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La Fidélité

Nous pourrions éventuellement éviter de parler ici de la fidélité dans ses apparences les plus profanes, telles que par exemple la haute-fidélité d'un système audio-visuel, la fidélité aux souvenirs, ou celle de son chien.
Mais ce serait oublier alors que toute fidélité, par 1'essence même de ce terme, est rattachée au plus profond de l'homme, a ses valeurs morales, a son cour, et aux pensées les plus élaborées qu'il puisse concevoir tendant a le faire progresser sur la voie de la divinité.

Ainsi par exemple, pour en revenir a ce que nous venons d'évoquer, c'est bien en rapport avec la qualité de sa fidélité que tout système de reproduction sonore ou visuel verra son auditeur, ou son spectateur, accéder plus ou moins aisément au message transmis par le créateur, en accordant même a l'initié un certain dépassement spirituel à travers l'art véhiculé. De même, la fidélité aux souvenirs n'est pas uniquement un attachement puéril ou fétichiste à un vieux jouet ou à un vieil ami, sorte de fidélité habitude ou fidélité carte postale. Cette forme de fidélité nous rappelle plutôt que nous nous plaçons dans la continuité de certains usages ou de certaines valeurs spirituelles ; c'est le fidèle souvenir de certaines pratiques familiales ; c'est le souvenir du soldat inconnu dont on ranime symboliquement la flamme avec fidélité ; c'est encore la pratique fidèle de ce qui nous a été transmis en vue d'améliorer la richesse des rapports humains, comme le protocole, ou en vue de permettre la cohésion de démarches spirituelles ou philosophiques de même sens, comme une morale universelle ou comme le rituel M\. Par cette voie, la fidélité aux souvenirs peut transformer l'individu en un maillon d'une chaîne d'union entre ce qui était et ce qui suivra. Cette fidélité aux souvenirs est donc bien plus qu'une culture, c'est la Tradition.

Cette tradition, qui par exemple faisait placer rituellement et symboliquement un chien fidèle sur la felouque mortuaire des pharaons, nous rappelle qu'il est nécessaire au cours de certains voyages de pouvoir disposer de la fidélité d'un compagnon. Ainsi la tradition utilise le symbole à travers les rituels mais aussi a travers les textes, ou bien même le travail de la pierre. Les symboles ainsi dévoilés, « tels les pierres des cathédrales », se réfèrent aux seules réalités spirituelles, sans supposer de séparation ou d'opposition entre sacré et profane. Ces symboles sont le résultat de l'expression d'un art qui est traditionnel dans la mesure de sa fidélité a lui-même, et ils sont aussi une possible ouverture au contact personnel avec la divinité.

Quelques milliers d'années plus tard, le chien fidèle s'est ainsi retrouvé placé aux pieds des gisants de couples très chrétiens à la notoire fidélité, comme le symbole de cette vertu du couple : on est alors bien loin de Médor, Rantanplan ou Snoopy... Cet ensemble de facettes présenté par la fidélité nous rappelle qu'elle n'est pas souvent l'attribut du profane, et qu'elle ne se contente pas de l'individu unique et de son égocentrisme. La fidélité nécessite au contraire la participation active d'un autre, du double ou de son reflet, permettant par cette dualité la transformation de l'énergie qu'elle détient en travail à travers et grâce au couple. Couple qui peut être virtuel comme une image de miroir, et que la mécanique définit comme la résultante d'un ensemble de forces opposées et égales entre elles. Et l'on voit immédiatement que toute modification unilatérale d'une de ces forces entraîne une perte d'équilibre, agent causal de 1'infidélité.

La fidélité procède de cette attirance de forces, du lien d'amour qui, au plus haut niveau, implique une certaine foi en l'autre ainsi qu'en soi-même, et donc le courage, la confiance et l'espérance. A propos de la fidélité, Alain disait que « le courage d'aimer fait naître aussi un échange de grâce, et ainsi un des plus beaux mots qui signifie récompense et reconnaissance, y ajoutant quelque chose de libre et d'aisé ». La fidélité apparaît à travers cette pensée comme une qualité élevée au plus haut degré, le mérite de l'homme, au sens latin, nommé « vertu ».

Cette vertu de fidélité est une « invention » relativement récente du couple homme - femme. Dans celui-ci, comme dans le règne animal, la femelle fut d'abord contrainte par l'homme (cette fidélité devenant même dans de nombreux cas un asservissement total de la femme), mâle dominateur ne supportant pas la concurrence, et ne s'y sentant pas réciproquement lié par une fidélisation de ses obligations. A partir de cet état primaire la civilisation, les religions ont développé une moralisation des rapports du couple, ainsi dans la Bible, Sarah est-elle citée comme l'exemple de la fidélité. Depuis le début de ce siècle surtout, l'égalitarisme homme – femme a apporté le reste des modifications de la substance de cette vertu. En effet, l'industrialisation récente de la société, la responsabilisation des femmes, leurs diverses émancipations, dont la contraception, justifient leurs revendications dans la société en général, et vis-à-vis de l'homme en particulier. Dans ces conditions nouvelles, la fidélité peut n'être plus seulement imposée, mais aussi voulue et désirée, aussi bien par l'homme que par la femme.

La fidélité est donc soumise a des systèmes, des choix intérieurs ou extérieurs, qui -aujourd'hui la « verrouillent » en principe de façon égalitaire. Les contingences extérieures sont le reflet de la qualité de la fidélité souhaitée par la société pour permettre sa survie et même sa progression. La fidélité devient alors pour la société un lien qui maintient la structure unitaire de la famille, garante d'une certaine stabilité économique, sanitaire et démographique, mais aussi une loi d'exclusivité amoureuse et sexuelle qui entraîne le couple à une auto discipline, premier pas de l'obéissance à toute autre loi. Ces contingences extérieures peuvent paraître plus humanistes ou spirituelles quand elles proviennent des instances religieuses dominantes et variées, pour lesquelles la fidélité représente le moyen d'éviter la dissociation pernicieuse et diabolique entre le plaisir charnel et la nécessite de procréation, tout en autorisant une sublimation du couple, parfois dans la souffrance.

Hors de ces contextes socio-religieux, la fidélité n'est enracinée dans aucune contingence extérieure réelle. Dans l'absolu la fidélité repose donc sur une liberté totale de choix et d'engagement.

Cependant la fidélité dans le couple peut être engendrée ou soumise grâce à des contingences internes puissantes qui sont la peur, le doute et la crainte. La peur de la solitude par l'exclusion, le doute de exclusivité d'amour sous-tendu par la possession, la crainte de l'abandon et de la perte de l'éternité. Où, quand, comment vivre et penser la fidélité ? La prise en compte de ces trois instances profondes du couple contribuera pour beaucoup à la pérennité de la fidélité.

Mais parfois, hormis ces contraintes, cette fidélité apparemment consentie librement n'est en réalité que subie ; subie, car non réfléchie, non réellement désirée, comme une fidélité lassitude, une fidélité platitude, un pis-aller, une couardise. Cette fidélité malgré soi paraît donc être malheureusement une perversion.

A partir de ces contingences extérieures et intérieures peut-on imaginer la fidélité s'accommoder de la liberté, de la fraternité ou de la justice ? Sans doute, mais elle doit pour cela devenir la vertu d'un individu libre qui, prenant l'autre pour miroir, se sert du reflet pour éclairer sa propre existence, pour clarifier sa propre conscience, ses sentiments, ses émotions, et parfaire ainsi ce temple qu'est le couple.. La fidélité alors consentie librement en son sein comme un choix existentiel devient ainsi un contrat d’exclusivité émotionnel passé avec l'autre autant qu'avec soi-même, ou mieux encore une voie d'accès à l'alliance divine comme il est dit dans la Flûte Enchantée :

« Mann und Weib, und Weib und Mann
Reichen an die Gottheit an. »
« Homme et femme, et femme et homme
atteignent à la divinité. »

Mais le couple n'a pas l'exclusivité de la mise en ouvre de la fidélité dans les rapports humains.

Ainsi la chevalerie a utilisé et pratiqué la fidélité en la plaçant à un niveau plus immatériel. Si les chevaliers avaient parfois une notion très relative de la vie du prochain,-s'ils avaient souvent des pratiques plus ou moins débridées, un attachement fidèle et volontaire au seigneur, à une dame et à Dieu leur offrait en permanence sur leur route spirituelle la possibilité de s'élever vers le sacré, vers l'intouchable symbolisé par la Dame à la Licorne. La sacralisation de cet attachement, de ce lien d'amour, de cette foi, réalisée par la pratique du serment au cours d'un rituel de sacrement; celui-ci devant permettre de s'extraire des tentations profanes pour progresser dans la Quête. On comprend mieux ainsi pourquoi l'infidélité est généralement considérée comme une profanation, et pourquoi dans toutes les sociétés il a été jugé bon de prévoir des sanctions sévères à cette profanation de démarches sacrées librement consenties, par la lapidation, le bannissement, l'exclusion, la pension alimentaire... Dans les romans de la Table Ronde, cette sanction c'est le rempart de l'Epée Divine jetée au milieu du couple adultère. Mais en fait aucun bien matériel ne peut être déposé en garantie d'un engagement de fidélité à des sentiments, à un idéal ou à Dieu. De ce fait la seule valeur garante de la fidélité c'est l'honneur. L'honneur, c'est cette soif, c'est ce désir de se montrer à la hauteur de ses engagements en les respectant fidèlement et sans mesure, en toute liberté sans crainte de sanction.

Mais, si l'honneur est une garantie, une valeur élevée et très personnelle, donc subjective, pour le F\ M\ un sentiment prévalant existe, c'est l'honneur de la loge et de la F\M\.Car le temple humain, fait de matériaux terrestres, est destructible comme l'honneur de l'homme, alors que les temples, faits de pierres vivantes que sont les F\M\, sont indestructibles comme l'honneur d'une loge.

Ce couple indissociable de l'honneur et de la fidélité est donc prestigieux et captivant.

Ces deux termes gravés et liés perpendiculairement sur l'équerre, symbole e la rectitude, de la justice et de la moralité, nous rappellent constamment 1'ensemble des engagements irrévocables que nous avons librement pris le jour de notre initiation ; ils nous entretiennent dans la voie de la régularisation de la pierre dégrossie.

L'équerre nous fait ressentir alors par ces deux mots « Honneur » et « Fidélité » que, jonction de l'horizontale et de la perpendiculaire, sa mise en ouvre procède de la conjonction, de l'idéation d'un concept, et de la mise en pratique activement et volontairement dérivée de celui-ci.

Ainsi, à l'occasion de l'initiation, le cherchant s’engage, sans voie de recours et sur son honneur, à pratiquer certains devoirs et à respecter certains préceptes, ainsi que la règle de l'Ordre. La mise en pratique de ces préceptes doit permettre à chacun de s'élever sur le chemin du principe suprême en mettant en oeuvre la fidélité. Le symbole de ce fidèle attachement mutuel des F\M\évoqué lors du passage nous rappelle ces mots attribues au G\A\ D\L\U\ « la justice ceindra ses flancs, et ses reins la fidélité. » Isaïe 11, 5.

Avant même l'existence des religions révélées, la voix, la lumière, l'omniscience et la puissance universe11e de ce principe suprême étaient symbolisées par l'ange. Ce premier reflet divin, ce bon principe, nous le retrouvons dans la symbolique de l'art sacré.
Cet ange, connu par sa fidélité face aux perfidies, par le travail accompli avec loyauté, amour et zèle, afin de préserver la fidélité de ses subalternes, est parfois rencontré en F\M\ associé à un compas, nous rappelant qu'honneur et fidélité doivent contrôler nos actions et déterminer les limites du bien et du mal. D'autre part, son nom hébreu Abdiel recèle secrètement cette vertu de fidélité : en effet, il est composé de deux racines Abd- et EI, Où El est un rappel à l'appartenance divine, au produit divin, et Abd désigne l'esclave, l'adorateur, le fidèle. Ce nom angélique, ésotérique, nous rappelle que, fruit d'une démarche librement consentie concentrée sur l'objet de la foi, la fidélité en plus de l'idée d'adoration renferme celles de persévérance et de souffrance dans le travail, et la lutte mène pour la préserver avec honneur dans sa perfection. En fait, cet ange est bien le réel symbole de la fidélité au G\A\D\L\U\ dont tous les éléments sont contenus dans le premier commandement :
« Tu adoreras Dieu seul ».

On pouvait lire récemment avec étonnement dans un sondage que les Français placent la fidélité en sixième position derrière l'amitié et la famille. Or, il apparaît bien que la fidélité est une composante commune essentielle et inévitable de chacune d'entre elles. Cette évidence a peut-être le tort de banaliser la fidélité, mais seule la fidélité permet de concevoir l'existence et la persistance de toutes les autres valeurs universelles, dont elle a encore le mérite d'assurer la maintenance.
Fidélité : cette manière d'exprimer sa foi, cette façon d'en témoigner par l'allégeance, la confiance et la persévérance en une croyance, ne s'oppose toutefois pas obligatoirement au rationalisme si, éclairée de quelques lumières, elle échappe à l'obscurantisme du fidéisme. La foi en Dieu restant en elle-même un mystère, et la fidélité étant une sorte de libre voie de communication entre l'homme et le divin; la fidélité, et donc la foi, permettent sans doute une élévation de la pensée qui tend à s'identifier à un principe supérieur dont la perception est bien induite par idée de l'attachement et de la fidélité, et implicite de la foi en la perfection. (1)

J'ai dit, V\M\ !

(1) Saint Anselme - Prologion (Fides quaerens intellectum – La foi en quête d'intelligence) 1077-78.

B\ V\


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