Laisser au temps le temps de te livrer peu à peu les secrets de l’existence : t’asseoir, observer, écouter et essayer de décrypter un univers connu de toi mais non totalement capté.  Apprendre à se connaître c’est un peu s’oublier soi-même, c’est être illuminé par tout ce qui se trouve dans l’Univers” pour reprendre une maxime de Dôgen, sage du 13° siècle (1200/1253). C’est un effacement de l’ego pour un voyage vers le vrai. Pour y parvenir tu devras t’observer, distinguer en toi ce que tu possèdes (corps, métiers, psychologie etc.) de ce que tu es. Tu devras savoir dissocier l’être de l’avoir comme le préconisait Roberto Assiagoli, fondateur de la psychosynthèse (1888/1974), dans sa définition du concept de la désentification.

Il ne s’agit point d’un silence imposé si ce n’est par toi même : ce silence accepté n’est pas subi, tu n’es pas bâillonné par un maître d’école ou un adjudant chef ! Tu es simplement lié à une action choisie par toi-même : te taire pour mieux comprendre, te concentrer, méditer dans le calme et penser pour mieux te connaître. Ecouter : c’est être présent, attentif, réceptif. Etre à l’écoute c’est la meilleure façon d’apprendre à penser par toi-même : découvrir ce que les choses sont et non ce que l’on croit qu’elles sont : aller au delà des apparences !

Ce n’est pas le silence lié à la peur : être terrorisé et ne plus pouvoir parler même si tu as fait le serment de rester discret plutôt que d’avoir la gorge tranchée ! Toutefois cela ressemble au silence du secret : Tu dois rester muet sur les rites et traditions qui viennent de t’être révélés.

Ton silence n’est pas, non plus, celui de la mort avec un corps inanimé car tu viens juste de renaître des cendres de ton testament philosophique ! Cependant, par rapport à ce rituel, tu te dois de garder une certaine réserve et donc un silence approprié, en guise de respect de l’entourage du défunt, du de cujus : de tes proches à toi, le profane d’hier.
Ce silence que tu t’imposes, que tu admets est proche de celui de l’enfant  dont le regard s’émerveille de tout ce qui l’entoure, qui découvre de nouveaux horizons : un nouveau monde s’offre à lui, il lui faut décrypter les messages, les signes et symboles qui lui sont accessibles, essayer de comprendre les rites présentés pour tenter de consolider sa propre construction spirituelle, pour la modeler, l’adapter afin de s’élever au rythme de ses possibilités.

Pour ce faire un minimum de recueillement s’impose comme lors d’une célébration religieuse, n’es-tu point adopté dans un temple ? Et pour reprendre des mots entendus en cette Loge : “ le silence est grand, il est la condition du savoir, tout le reste n’est que faiblesse” pour citer Alfred de Vigny. De même, pour reprendre une phrase de Erik Pigany, philosophe du 21° Siècle, auteur d’ouvrages sur le Zen : “on ne peut se libérer soi-même en abreuvant les autres de paroles : on ne fait alors que répandre le bruit des chaînes qui nous entravent...
 
Si ton silence, jeune apprenti, est proche du désarroi, de l’incompréhension, ce n’est qu’une apparence ; il est source de progression car te taire ne signifie pas être passif : ton silence est une action sciemment choisie telle la marche du silence. Certes tu n’as rien à dire devant des événements qui te dépassent, et pourtant tu ne vas pas rester là à divaguer sans fin, à rêver ou dormir.
 
Tu vas devoir modifier ton comportement, revoir ta copie, te faire tout petit pour relever un défi de taille : faire la conquête de toi même et ce n’est pas rien ! Cette quête spirituelle sera facilitée dès lors que tu auras perdu quelques acquis et certitudes : ces symboles et rituels que tu commences à découvrir sont, en effet, déroutants : tu t’interroges sur leur signification et la réponse n’est pas encore là. Tu peux alors prendre conscience de tes limites et prendre du recul par rapport à tes affirmations péremptoires d’hier, relativiser tes jugements que tu tenais pour définitifs, être amené à reconsidérer des situations déjà rencontrées avec un oeil nouveau, enrichi de ton expérience dont tu maîtriseras les bornes.

Il te faut voir tout comme si c’était la première fois et revenir sur des impressions passées et erronées et, de là, tu connaîtras un enrichissement intellectuel, émotif devant te conduire à plus d’humilité et de sagesse pour tenter d’approcher la Lumière.

Tu vas vivre la parabole de la chenille, elle qui désespérait de ramper, rêvait tant de voler et voyait sa mort prochaine dans un cercueil en forme de cocon : c’est de cette fin d’état, de cette chrysalide, qu’elle s’est transformée, épanouie en un merveilleux papillon.
Tout comme elle, petit apprenti, tu devras te dépasser et avec vigilance réussir à mieux te comporter, mieux réagir vis à vis des autres pour, à ton tour, prendre ton envol.

Un voile obscur peu à peu se lèvera pourvu que tu persévères et la Vérité (j’ai envie de dire la “vraie rité” !) t’apparaîtra dans une clarté qui ne doit pas t’aveugler mais guider tes premiers pas dans cette voie difficile  qu’est l’apprentissage du mieux être (par opposition au mieux avoir)
Observer sans porter de jugement, contempler comme pour goûter au silence. Le silence est vivant : il apporte le calme intérieur et t’offre un tourbillon de vie.

Ainsi, en prêtant attention à tout ce qui t’entoure, en observant ton environnement quotidien, en t’interrogeant sur le sens caché et profond des signes que tu perçois, tu pourras aller au delà des apparences et poursuivre ton propre développement personnel pour toi même mais également au profit des autres.

Ta vie de profane n’est pourtant pas à renier totalement : tapie dans un coin, elle est et reste ton point de départ vers de nouveaux horizons ; ce vécu d’hier, ces expériences menées vont t’aider à mieux te connaître, à cerner tes possibilités mais aussi tes limites afin de mieux te reconstruire.
De tes erreurs passées naîtra la voie conduisant vers la perfection. Tu es comme un jeune bébé... avec l’innocence en moins et cet handicap tu devras le surmonter avec persévérance.

Pour tenter d’approcher le Créateur Universel, tu devras, toi l’apprenti en herbe, vivre ton histoire personnelle et attendre la fin du film pour enfin découvrir la pureté de l’écran où tant d’images ont, devant tes yeux, défilé. Cet écran vierge tu ne l’avais point remarqué avant, tu étais passé à côté alors qu’il était omniprésent !

Ainsi la vie maçonnique commence dans un temple décoré, solennel, sorte de théâtre où tu perds tes repères, tes acquis et tes certitudes.

Tu ne peux, tout jeune initié que t’interroger sur le pourquoi de toutes ces choses nouvelles : que signifie ce fil à plomb descendant d’une voûte céleste étoilée ? que veulent  dire cette lune croissante au nord et ce soleil au midi ? A quoi riment ces trois colonnes et leurs lumières ? Pourquoi la réunion de trois objets : une équerre, un compas et la Bible ? Que révèle, en dehors de sa beauté, cet oeil qui brille à l’Orient ? Et ce dallage central en noir et blanc est-ce un hymne à la gloire d’une équipe de rugby régionale ?

Dans un tel contexte, ainsi mis en situation, l’apprenti ne peut que se taire, surpris par ce décor, intrigué par ces gestes, interpellé par ces mots, en ces lieux, prononcés ; perdu il observe en silence, cherchant des réponses à une multitude de questions qui l’assaillent. Trop de choses nouvelles s’offrent à lui, trop de signes inconnus font qu’il ne peut comprendre, même à minima, le sens réel et caché de tous ces symboles.


Il se doit donc d’être attentif pour essayer de percevoir des bribes d’explications ; il va s’interroger intérieurement , réfléchir à tout ce qui l’entoure ici... et dans sa vie de tous les jours. Il va méditer sur le pourquoi de tous ces signes, mais aussi sur la situation géographique des personnages rassemblés en cette loge : ses frères. Il va essayer de déchiffrer la raison de leur place en ce temple, de leur tenue maçonnique (tabliers, médailles, épées etc.), de leurs titres (Vénérable Maître, Frère Secrétaire, Frère Orateur, Maître des Cérémonies, Frère Expert, 1er et 2ème Surveillants, Frère Couvreur...), de leur attitudes (sens des déplacements, pieds en équerre...). Il va essayer de comprendre les mots et phrases prononcés lors des Tenues Régulières, de percevoir tout ce qui découle de la règle en douze points. Il va se pencher sur son parcours qui l’a conduit de sa vie de profane à ce qu’il est aujourd’hui. La méditation va lui permettre de prendre conscience de ce qu’il est réellement : c’est ce que l’on peut appeler : “l’Eveil”.

Pour avancer dans la compréhension de tous ces symboles, car tout n’est que symbole, il va lire, relire et relire encore le rituel du premier degré pour se rapprocher de ce qu’il voit lors des tenues auxquelles il est convié. Au fur et à mesure sa lecture prendra un sens et ce n’est qu’à petits pas qu’il progressera. Ainsi l’esprit toujours en éveil il va capter toutes sortes de signes qui lui permettront de poursuivre ses recherches et qui aiguiseront son appétit d’approche de la Lumière.

Il va tenter de percer les mystères d’un nouveau monde où la symphonie des symboles est jouée en majeur. Les symboles ont le pouvoir de nous relier à la mémoire de l’humanité.

L’apprenti ne peut que garder le silence devant la succession de situations auxquelles il assiste dans un premier temps passivement avant d’y prendre part peu à peu, au fil du temps, au fur et à mesure que ses connaissances et sa sensibilité maçonniques prennent forme. Il n’a que 3 ans : il a tout à apprendre. Comment imaginer qu’un apprenti puisse prendre part à des discussions et échanges qui lui échappent totalement ?
Le silence est donc de règle.

A l’aide de ses outils (maillet et ciseau) il va s’efforcer de dégrossir la pierre brute en travaillant sur les travaux qui vont lui être confiés. Il va plancher sur des sujets à sa portée, réfléchir et faire des recherches.

Ainsi il va faire ses premiers pas dans la voie initiatique et apprendre à mieux se connaître, à mieux comprendre les autres, à discerner le pourquoi de son existence. Découvrir en soi ce qui est sagesse, force et beauté n’est pas une petite affaire et l’apprenti devra rechercher en lui ce qui est amour et vérité, tenter d’appréhender sa dimension spirituelle avant de pouvoir la développer pour lui et pour les autres. En un mot : se conquérir dans la liberté ! Tout un programme...

Cette quête ne peut commencer que par un certain recueillement et donc via le silence car, pour parodier mon parrain (frère MB) lors de son discours de bienvenue lors de mon initiation : “le  symbole commence là où s’arrête la parole”. Cette démarche se poursuivra ensuite par une recherche plus approfondie du sens de la vie et continuera par la voie de la méditation, voire de la contemplation.
 
Telle est la recette pour bien assimiler les signes qui t’ont, jusqu’à présent, toi le profane d’hier, aveuglé ou que tu as parfaitement ignorés.

J’ai dit.


 P\ V\

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