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Mort et résurrection

« MEMENTO MORI » (souviens toi que tu es mortel), souffle l’esclave à l’IMPERATOR sur son char, pour lui rappeler à son triomphe que la Roche Tarpéienne est proche du Capitole ; afin qu’il ne soit pas tenté de se prendre pour un dieu, de franchir le Rubicon, d’imposer sa tyrannie et de menacer la République…

On sait ce qu’il advint de Rome et de la République…

Il en est ainsi des civilisations comme des hommes et la dialectique du maître et de l’esclave que nous enseigne Hegel nous montre comment des hommes en quête de reconnaissance et de pouvoir acquièrent puissance, richesse et gloire puis finissent toujours par être subjugués et aliénés par plus puissants qu’eux.

« Tu es glaise et tu retourneras à la glaise » (Gn 3 - 19) : dès la chute de l’Eden, l’homme sait qu’il est mortel. C’est ce qui le distingue de la bête : celle-ci ne sait pas qu’elle va mourir, bien qu’elle soit est mue par l’instinct de survie. Dès que nous avons conscience du « moi », dès que nous pensons, nous savons que nous mourrons.

L’idée de la mort est indissociable de l’idée d’une vie après la mort : l’intuition d’un au-delà, la quête d’une métaphysique, sont profondément enracinées dans la mémoire de l’homme et dans son histoire.

La religion a pour objet d’établir un lien entre les hommes et le divin. Elle s’est inscrite à l’origine dans une relation de subordination et d’allégeance au surnaturel. Mais elle a évolué ensuite en la quête d’un salut des âmes, d’une vie éternelle pour les élus ou les initiés.

Depuis plus de deux millénaires, la plupart traditions religieuses indo-européennes (zoroastrisme et ses avatars - culte de Mithra, manichéisme ; judaïsme, christianisme et islam ; indouisme, etc.) se sont côtoyées, affrontées et confrontées, pour proclamer chacune à sa manière la transcendance de l’esprit sur la matière et la foi en une promesse pour l’élu ou l’initié d’un salut possible de l’esprit après la mort charnelle.

La tradition chrétienne transmet la promesse très élaborée d’une résurrection, d’une vie après la mort. Ce salut promis viendra en contrepartie d’une rédemption, d’un rachat des fautes commises, dont notamment le péché originel. En acceptant de mourir sur la croix, le Christ se sacrifie pour le rachat de nos péchés, et nous montre la voie du salut, par amour du genre humain. Pour le chrétien, la résurrection est la promesse d’une rédemption, d’un rachat de ses fautes.

Élu, initié : qu’est-ce qui les distingue l’un l’autre ? L’élu pense avoir été choisi, avoir reçu la grâce divine qui lui procurera le salut et la résurrection dans l’au-delà. L’initié, lui pense pouvoir choisir, exercer son libre-arbitre et accéder à la connaissance.

La tradition philosophique et ses nombreuses écoles ont, depuis l’Antiquité hellénistique, largement contribué à faire évoluer la pensée religieuse et la connaissance profane. Notre tradition maçonnique emprunte à toutes ces traditions nombre de thèmes et de symboles.

Si le Franc-maçon régulier affirme sa croyance au G\ A\ D\ L’\ U\, sa quête n’est cependant pas celle d’un salut dans l’au-delà, mais celle d’abord, plus humble, d’une amélioration de soi en ce bas monde, par l’introspection, la connaissance de soi. Il aspire ensuite à rayonner et contribuer à améliorer le sort de ses proches et de ses semblables.

Symboliquement, la mort et la résurrection sont les tenants et les aboutissants de notre démarche initiatique. En fait la mort, qui plus est violente, est omniprésente à tous les degrés de la vie maçonnique.

Dès le Cabinet de réflexion, l’impétrant est mis à l’épreuve. Je me souviens de ces symboles de vie et de mort qui m’ont agressé et subjugué lors de mon initiation : VITRIOL : le coq, la faux et le sablier, la tête de mort, le testament…

La faux représente la mort. Elle renvoie aussi à l'image du dieu et titan grec Cronos. Celui-ci était fréquemment représenté portant un globe surmonté d'une faux. Cronos (qui signifie également temps en grec, d’où le sablier) est le père des dieux de l'Olympe, dont Zeus notamment. Cronos acquit le pouvoir suprême par un crime, en émasculant son propre père Ouranos. Mais perpétrant les souffrances que lui et ses frères avaient subies, il se mit à dévorer ses propres enfants de peur que ceux-ci ne lui dérobent ses pouvoirs. Au sixième enfant, son épouse Rhéa, lassée de ces infanticides, lui donna une pierre à manger et cacha le dernier-né, Zeus, dans une grotte pour qu’il grandisse à l’abri de son père.

Devenu adulte, ce dernier défia son père, le défit, le força à vomir tous ses frères et soeurs et prit le pouvoir sur l’Olympe après avoir vaincu les Titans. Exilé sur Terre en qualité de simple mortel, Cronos fonda alors une communauté agricole, désignée par les Anciens sous le nom d'Âge d'Or. De là viendrait l'attribut de la faux, outil qui symbolise les récoltes, et de cette manière les saisons qui rythment l'existence et que Cronos crut pouvoir maîtriser en aliénant les générations futures pour conserver son pouvoir.

Plus tard, lors de la cérémonie d’initiation, la scène de la mise à mort du traître à son serment est tout aussi édifiante : le chemin de l’initié est ouvert certes, mais il n’est pas sans risque pour l’impétrant distrait ou irresponsable !

C’est également le lot de l’homme d’honneur qui s’engage à « verser jusqu’à la dernière goutte de son sang pour la défense de ce corps respectable - la Franc-maçonnerie - et celle de ses frères ».

Le calice d’amertume, n’évoque-t-il pas le destin tragique de Socrate, condamné pour impiété et corruption de la jeunesse ? Il but la ciguë après avoir passé ses dernières heures à disserter avec ses amis. Interdit d’enseignement par les autorités de sa cité, il s’était attiré la haine en remettant en cause certaines traditions religieuses. Lors de sa condamnation, il eut la possibilité de proposer une peine alternative à la mort afin de laisser ses juges choisir laquelle serait la plus appropriée. Refusant de compromettre ses idées, il demanda à être honoré par la cité. De même, il n’accepta pas de s’enfuir, jugeant la soumission à la loi comme un fondement de la justice. Il fut rapidement réhabilité et honoré après sa mort tandis que ses accusateurs furent exilés. Depuis, ce sens de l’honneur, cette liberté de pensée et d’acceptation de la mort au nom de la loi ont marqué les esprits pendant des siècles.

Tout est dit, tout est écrit : vigilance et persévérance. À moi d’observer, de ne rien oublier et par mon travail, avec mes moyens et suivant mon inclination, de m’enrichir en exploitant le foisonnement redondant de tous ces indices qui me sont donnés comme autant de présents riches de promesses.

Le décor est posé, sans équivoque : la mort, voire le meurtre, et ce qu’il advient ensuite sont bien le cœur de notre sujet.

Le premier degré est une prise de conscience. L’apprenti est à l’image de cet enfant de trois ans qui s’est abstrait de sa mère, de son père et des autres, et qui sait se nommer et nommer les autres. Il a pris conscience de soi.

Ce profane renaissant au grade d’apprenti fait la découverte de son ego en visitant le centre de la terre et en rectifiant pour découvrir la pierre cachée. Pour y parvenir il doit mourir symboliquement aux préjugés vulgaires pour renaître dans l’enceinte sacrée du temple. Cette mise en scène offre à l’impétrant de vivre intensément ce passage au terme duquel, par la vue et l’étude des symboles, il commencera à entrevoir le pâle reflet de la Lumière, sur la colonne du Nord.

Au second degré, à cinq ans, le maçon est devenu cet adolescent, autonome, qui se meut et qui s’ouvre sur le monde pour accéder à la connaissance. Il est autorisé à transgresser les idées reçues, à l’image de la marche du compagnon et son écart sur le côté.

Ici, à nouveau, violence et mort sont toujours présents. En effet, que signifie SHIBOLLETH, si ce n’est le symbole le plus violent qui soit du préjugé vulgaire ? Des hommes sont morts par le fait de l’arbitraire, parce qu’ils ne savaient pas prononcer ce mot… N’est-ce pas le but de la franc-maçonnerie de faire en sorte que cela n’arrive plus jamais, que l’intelligence, le coeur et la morale remplacent définitivement l’ordre moral, l’intolérance et l’arbitraire ?

À sept ans, au troisième degré, le maître maçon a atteint l’âge de raison. Et par quoi commence la cérémonie d’élévation au grade de maître ? Par une mise à mort.

Tout comme en psychanalyse où il faut tuer le père pour devenir adulte, l’accès à la maîtrise requiert une mise à mort. À l’image de Zeus après Cronos, il nous est offert d’acquérir le pouvoir par la mise à mort du vieil homme.

Quel est le sens de cette mise à mort ? Ces trois mauvais compagnons qui se voient refuser par le Maître Hiram de les initier aux secrets de son art, n’est-ce pas moi qui, en pleine force de l’âge, plein d’orgueil et de mon savoir si neuf, aspire à une reconnaissance plus qu’à la connaissance ?

Le fondement de la démarche maçonnique est tout en dialectique, tout comme le grand œuvre alchimique dont elle s’inspire : analyse puis synthèse, ou thèse, antithèse puis synthèse. Blanc et noir, mercure et sel, vie et mort, ténèbres et lumière, mort et résurrection… Pour rassembler ce qui est épars, concilier les contraires, trouver la voie du milieu, maîtriser ces passions qui sont en moi et que je ne saurais éliminer, car elles sont moi. Les refouler me conduirait à la frustration qui est une autre forme d’aliénation…

Alors il me faut disséquer et analyser ; séparer, puis rassembler, synthétiser pour tirer de cette matière qui est mon sujet, de ces symboles, de ces mythes, de cette mise en scène, le sens de MA quête spirituelle. Personne ne pourra faire cela à ma place : c’est un vieux compte que j’ai à régler avec moi-même.

La finalité de la mise en scène n’est pas de m’enseigner le vrai et le faux. On ne me demande pas de prendre parti pour Hiram et pour condamner les mauvais compagnons. On m’offre de critiquer, dans le sens positif du terme, pour trouver du sens. Les mauvais compagnons c’est moi, mon surmoi, mes pulsions mes passions. Hiram, c’est moi aussi, c’est mon devenir, c’est la promesse qui m’est offerte de devenir un sage si je réussis à dominer mon surmoi, vaincre mes passions et soumettre ma volonté pour faire de nouveaux progrès.

Le Maître assassiné n’est-il pas appelé à renaître dans tous ses disciples lorsque ceux-là auront réussi à rassembler tout ce qui est épars et à lui donner une sépulture digne ?

C’est d’ailleurs le sens profond du message du Christ. Celui-ci est mort sur la croix par amour pour nous, mais il est appelé à renaître dans chacun d’entre nous qui choisira de l’accueillir dans son cœur. Voilà le salut pour le chrétien.

L’ego a poussé ces trois mauvais compagnons à passer l’acte, par vanité, par jalousie, par manque d’amour. Cela signifie bien que je ne pourrai jamais m’élever, distinguer le subtil de l’épais, me sublimer, tant que je ne comprendrai pas le sens de l’humilité, de la tolérance et de la compassion, en un mot de l’amour.

Le voilà ce cercle vicieux de cette dialectique qui fait que l’histoire de l’humanité se résume à une mauvaise comédie où l’esclave ne rêve que de prendre la place du maître pour l’aliéner à son tour, ce qu’il finit par réaliser avant d’être lui-même condamné à subir ce sort.

L’amour, n’est-ce pas cette énergie, ce feu qui permet la sublimation, cette fusion des contradictions apparentes, cette force magique qui accomplit l’œuvre rouge et qui est au coeur du mystère de la vie ?

« Souviens-toi que tu es mortel » : c’est cette prise de conscience que nous pouvons tout perdre à tout moment - notre vie physique (coup à l’épaule), notre âme (coup à la nuque) et notre vie spirituelle (coup au front) - quelle que soit notre force physique, notre savoir ou notre force de caractère.

Caïn a tué son frère Abel par manque d’amour, par jalousie et orgueil. Ne sommes-nous pas tous ses descendants, comme de Seth aussi d’ailleurs ? Il est curieux devoir comme les Ecritures sèment la confusion sur ce point : n’y a-t-il pas deux Enoch et deux Lamek parmi les patriarches, les uns descendant de Seth et les autres de Caïn ? Noé et Tubalcaïn eurent tous deux pour père un Lamek.

Noé ne fut-il pas fut le premier élu ? Tubalcaïn, descendant de Caïn ne fut-il pas le premier initié, l'inventeur de l'art du forgeron et des autres arts des métaux, c'est-à-dire, du cuivre, du fer, de l'or et de l'argent ?

Dieu choisit Salomon, de la lignée de Seth, pour construire une demeure en l'honneur de son nom, afin que la sublime spiritualité d'une longue lignée d'ancêtres, divinement guidés, s'épanouisse dans la conception du magnifique Temple qui portera le nom de l’élu, bien que celui-ci n’ait été que l'instrument chargé d'exécuter le plan divin révélé à son père David.

Salomon était incapable de réaliser en forme concrète le dessein divin. Il dut s'adresser au Roi Hiram de Tyr, descendant de Caïn, qui choisit Hiram Abi, le fils de la veuve. Ce dernier, grand maître d'une armée de constructeurs apporta tout le savoir-faire dont les enfants de Caïn avaient permis l’essor. Sans lui, le plan de Jéhovah serait toujours demeuré un rêve divin, sans réalité concrète. La perspicacité terrestre des Fils de Caïn était aussi nécessaire à la réalisation du temple.

Ce qui peut réunir les hommes, au-delà de ce qui les sépare, c’est bien l’amour, l’amour du vrai, du beau et de ce qui est juste : « sagesse, force, beauté ».

Le serment renouvelé « d’aimer ses frères, de les secourir et de leur venir en aide », tout comme le signe de détresse, ne marquent-ils pas ce devoir d’amour du maître maçon sans lequel celui-ci ne pourra s’élever et aller plus loin ?

Aimer c’est prendre conscience qu’une part de l’autre est en moi, qu’une part de moi-même est dans l’autre, tous les autres. Cette mise à mort d’Hiram m’a conduit à cette prise de conscience : en choisissant de me détacher de moi-même pour me tourner vers les autres, en choisissant de donner plutôt que de recevoir, en choisissant l’honneur plutôt que la notoriété, je peux enfin espérer m’élever.

Ce sens du devoir, de l’honneur et ce sublime détachement de soi offerts à notre sens critique ne sont-ils pas le véritable enjeu de notre résurrection spirituelle ?

J’ai dit.

O\ M\


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