GLMF Loge : NC - Orient de Calvi 01/03/2011


La Résurrection

"Si l’initiation enseigne à mourir, ce n’est pas pour préconiser l’anéantissement. Ce qui, de toute certitude, n’existe pas, c’est le Néant ! Y aspirer correspond à l’idéal le plus faux qui puisse se concevoir, car rien ne se détruit, tout se transforme. Loin de supprimer la vie, la mort pourvoit à son perpétuel rajeunissement. Elle dissout le contenant, afin de libérer le contenu que l’on peut se représenter comme un liquide incessamment transvasé d’un récipient périssable à un autre, sans que jamais il s’en perde une goutte."


Ainsi s’exprime Oswald Wirth au début de son commentaire sur la Tempérance, arcane XIV du "Tarot des Imagiers du Moyen-Âge", qui montre un "fluide vital versé d’une urne d’argent vers une urne d’or", image de la vie perpétuelle.

Il y a une différence fondamentale entre le concept de résurrection et celui de renaissance. La première évolue dans le monde terrestre ; la seconde met en scène un autre monde.

La résurrection suppose que l’individu reprend vie dans les lieux mêmes où il a vécu, dans une configuration physiquement identique à celle qu’il possédait avant sa mort. Osiris, Lazare, Jésus en sont les paradigmes. La résurrection n’est offerte qu’aux âmes méritantes.

La renaissance est un retour à la vie après la mort, mais dans un au-delà imaginaire, dans un monde différent, ou dans une forme différente de la précédente. C’est le type de "réincarnation" ou "métempsycose" élaboré par les philosophies bouddhiste ou hindouiste, parfois considérée comme une punition de l’âme ou du corps.

C’est l’allégorie que figure l’Ouroboros, le serpent cyclique qui se mord la queue. C’est aussi le message que suggère Jean dans l’Apocalypse (22,13) "Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin."

Depuis Aristote, jusqu’aux études les plus récentes sur la biologie cellulaire, il est établi que les cellules, et notamment celles du cerveau humain ne se régénèrent pas quand elles meurent. Certaines se multiplient, créant à l’identique le programme pour lequel elles ont été déterminées : ongle, œil, peau, etc. ; d’autres – les cellules souches – peuvent donner naissance à différents organismes. Mais, en tout état de cause, elles procèdent toujours par mitose depuis le blastomère d’origine, par division cellulaire d’une cellule-mère ; jamais à partir de l’incréé ou de la réviviscence d’une cellule morte.

Le Professeur Hugo Lagercrantz, auteur de nombreux travaux sur la mort cellulaire, l’apoptose, remarque que "chez l’embryon humain presque la moitié des neurones disparaissent à partir de la 28ème semaine." Dans certains points de contact du corps en formation, ce sont près de 85% des cellules qui vont mourir dès les premières semaines de l’embryon. C’est d’ailleurs, et fort heureusement, cette mort programmée des cellules constituant la palmure originelle qui individualise chaque doigt de la main.

La résurrection est donc inconnue du processus biologique. Et lorsque Malebranche voulait prouver la résurrection des chenilles par le fait qu’elles deviennent papillons, Voltaire écrivait, sarcastique, dans son Dictionnaire Philosophique que "cette preuve est aussi légère que les ailes des insectes dont il l’emprunte."

Pour approfondir le concept de résurrection, il faut d’abord s’attacher au rapport que nous entretenons avec la mort. L’intelligence humaine se perd dans l’insondable peur de n’être plus. J’emprunte à Alain Decaux dans son ouvrage "l’Avorton de Dieu" cette phrase qui résume notre angoisse : "Si la mort est pour chacun au bout de la route, la peur, au moment de basculer, découle de cet inconnu qui menace."

Est-ce pour cette raison que notre conception de la mort s’analyse plus comme une absence "provisoire" que par une réelle certitude de non-devenir ? Est-ce pour cette raison que le mot français cimetière, emprunté au cœmentarium latin, lui-même dérivé du κοιμητήριον (koimètèrion) grec, signifie lieu de repos ?

Nous vivons, nous réfléchissons, nous échafaudons, nous construisons, nous amassons jusqu’au dernier éclair de conscience qui nous montre finalement la réalité crue d’une vie qui s’achève sur rien ! "Vanité des vanités. Tout est vanité et poursuite du vent."(Écles. 1,2). Tout ça pour ça ?

J’ai passé mon existence terrestre, matérielle, à cueillir des vies sur le bord du chemin, sans imaginer une seconde que je faisais cesser une existence : une pâquerette, une coccinelle, un oiseau, un animal de boucherie, voire mon semblable. Rarement la mort de l’autre, sauf le chagrin de l’absence, nous renvoie à l’idée de notre propre mort. Et encore, ce chagrin est-il plus une forme d’apitoiement sur notre propre sort – comment vais-je continuer à vivre sans l’autre ? – qu’une véritable compréhension de la fin de la vie de l’autre.

Dans "L’Âme et la Vie", Carl-Gustav Jung posait la question cruciale du devenir : "Y aurait-il une activité vivante par-delà le monde quotidien des hommes ?" et il ajoutait en guise de réponse : "[La résurrection est] en langage chrétien, une « délivrance » des liens du monde et du péché. […] c’est une affirmation qui appartient, d’une manière générale, aux toutes premières affirmations de l’humanité."

À partir du moment où l’homme individu, dicté par un instinct grégaire, s’est organisé en meutes, puis en tribus, il a établi une relation affective avec son semblable, sur plusieurs niveaux d’échanges : domination/soumission, crainte/joie, haine/amour.

Ainsi, l’être humain a éprouvé ce besoin de conserver l’essence, la présence spirituelle du disparu, à défaut de sa présence physique. Ce désir transcende l’homme et trouve son expression dans l’art et dans la religion. Nous survolerons un peu plus tard le point de vue de la psychologie sur le contenu de cette présence.

Longtemps avant que les croyances s’organisent en dogmes puis en religions, Omo sapiens "humanisé" a refusé de concevoir que la dépouille de son enfant mort soit livrée aux carnassiers ou abandonnée à la putréfaction. L’absence physique suffisait à sa peine ; il a voulu s’épargner le spectacle de la désagrégation du corps. Il a donc construit une sépulture pour le défunt, afin que l’œuvre de la nature s’effectue à l’abri du regard.

Ce faisant, il a ritualisé les funérailles, en parant le mort de vêtements et de bijoux, en déposant à ses côtés ses objets familiers, comme nous le ferions aujourd’hui d’une peluche… Puis de la nourriture pour assurer la transition ; puis des offrandes pour que les forces chtoniennes soient favorables aux morts – comme aux vivants. Enfin, dans une relation plus élaborée avec les puissances occultes, oubliant qu’il les a lui-même engendrées, l’homme a offert des sacrifices sensés apaiser la soif sanguinaire des dieux. Sang pour sang. On peut imaginer comme suit, sans grand risque d’erreur, le dialogue entre l’homme et son dieu : "Voici, Dieu du ciel, j’égorge pour toi l’agneau premier-né mais épargne le reste de mon troupeau ; je sacrifie cet homme à ta colère (en fait, le prisonnier de la meute rivale) mais protège ma descendance." Jusqu’au pseudo-sacrifice d’Isaac sur la montagne de Morija…

C’est là que s’installe progressivement la perception de l’inconcevabilité de la mort, de son impossible irréversibilité. Puisque le soleil revient après la nuit, puisque la graine enfouie a germé et produit, puisque la nature reverdit après les longs mois glaciaires, puisque les animaux qui avaient disparu pendant l’hibernation ressortent vivants de leurs terriers, il peut en être de même pour le défunt. Il DOIT en être de même !

Et dans l’espérance d’un monde autre, forcément meilleur, pour atténuer la désespérance de la finitude, la pensée va élaborer tantôt au centre de la terre, tantôt accompagnant le soleil dans sa course au-delà du ciel visible, comme le rapporte Jacques Soustelle qui a étudié les croyances animistes des indiens Lacandons du Guatemala, un univers où le mort pourra "mener une existence exempte de soucis."

C’est sur le discernement de cette espérance que se fondent les mythes de renaissance – que nous n’aborderons pas – et de résurrection.

Le psychanalyste Bruno Bettelheim a parfaitement illustré la fonction thérapeutique des contes de fées qui mettent en scène mort et résurrection : Blanche-Neige, le Petit Chaperon Rouge, la Belle au Bois Dormant, et l’espérance qui s’en dégage.

J’ai dit, en début de propos, que la résurrection, qui se mérite, est un passage de l’état de mort à l’état de vie (sur ce plan, c’est donc un synonyme de re-naissance) mais que ce retour à la vie se produit dans le monde du réel et non dans un au-delà invisible. La résurrection des corps est physique quand elle est supposée adopter les mêmes caractéristiques physiques que celles de la vie précédente. La résurrection peut aussi être spirituelle et concerner l’âme détachée de son enveloppe charnelle.

Les grandes religions s’affrontent sur cette doctrine, et au sein d’une même religion, les deux tendances peuvent coexister. En effet, pour les partisans de la doctrine paulinienne, comment concevoir la résurrection physique des corps ?

À quel âge le défunt va-t-il ressusciter pour une nouvelle vie éternelle ? À sa naissance ? À l’adolescence ? À l’âge qu’il avait au moment de sa mort ? Grabataire, perclus, légume bavant pour le reste de l’éternité ? La résurrection peut être individuelle à l’exemple de celle d’Osiris ou de Lazare ; elle peut être collective, comme celle dont vont bénéficier les élus au jour du Jugement.

Étymologiquement, le mot résurrection, est construit sur le latin resùrgere signifiant réapparaître. Dans le sens qui nous intéresse, il est à rapprocher du terme grec ανάστασις (anastasis), qui évoque l’action de se re-lever (sous entendu : d’entre les morts).

Qu’elle est la démarche des différents courants de pensée ?

La notion de résurrection ne peut être appréhendée qu’en même temps qu’est appréhendée la notion de mort.

Ainsi, le Pasteur Maurice Leenhardt, ethnologue spécialiste de la culture Kanak, a déterminé que pour cette ethnie proche de nos ancêtres néanderthaliens, il n’y a pas de cessation de la vie et qu’il n’existe donc aucun mot pour désigner la mort. Je le cite : "On ne meurt pas, on défunte, selon l’expression des méridionaux, de functus = sorti de sa fonction." Le défunt est en quelque sorte désaffecté de la société visible. Il n’y a donc pas de résurrection puisqu’il n’y a pas de mort véritable.

Malgré de notables différences d’interprétation, il n’est retrouvé aucune conception de résurrection dans les sociétés dites primitives : Bantous, Maoris, Iakoutes ou amérindiennes. De même, les religions "naturistes" des civilisations slave, balte, scythe et celte ne laissent entrevoir aucune allusion à la résurrection. Pour une raison simple : l’immortalité de l’âme se fond dans la pérennité de la nature. Pour qu’il y ait résurrection, il faut d’abord qu’il y ait mort. L’univers ne peut pas mourir, il se poursuit au-delà des existences qui se prolongent.

Grâce à une importante documentation condensée par l’Égyptologue Christiane Desroches-Noblecourt, nous savons que ce sont les Égyptiens d'Héliopolis, dès la VIème Dynastie, soit 2500 ans avant notre Ère vulgaire, qui évoquent pour la première fois la résurrection de leur roi en l’associant à la renaissance de l’astre solaire. Hérodote voit dans le fleuve Nil – ou plutôt dans l’action de ses eaux fécondantes – la représentation du dieu de la vie et de la mort alternées, le symbole de la régénération perpétuelle.

La symbolique de la résurrection va pleinement s’exprimer dans le culte osirien dont je rappelle les grandes lignes. Geb, dieu de la Terre et Nout, déesse du Ciel eurent cinq enfants représentant les cinq jours supplémentaires de l’ancien calendrier. Quatre de ces frères et sœurs nous sont connus : Osiris et Seth les garçons ; Isis et Nephthys les filles. Seth hérite de la Haute-Égypte, montagneuse et aride ; Osiris se voit attribuer la Basse-Égypte, terre féconde et luxuriante. Les quatre frères et sœurs vont s’épouser. Par pudeur, mais la légende nous réserve d’autres allusions, je passe sous silence la thèse d’Étienne Drioton qui, en 1952, évoque les rapports clandestins entre les deux sœurs Isis et Nephthys…

Seth et son épouse-sœur Nephthys, Osiris et son épouse-sœur Isis correspondent, selon Plutarque aux deux principales divisions administratives, les Nomes, et les liens incestueux représentent les mariages endogamiques en vigueur au sein des deux "royaumes".

Seth, jaloux, fait secrètement confectionner un coffre richement décoré, à la dimension exacte du corps d’Osiris. À l’issue d’un banquet, Seth invite chacun des soixante-douze convives à essayer le coffre, promettant de l’offrir à celui qui parviendrait à s’y coucher. Dès qu’Osiris y a pris place, le coffre est refermé, cloué et jeté dans le Nil qui l’entraine jusqu’à la mer.

Là, nous sommes en présence de trois versions :

-                     selon le Texte des Pyramides, Isis et Nephthys retrouvent le corps d’Osiris en pleine décomposition. Leurs parents, Geb et Nout parviennent à reconstituer les membres et Râ ordonne au cadavre de ressusciter. Désormais, Osiris "ne se corrompt, ni se décompose."

-                     selon un document datant du Moyen-Empire, la Stèle C 286 conservée au Musée du Louvre, Râ, ému par les lamentations d’Isis envoie Anubis pour procéder aux funérailles. Anubis rassemble les os détachés et les morceaux épars de la dépouille d’Osiris, les entoure de bandelettes, constituant ainsi "la première momie." Osiris porte ainsi le nom de Ounen-Nefer, "l’Être perpétuellement beau", c'est-à-dire protégé de la putréfaction.

-                     la troisième version rapportée par Plutarque fait allusion à certains textes égyptiens selon lesquels le coffre aurait dérivé jusqu’à Byblos, sur les côtes de Phénicie, où il est demeuré emprisonné entre les racines d’un éricacée. On notera que le culte d’Adonis, célébré à Byblos, s’apparente au culte osirien. Isis se rend à Byblos où le roi Malcandre lui restitue le coffre contenant les restes de son époux, qu’elle cache dans les marais de Bouto. Au cours d’une chasse de nuit, Seth découvre le coffre qu’il fracture, découpe le corps en quatorze morceaux qui seront éparpillés dans le Nil. Isis recommence sa quête, parcourant le marais du Delta sur une barque de papyrus. Elle retrouvera, les uns après les autres, treize fragments du corps d’Osiris, à l’exception du phallus dévoré par le poisson oxyrhynque.

Aidée de sa sœur Nephthys, Isis va rassembler le corps d’Osiris pour lui insuffler le souffle de vie, et reconstituer le phallus en argile. Sur cette étincelle de vie, Isis transformée en milan se pose en battant des ailes sur le cadavre qui ressuscite aussitôt, permettant à Osiris de féconder son épouse et d’engendrer Horus.

La légende, aussi belle soit-elle, ne doit pas nous faire oublier le fil de notre travail. Comme le souligne Christiane Desroches-Noblecourt, "les Égyptiens ont eu ce mérite rare de concevoir, les premiers, une vie céleste donnée en récompense à ceux qui l’avaient méritée." Le mythe d’Osiris est donc le premier exemple connu de résurrection.

Il faut revenir un bref instant à la conception que les Égyptiens avaient de la vie et de la mort pour comprendre la portée du culte et la place de la  résurrection. Les Égyptiens concevaient l’homme comme constitué de trois éléments : un élément matériel, le corps (Djet) et deux éléments spirituels : le Ka, principe de vie immanente et indestructible qui est séparé du corps tout au cours de la vie terrestre et qui réintègre le mort pour en faire un dieu, et le Ba qui apparaît sous l’aspect que souhaite prendre le défunt après sa mort pour faire "sa sortie au jour". Aussi, dès que la vie a quitté le corps, il importe de le soustraite à la décomposition (momification) pour que le Ba le reconnaisse, le réintègre et que le Ka lui insuffle le principe de vie.

Pour les civilisations sumérienne, akkadienne, assyrienne, babylonienne, phénicienne et hittite, l’immortalité est réservée aux dieux. Les légendes racontent toutes la même histoire. La résurrection du dieu solaire Melkart, célébrée par le roi Hiram 1er, sensiblement à l’époque de la Pâque juive, marquait le retour du printemps. Ishtar (ou Ashtart) accède aux Enfers pour y chercher son amant Tammouz. En son absence la Terre n’est que stérilité. À la résurrection de Tammouz, la nature reprend vie.

C’est, à l’identique le mythe de la résurrection de Perséphone contrainte de vivre le tiers de l’année (l’hiver) avec son époux Hadès, dieu des Enfers. C’est aussi une transposition du mythe d’Adonis et de son épouse Astarté (Aphrodite).

La résurrection ne s’applique donc pas aux êtres humains. Les morts conservent dans l’au-delà une vie diminuée. Le principe vital (Nephesh) demeurant lié au cadavre, les rites d’ensevelissement sont stricts. Si le service funéraire n’est pas respecté, le Nephesh peut quitter l’ombre du tombeau et devenir un elohim ou un rephaïm, êtres redoutables susceptibles d’apporter le malheur aux vivants.

Les religions sémitiques et judéo-chrétiennes ont accordé une large place à la résurrection en ce qu’elle témoigne de la victoire de la puissance divine sur la mort. Elle est présente dans la religion musulmane ; on la retrouve, quoique plus discrètement dans le judaïsme ; elle est l’un des fondements de la théologie chrétienne, tant sur le plan individuel, résurrection de Lazare, de Jésus, etc. que sur l’interprétation collective de la résurrection accordée aux justes.

La conception que le judaïsme ancien se faisait de la résurrection est entièrement condensée (du point de vue de la Grande Église) dans le chapitre 23, verset 8 des Actes des Apôtres : "…Les Sadducéens disent qu’il n’y a point de résurrection, et qu’il n’existe ni ange ni esprit, tandis que les Pharisiens affirment les deux choses." Toutefois, les Nevi’im des Écritures hébraïques relatent la résurrection opérée par le prophète Élie sur le fils de la Veuve (1 Rois 17,22), par Élisée sur la Sunamite (2 Rois 4,34) ou par Élisée, après sa mort, sur un homme inconnu qui a touché son cadavre (2 Rois 13,21). En dehors de ces trois cas de résurrection individuelle, la Torah conserve plutôt en filigrane le thème de la rédemption collective, תשובה, Téchouvah, qui doit, à la fin des temps, ressusciter le peuple élu.

Cette thèse, dite "mystagogique" est l’une des lectures de l’Apocalypse de Jean : "Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection ! La seconde mort n’a point de pouvoir sur eux." (Ap.20, 6).

Le Nouveau Testament a inévitablement repris ces thèmes, en mettant en évidence les résurrections individuelles opérées par Jésus : la fille de Jaïrus, chef de la synagogue (Matthieu 9,24 - Luc 8,49) ; une jeune fille (Marc 5,41) ; le fils de la Veuve (Luc 7,14) et Lazare (Jean 11,39).

D’autres sont le fait de Pierre qui ressuscite Thabita (Actes 9,39) et Paul pour Eutychus (Actes 20,11) ou Patrocle l’échanson de Néron.

Mais pour l’eschatologie chrétienne, la Résurrection est liée à la Passion de Jésus mis à mort sur la croix, enseveli et sorti du tombeau pour se montrer, vivant, à ses disciples (Matthieu 28,7 – Marc 16,9 – Luc 24,1 – Jean 20,14). Il s’agit là d’une démonstration forte de la puissance de Dieu qui accepte le sacrifice de Son Fils en rédempteur de l’humanité et qui montre au peuple des fidèles – et des incroyants – qu’Il a réussi à vaincre les puissances de l’Enfer. En réalité, la Résurrection du Christ n’aurait été érigée en dogme qu’à partir de 451, lors du Concile de Chalcédoine.

Il est certain que l’idée développée par Pierre de la résurrection des corps est plus rassurante que celle, plus abstraite, de Paul qui parle de résurrection spirituelle. Une façon de concevoir la mort comme moins effrayante, si on peut en revenir. Il n’y a rien en effet de plus angoissant que le néant et l’esprit humain saisit mal les contours de l’éternité.

Il est certain également que, pour le vulgaire, la croyance en une résurrection individuelle, assurée après la mort pour peu qu’on ait fait le bien (Jean 5,29) est plus prégnante que le concept de résurrection collective à la fin des Temps dont on ne sait pas quand elle surviendra. Il y a des moments où l’égoïsme est salutaire… Encore que, la Réforme ait opposé à l’Αποκατάστασιςά των πάντων (apokatastasis ton pantôn), c'est-à-dire le rétablissement universel, cher à Origène et aux néo-platoniciens, le principe d’une Grâce accordée aux seuls et rares élus.

Peut-être parce que c’est le seul moyen permettant de trouver la vie supportable après la mort d’un proche, la notion de résurrection est nécessaire pour entretenir l’espérance.

Les psychologues s’accordent à dire que la présence physique du disparu est indispensable pour entreprendre le travail de deuil. Le rite des funérailles permet aux vivants d’accompagner leur défunt et de préparer la poursuite de leurs existences parallèles. L’une dans le monde réel, l’autre dans le domaine de l’imaginaire.

Après avoir brossé un panorama de la plupart des religions, voyons quelle est l’interprétation de la Franc-maçonnerie.

À l’inverse de la plupart des religions, la Franc-maçonnerie n’a pas eu la possibilité de se bâtir sur le thème de la résurrection. Au contraire, la légende d’Hiram concourt à alourdir l’impression de mort gâchée. Osiris, Adonis, Jésus sont des victimes expiatoires. Leur sacrifice a permis l’espérance d’une nouvelle vie, le relèvement des vivants, la Rédemption des péchés. À quoi donc à servi la mort d’Hiram ?

Les trois mauvais Compagnons, Méthousaël l’hébreu, le Syrien Phanor et Amrou le Phénicien, n’ont pas réussi à obtenir le mot de passe des Maîtres. Ils ne sont parvenus qu’à briser le lien qui les liait à la parole désormais perdue. Hiram assassiné, ils n’ont même pas la chance offerte à Œdipe de pouvoir remplacer Laïos, le père mort. Le reste ressemble à un mauvais roman policier. Ils s’enfuient dans le désert en emportant le cadavre. Ils tentent gauchement de cacher la dépouille sous un tas de sable. En parfaits amateurs, ils vont jusqu’à signaler leur forfait en plantant une branche d’acacia à l’endroit où le corps est dissimulé…

Comme pour se repentir devant le "Fils de l’Esprit".

La suite de la légende n’est guère plus brillante. Vous la connaissez tous. Du moins, telle que nous l’a laissée Gérard de Nerval dans ses "Voyages en Orient". Et qui sert de fil conducteur à la dramaturgie de l’Élévation au grade de Maître.

Mandés par Salomon, neuf Maîtres vont participer à la recherche de Maître Hiram. On remettra à plus tard la traque des trois fuyards… On aurait pu croire que la sécheresse du sable et la chaleur du désert allaient momifier la dépouille. Il n’en est rien. La branche d’acacia n’a rien de l’arbousier d’Osiris ; elle n’a pas eu le pouvoir de protéger le corps d’Hiram. Vanité. Et celui qui fait la macabre découverte ne trouve qu’un corps en putréfaction dont la chair a déjà commencé à se détacher des os. "Mac Benac’h !" Le geste qu’il exécute devant l’horreur du spectacle évacue d’emblée toute possibilité d’envisager une résurrection.

On le voit, la présence du cadavre d’Hiram, malgré les assertions des psychologues, ne nous permet pas de faire le deuil du Maître. Parce que nous avons été incapables de protéger le Maître, incapables d’empêcher sa mort, incapables de conserver la parole qui est définitivement perdue ou parce que nous sommes tous coupables d’avoir eu un jour envie d’arracher à Hiram le mot de passe des Maîtres…

Il fallait donc que le rituel pallie ce que ne permettait pas la légende. En prenant comme mot de Maître le premier mot prononcé en présence du corps d’Hiram, en remplacement du Verbe perdu. En prenant pour appui les cinq points qui vont re-lever le Mort, de l’horizontale (passive) à la verticale (active) et qui composent désormais l’attouchement de Maître, puis en lui donnant l’accolade rituelle, le Très Vénérable Maître va procéder physiquement au "re-lèvement" du Compagnon récipiendaire à l’Élévation.

Cette Élévation correspond bien à l’étymologie du mot résurrection. En ce sens, le mot "re-lèvement" peut se comparer au sens que l’on donne à l’action de relever un nom qui n’a plus de descendance, de relever un titre de noblesse tombé en déshérence. Une élévation (de l’esprit et du corps) qui rappelle au Maître qu’un Franc-maçon "vit et meurt debout". Qui lui rappelle également – et c’est là le sens que l’on peut donner à la marche du Maître – que, pour sa quête, il peut franchir même la mort.

Un dernier point de détail, sans pour autant nous aventurer au-delà de notre degré. Si l’on se réfère aux ’Houkim, commandements de la religion hébraïque, on conçoit mal que Salomon ait autorisé le transport du cadavre, impur, en vue de le faire entreposer dans le Débir, le Saint des Saints du Temple où seul pénètre ha Ko’hen ha Rosh, le Grand-Prêtre, Pur d’entre les Purs. On peut de la sorte, facilement supposer que l’Arca, le sarcophage érigé dans le Débir, était vide, seulement chargé de la présence spirituelle d’Hiram. Comme fut retrouvé vide le tombeau de Jésus, seulement habité de la présence spirituelle du Christ.

Alors ?.. Résurrection ou néant ? Résurrection individuelle ou collective ? Résurrection de tous ou de quelques élus seulement ? Résurrection immédiate ou à la fin des Temps ? Résurrection physique ou spirituelle ? Mythe ou réalité ?

Je laisse, bien sûr, à chacun d’entre vous la certitude de ses propres convictions. Il est évident que notre institution, composée de personnes professant toutes les confessions, ou n’en professant aucune, ne peut donner UNE réponse qui finirait par s’apparenter à un dogme. Mon but n’étant pas de vous faire adopter ma position, ou la position de l’une quelconque des grandes croyances, mais de vous faire réfléchir, de manière inaccoutumée, à cette inéluctable fin.

En guise de conclusion, le dernier mot revient à l’Évangile de Thomas. Le plus sceptique de tous les Apôtres n’a pas craint de douter de la réalité de la Résurrection du Christ. Et son incrédulité, quasi-scientifique, conforte notre certitude : "Que celui qui cherche ne cesse pas de chercher jusqu’à ce qu’il trouve. Et quand il aura trouvé, il sera troublé."

J’ai dit.

P\ R\

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