GLDF Loge : NC Date : NC


Libre et de Bonnes Mœurs


Le jour de mon initiation, et après que l’on m'eut enchaîné les mains, j’ai entendu affirmer pour la première fois de ma vie, et ce, par une voix inconnue, que j’étais « libre » et de « bonnes mœurs » !... C’est peut-être parce-que cette affirmation m’a longtemps laissée perplexe et dubitative qu’elle m’a invitée à revenir (encore et toujours…) explorer plus profondément dans ma conscience.  

Entrer en F\M\ n’est pas un acte facile ; j’avais pleinement conscience qu’il ne s’agissait pas d’une inscription dans une organisation ou association quelconque… et je n’avais surtout pas l’intention (il paraît hélas que cela existe parfois …) de me créer des relations « au cas où », avec un quelconque « intérêt » en tête ! 

A présent, je sais que l’affirmation « libre et de bonnes moeurs », prononcée 4 fois le jour de l’initiation par la S\ Exp\, indique (après enquêtes et bandeau) que la profane semble être de bonne moralité, et avoir une bonne conduite apparente dans la Société… Dire qu’une femme est un composé de force et de faiblesse, de lumière et d’aveuglement, de grandeur et de petitesse : ce n’est pas lui faire son procès… c’est la définir !  L’essentiel est invisible : c’est son ouverture d’esprit à « l’autre », et la perception de son désir profond de changement.

Pour ma part, adepte d’une certaine rigueur ( pour ne pas dire d’une rigueur certaine ) je trouve normal et nécessaire de s’entourer de précautions, afin d’assurer la pérennité de l’esprit maçonnique. La Loge se doit d’exiger un maximum de garanties de moralité et de sincérité pour conserver son harmonie. La profane doit donc obligatoirement être perfectible, mais surtout en avoir le désir.

Dans les « anciens temps », parmi les critères d’admission, il était sciemment précisé sur les Rituels le mot « né » avant « libre et de bonnes mœurs ».
Les érudits de l’époque savaient bien que l’on ne choisit ni sa famille, ni le lieu où l’on naît ; mais.. cela arrangeait leurs intérêts, car ainsi ils avaient une excuse pour sélectionner à leur guise ! 

Au XVIIIéme siècle étaient également exclus les Juifs (motif : incompatibilité de traditions), les domestiques, les employés, les comédiens (parce qu’ils faisaient soi-disant un métier immoral), les esclaves, les borgnes, les bossus, les boiteux … et bien entendu les Femmes ( longtemps considérées comme inférieures aux Hommes ) !
Hélas, la liste est longue, révoltante, et l’admission était abominablement et injustement sélective, discriminatoire, raciste, sexiste, et j’en passe … 

Un trajet en voiture m’a permis d’écouter, par hasard, une émission radio (s/ France-Culture) commentant l’histoire de la F\M\   
A ma grande surprise, j’ai appris que sur les tout premiers textes de la maçonnerie opérative il était écrit : « né libre et de bonnes humeurs ». Humeurs n’indiquait pas, bien entendu, l’état d’esprit triste ou joyeux du moment, mais faisait référence au mot « humeurs » qui répertoriait les anciens critères de bonne santé physique et morale (c’étaient le sang, la lymphe, la bile, etc...) Rien ne devait être déréglé ! Astucieuse façon indirecte, habile, sournoise même, d’exiger une solide santé des maçons opératifs afin qu’ils puissent travailler dur sur les chantiers.   
Le symbolisme prenant fort heureusement le relais, le mot « humeurs » fût remplacé en premier lieu par « renom », ensuite pour insister sur les valeurs morales, il est devenu « mœurs ».

La formule actuelle « libre et de bonnes mœurs » est une évolution dont nous bénéficions toutes. Tout est symbole en Franc-Maçonnerie, donc, pour tenter de comprendre la portée de cette formule lors du contexte initiatique, il est nécessaire de s’interroger en premier lieu sur la signification du mot liberté : être libre !

D’autant que, comme je l’ai dit en préambule, l’on nous qualifie de « libre » avant même d’avoir franchi la porte basse.
A quoi correspond donc cette liberté « déclarée » ?
 
L’ éthymologie de « libre » vient du latin « liber » , qui a 3 définitions :
   ®       socialement libre                              
   ®      affranchi des charges
   ®   libre dans le sens vacant, inoccupé, donc :  indépendant, disponible.
A souligner aussi que le mot « liber » se traduit souvent en Franc-Maçonnerie par « franc », afin d’insister sur le sens « d’affranchi ».
Etre libre : c’est en premier lieu avoir une totale liberté de choix, sans subir de domination arbitraire… ni intellectuellement, ni physiquement .
 
Cette liberté, qui nous permet de décider à notre guise, implique de fait : la possibilité de refuser !   
Nous sommes toutes libres de prendre, ou non, notre engagement. N’oublions pas que le jour de notre initiation le choix de poursuivre ou d’arrêter la cérémonie nous a été proposé à plusieurs reprises. Cette vraie liberté, celle de la conscience, s’acquiert par la volonté, et se conserve par la persévérance.    
En nous créant F
\M\, la V\M\, n’a pas de baguette magique qui aurait fait tout à coup de nous : une moraliste, une philosophe, ou une Sage !

La voie initiatique de la connaissance, est pavée de liberté, de raison, d’amour … mais aussi de sagesse, de prudence, et… surtout de beaucoup de travail ! Car la liberté est aussi dualisme. Elle nécessite une contrainte, de la tempérance, car elle nous force à réfléchir, à choisir LA bonne voie. Pas toujours facile de dompter nos instincts !… Le signe d’ordre est fort heureusement là pour nous rappeler de contenir nos passions !…
Cette grande liberté de nous-mêmes, et de nos mouvements, est en corrélation directe avec notre engagement ; car celui-ci implique de nous rendre disponibles pour être assidues aux Tenues, et aux travaux nécessaires pour la Loge. Ce choix d’auto-discipline consentie nous apprend à conjuguer liberté et traditions car, pour évoluer, nous devons tendre à un changement d’états :
   - d’état de conscience (réalités fondamentales de la vie) et
   - d’état d’esprit (nos pensées, nos façons d’agir). Il faut apprendre à se détacher peu à peu de nos « conditionnements » antérieurs pour vivre libres, matures, et responsables, dans le cadre d’une morale humaniste, sociale, et laïque.              


Nous avons toutes une liberté absolue de religion, et de doctrine politique. Il est bon, je pense même nécessaire, que nous soyons de diverses tendances : c’est une grande richesse d’idées, et d’ouverture d’esprit qui nous permet d’échanger, sans clivage, sans affrontements passionnels, dans l’estime, et la courtoisie réciproque. 
En F
\M\, plus qu’ailleurs, nous ne devons pas être aveuglées par les préjugés, les passions, l’intransigeance absolue : mais… travailler pour nous débarrasser de l’artificiel, souvent du mauvais, que la société nous a apporté.           
Les outils nous aideront à reconquérir peu à peu notre propre personnalité, notre liberté de penser, nos valeurs… un tantinet oubliées ! Cela sans sectarisme, et sans compétition. Gardons nous de nous prendre pour une sorte d’« élite », aucune S
œur n’est supérieure à l’autre, nous ne sommes toutes qu’un microscopique bout du puzzle de la vie et de la F\M\ ; notre engagement doit tendre vers un idéal de dignité humaine, de justice, et de démocratie tout en conservant la fraternité et l’amour chevillés au coeur. 
Contentons nous d’ « Etre meilleure » car c’est bien plus important que d’être « LA meilleure ». Nous pensons être libres, mais… au fond : nous savons toutes que nous traînons quantité de métaux !

Pour ce qui me concerne je pense que le mot « liberté » est une sorte de patère où sont solidement accrochées un grand nombre de petites chaînes invisibles… si difficiles à décrocher !.. Un petit coup d’œil dans le rétroviseur nous renvoie nos certitudes de profane, et nous fait découvrir un concept souvent trop matériel. Patience : car notre objectif n’émerge que par un libre et lent processus. Notre raison observe, se tourne vers notre conscience… car c’est là, tout au fond, qu’est tapie notre véritable liberté. Cette liberté qui parle le langage universel des vertus consiste à vivre conformément aux « bonnes mœurs ».

Cette liberté intérieure guide nos choix (dans tous nos actes), et cela se traduit forcément peu à peu par un changement de comportement relationnel.  
Un nouvel art de vivre … en quelque sorte ! La F
\M\ est une bien belle école de vie. Nous le savons toutes : une Maçonne libre, dans une Loge libre : c’est le principe essentiel de l’Ordre Maçonnique tout entier.

Quant aux « bonnes mœurs » qu’englobent-elles ? C’est si vaste que je me suis précipitée sur mes dictionnaires pour tenter d’analyser leurs sens exacts.
Sur le LAROUSSE, je trouve : « les mœurs sont un ensemble de principes, de règles codifiées par la morale sociale, en particulier sur le plan sexuel ». Sur le plan sexuel ? Je suis restée perplexe mes SS\… ce plan là est intimiste, il fait partie de nos mœurs, mais aussi… de notre liberté !    
Ambiguïté ?


La définition du LITTRE me paraît plus réaliste, il y est précisé que : « la frontière entre le Droit et les mœurs ne sera jamais exempte de flottements ».
Mais Larousse ou Littré, à mon humble avis, le plus important est de ne pas être entachées de fautes qui rejailliraient sur la vie des autres. Aucune de nous n’étant parfaite, il ne peut être question d’un rigorisme extrême, et nous devons toujours rester respectueuses les unes envers les autres.
Nous déplorons toutes la perte de bon nombre de valeurs et il est bien triste de constater que la décadence de nos mœurs, entraîne souvent aussi la décadence de notre honneur.
Vigilance !                                                 


Toutefois, rien n’est plus fluctuant que les us et coutumes d’une société donnée, d’une époque à une autre, et plus encore d’une frontière à une autre !  Cela prouve que la variabilité des mœurs amène à un certain relativisme.         

Pour l’anecdote, et prouvant le changement permanent des mentalités : je trouve édifiant que la Loi de 1881 qui prévoyait de punir les « outrages aux bonnes mœurs » ait disparu du nouveau Code pénal.
Pauvre FLAUBERT qui se vit accuser d’immoralité à l’occasion de la parution de « Madame Bovary »… qui est maintenant enseignée à l’école ! 
Idem pour BAUDELAIRE à la parution de son livre « les Fleurs du mal » ! « Autres temps, autres mœurs » !


Dans « La République » de Platon, il était déjà question des séries d’équivalences entre : les lois et les vertus, et d’autre part : les lois et les mœurs.  Il s’interrogeait également sur la fragilité des mœurs exposés à la corruption … question toujours d’actualité en 2003 ! Nous avons toutes remarqué que les mauvaises compagnies corrompent les mœurs : tel un fruit gâté qui peut à son tour gâter tout un plateau de beaux fruits !… Il est donc primordial d’écouter la « petite voix » de notre conscience, et de ne pas parler de choses inopportunes, inconvenantes, ou secrètes.
 Nos bonnes mœurs, et notre serment, impliquent une totale nécessité de discrétion maçonnique : pour soi, et peut-être plus encore pour les autres !
Car si nous parlons d’une Sœur (ou d’un Frère), même à quelqu’un de notre très proche entourage, il faut toujours avoir à l’esprit que cette personne n’est pas tenue au secret ! Restons discrètes, fidèles à notre serment : ne soyons pas parjure.    
C’est la condition sine qua non si nous voulons être un maillon solide.

Notre rituel nous le rappelle à chaque fin de chaque Tenue :  

     « Retirons-nous en paix sous la Loi du silence » .

Dans notre vie, appliquons au mieux les « bonnes mœurs » car elles seront toujours des béquilles fiables permettant de nous impliquer dans la « Loi Morale » de notre Ordre.


Evolution oblige, je tiens à rappeler qu’en F\M\, notre ouverture d’esprit et d’émancipation se sont manifestées de façon exemplaire il y a quelques décennies dans le fait que les F\M\ ont milité à l’extérieur du temple pour le planning familial… et ce, dans une période où cette revendication apparaissait immorale, et contraire aux « bonnes mœurs » ! Cela souligne, et rappelle si besoin était qu’il est de notre devoir d’élaborer des stratégies positives pour changer et améliorer la vie de nos semblables… tout en restant des citoyennes respectueuses des Lois de notre Pays. La F\M\ reste l’art de se construire : pour mieux construire la société… et de nos jours encore ce ne sont pas les grands chantiers qui manquent … !

Une F\M\ est tenue au respect de la Loi acceptée, et de la parole donnée. J’avais à l’esprit les métaux en rapport avec la Liberté. Pour les mœurs, c’est au Pavé Mosaïque auquel je pense. Pour être de bonnes mœurs, il faut tenter de se faufiler entre le blanc et le noir, et essayer de ne pas dévier.
Le rituel nous habitue à nous conformer à des règles, il est essentiel ; grâce à lui : les « bonnes mœurs » deviennent naturelles en Loge.
Elles sont une éthique évolutive en même temps qu’une manière d’être et d’agir, et visent à nous libérer de tout ce qui limite, aliène, ou pervertit notre pensée et nos actes.
Ce n’est pas par hasard que les mots « libre et de bonnes mœurs » ont été mis ensemble, en effet il y a interpénétration des deux idées, ils lient les principes auxquels nous nous référons, et qui nous aident à « réunir ce qui est épars ».

Si nous nous comportons en véritables F\M\, dans la parfaite et libre acceptation du terme, notre cœur deviendra le siège naturel des bonnes mœurs. Pour cela, il faut que la poussée de notre « moi » véritable, profond, perce la couche (souvent très épaisse…) de nos mauvais automatismes : c’est alors, alors seulement, que nous serons libres , et non plus « déclarées » libres !
Certes le risque de trébucher, ou d’échouer existe, nous flancherons toutes un jour ou l’autre, et même souvent … Le découragement fait aussi partie de la panoplie des sentiments de l’être humain, et l’incertitude reste collée à nos semelles… mais : l’essentiel est de réagir, et de travailler pour continuer notre chemin maçonnique car notre engagement a été prêté librement : il est sacré.

Ne l’oublions pas : nous avons tombé nos chaînes pour prêter serment en toute liberté, et cet engagement nous lie aux bonnes mœurs.

Pour progresser l’équerre (pour la droiture) et le compas (pour la mesure), nous aideront à tracer notre voie initiatique, afin que nos bonnes mœurs deviennent la clef de voûte de notre Temple intérieur.
« Libre et de bonnes mœurs »… nous ramène donc implacablement à notre conscience, à notre quête maçonnique, à une remise en question permanente, et à un ressenti profond de : « l’action bonne en soi ».   

Nous pourrions peut-être résumer par la phrase :
« Faisons le « bien » librement, pour l’amour du « bien » lui-même ! »         

J’ai dit V\M\ 

M
\ S\

3210-1 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \