La Houppe

La tenture des parois est rouge. Sur la frise murale est placée ou représentée un cordon comportant, de distance en distance, des nœuds mystérieux dénommés « Lacs d’Amour » ; chaque extrémité de ce cordon est ornée d’une houppe dénommée « Houppe Dentelée », chacune reposant sur l’une des deux colonnes flanquant la porte du Temple.

Voilà mes F\ ce qui est décrit dans le chapitre « Décoration de la Loge » du Rituel du Premier Degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté.

Comme vous l’aurez donc deviné, le sujet de l’essai que l’on m’a demandé de préparer, concerne cet élément de décor appelé « Houppe   Dentelée ». Appellation qui m’interpelle et suscite en moi pour l’instant certaines interrogations.

Bien que cet élément de décor ne soit visiblement pas présent dans notre Loge, il me semble qu’il faut comprendre par « Houppe Dentelée », non pas uniquement les extrémités mais l’ensemble de cette corde sur laquelle sont formés de nœuds également espacés et appelés nœuds de Huit.

Et en aucun cas la notion de « dentelée » ne trouve, à mes yeux et pour l’instant, un sens réel. Je reviendrai donc plus tard sur cette remarque.

Essayons donc d’y voir un peu plus clair.

Il semblerait que la « Houppe Dentelée » ou en d’autres termes, peut-être plus appropriés, cette corde à nœuds, trouve une première signification dans la maçonnerie opérative.

En effet, autrefois, les maçons étaient fréquemment amenés à se réunir dans des lieux improvisés et non moins éphémères, proches de leurs chantiers. Pour ce faire, ils dressaient des planches et autres matériaux naturels qu’ils assemblaient solidement avec une corde et quelques nœuds de fixation. Les ouvriers se trouvaient ainsi dans un espace confiné et protégé, où ils pouvaient notamment se reposer, échanger voire travailler à l’abri des regards extérieurs.

Aujourd’hui dans la Maçonnerie spéculative, ces notions d’espace et de protection restent entières.

La « Houppe Dentelée » détermine l’espace sacré tout en lui donnant une dimension de protection. Faisant le tour de la loge par le Septentrion, l’Orient et le Midi, elle délimite l’espace de « contemplation » nécessaire aux travaux de la Loge en n’autorisant, comme seul accès, la porte du Temple flanquée des colonnes où reposent réciproquement les deux extrémités de la Houppe Dentelée.

Mais voilà, cette corde à nœud, ou tout du moins sa représentation, ne se trouve pas toujours en lieu et place dans nos différents Temples. Et si l’on remonte quelque peu en arrière, la littérature fait état de Loges et de Francs Maçons qui, pour leurs travaux, se réunissaient dans des lieux communs tenus secrets. Et pour ce faire, les FF\ utilisaient un Tableau ou Plan de Loge comme référent à l’installation de leur espace sacré.

C’est là, semblerait-il, l’une des origines du Tableau de loge, sur lequel nous voyons aussi, et en toute logique, dessiné cette corde à nœuds dénommée « Houppe dentelée ».

A l’ouverture des travaux, dès que le collège des Officiers de la Loge, sous l’autorité du V\ M\, s’est assuré que cette dernière est bien couverte et que tous les membres présents sont reconnus Maçons réguliers, l’espace sacré et le temps sacré peuvent prendre toute leur dimension.

Ainsi l’Expert, genou droit à terre, trace donc le tableau de loge, sous le regard attentif de tous les FF\.

Partant du coin bas gauche (Nord Ouest), d’un seul trait, sans jamais lever la main, la houppe dentelée, faisant apparaître trois nœuds - 1 coté Nord, 1 coté Est et 1 coté Sud - est tracée sur le bord intérieur du tableau pour finir dans le coin bas droit (Sud Ouest).

L’espace sacré est ainsi délimité et protégé. Les travaux des FF\ réunis peuvent donc démarrer.

Il est intéressant de noter que le sens du tracé est le sens « dextrocentrique » ou dit « Solaire » parce qu’il s’accomplit dans le sens de la course du soleil (vu de l’hémisphère boréal), c’est-à-dire de l’Ouest à l’Est en passant par le Nord et en revenant par le Sud.

Ce sens n’est pas anodin, bien au contraire. Il peut être considéré comme positif et favorable, car il accompagne le mouvement du soleil, celui de la lumière.

Mes FF\, n’est-ce pas là aussi le sens que tout maçon souhaite donner à sa vie d’initié lors de sa quête spirituelle et de sa recherche de la lumière ?

Par contre, lors de l’effacement du tableau de loge, la Houppe Dentelée est effacée, juste après le delta lumineux, dans le sens inverse c'est-à-dire le sens « sinistrocentrique ». A contrario du précédent et par conséquence directe, ce sens peut être considéré comme néfaste car allant dans le sens opposé du soleil. Il annonce ainsi le renouveau du monde des ténèbres, où le Maçon éclairé peut replonger plus averti.

Mes FF\, ne faut-il donc pas comprendre que tout Maçon ayant reçu, durant un espace temps privilégié, la lumière tant désirée se trouve ainsi plus fort afin d’affronter le monde profane ?

Cette Houppe Dentelée est donc un symbole de protection et de délimitation d’un espace temps sacré.

Pour poursuivre cet essai et répondre à certaines de mes interrogations initiales, je me suis intéressé à la qualification de « dentelée » attribuée à cette corde. Pourquoi parle-ton de Houppe Dentelée ? Que vient faire ici cette notion de dents. Hormis le coté effrayant, entre guillemets, que peuvent évoquer ces dents, quelle en est son origine, sa signification ?

Après quelques recherches, voici la synthèse de mes investigations. Il semblerait qu’autrefois, notamment en Angleterre, le tableau de loge n’était pas tracé.

Pour leurs travaux, les FF\ qui se réunissaient, utilisaient des tapis brodés ou des peintures sur bois en guise de « Tableau ou Plan de Loge ».

Le bord extérieur de ces tapis ou peintures sur bois faisait généralement apparaître une bordure dentelée composée de triangles blancs et noirs (ressemblant à des dents).

La corde à nœuds, aux extrémités en forme de houppes, se trouvait donc représentée sur le « Plan de loge » proche de cette bordure dentelée. Et par conséquence, il semblerait que l’expression « Houppe Dentelée » provienne d’une contamination linguistique avec la bordure dentelée de ces Tableaux ou Plans de Loge anglais.

Ce point trouvant donc une explication et conformément à tout ce qui précède, il devient maintenant clair à mes yeux que cette « Houppe Dentelée » est porteuse de nombreuses significations, qui pour certaines ont étaient évoquées.

Mais ce n’est là qu’une première esquisse.

Car ce qui me semble maintenant affirmé, c’est que la « Houppe Dentelée » devrait plutôt s’appeler « Cordelière à nœuds et à houppes ». Et cette dénomination offre à ma réflexion de nouveaux horizons quant à sa composition.

Oublions pour l’instant les nœuds et leur signification et intéressons nous plus particulièrement à la cordelière. Cette dernière est en fait constituée d’un ensemble de fils, individuellement fragiles et cassants, qui liés et tressés ensemble, lui donnent une consistance et une solidité.

Pour se convaincre de cette propriété, il suffit de regarder la structure des haubans d’un voilier soutenant son mat, ou plus simplement faire l’expérience de soulever ou tracter une lourde charge avec une mèche de cheveux tressés…

La cordelière à nœuds représente la chaine universelle des maçons forte et unie, où chacun des fils pris indépendamment les uns des autres représente un Franc-maçon animé de ses propres forces, faiblesses, certitudes ou doutes.

Ce fil n’est autre que le fil de la vie de tout maçon qui, uni aux autres maçons, se sent plus fort pour tailler sa pierre en vue de construire l’édifice commun : Le Temple de l’humanité.

Quant aux extrémités de cette cordelière, ce ne sont que deux houppes ou gros glands effilochés disposés à l’entrée et la sortie du Temple afin de signifier les limites avec monde profane d’où vient et où repart chaque F\.

La houppe à l’extrémité Nord Est symbolise le chemin vers l’espace sacré délimité par la constitution de la chaine d’union protectrice. Et la houppe à l’extrémité Sud Ouest symbolise le retour vers le monde profane.

Chaque fil de la cordelière est un lien symbolisant une vie, c'est-à-dire une existence. Toute existence est complexe, forgée par les épreuves heureuses ou malheureuses de la vie. Ces épreuves sont soit des liaisons, soit des embûches de la vie courante.

Plus concrètement, une liaison est en quelque sorte un artifice permettant de relier entre eux des éléments que l’on souhaite assembler plus ou moins harmonieusement afin de leur conférer une certaine solidité.

Quant à elle, l’embûche n’est autre qu’une situation inextricable, difficile à démêler, provoquant souvent souci et désagrément.

Symboliquement la liaison, tout comme l’embûche, peut être représentée comme un nœud dans l’existence.

Tout nœud revêt donc un caractère ambivalent c’est-à-dire positif ou négatif. Il représente une puissance qui lie et/ou qui délie.

C’est à la lumière de ces quelques réflexions qu’il me reste maintenant à esquisser la signification de ces mystérieux nœuds présents sur la cordelière, dénommés « Lacs D’Amours ».

Le mot « Lac » provient du latin « Laqueus » signifiant : Lacet, nœud coulant. L’utilisation d’un nœud est généralement faite pour apporter une certaine solidité à l’édifice où il est utilisé (Cf. les cabanes réalisées par les ouvriers ou maçons, point évoqué précédemment).

Ils existent de nombreux types de nœuds dans le monde profane. La plupart portant un nom, ayant une forme spécifique et des utilisations précises.

Chaque marin en connaît les principaux, utiles à ses besoins, en fonction de leurs particularités et de leur utilité.

Les lacs d’amour dont il est fait état sur la cordelière à nœuds sont des nœuds de Huit. La particularité de ces nœuds est la suivante : Au-delà du caractère harmonieux qu’ils inspirent, ils sont faciles à défaire et ne glissent pas. Ceux sont des nœuds faciles à dénouer.

Et plus particulièrement, sur la cordelière à nœuds ils sont lâches, non serrés, peut-être pour signifier à tout maçon qu’ils ne sont pas négatifs, mais positifs.

Leur forme est intéressante. Imaginons donc le mouvement de l’extrémité de la cordelière lors de leur formation.

Suivant un chemin relativement rectiligne (le chemin de la vie), afin de former un Lac d’Amour, la Houppe de la cordelière (la chaine des maçons) s’oriente dextrorsum (à dextre) (dans le sens du soleil) créant ainsi une première boucle, puis s’oriente sinistrorsum (à senestre) (c’est-dire vers les ténèbres) créant alors une deuxième boucle, la houppe passant à l’intérieur des deux boucles ainsi formées.

Elle forme donc bien le chiffre Huit, chiffre considéré comme l’alliance entre deux états.

Reconnu universellement comme le chiffre de l’équilibre cosmique, c’est le soleil d’en haut qui se reflète en bas sur la terre des hommes en réchauffant leurs âmes.

Le Huit désigne donc cette alliance qui relie la terre et plus généralement l’humanité avec le divin dans l’immensité de l’univers.

N’est ce pas là l’une des raisons ayant conduit le choix d’un Huit couché comme signe mathématique pour représenter l’infini ?

Et avant de conclure, laissez moi mes FF\, mentionner un dernier point ayant retenu mon attention lors de l’élaboration de cette esquisse.

Certains ouvrages font part d’une idée intéressante entre la Houppe Dentelée et la corde aux 12 nœuds équidistants utilisée autrefois par les maçons opératifs. Cette corde leur permettait de mesurer mais aussi de tracer des angles droits (théorème de Pythagore).

En effet 12 c’est 3+4+5 et, d’après Pythagore, le carré de l’hypoténuse (coté opposé à l’angle droit) est égal à la somme des carrés des deux autres cotés.

Mais le seul doute qui subsiste aujourd’hui dans mon esprit est le suivant : Rien ne me dit ou ne me permet de savoir si la « Houppe Dentelée » comporte exactement 12 Lacs d’Amour équidistants.

Finalement mes FF\, et pour conclure, la Houppe Dentelée, n’est-elle pas présente pour nous rappeler que tout cherchant initié doit consacrer sa vie à la plus noble cause qui soit, c’est à dire :

La recherche de sa propre Vérité afin de construire, ensemble avec ses FF\, forts de notre union, de nos Valeurs et de notre Amour, le Temple universel de l’humanité.

J’ai dit

V\ M\