Obédience : NC Loge : NC 14/04/2000

 

L’attouchement

« Prendre, avec la main droite, celle de l’interrogateur, presser légèrement avec l’extrémité du pouce la première phalange de l’index et frapper par un mouvement invisible trois coups, les deux premiers rapprochés, le troisième plus espacé ».

Ceci est la définition de l’attouchement figurant dans l’instruction au 1er degré du G\O\D\F\ au rite français et ma toute première réflexion a été qu’il doit s’agir, avant toute autre chose, d’un lien de cœur entre deux personnes partageant les mêmes aspirations. C’est tout l’objet de cette planche.

Pour autant que je sache, cet attouchement se pratique essentiellement en 2 circonstances : à l’occasion du tuilage et, éventuellement, dans la vie de tous les jours. Bien qu’ayant été plusieurs fois Rue Cadet, je ne l’ai pas pratiqué puisque le tuileur m’a, chaque fois, fait l’accolade accompagnée du frappé sur l’épaule et en me demandant à l’oreille les mots de semestre. D’attouchement, point. En fait, la seule fois où je l’ai pratiqué, et encore était-ce un attouchement de circonstance, c’est lorsque notre F\G\E\ me l’a appris lors de mon initiation, il y a moins de cinq mois.

Ceci étant, la symbolique de l’attouchement du 1er degré, par ses 3 coups pressés comme il est dit dans la définition, est celle qui doit se pratiquer toutes les fois où l’apprenti doit communiquer : ainsi pour l’entrée du temple, pour la batterie et pour toutes les manifestations ternaires. Nous sommes là en plein dans la symbolique des 3 points du triangle, base de la trilogie en usage au G\O\D\F\. J’ai donc procédé à quelques recherches, modestes, qui  m’ont fait découvrir au fil de quelques lectures que pratiquer l’attouchement pouvait être délicat, voire dangereux, voire carrément déconseillé dans certains cas dont l’appréciation appartiendra à chaque F\ concerné.

Bien entendu, j’ai essayé de rendre mon travail sur l’attouchement le plus complet possible en étant conscient de mon inexpérience et de mes connaissances limitées mais, en tout cas, et je dois dire que cela n’a pas manqué de m’étonner, je l’ai fait avec une espèce de douce  frénésie en allant chercher des informations, puis d’autres appelées par les précédentes et ainsi de suite. Pour un travail qui m’avait semblé à priori anodin quand mon surveillant me l’a donné, mais évidemment il savait très bien ce qu’il faisait, imaginer d’en faire un livre ne me semble finalement pas impossible. D’ailleurs, il en existe peut-être et là je me suis volontairement retenu de le vérifier pour ne pas être tenté d’aller chercher des informations qui m’auraient peut-être bien aidé mais ce qui m’aurait sans doute supprimé les  plaisirs de la recherche et de mon apprentissage.

Voici donc le résultat de mes réflexions, en débutant par madame De Staël qui écrivait, évoquant les francs-maçons : « des hommes, dont le caractère a quelque profondeur, qui cherchent à se distinguer du reste des hommes par quelques signes ». Après réflexion, j’ai opté pour l’ambiguïté de cette phrase dont le côté positif avec la profondeur de caractère me semble assombri par la fin. L’œuvre de madame De Staël ne m’est pas toutefois pas familière et je ne sais pas si cette remarque sur les francs-maçons se veut une critique plus ou moins négative ou une observation positive.

Se serrer la main est pour l’humanité un acte civil très ancien duquel ne peut se dissocier l’attouchement maçonnique mais je ne suis pas sûr du tout, si tant est que la franc-maçonnerie soit présente dans ces pays, que des Japonais, les Asiatiques en général, sans parler des Esquimaux qui paraît-il se frottent le nez pour se saluer, puissent aisément le pratiquer, du moins tel que nous le concevons. Nous savons aussi que les Templiers se serraient les mains et les avant-bras d’une manière particulière pour se saluer ; certains historiens établissant une relation directe entre eux et les F\M\, nous pouvons peut-être trouver là une des origines de l’attouchement. Origine sûrement intermédiaire puisque j’ai trouvé des traces plus anciennes, très anciennes même dont je parlerai plus loin.
                                                                   
Pour les autres, c’est-à-dire nous tous qui nous serrons les mains à titre de salut, l’attouchement peut être un signe supplémentaire de reconnaissance mais aussi, et surtout, le PREMIER signe de reconnaissance éventuel. Pour ma part, je ne l’ai pas encore pratiqué ; aussi serai-je extrêmement attentif à le faire ou non quand je jugerai me trouver dans une situation appropriée. 

Quoi qu’il en soit, je suppose qu’après une rencontre dont je pourrais penser que la personne, par son comportement, puisse être un  F\M\, lui serrer la main pour lui dire cette fois « au revoir » et pratiquer l’attouchement à ce moment-là peut être le bon moyen de me faire reconnaître si j’en ai envie ou si  je souhaite savoir pour l’autre personne.

Toutefois, il y a encore moins de quatre mois, j’ignorais jusqu’à l’existence même de ce signe. Je suppose donc qu’il en est de même pour la plupart de mes concitoyens et, dans ce cas, si la personne en question n’est pas un F\M\, elle en sera quitte à se questionner sur la signification de mon geste.

Alors,  je m’interroge quant à l’interprétation éventuellement ambiguë, voire négative, de ce geste vis-à-vis de ma personne, donc de ses conséquences elles aussi éventuellement ambiguës voire négatives et cela conforte mon intention d’être très prudent, voire, pourquoi pas, attentiste, avec le risque, dans cette hypothèse, de rater quelque chose. Mais se dévoiler à un profane me semble être un aléa potentiellement plus grand que le risque de peut-être rater quelque chose de positif. L’extrême prudence s’impose donc dans tous les cas et cette prudence pourra toujours s’exercer par d’autres moyens de reconnaissance, par exemple au fil d’un dialogue de plus en plus précis.

Ceci étant, j’ai pu vérifier dans un Manuel des convenances et des bonnes manières (édition de 1959) qui est dans ma bibliothèque  que, je cite : « la poignée de main, entre égaux, se donne sans élever la main, sans la secouer, par un unique et léger mouvement de haut en bas ». Le manuel précise « entre égaux », ce qui va plutôt bien avec notre philosophie mais qui indique peut-être, dans l’esprit du rédacteur, qu’il puisse exister des différences entre personnes.

Ces éventuelles différences ne sont d’ailleurs pas forcément négatives car il pouvait être fait allusion à des différences de grades militaires, par exemple, ou encore une poignée de main entre un homme et une femme. Néanmoins, au plan des convenances, l’attouchement semble donc correct et facilement applicable sans digression.
                                                                                                                          
J’ai voulu en savoir plus et j’ai donc feuilleté quelques livres et dictionnaires, maçonniques et profanes. Ainsi, je me suis rappelé qu’en géométrie « le point où des lignes se touchent sans se couper est appelé point d’attouchement ». J’aime beaucoup cette définition dont il me semble qu’elle peut s’intégrer à notre symbolisme d’autant que les mathématiques sont indissociables de l'architecture. Ainsi, un F\M\ qui pratique l’attouchement en serrant la main d’une autre personne le fait par la simple action de la toucher sans l’offenser  – au contraire -,  sans interférer dans sa vie, sans passer sa ligne de liberté personnelle DONC sans se heurter mutuellement ou plutôt sans se couper comme il est dit des lignes de géométrie. Sur ce point précis, j’espère seulement n’avoir pas dit d’ânerie puisque nous avons maintenant un professeur de mathématiques parmi nous.

Tout ce que je viens de dire relève de la vie contemporaine de l’attouchement maçonnique et il est bien  possible qu’il y ait d’autres détails – ou plus que des détails d’ailleurs – que je ne connais pas encore.

Pour ce qui est de l’histoire plus ancienne, sans toutefois reparler des Templiers,  il a été établi que leurs métiers manuels imposèrent aux maçons du moyen age l’invention de signes et de mots de passe. On peut toujours penser que l’attouchement était un de ces signes.

Egalement au chapitre de l’histoire ancienne toujours génératrice de nos actes modernes, le F\ Robert Freke Gould, écrivain anglais F\M\, écrivait ceci, au début du XX° siècle, dans son Histoire de la Franc-Maçonnerie, je cite « L’usage des signes et des mots de passe par les maçons anglais du moyen age constitue une véritable conjecture et devient probable ou improbable selon que nous affirmons ou que nous nions que les coutumes des francs-maçons actuels sont un héritage des temps anciens. Mais il n’existe aucune évidence pour soutenir qu’elles furent inventées sous la pression de la nécessité ».

Il est intéressant de noter cette incertitude dans l’esprit du F\ Gould dont j’ai cru comprendre que l’œuvre faisait toujours référence. Il laisse ainsi entendre que les signes en question, et probablement l’attouchement parmi eux, n’ont pas été créés comme une nécessité que nous estimons cependant indispensable de nos jours.

Nous pouvons raisonnablement déduire que l’attouchement, signe parmi d’autres signes, remonte très loin dans les temps d’autant que nous savons, avec certitude cette fois (Les Trois siècles de la maçonnerie française par André COMBES) que, vers 1740, la simple cérémonie de réception devint une véritable initiation du profane, assortie d’un rituel qui s’étoffa ensuite au fil des années mais déjà doté de signes de reconnaissance.

Avant de conclure, je tiens à vous dire que je suis allé chercher d’autres informations dans l’Histoire et Initiation de la Franc-Maçonnerie (1975) de Christian Jacq. Au sujet de l’attouchement, il raconte avec force détails que les enfants d’un certain LAMECH, descendant d’ADAM, créèrent la géométrie et la musique pour JABAL quand TUBALKAIN créait l’alchimie et l’art de forger. Ils inscrirent les résultats de leurs découvertes sur 2 grandes colonnes de pierre puis le déluge engloutit tout sauf, justement, les 2 colonnes qui furent ensuite retrouvées par un certain HERMES, ou HERMORIAN, qui prit alors le nom de NEMROD.

Celui-ci se mit à édifier des tours, des palais, des temples et apprit à tous ses frères maçons des signes et des attouchements rituels qui leur permettraient de se reconnaître entre eux dans n’importe quel pays.
                                                                                        
Je ne sais pas si cette trace est admise comme plausible. L’est--elle ? Dans ce cas, on pourrait dire que l’attouchement, évidemment pas forcément dans sa forme actuelle, est aussi vieux, ou presque, que le monde.
 
Pour conclure, je voudrais vous citer cette jolie phrase de George Sand :
                
« L’attouchement d’une main pure et bien vivante pouvait écarter le mal ».

Une rapide analyse m’a permis d’y trouver, presque à chaque mot, pour ne pas dire tous, un sens maçonnique :
           
Ainsi de cette main qui, donc, pratique l’attouchement. Cette main qui est pure et je pense à ce but ultime qu’est la perfection vers laquelle nous devons toujours tendre. Cette main qui est vivante, donc libre, humaine. Cette main qui a le bien en elle, donc évocatrice de fraternité, d’égalité. Finalement voilà une belle phrase mais bien mystérieuse, pour moi en tout cas, dont je doute qu’elle ait un rapport avec la franc-maçonnerie – quoique… - mais je m’arrête là car cette analyse pourrait être beaucoup plus appuyée et je me suis déjà autorisé une grande liberté.

Pour conclure vraiment cette fois, je ne peux m’empêcher de vous dire qu’une citation de Montesquieu a rythmé en permanence mes réflexions et j’avoue que je n’arrive pas à savoir pourquoi car elle ne semble pas avoir de rapport avec l’attouchement. Et pourtant j’ai cherché. « La liberté est de faire tout ce que les lois permettent » extraite de « De l’esprit des lois ». Il est vrai que ces mots sont toujours en moi et ceci explique peut-être cela. 

J’ai dit, V\ M\.

R\ N\


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